SEGONDS, Marc🕴️
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► Référence complète : M. Segonds, "Compliance, proportionnalité et sanction", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 231-244.
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Avant de consacrer les développements de son article à la seule perspective des sanctions prononcées au titre de la "Compliance anticorruption", l'auteur rappelle d'une façon plus générale que, comme l'est la sanction, la Compliance est par essence proportionnelle : la Proportionnalité est inhérente à la Compliance comme elle conditionne toute sanction, y compris une sanction infligée au titre de la Compliance.
Ce lien entre Proportionnalité et Compliance a été souligné par l'Agence française anticorruption à propos de la cartographie des risques, qui doit mesurer les risques pour aboutir à des mesures efficaces et proportionnelles. Ce même esprit de proportionnalité anime les recommandations de l'AFA qui ont vocation à s'appliquer en fonction de la taille de l'entreprise et son organisation concrète. Il gouverne plus encore les sanctions, en ce que les sanctions punitives renvoient d'une part au Droit pénal, centré sur l'exigence de proportionnalité. Elles renvoient d'autre part au pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise qui, à partir d'autres sources du droit, doit intégrer l'exigence de proportionnalité lorsqu'il appliquer des normes externes ou internes de compliance.
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A la sanction pénale proprement dite, il faut associer bien évidemment la sanction dite « CJIP » (Convention judiciaire d’intérêt public), sanction que le Code de procédure pénale qualifie non sans fausse pudeur d’ « obligation », laquelle obéit également à la proportionnalité, de sorte que l’on comprendra aisément que cette obligation (même « consentie ») se doit d’être…mesurée, et ce d’autant plus qu’elle peut être porteuse d’ « amende d’intérêt public » ou d’un « programme de mise en conformité ». Textuellement, la proportionnalité n’a pas été négligée puisque le Code de procédure pénale dispose expressément que « le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés » tandis que le juge judiciaire est expressément invité à vérifier « la proportionnalité des mesures [de compliance] prévues aux avantages tirés des manquements » [8].
La sanction para-pénale : la sanction para-pénale est de celle qui vise à réprimer le non-respect de l’obligation de conformité anticorruption. A la différence d’autres Etats (Grande-Bretagne, Suisse), l’Etat français n’a pas fait le choix de la création d’un délit de non-conformité dont la connaissance aurait naturellement été confiée au juge répressif. Le législateur a estimé nécessaire que la sanction même de la non-conformité prenne la forme, à l’égard des assujettis à l’obligation de conformité, d’une sanction propre, en réalité para-pénale puisqu’elle emprunte à la sanction pénale sa finalité punitive – la commission des sanctions de l’AFA qualifie elle-même les sanctions qui relèvent de son office de « mesures revêtant un caractère répressif »[9] – mais dont le prononcé est confié à un organe administratif sous le contrôle du juge administratif. Même confié à un organe administratif, le prononcé de la sanction pécuniaire n’en est pas moins soumis au principe de proportionnalité puisque le législateur a pris soin de préciser que « le montant de la sanction pécuniaire prononcée est proportionné à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée ». Ici encore, la proportionnalité conditionne indéniablement la sanction propre à la non-conformité.
Il en va de même de la sanction disciplinaire. Sur le modèle anglo-saxon, la sanction disciplinaire est de celle portée par la loi Sapin II; tout particulièrement, elle est destinée à donner au Code de conduite son effectivité. Elle constitue, à la fois, la condition de l’effectivité du Code de conduite et une obligation de conformité per se. L’assujetti a, non seulement, le pouvoir mais, également, le devoir d’user de la sanction disciplinaire à destination des collaborateurs qui méconnaîtraient le Code de conduite, l’Agence française anticorruption estimant obligatoire la mise en œuvre d’une politique de « tolérance zéro »[10]. Est-ce à dire que la sanction disciplinaire se doit d’être abstraite, fixe, détachée de la réalité des faits et de leur gravité ou encore étrangère à la personnalité de son auteur ? En aucune façon. La sanction disciplinaire, dont la loi Sapin II fait une mesure de conformité à part entière, obéit en tout état de cause aux dispositions de la loi du 4 août 1982. Et, s’il n’est pas impossible de considérer que l’opportunité des poursuites disciplinaires s’est transformée en légalité des poursuites, le principe de proportionnalité demeure l’un des principes directeurs qui doit encore et toujours accompagner le prononcé d’une sanction disciplinaire liée au non-respect du Code de conduite.
