31 août 2014

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Concevoir une régulation prudentielle

par Marie-Anne Frison-Roche

La version anglophone de ce Working Paper est accessible en cliquant sur le drapeau britanique. Il doit être cité de la façon suivante : http://mafr.fr/article/10-concevoir-une-regulation-prudentielle/

Ce Working Paper a servi de base à une contribution aux Mélanges offerts à Michel Germain, parue en 2015.

Le droit est construit sur des mots et suivant qu'on en fait et la façon dont on les agence, le droit lui-même se construit d'un façon ou d'une autre. Ainsi, il semble acquis que le droit de la régulation doit se distinguer du droit de la supervision. Dès lors, la notion de "régulation prudentielle" est un contresens en elle-même.

Pourtant, elle pourrait être très utile.

Cette notion est exclue car des distinctions y font implicitement barrage. La première est cette summa divisio entre "régulation" et "supervision", qu'on présente comme différente, la première visant les comportements des opérateurs pour l'équilibre du système, tandis que la seconde vise la solidité des opérateurs pour prévenir la chute du système. La seconde est dans les normes utilisées, les normes de régulation n'étant pas les mêmes.

Mais cela coûte au système bancaire et financier. En effet et par exemple, la comptabilité est de fait absorbée par la régulation financière alors qu'elle devait refléter aussi la solidité, c'est-à-dire jouer un rôle prudentiel, ce qu'elle ne fait pas, et participa à la crise. Certes, le plus souvent, cela ne se voit pas, car même si de droit les Autorités sont distinctes, de fait les Autorités de régulation financière se mêlent de supervision, tandis que les Autorités de supervision se mêlent de régulation.

Pourtant, si l'on admettait la réalité, c'est-à-dire le continuum entre la surveillance et l'obligation comportementale, ce qui constituerait la "régulation prudentielle", alors non seulement on organiserait davantage des rapports étroits entre les Autorités et l'on tirerait toutes conséquences du fait que la Banque Centrale Européenne est devenue un Régulateur prudentiel.

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Nous vivons sur des conventions de langage. Dans la mesure où le droit est acte de langage, la réalité s'ajuste par le seul choix des mots par lesquels nous construisons le système juridique. L'usage de telle ou telle expression engendre la construction d'une certaine architecture des règles de droit, alors qu'il faudrait peut-être les construire d'une autre façon.

Ainsi, il est convenu que l'on parle d'une part de "normes de régulation" et d'autre part de "normes prudentielles", les premières relevant du "droit de la régulation", les secondes du "droit de la supervision". Celui-ci a pour fonction d'assurer la solidité d'acteurs dont la défaillance entraînerait celle du système tout entier, et de citer immédiatement les "normes de Bâle" ainsi que les pouvoirs nécessaires dont usent les Autorités de supervision. Le droit de la régulation ne vise quant à lui que le comportement des opérateurs. Les normes qui le composent, que l'on assimile aisément à la réglementation, a pour objet davantage de maintenir les équilibres du secteur lui-même.

L'on prend garde à ne pas confondre les deux et sans doute l'imprudent qui évoquerait une "régulation prudentielle" serait renvoyé dans ses foyers pour avoir si mal appris son droit. Mais les Mélanges sont un espace de liberté et notre ami Michel Germain est un esprit libre, alors imaginons qu'ayant passé le temps des récitations et des leçons apprises, l'on puisse se demander s'il ne serait pas au contraire judicieux d'associer les deux termes.

En effet, si l'on trouve si peu de travaux sur la "régulation prudentielle", c'est peut-être parce que celle-ci paraît "inconcevable". Mais c'est aussi sans doute parce que notre pensée se déploie sous les fourches caudines de distinctions qui y font implicitement barrages (I). Pourtant, faute d'avoir conçu cette "régulation prudentielle", son absence nous coûte cher (II), alors nous pourrions en imaginer une, simple et forte (III).

