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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, 4 cas pratiques pour éprouver le couple Sécurité juridique /Insécurité juridique face à une crise économique, document de travail, mars 2021.
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🖥️ Ce document de travail a été élaboré pour servir de base à une conférence se tenant le 22 mars à la Cour de cassation sur le thème de l'Insécurité juridique en cas de situation exceptionnelle, notamment en cas de crie économique : voir la présentation de la conférence et sa vidéo.
Il a été fait plutôt que de renoncer à faire cette conférence. Ce qui aurait été le résultat d'un "effet domino".
Quasiment le sujet même de cette conférence.
En effet, il a été élaboré sur page blanche en remplacement d'un premier document de travail, élaboré en février 2021, et non encore fini lorsque l'incendie qui s'est déclenché dans la nuit du 9 au 10 mars 2021 dans les entrepôts d'OVH a fait disparaître de très nombreux sites. Soit temporairement, soit définitivement. Suivant que les sites et leur sauvegarde avaient été situés dans tel ou tel bâtiment.
La perspective d'une possible sauvegarde de la sauvegarde de ce présent fût évoquée et la possible restauration du site envisagée par OVH pour le 22 mars, le jour même du colloque.
La sauvegarde des sauvegardes n'étant pas acquise, le document de travail initial n'étant pas achevé, j'ai choisi de reprendre le sujet sous un autre angle.
Car s'il est vrai que pouvoir accéder à sa documentation et sa bibliothèque, lesquelles sont sur mon site, est une bonne assise pour produire quelque chose, réfléchir sans cela est une méthode, ici contrainte, qui est également recevable.
Il suffit de regarder autour de soi.
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📝 lire l'article alimenté par ce document de travail : "Instaurer l'insécurité juridique comme principe, outil de prévention des crises systémiques catastrophiques totales", 2023.
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🔓Lire les développements ci-dessous ⤵️
Comme il est difficile de définir une crise …. Une crise apparaît comme un mouvement en chaîne dévastatrice, une propagation à partir d’un événement qui naît à l’intérieur d’un système et qui se répand. Parce qu'il est difficile de définir la crise par des mots abstraits, on utilise souvent une image : une bombe qui explose, un feu qui se propage, un tsunami qui s’abat, la foudre qui tombe, etc. La crise, on ne sait peut-être pas en parler, mais on la sent passer….
Qu’est-ce qu’une crise de nature économique ? Il est tout aussi difficile de la définir…. Car pourquoi a-t-on à ce point peur d’une crise économique que cela justifierait que l’on s’éloigne du Droit et de sa sécurité, laquelle lui serait pourtant comme spécifique et consubstantielle ?
Parce que la crise économique détruit nos vies ; Ainsi la crise économique que nous vivons en ce moment a pour cause une crise d’une autre nature et d'une autre ampleur : une crise sanitaire planétaire.
Une crise est toujours systémique : elle est elle-même un maillon, vient parfois d’une autre crise, engendre parfois une autre crise. Par exemple une guerre.
C’est donc une question de « temps » : percevoir à temps, intervenir à temps. Et le meilleur temps pour le Droit, c’est avant. Car s’il est apte à avoir les informations avant, alors la crise n’arrive pas.
le Droit se place en Ex Ante et anticipe la catastrophe : éviter que la crise n’arrive pas, obtenir que la crise ouverte n’en engendre pas une autre. Face à un tel enjeu systémique, qui peut être mondial (car si la crise économique de 1929 n’avait pas eu lieu, peut-être que la Seconde Guerre Mondiale n’aurait pas eu lieu), le Droit et son exigence de sécurité apparaît comme étant bien peu.
Et peut-être peut-il se retourner comme un gant, permettre de garantir l’insécurité, si elle peut nous protéger contre ces perspectives futures catastrophiques pour l’être humain. Si cela permet d'intervenir "à temps".
Car si le Droit est un Art pratique pour protéger les êtres humains, ce qui justifie le principe de sécurité juridique, si dans une crise économique, c’est l’insécurité juridique qui permet de protéger les êtres humains contre ce futur, alors ce même Droit peut engendre ce principe d’insécurité juridique, parce qu’il le doit, pour demeurer dans cette mission qui le définit.