3. Plan de l’article. Ainsi considérée, la proportionnalité de la sanction, ou plus exactement, des sanctions liées à la compliance, invite à approfondir deux objets d’étude dans le cadre de ce rapport. La punition proportionnelle liée à la non-conformité, en premier lieu. La punition disciplinaire commandée par la conformité, en second lieu. Autrement dit, les sanctions précédemment évoquées seront considérées au regard du principe de proportionnalité, en distinguant selon que ces dernières ont pour cause la non-conformité (I) ou selon que la conformité en constitue le vecteur (II).
I. La non-conformité anticorruption des assujettis, cause de sanctions para-pénales.
4. Fondements et conditions. Après avoir défini les fondements de la soumission des sanctions para-pénales au principe de proportionnalité (A), sera envisagée la pertinence des conditions auxquelles est subordonné ledit principe (B).
A. La définition des fondements de la soumission des sanctions para-pénales au principe de proportionnalité.
5. Triple valeur. La soumission des sanctions para-pénales au principe de proportionnalité possède un double fondement, tant constitutionnel et européen (1) que légal (2).
1) Des fondements constitutionnel et européen.
6. Proportionnalité des sanctions para-pénales. Le droit de la compliance a donné naissance à des obligations de conformité dont le non-respect est assorti de sanctions para-pénales, lesquelles ne sont rien d’autres que des sanctions punitives. Or, la soumission des sanctions punitives au principe de proportionnalité ne fait aucun doute, fort du fondement constitutionnel que lui a assigné le Conseil constitutionnel.
En vertu d’une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel considère en effet que le principe de proportionnalité, inscrit à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), « ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’étend à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle »[11].
De la sorte, parce la sanction propre à la non-conformité édictée par le législateur possède le caractère d’une sanction « ayant le caractère d’une punition », le principe de proportionnalité se doit indéniablement de gouverner le prononcé des sanctions liées aux manquements à l’obligation de conformité.
La commission des sanctions de l’AFA, elle-même, a affirmé que « dans l’exercice de ses pouvoirs de sanction, la commission est tenue de respecter l’ensemble des principes applicables aux sanctions administratives de nature à garantir, en cette matière, la mise en œuvre effective des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que par la Constitution »[12]. De la sorte, elle ne fait aucune doute, tant au regard de la matière pénale, telle qu’appréhendée par le juge européen, qu’au regard des sanctions ayant le caractère d’une punition, que les sanctions « administratives » de la non-conformité anticorruption se doivent de respecter le principe de proportionnalité.
2) Un fondement légal propre à la conformité.
7. Une véritable validité constitutionnelle ? En disposant, à destination de la commission des sanctions de l’Agence française anticorruption, que « le montant de la sanction pécuniaire prononcée est proportionné à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée », l’article 17 de la loi Sapin II semble ainsi en parfaite conformité avec les exigences constitutionnelles et européennes. A cet égard, il sera observé que le juge constitutionnel lui-même a estimé que les dispositions des paragraphes I et V de l’article 17 ne méconnaissaient aucune exigence constitutionnelle… blanc-seing constitutionnel dont il est permis de ne pas être entièrement convaincu[13], en particulier lorsque l’on prend le soin d’analyser la définition des conditions légales de la soumission des sanctions para-pénales au principe de proportionnalité.
B. La pertinence des conditions légales de la soumission des sanctions para-pénales au principe de proportionnalité.
7. Des critères légaux perfectibles. Les conditions pour être explicitement énoncées par la loi (1) n’en sont pas moins lacunaires, de sorte qu’elles appellent des réserves (2) que le législateur pourrait aisément corrigé, à moins que ces correctifs ne soient mis en œuvre par la commission des sanctions AFA elle-même.