 

I. LES DISTINCTIONS FAISANT IMPLICITEMENT BARRAGE A UNE "REGULATION PRUDENTIELLE"

Nous nous interdisons de penser une "régulation prudentielle" parce que le droit est construit sur des distinctions de base à partir desquelles nous élaborons et que nous ne voulons pas ébranler. Parmi ces repères, qui font pourtant ici barrage, nous nous heurtons à la summa division construite entre régulation et supervision (A). Après ce premier obstacle, qui paraît insurmontable, nous buttons encore sur la distinction entre les normes de régulation et les normes prudentielles elles-mêmes (B). Après cela, la messe paraît dite.

 

A. LA DISTINCTION ENTRE RÉGULATION ET SUPERVISION, FAISANT IMPLICITEMENT BARRAGE À UNE "RÉGULATION PRUDENTIELLE"

La supervision est un ensemble de mécanismes qui sont appliqués à des entreprises très particulières en ce qu'elles présentent un risque systémique pour un secteur, lequel serait affecté par la défaillance de ces entreprises. La banque est l'exemple même de l'entreprise qui est l'objet d'une supervision!footnote-30, en ce que ses difficultés peuvent créer un affolement chez les déposants, causant la faillite des autres banques du fait de demandes massives de retrait des dépôts, causant dans un effet de chaîne la déstabilisation du secteur financier, puis de l'économie que l'on dit "réelle", sous-entendant que l'industrie bancaire et financière ne le serait pas.

Si l'on confronte cette définition avec celle de la régulation, on constate que les notions sont donc différentes, voire qu'il n'y a pas de points de contact entre elles. En effet, dans un sens strict, la régulation est un ensemble de mécanismes qui sont appliqués à un secteur souffrant d'une défaillance structurelle. Dans une conception très large, lorsque certains en viennent à parler de "régulation concurrentielle", la régulation se noie alors dans la politique de la concurrence ou dans les moyens de prévenir ce qui pourrait endommager celle-ci.

Ainsi, il n'y a pas de point de contact entre supervision et régulation. La supervision concerne des agents en ce qu’ils sont fragiles et en cela dangereux. La régulation vise des secteurs, parce qu'inaptes à être immédiatement ou définitivement en état concurrentiel.

Ce ne sont d'ailleurs pas les mêmes opérateurs économiques qui sont visés par l'un et par l'autre. Ainsi, la régulation concerne toutes les entreprises qui sont sur des secteurs non entièrement concurrentiels, soit parce qu'ils ne le sont pas encore (processus de libéralisation), soit parce qu'ils ne peuvent techniquement pas l'être (régulation techniquement définitive), soit parce que le Politique a posé qu'ils ne le seraient pas (régulation politiquement a-concurrentielle). Cela concerne toutes les entreprises qui développent leurs activités sur les marchés de l'énergie, des transports ou des télécommunications.

La supervision vise non pas les secteurs mais les entreprises. Elle concerne principalement les banques et les compagnies d'assurance. C'est ainsi que se décrit l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (A.C.P.R.), en affirmant que sa création "répond à l'objectif de mise en place d'une autorité de supervision forte disposant d'une vision globale du secteur financier (banque et assurance)".

Certes, il existe aussi une régulation bancaire et une régulation assurantielle. En effet, le secteur bancaire est lui-aussi un secteur sur lequel existent des défaillances structurelles, notamment du fait des asymétries d'information et il est régulé à ce titre. Ainsi, se superposent sur la banque, et un mécanisme de régulation, et un mécanisme de supervision. Mais ils ne se confondent pas : ils se superposent!footnote-31. Plus encore, les établissements financiers sont particulièrement actifs sur les marchés financiers et font courir à ceux-ci des risques de déstabilisation par leur comportement, par exemple le trading à haute fréquence, mais c'est une perspective de régulation qui soucie le Régulateur financier, et non l'Autorité de supervision. Plus encore et le plus souvent, les banques et les compagnies d'assurance sont des entreprises constituées en sociétés cotées. Dans la mesure où le marché financier est structurellement défaillant, du fait des asymétries d'information, il s'agit d'un marché régulé. C'est pourquoi ces opérateurs sont à la fois supervisés et doublement régulés, à travers cette fois-ci une régulation qui leur est propre et à travers la régulation financière générale.