La protection du système par le Droit se situe en Ex Ante. Elle est d'abord dans l'information. En effet, c'et souvent d'une petite cause que viennent la grande catastrophe. Les systèmes à risque, comme le système bancaire ou financier sont l'objet d'un Droit Ex Ante de "supervision" qui rend transparentes tous les opérateurs systémiques pour repérer les "petites causes" qui pourraient engendrer les grandes catastrophes.
C’est pourquoi la comparaison biologique vient si souvent à l’esprit car c’est au cancer que l’on pense. Par son effet mécanique, la cellule n’a pas d’intention dolosive et il ne s'agit pas de punir mais de repérer et d'intervenir à temps car à petite cause, effet mortel. Le cas "Lehman Brothers", voire le cas "Wirecard" sont exemplaires car ils ont montré une défaillance du Droit de la Régulation, les Autorités ne voyant pas à temps. La question est alors : verront-elles pour la défaillance suivante ?
Car le cœur du Droit de la Régulation est l'information permanente. Ainsi en matière de crise tout est dans l’Ex Ante et dans l’information. C’est le cœur du Droit de la Compliance, branche du Droit par laquelle l’on va notamment aux Etats-Unis, injecter de l’information dans les individus pour leur permettre de courir en « pleine information » leur risque (principe de la loi Dodd-Frank de 2010, adoptée après la crise financière de 2008), accroissant un comportement rationnel qui contribue à diminuer la perspective de la crise économique suivante.
C’est la même conception américaine actuellement promue de la « finance verte » et de la notation ESG. C’est ce qui justifie l’effet extraterritorial des lois nationales lorsqu’elles visent non pas des intérêts nationaux (embargos) mais bien des risques systémiques globaux (corruption et climat).
Car l’enjeu de la crise économique pour le Droit, ce n’est pas tant la présente crise, c’est la suivante. Elle n'est pas "exceptionnelle", elle est acquise dans son principe. Il est acquis qu’elle arrivera demain mais on sait qu’elle ne ressemblera pas à celle d’hier. Donc, l’on doit savoir qu’on ne la connait pas, qu’on sera surpris par elle. Dès l'instant, comment se contenter d'un Droit basé sur l'information lorsque la crise à venir se déploiera d'une façon inconnue.
En effet, dans le futur il y a trois sortes d’éléments , que l’on retrouve dans les crises économiques :
Le Droit de la Compliance, branche du Droit en construction, porte sur le futur et a notamment pour "but monumental" de prévenir et de gérer les crises. Dont on ne sait pas grand chose et qui sont "sidérantes". Pour cela, à l’image des crises qui brisent tout (« le virus ne connait pas de frontière » ; « la haine se propage en un instant »), le Droit de la Compliance retrouve une sorte de brutalité juridique qui le libère de la sophistication du Droit sous le toit duquel nous dormons habituellement en toute sécurité.
Mais quand il y a le feu, que faire ? Le Droit, sa couverture et son doudou, qu’aujourd’hui nous aimons tant avec la sécurité promise pour le futur, c’est-à -dire la « prévisibilité » qu’on nous offre en nous affirmant que demain devra être comme aujourd’hui (quelle idée étrange d'un monde que le Droit pourrait ainsi figer…), peut-il répondre au vraiment nouveau ?
Il peut certes prévoir que des parties particulières ajusteront leur situation, en s'aidant au besoin d'un tiers (clause de hardship, clause de désaccord dans l’accord, amiable composition, etc., ). L’on affirme souvent que le contrat, parce qu’acte d’intelligence et de volonté est un acte de prévision, mais le monde ne tient pas dans un contrat.
Le Droit peut certes exiger que ceux qui ont pris part à la survenance de la crise rendent des comptes. Mais cela n’est que de l’Ex Post, cela n’empêche rien.