1) Des conditions objective et subjective.
8. De la nature des conditions. Les conditions de la soumission des sanctions para-pénales au principe de proportionnalité sont clairement énoncées par le législateur : la gravité des manquements constatés, d’une part, et la situation financière de la personne physique ou morale condamnée, d’autre part.
La commission des sanctions de l’AFA est ainsi dotée de pouvoir de personnalisation de la sanction et il apparaît alors, à l’évidence, que les sanctions pécuniaires encourues par la personne physique (200.000 euros) et morale (1.000.000 euros) ne constituent que des maxima, sur le modèle retenu par le Code pénal de 1992 à propos de l’amende correctionnelle. La commission des sanctions de l’AFA est donc libre de prononcer une sanction pécuniaire inférieure aux seuils légaux en se fondant sur la gravité des manquements constatés et la situation financière de la personne physique ou morale condamnée. Les critères ainsi offerts à la commission des sanctions de l’AFA permettent une personnalisation de la sanction para-pénale de non-conformité reposant sur un critère objectif – la gravité des faits – et un critère subjectif – la situation financière du condamnée –. Cependant, les conditions posées se révèlent lacunaires à l’analyse.
2) Des conditions lacunaires.
9. Des lacunes affectant le fond et la forme. Les conditions énoncées par la loi se révèlent lacunaires, tout d’abord, au fond (a) et, ensuite, en la forme (b) et, enfin… les deux à la fois (c).
a) Des conditions lacunaires au fond : la personnalisation des sanctions para-pénale qui procède de la proportionnalité des sanctions punitives est conduite selon des critères dont la précision est perfectible.
En effet, comment apprécier la gravité des manquements constatés alors que les mesures imposées par la loi n’obéissent à aucune hiérarchie et à aucune chronologie ? Ainsi, alors que la (simple) logique impose de faire primer la cartographie des risques et l’évaluation des tiers sur la réalisation des autres mesures, l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin II » les situe en 3ème et 4ème rang.
Faut-il apprécier la gravité des manquements constatés par mesure ? Peut-on déduire la gravité d’un manquement à une mesure par l’absence de réalisation d’une autre mesure ? Ainsi, les insuffisances de la cartographie ou de l’évaluation des tiers autorisent-elles à présumer l’insuffisance d’un Code de conduite ou de l’adaptation des procédures comptables ? De même, comment apprécier la situation financière de la personne physique ou morale condamnée ?
Les sanctions « AFA », à l’évidence, ne peuvent échapper au principe de proportionnalité… et la précision apportée par l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 – une sanction pécuniaire… proportionnée à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée – ne peut que rasséréner.
Malgré tout, deux observations doivent être faites. D’une part, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a précisé, « le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789, s'impose dans le silence de la loi »[14]. Aussi bien, si la parole du législateur est la bienvenue, elle n’était pas pour autant indispensable. D’autre part, la présente parole du législateur en fait regretter le silence. Car, véritablement, que faut-il entendre par « gravité des manquements constatés » et « situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée » ?
Par comparaison, la personnalisation de la sanction pénale autorise à prendre en considération deux catégories de critères, l’un objectif, l’autre subjectif. Le critère objectif tient aux circonstances de l’infraction. Le critère subjectif tient à la personnalité de l’agent sanctionné ainsi qu’à sa situation matérielle, familiale et sociale[15]. Plus spécifiquement, le montant de l'amende pénale est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction[16].
Au critère objectif correspond sans nul doute possible « la gravité des manquements constatés », et l’AFA de préciser que ladite gravité sera « appréciée en fonction, notamment, de la nature des manquements, de leur éventuel cumul, du contexte propre à l’entité dans lequel ils s’inscrivent[17], des moyens de l’entité contrôlée, de son appartenance à une filière ou un secteur d’activités donnés[18] ». De telles précisions témoignent, à tout le moins, du respect du principe de proportionnalité.