Mais il ne s'agit jamais que de superposition, pas de fusion. Il faudrait ne voir dans la "régulation" que de la "réglementation", ce qui est un anglicisme (regulation) et, dans la mesure où le dispositif de supervision est effectivement, comme celui de régulation, truffé de réglementation, mêler les deux notions, voire les prendre l'une pour l'autre. Ce sont bien plutôt des institutions différentes qui interviennent suivant que l'on "parle supervision" ou que l'on "parle régulation". Par exemple, concernant la supervision, il s'agit donc en France de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (A.C.P.R.) tandis que c'est l'Autorité des Marchés Financiers (A.M.F.) qui exerce la mission de régulation des marchés financiers, tandis que la direction du Trésor et les Banquiers centraux (Banque de France) demeurent les interlocuteurs en tant que ces établissements manient et créent de la monnaie.

Il est vrai que la langue anglaise est très trompeuse, puisqu'elle utilise le terme de regulation  pour désigner simplement la réglementation, y compris à des fins prudentielles. C'est ainsi que le système britannique a confié un rôle de supervision à la Prudential Regulation Authority, qui n'est pourtant que l'homologue de l'A.C.P.R.... Si l'on veut bien veiller à ne pas laisser les mots sortir de leur sens et qu'on se méfie des "faux-amis", la régulation, portant sur les marchés, et supervision, portant sur les acteurs, ne se mélangent pas. C'est encore plus vrai si l'on examine les normes qui sont appliquées aux opérateurs concernés.

 

B. LA DISTINCTION IMPLICITE ENTRE NORMES DE RÉGULATION ET NORMES PRUDENTIELLES

Les règles qui sont appliquées aux opérateurs sont aujourd'hui communément appelées "normes". Sont ainsi mélangés le droit dur et le "droit souple", certains y voyant confusion, d'autres y voyant flexibilité.

Les normes de régulation visent en premier lieu les structures des entités actives sur les secteurs, normes qui inspirent confiance, la confiance étant le bien public qui permet à l'ensemble du système de prospérer. Par exemple, ces normes organisent l'absence ou la gestion de conflit d'intérêts, que ce soit chez les opérateurs économiques (interdiction des subventions croisées) ou chez les régulateurs eux-mêmes (obligation de l'impartialité qui se donne à voir).

Mais les normes de régulation ont surtout pour objet et en second lieu les comportements des opérateurs. Ceux-ci doivent donner accès à leurs concurrents aux infrastructures essentielles dont ils sont les gestionnaires. Ils doivent fournir des informations comptables à leurs propres compétiteurs. Ils doivent faire valider leurs produits, etc.

En effet, les normes de régulation sont le reflet de la définition de la régulation et visent à structurer un secteur, soit pour transformer sa structure et le rendre concurrentiel, soit pour pallier ses défaillances structurelles, soit pour l'organiser d'une façon a-concurrentielle.

Les normes de supervision sont pareillement le reflet de la définition de la supervision et ont donc pour objet d'assurer la solidité de l'entreprise. Elles ont ainsi pour objet Ex Ante de s'assurer de la solidité de l'entreprise par l'évolution de normes contraignantes sur la constitution de ses fonds propres et de normes garantissant la confiance que l'on peut faire à ses dirigeants. Cette confiance dans les dirigeants s'obtient non plus par le mécanisme politique du vote que le concevait le droit classique des sociétés, mais par la conformité des "hauts dirigeants" à de multiples critères élaborés par l'Autorité et par le contrôle par celle-ci de la façon dont l'opérateur prend ses décisions.

Ainsi, les "normes de Bâle" sont les normes prudentielles vedettes, fonctionnant en Ex Ante, tandis que la surveillance des dirigeants est opérée à chaque instant par l'Autorité de supervision. Dans les normes de Bâle, certains comportements sont certes visés mais c’est uniquement en ce qu’ils peuvent potentiellement fragiliser l’assise financière de la banque et non pas en tant qu’ils peuvent directement affecter le marché.

