document de travail
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Droit des marchés concurrentiels, champ naturel de Contentieux Systémique, document de travail, juillet 2024
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📝Ce document de travail a été élaboré pour servir de base à l'article à paraître dans sa version anglaise "Antitrust, natural field of Systemic Litigation" dans la Revue Concurrences en septembre 2024.
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► Résumé du document de travail : Le Contentieux Systémique est un catégorie spécifique de contentieux dans lequel au-delà de la dispute entre les parties l'intérêt d'un système est impliqué, notamment son avenir. Le Droit de la concurrence constitue une source naturelle de ce type de contentieux qui apparaît aujourd'hui fortement pour les systèmes informationnel, climatique, énergétique, etc. Rappelons qu'un marché n'est pas autorégulé et ne continue à fonctionner dans la durée qu'en bénéficiant d'un juge, personnage spécifique en ce qu'il est à la fois extérieur au système concurrentiel et appréhendant pourtant son intérêt spécifique. Pour satisfaire cette double exigence, les systèmes juridiques libéraux confient souvent à l'Autorité administrative de concurrence la connaissance de ce Contentieux Systémique. Mais de toutes les façons, le juge de droit commun en connaîtra aussi, soit sur recours soit dans d'autres instances. La dimension systémique du contentieux judiciaire est alors procéduralement exprimée par la présence de l'Autorité dans l'instance. Cela expliquer des règles procédurales difficiles à justifier en Droit classique. Il faut en effet que l'Autorité, par exemple la Commission européenne, puisse juger et être pourtant encore dans l'instance de recours pour exprimer l'intérêt spécifique du système concurrentiel. Dans le même esprit dans un litige de droit commun où l'intérêt du système concurrentiel apparaît, le juge sera éclairé s'il demande l'avis de l'Autorité. Cette fonction toujours particulière de l'Autorité de concurrence dans ce contentieux, parce que celui-ci est systémique, a été mise en place depuis des décennies et doit servir de modèle pour le Contentieux Systémique qui se développe aujourd'hui d'une façon plus générale à propos des autres systèmes pour la durabilité desquels le Juge est aujourd'hui saisi.
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🔓lire le document de travail ci-dessous⤵️
1. Proposée en 2021, l'expression et la notion de "causes systémiques"📎
2. Le Droit du libre marché concurrentiel est exemplaire de cette catégorie contentieuse : il l'engendre naturellement. Tout d'abord parce qu'un marché ne continue à fonctionner dans la durée que s'il bénéficie d'un juge, personnage requis en ce que le juge est à la fois extérieur au système et appréhende son intérêt spécifique (I). Pour satisfaire cette double exigence, les systèmes juridiques confient souvent directement à l'Autorité de concurrence la connaissance de ce contentieux systémique (II). Mais le juge peut tout autant en connaître (III). Il faut alors qu'il puisse écouter l'expression de l'intérêt spécifique du système concurrentiel, ce qui justifie la place toujours particulière de l'Autorité de concurrence dans le contentieux systémique judiciaire (IV).
I. LE MARCHÉ CONCURRENTIEL, UN SYSTÈME DONT L'ÉQUILIBRE DURABLE REQUIERT UN JUGE INTÉGRÉ ET INDÉPENDANT
3. Il est rare de soutenir encore que les marchés librement concurrentiels sont autorégulés et que la rencontre de la masse des offres et des demandes suffit à ce qu'ils se constituent, se développent et perdurent. Mais parce que le Droit de la concurrence repose sur le principe de la liberté de chacun et ne doit pas s'éloigner de ce principe-là, chaque opérateur a l'opportunité d'utiliser celle-ci pour tenter de se soustraire à cette instabilité inhérente à la compétition, traduite par la variation prix et des contractants. Si un opérateur parvient, seul ou avec d'autres, à se soustraire à cette fluidité de la compétition, le retour à la normale s'opère par la sanction et la réparation du marché.