Malheureusement, il n’en va pas de même de l’appréciation du critère subjectif qui semble devoir prévaloir. En effet, s’agissant des personnes physiques, l’AFA invite à prendre en considération la rémunération et les avantages de toute nature versés aux dirigeants sociaux en prenant appui sur le rapport annuel. Or, la situation financière d’une personne physique ne peut pas, eu égard au principe de proportionnalité, s’apprécier au regard de ces seuls revenus. S’agissant des personnes morales, l’AFA, après avoir énoncé quels sont les documents permettant d’apprécier la situation financière de l’entité concernée (bilan, compte de résultat et annexe), semble estimer qu’il convient au final de considérer « le résultat de l’entreprise ou du groupe et l’usage qu’il en fait ». Si le résultat comptable est un élément déterminant, il est également évident qu’il ne saurait à lui seul permettre d’apprécier la situation financière de l’entité.
Aussi, il semble nécessaire, afin de préserver le principe de proportionnalité, d’inviter la commission des sanctions de l’AFA à prendre en considération, lors du prononcé de la sanction administrative, non seulement les ressources mais également les charges du « condamné » et ce, à l’instar des critères retenus par le Code pénal[19].
En tout état de cause, à raison du respect dû au principe de proportionnalité, il est nécessaire de considérer que les critères de personnalisation des sanctions de l’AFA énoncés par l’article 17 de la loi Sapin II ne sont qu’énonciatifs et non point limitatifs. Ledit article doit donc être lu comme obligeant la commission des sanctions de l’AFA à personnaliser les sanctions prononcées notamment – et non pas seulement – au regard de la gravité des manquements constatés et de la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée. Une telle lecture est parfaitement concevable, dès lors que la personnalisation s’impose y compris dans le silence de la loi, comme rappelé précédemment. Pour l’heure, la commission des sanctions de l’AFA n’a eu l’occasion que de mettre en œuvre le critère objectif de la personnalisation : ainsi, après avoir apprécié la gravité des manquements constatés, la commission des sanctions a estimé que « les circonstances de l’affaire » ne justifiaient pas le prononcé d’une sanction pécuniaire ou d’une sanction complémentaire de publication[20].
b) Des conditions lacunaires en la forme : le choix de la sanction para-pénale n’obéit à aucune exigence de motivation. C’est là une différence fondamentale avec la sanction pénale depuis le revirement opéré par la chambre criminelle de la Cour de cassation, revirement par lequel la Haute juridiction a entendu « mettre en lien le principe de proportionnalité et l’obligation de motivation » [21]. Le temps est révolu où la chambre criminelle de la Cour de cassation affirmait avec constance que les juges du fond disposaient dans l’exercice de leur pouvoir de personnalisation « d’une faculté discrétionnaire » dont ils ne devaient aucun compte[22]… ce qui avait pour conséquence de dispenser le juge répressif de justifier le choix de la sanction prononcée, en particulier de la peine d’amende[23].
Ainsi, alors que le juge répressif est tenu de motiver le choix de la sanction pénale afin de permettre à la chambre criminelle d’en contrôler la proportionnalité – « le rôle du juge de cassation consiste à effectuer au vu de la motivation retenue un contrôle du contrôle »[24] –, rien de tel ne s’impose expressément aux sanctions « AFA ».
c) Des conditions lacunaires au fond et en la forme : alors que le principe non bis in idem participe lui-aussi du respect dû au principe de proportionnalité, la question est purement et simplement éludée par la législateur et n’a encore reçu aucune réponse en jurisprudence. Tandis que le caractère répressif des sanctions « administratives » AFA ne peut pas être sérieusement mis en doute – la commission des sanctions de l’AFA n’hésite pas à faire valoir que les sanctions relevant de sa compétence sont dotés d’ « un caractère purement répressif »[25] – faut-il considérer que les sanctions « AFA » se cumulent avec des sanctions pénales relatives aux mêmes faits ?