L'on mesure aisément que les normes de régulation et les normes de supervision ne semblent pas avoir de points de contact, que chaque Autorité les manie de son côté et qu'elles se superposent sur certains opérateurs, notamment les banques, sans s'entrepénétrer.

Cette vision explique que l'on n'ait pas conçu une "régulation prudentielle", qui apparaît ainsi comme un mélange des genres malvenu. Mais cette vision est inexacte et ce rideau de fumée nous coûte très cher.

 

II. LES COÛTS DE L'ABSENCE DE RÉGULATION PRUDENTIELLE

En réalité, les Autorités se soucient en même temps, et du comportement des opérateurs systémiques, et de leur fonctionnement interne. Il est même très étonnant qu'on ne se soit pas arrêté à ce simple constat pour en tirer quelques conséquences.

Cela tient sans doute à une certaine confusion dans l'usage que l'on fait dans le vocabulaire. L'on affirme souvent que la régulation bancaire a pour fin la prévention des risques!footnote-26. Ainsi, lorsqu'on évoque la "régulation" en matière bancaire, on désigne la "réglementation", prenant alors la partie pour le tout, la réglementation n'étant pourtant qu'un outil de la régulation, la réglementation étant également utilisée pour construire une supervision.

En outre, le fait que les banques soient elles-mêmes des entreprises en concurrence, à propos desquelles les autorités de concurrence prennent de multiples décisions, qu'elles soient en outre en charge d'infrastructures essentielles, qu'elles sont au surplus au cœur du système financier, entraîne à leur propos une sorte de "mille-feuille" de régulation et de supervision, qui trouble le regard.

Mais dès lors c'est de fait l'autorité administrative la plus puissante, c'est-à-dire l'autorité des marchés financiers, qui aspire à elle les fonctions des autres, et se mêle de regarder en transparence dans les entreprises dont le rôle est très important sur les marchés. Or, les entreprises les plus importantes sur les marchés financiers, par les tailles et par leurs fonctions, ce sont précisément les entreprises qui sont "par ailleurs" supervisées.

On ne compte plus la littérature grise émise par les régulateurs financiers sur le thème de la "gouvernance" des opérateurs, sur le "bon fonctionnement" des conseils d'administration. C'est eux qui, par exemple, conseillent l'insertion d'administrateurs indépendants. Mais cela ne relève-t-il pas du fonctionnement interne de l'entreprise ? Dès lors, ne sommes-nous pas dans le domaine de la supervision et non plus dans celui de la régulation ?

De la même façon, les autorités financières expriment leurs opinions, émettent des conseils, voire élaborent des lignes directrices, sur la façon dont la comptabilité des entreprises doit être établie, et ce spécialement en matière bancaire. Mais la comptabilité n'est-elle pas une façon d'établir l'état du patrimoine d'une entreprise, c'est-à-dire sa solidité, dans le passé, le présent et le futur, ce qui constitue l'objet même de la supervision ?

On peut certes tout à fait admettre que l'Autorité de régulation financière le fasse. En effet, la solidité d'une entreprise est une information essentielle pour ceux qui achètent et vendent les instruments financiers que celle-ci émet. De la même façon, la manière dont l'opérateur est gouverné concerne les porteurs de ses titres, notamment si celui-ci est un shareholder car la définition classique du porteur de titre de capital, qu'on appelait classiquement un "associé", en tant qu'il participe à l'entreprise commune visée par l'article 1832 du Code civil, suppose qu'il y prenne part.

On comprend dès lors que l'Autorité des marchés financiers prenne de multiples normes pour contraindre les émetteurs à exposer en détails leurs diligences pour mener des politiques en faveur des femmes ou de l'environnement, pour que tout un chacun participe et que les biens communs soient préservés. Tout cela est louable.

Mais revenons à notre sujet : ce faisant, les Autorités de régulation sont devenues de fait des autorités de supervision. On ne semble guère s'en émouvoir. Pourtant, tous semblent adhérer dans le même temps à cette summa divisio entre Régulation et Supervision, qui semblait indépassable... Elle a été oubliée, sans qu'on n'en tire aucune conséquence, notamment institutionnelle.

