Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

Check and balance

par Marie-Anne Frison-Roche

ComplianceTech®

L'expression est ici laissée en langue anglaise car elle constitue une séquence figée et n'est pas traduisible. Elle renvoie en bloc au mécanisme institutionnel et politique fondamental du système américain. Les théoriciens et les praticiens de la Régulation s'y réfèrent souvent comme étant le bon cadre politique et institutionnel sur lequel doit s'appuyer une organisation économique de Régulation. Cela signifierait une nécessité de réformer les systèmes politiques construits sur un autre mode de séparation des pouvoirs.

Cela conforte le fait que le système de régulation n'est pas neutre, il est le reflet d’une organisation politique, issue d'une conception philosophique concernant notamment du rôle de l’État et de la place de l’individu.

Le choc entre les deux conceptions philosophiques et politiques  explique que la régulation économique ait eu du mal à être acceptée en France pendant une longue période. En effet, selon le schéma politique français issu de la Révolution, il existe deux pouvoirs : l’exécutif et le législatif, le judiciaire n’étant qu’une autorité. L’exécutif est construit sur le principe hiérarchique dont la tête est constituée par le gouvernement, toute administration relevant finalement d’un ministre. Il s’agit donc d’un système vertical, qui a pour lui le mérite de la simplicité.Les autorités de régulation ont été imposées par des directives européennes à partir des années 90, sous la forme d’organes pouvant être de nature administrative et relevant à ce titre de l’État mais devant être nécessairement indépendants du gouvernement dès l’instant qu’opéraient sur le marché des entreprises publiques qui elles aussi obéissaient au gouvernement à travers la théorie de l’État-actionnaire.

Il s’agit de la règle européenne fondamentale de l’impossibilité du cumul de l’Etat régulateur/opérateur, situation constitutive d'un conflit d'intérêts. L’État français entendant demeurer propriétaire d’opérateurs publics, notamment EDF, a préféré lâcher la maîtrise de la régulation en créant des autorités administratives indépendantes (AAI).

Dès lors, le modèle vertical de la hiérarchie de l’exécutif a été perturbé puisque ces autorités ne relèvent plus (à l’instar d’électrons libres) de celui-ci. Pour que celles-ci rendent néanmoins des comptes, on a accru le contrôle juridictionnel sur les autorités à travers les recours. De la même façon, à travers des rapports publics remis au Parlement, les AAI se sont mises à rendre directement des comptes à celui-ci. Le modèle politique devient horizontal.

 

Cela renvoie alors à une toute autre tradition : celle des États-Unis. En effet, aux États-Unis, le pouvoir exécutif (la Maison Blanche) a face à lui aussi bien le Parlement (le Congrès) qu’un pouvoir judiciaire très puissant (la Cour Suprême) ; aucun n’a prise sur les autres, chacun toutefois pouvant demander des comptes aux autres. C’est le système dit de Check and Balance. Notamment parce que la Régulation a été institutionnellement conçue par des économistes qui, via le courant Law and Economics, ont perçu ce qu'ils considèrent comme le droit le plus adéquat comme étant le droit américain, devant s'imposer presque "par nature".

Ainsi, à travers ce petit coin dans la porte qu’est la réforme institutionnelle introduite par la régulation, le système politique français évolue vers ce système américain de check and balance,étant observé que les États-Unis ont été les premiers historiquement à mettre en place des régulateurs. Ce rapprochement des systèmes peut s'opérer d'autant plus qu'en Europe les organes en charge du contrôle du contrôle de constitutionnalité ne cessent de monter en puissance. Ainsi, en France, depuis la réforme constitutionnelle du 23 Juillet 2008, le Conseil Constitutionnel peut apprécier la constitutionnalité des lois non plus seulement avant leur promulgation mais alors même qu’elles sont entrées dans l’ordre juridique, ce qui conduit à soutenir qu'il est en train de devenir une "Cour suprême" sur le modèle américain.

Les modèles politiques demeurent très différents, notamment parce que le Parlement français n'a pas la même puissance de blocage que celle dont dispose le Congrès américain et que le Conseil constitutionnel n'a pas la même puissance doctrinale que la Cour suprême américaine, ce qui laisse en France la place à un système présidentiel quasiment sans balance, face auquel font face les Régulateurs et le système de l'Union européenne, l'Europe devenue de plus en plus une Europe de la Régulation.

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