28 décembre 2024

droit illustré

𝑫𝒓𝒐𝒊𝒕 𝒊𝒍𝒍𝒖𝒔𝒕𝒓é🎬Droit et Cinéma

Un cas pratique probatoire et procédural difficile :🎬𝑭𝒓𝒂𝒄𝒕𝒖𝒓𝒆

par Marie-Anne Frison-Roche

🌐suivre Marie-Anne Frison-Roche sur LinkedIn

🌐s'abonner à la Newsletter MAFR Regulation, Compliance, Law 

🌐s'abonner à la Newsletter en vidéo MAFR Surplomb

 

► Référence complète : M.-A. Frison-Roche., "Un cas pratique probatoire et procédurale difficile :🎬𝑭𝒓𝒂𝒄𝒕𝒖𝒓𝒆", billet décembre 2024.

____

 

🎞️voir le film-annonce 

___

Il y a beaucoup de films sur les procès criminels, c'est même la majorité des situations juridiques qui ont attiré les cinéastes, surtout dans le monde britannique et nord-américain📎!footnote-3897.

On en voit moins qui ne portent que sur la preuve. Mais sur l'affiche même du film 𝑭𝒓𝒂𝒄𝒕𝒖𝒓𝒆 c'est de preuve dont il s'agit : I shot my wife. Prove it.

Ce film sorti en 2007 est de Grégory Hoblit.

La phrase reproduite sur l'affiche montre d'emblée que la preuve juridique ne relève pas que du sens commun, car s'il est "évident" que le fait a eu lieu, puisque l'auteur dit l'avoir fait, encore faut-il que dans l'espace juridictionnel, cela soit dûment prouvé, c'est-à-dire selon la procédure que le Droit impose : c'est tout le thème du film.

Car par ailleurs l'intrigue est de boulevard : un mari âgé et riche (joué par Anthony Hopkins) aime sa jeune épouse qui aime quant à elle un jeune amant qu'elle voit en cachette et auquel elle cache sa véritable identité. En rentrant d'une de leurs rencontres clandestines, son mari l'attend et lui tire dans la tête. Affaire banale, affaire simple. Le procureur-adjoint (joué par Ryan Gosling) ne prend d'ailleurs en charge la poursuite contre le mari pour obtenir vite fait/bien fait que parce qu'elle ne présente pas de difficulté : le mari a avoué l'avoir tuée, l'arme est retrouvée. Une affaire vite réglée, avant qu'il ne quitte le bureau du Procureur pour aller travailler dans un cabinet d'avocats. Enfin l'argent. Le mari a raconté au poste de police devant le policier qui a fait le constat du drame comment il a tué sa femme. Tout colle. Drame terrible, drame banal. Le procureur-adjoint va pouvoir passer à la suite, au Droit des affaires.

 

Mais finalement l'épouse qui a reçu une balle dans la tête n'en est pas morte. Cela ne change pas grand chose, elle est comme morte : dans le coma, elle demeure désormais dans un service spécialisé. Mais le comportement du mari est étrange, puisqu'il rejette tout ce que le Droit organise pour la protection des accusés, par exemple l'assistance d'un avocat.

Chacun se dit qu'il ne connaît vraiment rien au Droit. Le spectateur se doute que cela est une feinte et qu'il joue à ne pas le connaître, à des fins incompréhensible puisque l'aveu et l'arme le mènent à une condamnation à la perspective de laquelle il demeure passif. Pour convaincre les jurés de son incompétence technique, il fait exprès de ne pas maîtriser le vocabulaire juridique le plus élémentaire, celui que tout le monde entend dans les séries et au cinéma. Il insiste sur son ignorance de tout cela. Il montre avec insistance son inaptitude à manier le Droit. Il ne soulève pas une objection alors qu'il faut en évoquer une (le juge essaie de l'aider, l'incite à le faire, il ne le fait pas), il en soulève une à contresens. On se dit qu'il ne comprend rien à rien, c'est contrariant un accusé qui ne joue pas son rôle. Le procureur et la juge commencent d'ailleurs à être agacés, puis inquiets de voir un homme si maître de lui, riche et puissant, agir si étrangement, sentent le piège. Mais que faire contre quelqu'un qui joue à ce que l'on pourrait dire comme "à contre-procédure" ?