L’hypothèse n’est certainement pas une simple hypothèse d’école. Qu’il suffise de songer à la caractérisation d’un trafic d’influence alors que l’évaluation des intermédiaires a soigneusement été évitée par un assujetti en contrariété avec la mesure n° 4 portée par l’article 17 de la loi dite Sapin II. La sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions pour avoir manqué à l’obligation d’évaluation d’un intermédiaire, doit-elle alors se cumuler avec l’amende correctionnelle prononcée par le juge répressif après que ce dernier ait fait le constat de l’existence d’un trafic d’influence actif commis au moyen dudit intermédiaire ? Également, qu’il suffise de songer à la caractérisation d’un blanchiment alors qu’aucune procédure de contrôles comptables n’a été mise en œuvre pour s’assurer que les comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ? Tandis que le juge répressif a prononcé une amende correctionnelle à l’égard du corrupteur-« autoblanchisseur », la commission des sanctions de l’AFA sera-t-elle en droit de prononcer une sanction pécuniaire pour méconnaissance de la mesure anticorruption n° 5 ? A l’inverse, si la sanction pécuniaire AFA a précédé le prononcé de la peine d’amende, le juge pénal devra-t-il en tenir compte ? Certes, ces « cumuls répressifs » n’ont guère reçu de la part du juge constitutionnel de véritable censure à ce jour[26] mais leur ignorance par le législateur interroge véritablement.
II. La conformité anticorruption des assujettis, vecteur de sanctions disciplinaires.
10. Triple source. L’obligation de mettre en œuvre « un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société » correspond à une « mesure » (n°7) qui s’apparente à une mesure dont le FCPA est déjà porteur (Hallmarks of effective compliance programs : mesure n° 6 Incentives and Disciplinary Measures). De prime abord, pareille obligation est une obligation qui semble posséder une seule source : l’article 17 de la loi Sapin II. Or, il n’en est rien car ladite obligation possède, non pas une mais trois sources potentielles puisqu’elle peut être également portée par la peine de programme de conformité anticorruption[27] et par la CJIP[28]. A l’instar des sanctions para-pénales, il convient de préciser le fondement de la soumission des sanctions disciplinaires considérées au principe de proportionnalité (A) avant d’apprécier la pertinence des conditions de la soumission des sanctions disciplinaire au principe de proportionnalité (B).
A. Le fondement de la soumission des sanctions disciplinaires au principe de proportionnalité.
11. Loi sociale et recommandation AFA. La soumission des sanctions disciplinaires au principe de proportionnalité possède un fondement légal qui n’est pas propre au droit de la conformité (1) même si ce dernier, par la volonté de l’AFA, en rappelle la nécessité (2).
1) Un fondement légal non-spécifique à la conformité.
12. Première proportionnalité. Nul ne l’ignore, le principe (jurisprudentiel) de « l’employeur seul juge » a vécu. Depuis longtemps désormais, par l’effet de la loi du 4 août 1982, le respect du principe de proportionnalité lors du prononcé d’une sanction disciplinaire s’impose à l’employeur sous le contrôle du juge social, l’article L. 1333-2 du Code du travail disposant en ce sens que « le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise ». Dès lors, les sanctions disciplinaires prononcées en lien avec la « violation du code de conduite » se doivent d’obéir à ce principe de proportionnalité commandé par le droit social.
13. Seconde proportionnalité. Si l’appartenance du principe de proportionnalité au « régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société » ne fait aucun doute, il ne faut pas négliger que le Code de conduite, quant à lui, est expressément « intégré au règlement intérieur de l’entreprise » selon les termes mêmes de l’article 17 de la loi Sapin II. Loin de n’être qu’une intégration matérielle, cette intégration est une intégration juridique[29], laquelle emporte la soumission du Code de conduite aux principes qui régissent l’édiction du règlement intérieur dont… un second principe de proportionnalité inscrit à l’article L. 1321-3 2° du Code du travail selon lequel le règlement intérieur ne peut contenir « des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Ainsi, en prenant pour illustration la rubrique « cadeaux/invitations » dont la rédaction est toujours délicate au regard de la notion « d’avantage indu »[30], le code de conduite anticorruption ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes (droit de recevoir à titre gratuit) et aux libertés individuelles (liberté de répondre à une invitation) et collectives (liberté de participer à des manifestations culturelles, sportives…) des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir (en lien avec des fonctions à risque identifiées par la cartographie des risques) ni proportionnées au but recherché (la prévention des manquements au devoir de probité).