Si l'on examine symétriquement  l'action des Autorités de supervision, l'on constate que l'évolution du droit leur a conféré le pouvoir de "résolution". Ce fût notamment en France l'effet de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires. L'on observera que le titre de la loi vise la "régulation" mais confère ce pouvoir de résolution, qui occupe tout le premier chapitre du texte à l'autorité de supervision. Il faut donc croire que l'autorité de supervision est également une autorité de régulation.

Sous ce terme nouveau, il s'agit d'organiser le sort d'un établissement financier qui se trouve dans une difficulté financière telle qu'il faut intervenir. Les pouvoirs conférés à l'Autorité de contrôle prudentiel et de supervision sont considérables, puisqu'elle peut transférer d'office la propriété des actifs de l'établissement, créer une nouvelle personne morale pour en recevoir, etc.

L'on ne peut que constater qu'en faisant cela, l'autorité poursuit son office dans un continuum, passant de l'Ex Ante à l'Ex Post, car il est naturel que ce soit le même organisme qui surveilla la solidité de l'établissement qui intervienne au plus vite lorsque la fragilité devient patente. On le comprend bien, mais c'est aussi la summa divisio pourtant si facilement vénérée entre Ex Ante et Ex Post qui s'en trouve ébranlée.

En outre, lorsque l'Autorité de supervision restructure une banque, en transférant ses actifs, en créant une nouvelle structure, etc., dans le but d'éviter une crise systémique (car elle continue d'agir dans ce but, celui qui lui est assigné en tant qu'Autorité propre au secteur), elle affecte la structure du secteur, c'est-à-dire qu'elle agit indubitablement comme Autorité de régulation.

Plus encore, si l'on passe au niveau européen, l'on se souvient que les textes ont confié à la Banque Centrale Européenne l'office de superviser les banques systémiques européennes, pouvoir Ex Ante. Ce pouvoir qui lui est confié par le Règlement de l’Union européenne du 15 octobre 2013, est logique puisque la Banque centrale surveille ainsi la solidité des établissements qui détiennent eux-mêmes le pouvoir de créer de la monnaie scripturale, et c'est bien en tant qu'Autorité monétaire que la Banque centrale intervient. Néanmoins, selon le titre même du Règlement, c'est bien une "surveillance prudentielle" qui lui est confiée.

 

III. LES GRANDES LIGNES DE LA RÉGULATION PRUDENTIELLE

Si l'on voulait bien remettre de l'ordre et de la cohérence dans le système, qui peut être "complexe" mais ne mérite pas pour autant d'être confus, tout au contraire, il faudrait tout d'abord poser que l'autorité qui "a la main" sur l'opérateur bancaire et assurantiel puisse non seulement s'occuper de ce qui se passe à l'intérieur mais également de son comportement (A), ce qui aboutirait à une "régulation prudentielle", de la même façon qu'une fusion des Autorités serait bienvenue, ce qui ferait émerger des "Régulateurs prudentiels" (B).

 

A. LE CONTRÔLE PRUDENTIEL DE L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DE L'ACTEUR SYSTÉMIQUE

La régulation prend appui sur les contours des réalités pratiques, se conformant à la définition classique du droit comme Art pratique. Or, il est impossible de scinder le contrôle des activités des établissements financiers (régulation) et la façon dont les établissements fonctionnent (supervision). 

En effet par définition les établissements financiers manient de l'argent et de la richesse. Cela est un truisme, une tautologie que l'appellation même des établissements signale. Or, les fonds propres ou les quasi fonds propres solides sur lesquels portent les normes prudentielles sont eux-mêmes constitués par de l'argent ou des richesses, visés en tant qu'ils constituent la solidité de l'établissement supervisée. Mais ils constituent aussi l'objet social de l'établissement.

C'est pourquoi la question de l'usage par les banques et les établissements financiers des comptes sur fonds propres a tant retenu l'attention car cela concerne à la fois le marché financier, l'établissement agissant sur les marchés et la solidité de l'établissement, puisqu'il puise dans sa richesse (ce que les normes de Bâle désignent avec vulgarité les "matelas").