C'est vrai, il n'a pas fait d'études de Droit, il dirige une entreprise de construction d'avions. Il est très riche. pour se distraire, il a fabriqué un immense mobile en acier où il peut faire couler des billes qui passent de niveau en niveau selon un parcours compliqué qu'il a lui-même conçu et fabriqué. Cela ne sera que plus tard que, pensant avoir tendu un piège parfait et qu'il suffit de poser la dernière bille, il se prévaudra d'une disposition du Code applicable, sans se tromper ni sur sa teneur ni sur sa numérotation. Comme l'une des billes qu'il met dans sa machine qui gouverne les rapports qu'il établit avec ce procureur-adjoint, bille qui passe d'un niveau à un autre :

C'est donc un film sur la connaissance des faits, car tout le monde sait qu'il a tué sa femme, et sur les contraintes du Droit qui interdit que l'on traduise directement cette connaissance immédiate et commune en jugement de condamnation. 

C'est parce qu'il sait cela que l'auteur de l'acte criminel va construire son piège, un piège proprement juridique, dont les billes sont le Droit lui-même, dans sa procédure et ses règles de preuve. Car il faut qu'il y ait un procès, un procureur et un juge pour qu'il puisse tirer sur sa jeune épouse infidèle et qui ne l'aimait pas, et qu'il sorte pourtant libre du tribunal. 

Cela sera triomphalement avec l'acceptation du procureur qui ne pourra de jure prouver l'acte criminel, et cela sera sur l'ordre du juge.

Car l'auteur de l'acte pénalement reprochable connaît aussi les nullités de procédures et c'est intentionnellement qu'il a fait en sorte que celui qui vienne chez lui juste après son acte terrible soit précisément le jeune amant, qualité que celui-ci n'osera de lui-même par la suite révéler, mais que le criminel révéla juste au moment procéduralement opportun.

Il a encore anticipé l'application d'autres règles de procédure, qui vont les unes après les autres lier procureur et juge.

C'est dommage qu'il n'ait pas fait de Droit, la stratégie processuelle lui coule manifestement dans les veines. Pour le pire, certes.

Mais dans les veines du procureur-adjoint, aussi. Car c'est un duel de Droit et de juristes qui est mis en scène : c'est celui qui sera le plus habile, le plus fin dans le maniement des règles et des qualification qui l'emportera. Lequel ? :

Comment ?

Seuls les mauvais résumés ou articles dévoilent les raisonnements et les règles de droit finalement maniés, et leur aboutissement.

Dans ce cas pratique bien pensé, et celui de ce film l'est particulièrement, le procureur-adjoint retourne en bibliothèque et ouvre page après page des ouvrages savant pour retrouver cette règle que, même en anglais, l'on désigne, comme en Droit romano-germanique, en langue latine, lui permettra de s'extraire de la machine diabolique. De ce cas pratique, il ne sera pas donné ici la solution, cela ne serait pas de jeu📎!footnote-3898.

Mais l'on voit ici une nouvelle fois que c'est dans la qualifications que tient l'art du juriste : les études faites par le procureur le placent plus haut que l'art de l'ingénieur de fabriquer des machines à faire circuler des billes.

C'est aussi pour cela que la Justice et le raisonnement judiciaire sont intimes.

________

2

Mais ceux qui apprécient le latin aimeront retrouver les cas, complexes, d'application de non bis in idem, auxquels le diabolique ne pensa pas et qui en tourmente plus d'un.

les commentaires sont désactivés pour cette fiche