Le non-respect de ce second principe de proportionnalité est indissociable de la mise en œuvre du premier principe de proportionnalité : sera nécessairement disproportionnée la sanction disciplinaire liée à la violation d’une disposition du Code de conduite anticorruption qui ne pourrait pas être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et qui ne serait pas proportionnée à la prévention des manquements au devoir de probité. Ainsi, par-delà l’appréciation de la proportionnalité de la sanction disciplinaire liée à la violation du code de conduite, se posera nécessairement la question du respect du principe de proportionnalité par le code de conduite anticorruption lui-même.
2) Un fondement AFA propre à l’anticorruption.
14. Premier pilier. L’AFA fait figurer au sein de ce que l’on dénommé le « premier pilier » d’un dispositif anticorruption, « l’engagement de l’instance dirigeant en faveur d’un exercice des missions, compétences ou activités de l’organisation exempt d’atteintes à la probité, ce qui suppose de sa part […] de s’assurer que des sanctions adaptées et proportionnées soient prononcées en cas de comportement contraire au code de conduite ou susceptible d’être qualifié d’atteinte à la probité »[31].
La réaffirmation du respect du principe de proportionnalité semble ainsi s’accompagner d’une exception apportée au principe de l’opportunité des poursuites disciplinaires : cette exception a pour nom la légalité des poursuites disciplinaires lorsqu’est en cause la violation du Code de conduite anticorruption. Alors que la chambre sociale de la cour de cassation a toujours marqué une véritable réticence à imposer à l’employeur d’exercer son pouvoir disciplinaire[32], le droit de la compliance par le biais des recommandations de l’AFA semble s’acheminer vers l’obligation faite à l’employeur de sanctionner disciplinairement le non-respect du Code de conduite anticorruption.
En ce sens, l’AFA estime que « l’engagement de l’instance dirigeante dans la maîtrise des risques d’atteintes à la probité implique, en cas de comportements constitutifs d’une atteinte à la probité, d’un manquement au code de conduite ou d’un manquement au devoir de probité, d’engager une procédure disciplinaire et de mettre en œuvre des sanctions disciplinaires proportionnées »[33]. Si telle devait être la rigueur portée par le droit de la compliance – substituant ainsi un « devoir » disciplinaire au traditionnel « pouvoir » disciplinaire –, la réaffirmation du principe de proportionnalité trouverait là tout son sens. Le devoir de sanctionner ne sera jamais le devoir de sanctionner excessivement. L’on notera que si l’AFA affirme que « lorsque des manquements aux devoirs d’intégrité et de probité des personnels sont constatés, une procédure disciplinaire est engagée à leur encontre »,… c’est pour immédiatement précisé – fort heureusement – que « des sanctions proportionnées leurs sont infligées »[34].
B. La pertinence des conditions de la soumission des sanctions disciplinaires au principe de la proportionnalité.
15. Lorsque le droit de la compliance promet à la sanction disciplinaire. Alors que le droit de la compliance promet à la sanction disciplinaire ceux qui contreviennent aux dispositions du Code de conduite anticorruption, deux hypothèses doivent être soigneusement distinguées et ce, pour s’assurer, une fois encore, du respect du principe de proportionnalité[35]. La première hypothèse est une hypothèse simple : le fait reproché à la personne soumise au code de conduite est seulement constitutif d’une faute disciplinaire (1). La seconde hypothèse est une hypothèse complexe : le fait reproché à la personne soumise au code de conduite est constitutif, à la fois, d’une faute disciplinaire et d’une faute pénale (2).
1) En présence de la seule violation du code de conduite anticorruption.