4. La sanction des comportements anticoncurrentiels, la réparation des dommages au marché, l'attribution des droits d'action est ainsi une part essentielle du Droit de la concurrence qui, comme le Droit pénal et le Droit de la responsabilité, ne s'active classiquement qu'à travers un procès. Pour que le marché ne s'écroule pas sous ses propres forces, il faut donc un juge, qui sanctionne et répare. Le principal bénéficiaire de l'action de celui-ci est le marché concurrentiel lui-même, ainsi restauré dans sa loi.
5. Le contentieux né de l'allégation de comportements anticoncurrentiels, est donc naturellement systémique : c'est le système concurrentiel qui vient demander protection et réparation. Cette nature apparaît également, voire plus nettement, dans le contrôle des concentrations. Il s'agit d'un procès de nature gracieuse, le marché dont la structure pourrait être affectée par la concentration projetée demandant une prise en considération de ses intérêts propres dont l'avenir serait compromis et un possible refus ou un ajustement du projet après une procédure contradictoire.
II. LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE NATURELLEMENT INTÉGRÉ DANS LES FONCTIONS DE L'AUTORITÉ DE CONCURRENCE
6. Il est donc logique que ces disputes aient été confiées à la connaissance de l'Autorité de concurrence et non pas seulement au juge des disputes ordinaires. C'est notamment le choix européen. En effet, parce que la partie "la plus intéressée" à la sanction📎
7. Le Droit de l'Union européenne considère qu'un Régulateur prendra plus naturellement l'intérêt du marché comme premier critère d'une solution juridictionnelle adéquate. Considérant que l'intérêt des marchés concurrentiels est de demeurer à l'avenir, devant par exemple intégrer des impératifs environnementaux, l'Autorité va manier la technique des engagements pour trouver des remèdes, manière de faire usuelle dans le contrôle des concentrations puis maniée dans la procédure concernant les comportements anticoncurrentiels. Ainsi le marché est consolidé.
8. Il est également logique que la partie demanderesse soit souvent à titre principal l'administration, parce qu'elle est elle-même gardienne des systèmes. La nature libérale de l'économie ainsi défendue ne contredit pas cette organisation engendrée par la dimension systémique de l'objet protégé.
9. Si les opérateurs privés sont présents dans les procédures, notamment les procédures de concentrations qui sont des procès de régulation, c'est en tant qu'ils apportent des informations et qu'ils sont légitimes à faire entendre eux-aussi leurs intérêts, le private enforcement venant au soutien du public enforcement📎
III. L'APTITUDE SYMÉTRIQUE DU JUGE À CONNAÎTRE DU CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE CONCURRENTIEL
10. La propension naturelle de l'Autorité de concurrence à connaître du contentieux systémique de la concurrence n'exclut pas pour autant le Juge de celui-ci. Dans beaucoup de systèmes juridiques, celui-ci est d'ailleurs seul à trancher les disputes mettant en cause l'intégrité des marchés concurrentiels. Le système américain repose sur ce principe-là. Cela ne pose pas difficulté. Tout d'abord, parce que le juge peut lui-aussi appréhender les systèmes, comme le fait depuis toujours le juge pénal. Ensuite, même si le Régulateur est bien placé pour traduire l'intérêt propre du système concurrentiel, le juge, par culture, a l'avantage de prendre plus naturellement en considération les intérêts divers, effet de la culture du contradictoire consistant à entendre d'autres intérêts que celui du système en cause.
Apparaît alors une difficulté de base de nature processuelle maintes fois soulignée lorsque le contentieux concurrentiel est intégré dans l'Autorité de concurrence. L'organe de sanction est certes fonctionnellement indépendant au sein de l'Autorité, mais des souhaits sont exprimés pour une activation plus précoce des droits de la défense, avant la notification des griefs. Plus encore, si l'intérêt du système concurrentiel doit être entendu, il n'est pas le seul à devoir être entendu : le juge, gardien du principe du contradictoire, protège contre l'excès du "marché total"📎
11. C'est pourquoi le Droit met le juge au centre de ce contentieux systémique de deux façons, l'une verticale, l'autre horizontale. Lorsque c'est une Autorité administrative qui statue juridictionnellement, le recours est toujours possible devant une juridiction. Celle-ci est saisie par voie de plein contentieux : elle vient donc à connaître de la nature systémique du cas. D'une façon horizontale, lorsqu'à l'occasion d'une dispute entre deux opérateurs, par exemple sur une allégation de concurrence déloyale ou un enjeu de propriété intellectuelle, un dommage ou une entrave au marché est allégué, le juge doit alors appréhender le système du marché concurrentiel, car la nature systémique du contentieux demeure. Pour ce faire, il gagnera à prendre modèle sur la façon dont l'Autorité de concurrence raisonne non seulement juridiquement mais économiquement, de la même façon que l'Autorité doit toujours s'inspirer du Droit processuel classique, reposant sur les droits de la défense.