Dès lors, même si les réglementations essayent de distinguer l'usage que les établissements font de leurs propres fonds et les richesses déposées par autrui, il y a un continuum entre l'argent qui constitue leur propre structure et l'argent qui est le matériau de leur activité.

Il est donc bien normal que les autorités qui régulent les marchés financiers se soucient tant des normes qui assurent la solidité financière des établissements. Symétriquement, les autorités de supervision prétendent encadrer les décisions des personnes qui à l'intérieur de l'établissement engage l'établissement dans ses activités financières, par exemple les traders ou bien les "hauts dirigeants". 

Mais il convient bien plutôt de prendre acte de ce continuum entre l'intérieur de l'établissement et l'extérieur du marché du fait que la finance est commune à cet intérieur et à cet extérieur, pour concevoir une « régulation prudentielle », par exemple des normes prudentielles de comportement de marché, car ce que l'établissement fait sur les marchés (régulation), par exemple des comportements spéculatifs, affecte sa solidité, puisque c'est toujours le même objet qui est manié : le capital.

Si l'on veut bien penser plus globalement la situation en termes de "régulation prudentielle", parce que le comportement financier est directement affaire de solidité, cela permet de regarder d'une façon plus réaliste ce qu'est la comptabilité.

Ainsi, la comptabilité relève de cette logique. Elle a pour double fonction d'informer les tiers sur l'état de la société et en cela elle s'intègre dans l'information des investisseurs sur le marché (régulation), mais elle est aussi une image patrimoniale de l'entreprise (supervision). Tant que l'on opposera les deux radicalement, c'est de facto le marché qui l'emporte et c'est le concept de Market Value qui prend toute la place en méconnaissant la solidité patrimoniale. L'on mesure aujourd'hui les dégâts d'une telle vision. Si l'on voulait bien penser la comptabilité en termes de régulation prudentielle, une réconciliation serait possible car la comptabilité aurait une fonction prudentielle, pour l'instant déniée.

En effet et plus précisément, la Market Value suppose que les actifs sont valorisés comme s'ils étaient à vendre, dans l'immédiat, la "liquidité" du marché financier ayant pénétré dans la comptabilité de l'entreprise, ce qui montre que les concepts de la régulation financière (liquidité du marché financier) domine. Mais si tous les actifs sont à l'encan, cela suppose que l'entreprise est de fait à vendre, ce qui est inexact, et donne une image prudentielle inexacte car une entreprise immédiatement et actif par actif à vendre a une solidité moindre qu'une entreprise dont les actifs sont corrélés entre eux par rapport à un projet d'entreprise et ne sont pas à vendre. Dès lors, la Market Value est inexacte au regard de ce qui doit être une régulation prudentielle.

Ainsi, si la comptabilité avait été mise en perspective de cette régulation prudentielle, les chocs de marché n'auraient pénétré dans les bilans des banques que pour les actifs qui dans son patrimoine étaient effectivement à vendre, le principe traditionnel et le principe de "prudence" de la comptabilité s'opposent au postulat hétérogène d'une disponibilité à la vente de tout actif d'une entreprise, les bilans des banques n'auraient pas été retraités comme ils l'ont été et la crise financière n'auraient pas eu cette ampleur.

Une comptabilité conçue sous les auspices d'une "régulation prudentielle" conduirait ainsi à n'évaluer à la valeur de marché que les actifs qui sont à vendre, car ils sont déjà l'objet d'un comportement de l'établissement (vente sur le marché), ce qui justifie une évaluation par le marché (régulation), tandis que les actifs qui ne sont pas à vendre devraient demeurer en valorisation au coût historique, car pour eux la seule pertinence est la solidité (prudentielle).

Certes, si la summa divisio pertinente devient "actif à vendre / actif non à vendre", une surveillance très étroite doit être faite sur les opérateurs car ce sont eux qui classent dans le patrimoine de l’entreprise les actifs qu’ils veulent conserver et les actifs qu’ils veulent céder. Il faut veiller à ce qu’à ce propos les opérateurs ne mentent pas, révèlent leurs intentions de céder, ce qui fait passer l’actif de la catégorie "actif non à vendre" à la catégorie "actif à vendre".

