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Référence complète: Frison-Roche, M.-A., Le jugeant-jugé : articuler les mots et les choses face à l'éprouvant conflit d'intérêts, in L'entreprise instituée Procureur et Juge d'elle-même par le Droit de la Compliance, colloque coorganisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et la Faculté de droit de Lyon 3.
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📅 23 juin 2021, de 9h30 à 18h30
🧭 Faculté de droit de Lyon 3, salle de la Rotonde et en numérique
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📅 Ce colloque s'insère dans le cycle de colloques 2021 organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et ses partenaires autour de La juridictionnalisation de la Compliance.
📕 📘 La conférence est la première base à l'écriture d'un article, à paraître dans un ouvrage dont la version française est La juridictionnalisation de la Compliance, co-éditée par le JoRC et Dalloz, et dont la version anglaise, Compliance Juridictionnalisation, est co-éditée par le JoRC et Bruylant.
L'ouvrage français va paraître dans la collection "Régulation & Compliance " tandis que l'ouvrage anglaise paraîtra dans la collection "Compliance & Regulation".
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🔻 Résumé de la conférence : lire ci-dessous
► Résumé de la conférence : Puisque cette conférence s'insère dans la journée entièrement consacrée à L'entreprise instituée Juge et Procureur d'elle-même par le Droit de la Compliance , et plus particulièrement dans sa partie où il s'agit d'utiliser les qualifications pertinentes, il convient donc de se soucier de l’ajustement des mots et des choses, de la façon dont le rapport entre les uns et les autres évoluent, et de la question plus particulière de savoir si cette évolution est radicale ou pas lorsqu'on parle de "juge".
Car, "juger" c'est un mot que le Droit a disputé à d'autres disciplines, mais qu'il s'est approprié pour non pas tant pour conférer davantage de pouvoirs à ceux qui agissent en son nom, par exemple celui de surveiller et de punir, mais au contraire pour s'imposer des limites, puisqu'à celui qui juge il a mis aux pieds les chaines de la procédure, rendant ainsi supportable pour l'autre l'exercice d'un tel pouvoir. C'est pourquoi ceux qui veulent le pouvoir de juger voudraient souvent n'en avoir pas le titre, car avoir de jure le titre de juge c'est être soumis au régime corrélé, c'est se soumettre à l'exactitude procédurale.
C'est donc pour mieux limiter que le Droit repère qui juge et oblige ce si-puissant personnage à la procédure. Mais il a aussi le pouvoir d'instituer juge et de fixer les contours de tous les personnages du procès. Il le fait d'ordinaire avec clarté en distinguant les uns des autres, en les confondant pas. Cet art de la distinction a valeur constitutionnelle. Ainsi, non seulement celui qui juge doit être nommé ainsi mais l'appareillage procédurale qui va avec le personnage et qui constitue à la façon une façon de faire et des droits fondamentaux, ne sont pas "concédés" par bonté ou dans un second temps : c'est un bloc. Si l'on ne voulait pas avoir à supporter les droits processuels, il ne fallait vouloir être juge. Certes on peut en conclure que la procédure serait donc devenue "substantielle" ; par cette élévation, il s'agit plutôt de dire que la procédure ne serait plus une "matière servante": c'est une sorte de déclaration d'amour pour la procédure, tant qu'on affirme qu'à l'acte de juger, d'enquêter ou de poursuivre, sont "naturellement" attachées les droits pour celui qui risque d'en être l'objet.
Le Droit de la Compliance, à la recherche d'alliés pour atteindre les Buts Monumentaux pour l'atteinte desquels il a été institué, va requérir, voire exiger, d'entreprises privées qu'elles aillent elles-mêmes rechercher, notamment par des enquêtes internes ou de la vigilance active sur autrui, des faits susceptibles de lui être reprochés. Le Droit de la Compliance va aussi exiger qu'elles poursuivent les personnes ayant commis ces faits. Il va encore exiger qu'elles sanctionnent les faits que des personnes ont commis en son nom.
On le comprend bien du point de vue de l'efficacité Ex Ante. La confusion des rôles est souvent très efficace puisqu'elle est synonyme de cumul de pouvoirs. Par exemple, il est plus efficace que celui qui poursuit soit aussi celui qui instruise et qui juge, puisqu'il connait bien le dossier. D'ailleurs il est plus efficace qu'il prenne aussi les règles, ainsi il connait mieux que quiconque "l'esprit" des textes. Cela fut souvent souligné en Droit de la Régulation. Lorsque tout est information et maîtrise des risques, cela s'imposerait… Mais tout cela ne va pas de soi.