Le Droit peut compter non seulement sur l'action rationnelle de l'agent informé et aidé de quelques incitations, mais encore animé d'une responsabilité sociétale. Mais le Droit relayant le souci du monde, c'est-à -dire le souci d'autre, qu'en est-il ? Le souci d'autrui, c'est-à -dire le Droit lui-même, n’est-ce pas la première chose que les individus eux-mêmes oublient ?
Nous en avons actuellement le spectacle par le massacre que les investisseurs individuels de Gamestop font des règles juridiques de l’investissement dans une indifférence absolue pour la valeur de l’entreprise dont ils accroissent la valeur boursière alors que l'entreprise ne vaut rien. On leur rappelle qu'ils détruisent alors le marché et le Droit de la Régulation. Ils répondent qu'ils ne sont concernés que par l'argent. C'est ainsi que Wall Street pourrait bien prendre feu par ce seul petit cas, qui révèle l’absence de limite. « GameStop », quelle ironie du sort que ce nom-là …
Mais le feu, ce n’est pas qu’une image. C’est une réalité. Qui détruit les forêts et c’est un grand enjeu juridique que de permettre au Droit de la Compliance d’avoir un effet extraterritorial pour que cela n’arrive pas, même si celui qui émet la règle et l’applique n’est pas le souverain brésilien.
Le feu, en Droit on en parle trop peu souvent. Mais prenons davantage au sérieux cet exemple du feu. Qui couve, qui chauffe, quelques étincelles, quelques flammes, en un instant tout est détruit. Qui ne se souvient du Bazar de la Charité, et des masques que portèrent les victimes qui en réchappèrent, parce que le plastique s’incrusta sur leur visage...
Mais pourquoi toujours penser l’incendie comme l'exemple même du fait juridique, ce qui est subi, ce dont on regarde les effets, les cendres, les cadavres et les mutilés, pour ensuite en Ex Post poursuivre les « responsables » ? Au mieux l’Analyse Economique du Droit n’inséra de l’Ex Ante que pour intégrer l’Assurance, c’est-à -dire l’anticipation de l’indemnisation du dommage. Payer par avance les effets catastrophiques. Rien pour le prévenir, pour faire en sorte qu’il n’intervienne pas ; rien pour intervenir pendant la crise ouverte ; rien pour sortir de la crise. Alors que c’est Ex Ante qu’il faut penser la crise, pour arrêter l’incendie.
Alors que se passe-t-il ?
J’avais préparé une intervention construite sur la chronologie : le déclenchement de la crise économique, le déroulement de la crise économique et la sortie de la crise économique. Le 10 mars elle était presque terminée.
Cette intervention était dans un document sur mon site mafr et celui-ci est devenu le 10 mars « indisponible ». Le 20 mars au soir, il n’était toujours pas restauré et j’étais comme un fil face à ce sujet. Et j’ai pensé que le feu, qui a fait disparaître les données stockées sur les serveurs stockés dans les entrepôts d’OVH, peut provoquer une crise. Réfléchissant à cela, puisque l’absence de site permet de travailler sur page blanche, j’ai pensé à ces autres chocs extérieurs et nouveaux qui surviennent : le feu, le froid, le virus, qui provoquent des crises économiques, brisent la confiance. Qui peut intervenir ? Le Droit a-t-il les moyens d’intervenir ? Avec quelle branche du Droit ?
Plutôt que d’examiner d’une façon générale le sujet, je propose de prendre 4 cas pratiques et concrets, dans lesquels des systèmes ont été frappés par des éléments naturels qui menacent un système complet. Que peut faire le Droit ?
Prenons tout d'abord un cas en cours, OVH qui avait promis par contrat de garder les données et de les sauvegarder. Tout a pris feu, cela est présenté comme une catastrophe. Que peut faire le Droit des contrats au prochain incendie de données (I). Mais il n'y a pas aussi que le feu, il y a aussi son contraire, le froid. Il a fait si froid cet hiver au Texas que tous les habitants ont voulu se chauffer. Au prix de marché. Il en résulte une crise économique majeure qui se développe actuelle. Que peut faire le Droit de la concurrence qui a permis les contrats de prix variable de l'électricité ? (II). Prenons un troisième élément : l'or, dans sa traduction juridique qu'est la La monnaie. Ce cas est terminé car lorsque les spéculateurs ont voulu dévorer la monnaie comme une chose ordinaire, l'Autorité publique s'est dressée et la crise n'eut pas lieu (III). Prenons enfin un quatrième élément : le virus. Pour limiter l'effet domino, l'Autorité politique utilisa le Droit d'une façon étonnante et remarquable : il décréta l'ouverture d'une crise économique, comme on déclare une séance ouverte (IV).