16. Lorsque le droit de la compliance renvoie au droit commun du travail. Le régime disciplinaire dont doit se doter l’assujetti, en vertu de l’article 17 L. Sapin II, possède pour objet spécifique la violation du code de conduite lequel a vocation à définir et illustrer les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ainsi que l’AFA le recommande, « la sanction disciplinaire doit être proportionnée à la faute commise. Elle relève de l’échelle des sanctions prévues par le régime disciplinaire applicable »[36]. A titre d’illustration : pour avoir eu recours à des intermédiaires prohibés par son code de déontologie, un salarié a pu être licencié pour faute grave[37]. De même, parce que le manquement à un code de conduite est révélateur d’un manquement à l’obligation de loyauté, ledit manquement peut parfaitement constituer une faute disciplinaire, quand bien même ce manquement s’est manifesté dans la vie personnelle du salarié[38].
2) En présence de la violation conjointe du code de conduite anticorruption et du Code pénal.
17. Lorsque le droit de la compliance se doit de se garder de tout excès. L’existence d’une infraction pénale, concomitante à la faute disciplinaire ne saurait constituer le prétexte à une aggravation systématique de la qualification disciplinaire retenue à l’encontre du contrevenant : il ne saurait exister de liens systématiques entre la qualification pénale et la qualification disciplinaire. La nécessité de satisfaire à la mesure n° 7 porté par l’article 17 de la loi Sapin II ne doit en rien altérer un tel principe de solution.
Aussi, afin d’apprécier la gravité de la faute reprochée au salarié coupable d’un fait délictueux, l’entité concernée devra prendre en considération l’importance de la gravité de l’atteinte apportée au bon fonctionnement de l’entreprise. Plus précisément, elle devra s’astreindre, sauf à prendre le risque de violer le principe de proportionnalité, à mesurer les conséquences concrètes du trouble causé, par les manquements au Code de conduite anticorruption et au Code pénal, eu égard notamment, à la nature des fonctions exercées par le salarié, à son ancienneté, à la répétition des manquements ou encore eu égard à la publicité donnée à ces faits[39].
Enfin, dans l’hypothèse où le code de conduite anticorruption qualifierait lui-même la gravité de la faute disciplinaire (faute grave, faute lourde), il faut alors rappeler que cette qualification ne liera en aucun cas le juge social qui demeurera entièrement libre d’en apprécier la proportionnalité.
[1] Cet article a été présenté dans le colloque Conformité et principe de proportionnalité, coorganisé par l’IDETCOM de l’Université de Toulouse-Capitole et le Journal of Regulation & Compliance, le 14 octobre 2021.
[2] Recommandation AFA, 4 déc. 2020, §29.
[3] En témoignent les travaux parlementaires relatifs à la future loi dite « Sapin II ». Compte-rendu intégral, Première séance du 7 juin 2016.
[4] Cf. art. 3 L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016. Selon l’AFA, les recommandations définissent « les modalités de mise en œuvre des dispositifs de prévention et de détection des atteintes à la probité […] que peuvent déployer, de manière proportionnée en fonction de leur profil de risque, toutes les personnes morales de droit privé ou de droit public, de droit français ou de droit étranger […], qui déploient leurs activités en France comme à l’étranger, quels que soient leur taille, leur forme sociale ou leur statut juridique, leur secteur ou domaine d’activité, leur budget ou leur chiffre d’affaires ou l’importance de leurs effectifs. Cf. Recommandation AFA, 4 déc. 2020, § 6 ; Adde S. Scemla, et D. Paillot de Montabert, « L’actualisation des recommandations de l’AFA. De nouvelles contraintes pour les entreprises », RICEA n° 1, février 2021, comm. 52.
[5] Cf. Recommandation AFA, 4 déc. 2020, §14.
[6] Au sens de la cartographie des risques.
[7] Cf. Cons. constit., 22 juill. 2005, J.O. 27 juill. 2005, p. 12241.
[8] Art. 41-1-2 Code de procédure pénale
[9] Commission des sanctions de l’AFA, Décision n° 19-02, 7 février 2020, §15.