Cela renvoie à l'importance des Autorités. Celles-ci doivent à la fois exercer une supervision sur l’opérateur, puisqu’il s’agit bien d’apprécier réellement la solidité de celui-ci, tout en agissant comme un régulateur puisqu’il s’agit également de prendre en considération ses comportements sur le marché. L’admission d’une véritable "régulation prudentielle" a donc nécessairement des conséquences sur l’organisation institutionnelle.

 

B. L'ARTICULATION ET LE FONCTIONNEMENT DES AUTORITÉS DE RÉGULATION ET DE SUPERVISION

Le constat que les autorités de régulation et les autorités de supervision de fait s'occupent les première de supervision et les secondes de régulation, en raison du continuum précité, entraîne des difficultés institutionnelles, aussi bien nationales qu'européennes.

Comme toujours, les usages arrangent ce que les textes n'instituent pas. Ainsi de ce Comité conjoint en Europe, entre l'ESMA, l'EBA et l'EIOPA et toutes les réunions informelles en France, en sort soit des positions communes, soit des positions convergentes, ce qui revient au même.

Plus encore, au fur et à mesure que la supervision ayant pour objet la prévention des difficultés se transforme en gestion prévention de celles-ci, puis en "résolution" de celles-ci, par des interventions sur le marché, soit par des actions directes sur le marchés, par exemple par des achats massifs d'instruments financiers par la Banque Centrale Européenne, soit par des recompositions forcées de la structure de marché grâce au "pouvoir de résolution", il devient impossible de distinguer les deux types d'autorités.

Cela ne pose pas de problème en droit national, car il est acquis que l'A.C.P.R. est une autorité de supervision qui, par son pouvoir de résolution, intervient sur les structures de marché, mais elle travaille très étroitement avec l'A.M.F. et tandis que l'A.M.F. exprime son point de vue sur la gouvernance mais travaille étroitement avec l'A.C.P.R. Certes, l'absence de personnalité morale de celle-ci étonne et il serait temps de songer à en faire davantage qu'un département technique de la Banque de France.

Car c'est plutôt à propos des Banquiers centraux que les évolutions peuvent advenir, et peut-être par surprise. En effet, la Banque Centrale Européenne est désormais titulaire du pouvoir de supervision. Il faut donc considérer qu'elle est devenue une Autorité de supervision, dans la mesure où l'on déduit la nature d'une organisation de la nature de ses missions. Précédemment, l'on opérait une distinction très raffinée entre "l'autonomie" du banquier central et "l'indépendance" des autorités, mais l'on va admettre que les deux qualificatifs convergent.

La difficulté peut venir d'ailleurs. Lorsque la Banque Centrale Européenne surveille les banques systémiques européennes, on lui attribue les pouvoirs identiques à ceux des autorités nationales de supervision. Si l'on doit considérer celles-ci comme des autorités de régulation prudentielle, alors la même qualification doit être posée sur la B.C.E.

Il ne fait alors pas de doute qu'au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, elle est un Tribunal, notamment lorsqu'elle exerce ses prérogatives à propos d'une banque systémique. La France fût condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme parce que la procédure de la Commission bancaire n'était pas conforme à la conception développée par la Cour européenne des droits de l'homme. Certes, l'Union européenne n'est toujours pas partie à la Convention, mais la Cour européenne de l'Union européenne reprend les mêmes principes au titre des principes fondamentaux de l'Union.

Ce sont des qualifications qui pourraient surgir à l'occasion d'un contentieux. Cela montrerait alors que dans ces mécanismes nouveaux, c'est avant tout le juge, ici notamment la Cour de justice de l'Union européenne ou les Cours constitutionnelles, la première pouvant être saisie par les secondes par une question préjudicielle, qui auront les clefs des qualifications, donneront le sens des mots, c'est-à-dire détiendront le pouvoir.

 

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