Pour deux raisons, l'une extérieure et l'autre intérieure.
La première raison, extérieure, tient que l'on ne convient pas "nommer" juge qui ne l'est pas. Cela serait trop facile, car il suffirait alors de désigner quiconque, voire de le faire soi-même pour s'approprier le régime qui va avec, pouvoir notamment d'obtenir qu'autrui obéisse alors même qu'il n'est pas subordonné ou qu'il transmette des informations, alors même qu'il serait concurrent : il faudrait alors rappeler que seul le juge pourrait se nommer juge ! et dans ce temps nouveau, voilà que des entreprises seraient juges, procureurs, enquêteurs ! Les temps seraient donc si graves et en si grand désordre qu'il faudrait en revenir à cette tautologie ... Mais sommes-nous dans une telle radicalité ? D'ailleurs, les juges ont-ils "l'apanage" du jugement et le Droit n'admet-il pas cela depuis longtemps ? Dès l'instant que la procédure est là en Ex Ante et le contrôle du juge en Ex Post ?
La seconde raison, interne à l'entreprise, situation sur laquelle l'analyse se concentre, tient à ce que l'entreprise enquête sur elle-même, se juge elle-même, se sanctionne elle-même. Or, la personne morale n'exprimant sa volonté qu'à travers soit ses organes, l'on souligne en pratique les difficultés pour un même être humain de formuler des griefs, en tant qu'il est le mandataire de la personne morale, à la personne physique qu'il est lui-même. Les deux intérêts des deux ne sont pas les mêmes, sont souvent opposés, et comment les secrets de l'un peuvent être tenus à l'égard de l'autre. C'est tout le mystère, voire l'artifice de la personnalité morale qui apparaît et l'on comprend mieux que le Droit de la Compliance ne veut plus utiliser cette notion étrange. Car toutes les règles de procédure ne peuvent masquer que se poursuivre soi-même n'a pas plus de sens que de contracter avec soi-même. Ce conflit d'intérêts est impossible à résoudre car nommer un même individu X puis le nommer Y, en déclarant ouverte la dispute entre eux n'a pas de sens.
Ce dualisme impossible à admettre dès l'instant qu'il s'agit de faire jouer ces fonctions à l'égard des mandataires sociaux peut retrouver vie en instituant des tiers qui vont porter les secrets et les oppositions. Par exemple par la désignation de deux avocats distincts pour l'être humain mandataire et l'être humain dirigeant, chaque avocat pouvant avoir des secrets l'un pour l'autre et s'opposer l'un à l'autre. Ces espaces de reconstitution des oppositions si "naturelles" en procédure entre celui qui juge et celui qui est jugé peuvent aussi avoir prendre la forme technologique des plateformes : là où il n'y a plus personne, là où le process a remplacé la procédure, il n'y a plus non plus de jugement humain. L'on mesure ainsi que la crainte des conflits d'intérêts est si forte que l'on se résigne à dire que seule la machine serait "impartiale", dérisoire conception de l'impartialité, contre laquelle il convient de lutter.
Cela permet alors d'aboutir à une dernière question : l'entreprise peut-elle prétendre exercer le pouvoir juridictionnel de poursuivre et de juger et d'enquêter sans même se prétendre ni procureur, ni juge d'instruction, ni tribunal ? L'avantage serait de pouvoir se soustraire au régime juridique que le Droit classique attache à ses mots-là, principalement les droits de la défense, les droits d'action et le principe de publicité de la justice. Quand Facebook dit le 12 juin 2021 "réagir" à la décision du 5 mai 2021 adoptée par ce qui ne serait qu'un Oversight Board pour décider pourtant "en conséquence" une suspension de 2 ans du compte de Donald Trump, l'art des qualifications semble être utilisé afin d'éviter toute contrainte de régime. Mais cet art de l'euphémisme est bien ancien. Ainsi les Etats, lorsqu'ils voulurent accroître la répression, présentèrent la transformation du système comme un adoucissement de celui-ci à travers la "dépénalisation" du Droit économique, transféré des tribunaux correctionnels aux AAI. L'efficacité en fût grandement accrue, puisque les garanties de la procédure pénales ont cessé de s'appliquer. Mais 20 ans plus tard, les mots retrouvèrent leur chemin vers les choses : sous le Droit pénal, dormait la "matière pénale", qui requiert la même "impartialité". Un juge un jour l'affirma et tout fut changé. Attendons donc ce qu'en diront les Cours, puisqu'elles sont les maîtres des qualifications, comme le dit l'article 12 du Code de procédure civil, qu'écrivit Motulsky. Le Droit a le temps.
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