[10] Cf. R. Family, « De la mitigation à la performance… », R.I.C.E.A., n° 1, Février 1.
[11] Cf. Cons. const., Déc. n° 87-237, 30 déc. 1987, cons. 15. L’amertume du Conseil constitutionnel transparaissait lorsque ce dernier considérait initialement que « le principe de non-rétroactivité ainsi formulé ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire » (caractères gras ajoutés par nous). Cons. const., Déc. n° 82-155 DC, 30 déc. 1982, Loi de finances rectificative pour 1982, Rec. p. 88.
[12] Commission des sanctions de l’AFA, Décision n° 19-02, 7 février 2020, §8.
[13] Cf. Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-741, 8 décembre 2016.
[14] Cf. Cons. constit., 3 mars 2007, J.O. 7 mars 2007, p. 4356, §28.
[15] Cf. art. 132-1 Code pénal.
[16] Cf. art. 132-20 Code pénal.
[17] L’AFA précisant à cet égard, « comme l’exposition avérée aux risques d’atteintes à la probité ayant conduit l’entité contrôlée à faire l’objet d’une condamnation ou d’un "monitoring" ». Cf. Les sanctions prononcées par la commission des sanctions et leur suivi, § 1.1.2.2.
[18] L’AFA précisant également, « lesquels peuvent présenter une plus ou moins grande exposition aux risques de corruption et de trafic d’influence, et s’inscrire différemment sur la courbe de maturité de la conformité ». Cf. Les sanctions prononcées par la commission des sanctions et leur suivi, § 1.1.2.2.
[19] Art. 132-20 du Code pénal
[20] Commission des sanctions AFA, Décision n° 19-02, 7 février 2020, §48.
[21] Cf. E. Pichon, Le cumul et la motivation des sanctions en droit pénal des affaires : RPDP, 2018, p. 827, sp. p. 829.
[22] Cf. J. Leblois-Happe, « Le libre choix de la peine par le juge : un principe défendu bec et ongles par la chambre criminelle », Dr. pén. 2003, chr. XI.
[23] Cf. Cass. crim., 22 oct. 1988, n° 97-84.186 : Bull. crim. n° 276.
[24] Cf. E. Pichon, ibidem.
[25] Commission des sanctions AFA, Décision n° 19-02, 7 février 2020, §48.
[26] Cf. A. Botton, « « Cumuls répressifs : une énième validation », RSC 2020, p. 989.
[27] Art. 131-39-2 du Code pénal.
[28] Art. 41-1-2 du Code de procédure pénale.
[29] Cf. M. Segonds, « Les apports de la loi du 9 décembre 2016 à l’anticorruption », Dr. pénal 2017, étude 4.
[30] Cf. M. Segonds, « A propos d’un aspect de la compliance anticorruption : code de conduite et définition de l’avantage « indu », Mélanges Sire, 2020, Presses de l’Université de Toulouse, p. 339.
[31] Cf. Recommandation AFA, 4 déc. 2020, §16.
[32] Cf. G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 2022, 35ème éd., p. 1041, n° 831.
[33] Cf. Recommandation AFA, 4 déc. 2020, §589.
[34] Cf. Recommandation AFA, 4 déc. 2020, §342.
[35] Cf. J.-B Loriot et M. Segonds, Le fait de corruption et la rupture des contrats… ou la difficulté pour le juge civil de nommer la corruption : Gaz. Pal. 14 sept. 2021, n° 31, p. 65.
[36] Cf. Recommandation AFA, 4 déc. 2020, §588.
[37] Cf. CA Aix-en-Provence, 28 avril 2017, n° 14/19465.
[38] Cf. Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-23144 : RICEA 2021, comm. 122, note M. Segonds.
[39] Cf. J.-B Loriot et M. Segonds, « Le fait de corruption et la rupture des contrats… ou la difficulté pour le juge civil de nommer la corruption », GP 14 sept. 2021, n° 31, p. 65, sp. p. 69.
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