IV. LA PLACE NATURELLE DE L'AUTORITÉ DE CONCURRENCE DANS LA PROCÉDURE JUDICIAIRE DU CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE DU MARCHÉ CONCURRENTIEL
12. Dans le contentieux systémique que l'on voit aujourd'hui émerger devant les juridictions de droit commun à propos des systèmes bancaire, financier, énergétique, climatique, informationnel, algorithmique, etc., le Droit de la concurrence doit servir d'exemple, puisque celui-ci est construit sur l'idée même de défendre le bon fonctionnement du système par des sanctions et des engagements contrôlés ou obtenus.
13. Ainsi, lorsqu'un juge connaît d'un recours contre une décision de sanction ou de règlement des différends, l'Autorité de concurrence défend son point de vue à l'instance et justifie sa décision. La règle a été critiquée sur le principe même, puisqu'il s'agit d'un acte de nature juridictionnelle et qu'un tribunal ne vient pas défendre son jugement devant la cour supérieure : on ne pourrait à la fois reconnaître que l'Autorité agit comme un tribunal et admettre qu'elle vienne ensuite défendre sa cause comme une partie, on ne saurait être juge et partie, l'autonomie fonctionnelle de l'organe ne suffisant pas à justifier cette exception singulière.
Mais cela peut se justifier par l'idée même du Contentieux Systémique : l'Autorité tranche, sanctionne, répare, prescrit des engagements, parce qu'elle porte les intérêts du système concurrentiel. Ces intérêts doivent continuer d'être entendus devant le juge du recours ; l'Autorité étant alors la mieux placée pour le faire.
14. C'est le même raisonnement qui fait d'elle une amica curiae de choix pour le juge. En effet, il peut apparaître dans une instance ordinaire que le système concurrentiel voit ses intérêts impliqués. Par exemple dans une dispute de concurrence déloyale ou lorsqu'un droit de propriété intellectuelle est en cause. En rattachant alors le cas au Contentieux Systémique, le juge gagnera à solliciter l'avis de l'Autorité de concurrence, nationale ou non, la mieux placée pour exprimer l'intérêt du système ou des systèmes concurrentiels en jeu, afin d'intégrer cette dimension-là dans son jugement.
15. Beaucoup est déjà là : des procédures d'avis, une présence de l'autorité dans les recours contre ses décisions pourtant juridictionnelles. C'est compréhensible, puisque le Droit de la concurrence dont elle est la gardienne est lui-même gardien du système de libre compétition. Ses spécificités procédurales trouvent ici, à travers le Contentieux Systémique, une nouvelle légitimité, et doivent être accrues. Elles constituent une avant-garde pour tous les autres systèmes qui, impliqués pareillement, vont donner lieu au Contentieux Systémique qui émerge aujourd'hui.
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🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧L'hypothèse de la catégorie des "causes systémiques" portées devant le juge, 2021.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le contentieux systémique, 2024.
Comme l'on peut dire que le droit de propriété privée est "le droit le plus absolu" ; comme l'on peut dire que le ministère public est la partie la plus naturelle du procès pénal.
Sur l'articulation entre le public enforcement et le private enforcement, 🕴️M.-A. Frison-Roche et 🕴️J.-Ch. Roda, 📕Droit de la concurrence, 2022, spéc. p. 133 et s., §168 et s. et 242 et s.
Sur l'idée de "marché total", et sur la critique fondée qu'il en fait, v. 🕴️A. Supiot, 📝Introduction. L'entreprise face au marché total, in 🕴️A. Supiot (dir.), 📗L'entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, 2015.
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