Mise à jour : 5 septembre 2011 (Rédaction initiale : 7 décembre 2010 )

Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre 2010

Douzième cours Grandes Questions du Droit

par Marie-Anne Frison-Roche

Le droit des contrats est en train de sortir de sa "bulle". En effet, d'une façon étonnante, les spécialistes de droit privé semblent avoir cru que le contrat leur "appartenait" comme les spécialistes semblent avoir pensé que l'Etat relevait d'eux. Ainsi, les contrats administratifs n'étaient conceptuellement  que des contrats adaptés à la puissance publique (principe d'adaptabilité).

Ce sont des distinctions qui aujourd'hui n'existent plus.

En effet, tout d'abord l'Etat est partout dans les contrats : il les écrit lui-même, dans les branches des droits unilatéraux de protection que sont le droit du travail et le droit de la consommation, même si le premier connaît un mouvement de réversion et si l'on peut estimer que l'écriture des contrats de travail devrait davantage relever de la négociation collective de l'écriture unilatérale de la réglementation. Il demeure qu'à travers l'ordre public qu'a posteriori  le juge applique et insère dans le contrat (article 6 du Code civil), le contrat, pour reprendre l'image prise par le Doyen Carbonnier, se fait à trois : les deux parties et l'Etat.

De son côté, l'Etat a contractualisé son action (contractualisation de l'action publique) pour la rendre plus efficace. En effet, l'unilatéralisme qui caractérise l'agent souverain dans son rapport à l'assujetti, qui donna son consentement dans le contrat social hypothétique, n'a plus les moyens de son efficacité. Pour réduire en outre l'asymétrie d'information, la contractualisation est une solution, dont le partenariat public-privé est la plus parfaite illustration.

Indépendamment de ce mixte entre le droit public et le droit privé,

En effet, la bulle a éclaté, sans doute contrarié et ceux qui enferment le contrat dans le droit privé et ceux qui enferment le contrat dans le droit national.

Tout d'abord, le contrat est concerné par la question prioritaire de constitutionnalité. Celle-ci met le droit constitutionnel au coeur du système juridique, en tant qu'il met les libertés et droits fondamentaux à la portée effective de la protection du juge constitutionnel. Dès lors, le mouvement de "pulvérisation" du système juridique français en multitudes de libertés et droits subjectifs concernent toutes les branches du droit.

Cela concerne le droit des contrats. En effet, la liberté contractuelle a valeur constitutionnelle (Déc. 19 décembre 2000, Loi relative au financement de la sécurité sociale). Plus encore, l'obligation de réparer les dommages causés est régullièrement rappelée par le Conseil (v. par ex. 9 nov.1999, Loi relative au pacs).

Mais la question technique aujourd'hui ouverte est de savoir si une clause contractuelle violant une disposition constitutionnelle serait ou non susceptible d'être attaquée en tant que telle comme contraire à la Constitution. A priori  non, car seules les lois peuvent l'être, mais si la clause se réfère, même implicitement, ou d'une façon supplétive, à une loi qui serait contraire, cela serait concevable.

L'autre éclatement de la bulle est opéré par l'Europe. En effet, tout d'abord, l'Europe économique, notamment à travers le droit de la concurrence, annihile les contrats lorsque ceux-ci sont un moyen d'opérer une pratique anti-concurrentielle (par exemple une clause de non-concurrence).

La question est plus délicate concernant l'Europe des droits de l'Homme. En effet, la Cour européenne des droits de l'Homme, par son arrêt du 13 juillet 2004, Plan et Puncernau c/ Andorre, a posé qu'elle ne saurait rester inerte si l'interprétation que le juge national fait de l'acte juridique est déraisonnable et arbitraire ou contraire à la Convention (en l'espèce l'interdiction de discrimination visée par l'article 14).

La Cour européenne va donc très loin, puisqu'elle s'autorise lorsque la Convention est en jeu à contrôler la façon dont le juge national a interprété le contrat, alors que la Cour de cassation laisse ce pouvoir à la souveraineté des juges du fond.

Or, la Cour de cassation, dans un arrêt de sa troisième chambre civile du 22 mars 2006, a sur le seul visa de l'article 8 CEDH sanctionné un arrêt de cour d'appel qui avait appliqué la clause d'un bail d'HLM interdisant à un colocataire d'imposer à l'autre une autre personne d'un enfant mineur. D'une part, la CEDH devient une source autonome du droit des contrats et d'autre part, lorsque la Convention est en jeu, la Cour de cassation accroît son contrôle sur les juges du fond.

On mesure à quel point le droit des obligations est bouleversé par les droits fondamentaux des personnes, ceux-ci étant désormais le coeur du droit.

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