Le Droit est un art pratique. Si nous reconnaissons que nous savons qu'il y aura des crises économiques dans le future mais que nous ne pouvons pas en connaître la teneur, alors nous devons retenir de ces cas non pas tant des bons et mauvais bons pour tel et tel acteur, mais plutôt la façon dont un corps de règles peut "répondre" quand le tocsin sonne, pour que chaque chose soit fait.
Les branches du Droit et ses acteurs se dessinent à travers ses 4 ca. A travers du premier cas l'on peut mesurer ce que peut faire le Droit des contrats, à travers l'engagement des parties et le juge qui les garantit. Face à une crise, il ne peut pas grand chose. A travers le deuxième cas, l'on peut mesurer ce que peut le Droit de la concurrence et ses autorités. Face à une crise, il ne peut pas grand chose. Mais à travers le troisième et quatrième cas, apparaître les pouvoirs monétaire, budgétaire et normatif de l'Etat. L'on peut alors mesurer qu'ils peuvent éteindre tout ou partie du feu et face à cette puissance salvatrice-là , il faut que le Droit se retourne et produise le mécanisme requis de l'insécurité juridique si cela sert le but assigné, qui est de sauver le système et les êtres humains qui y vivent.
Mais du coup, ce qui doit demeurer toujours, cela doit être le Droit constitutionnel, en ce que celui-ci est le Droit politique qui préserve ultimement les êtres humains.
I. Le cas en cours OVH : LE FEU CONTRE LES DONNEES : LA FAIBLESSE DE LA SECURITE CONTRACTUELLE
A. Le dispositif juridique en place : l'option offerte de sauvegardes, engagement de localisation dans un autre local
B. Les faits : le feu, puis l’eau ; les sites restaurés, les sites perdus ; l’information donnée et retenus
C. L’avenir pour la crise suivante ? Etat qui supervise l’efficacité non seulement informatique (ANSSI) mais matérielle des sauvegardes avec contrôle sur place
II. Le cas en cours au Texas : LE FROID ET LA TEMPETE CONTRE LA LUMIERE : LA FAIBLESSE DE LA SECURITE CONCURRENTIELLE
A. Le dispositif juridique en place : la souplesse concurrentielle des prix variables selon la situation de marché avec un régulateur étatique
B. Les faits : le froid et la tempête, la consommation et l'information retenue, l'augmentation fulgurante des factures, les impayés, les démissions en chaîne du gestionnaire et du régulateur, la faillite du principal fournisseur d'électricité ; les procès ouverts en étoile
C. L'avenir pour la crise suivante ? Obtenir une interconnection (cf. crise californienne) Obtenir une véritable régulation fédérale (ce que n'est pas la FERC)
III. Le cas achevé de la BCE : LA HORDE AFFAMEE CONTRE LA MONNAIE : LA PUISSANCE DE LA PAROLE POLITIQUE ECARTANT LA SECURITE JURIDIQUE
A. Le droit de prendre la monnaie comme un objet ordinaire : la spéculation appuyée sur la sécurité juridique
B. Le Droit écarté : “whatever it takes”
C. Le pouvoir monétaire souveraine supérieur à la stabilité juridique
D. L'avenir : Applicabilité du "whatever it takes" ? à d'autres pouvoirs que le pouvoir monétaire ? : question des droits constitutionnels face aux impératifs de gestion des crises (position constitutionnelle allemande face à la position européenne = débat mondial cf. Katherina Pistol / Alain Supiot)
IV. Le cas en cours du covid 19 : LE VIRUS CONTRE LES ETRES HUMAINS : L’OUVERTURE JURIDIQUE D’UNE CRISE ECONOMIQUE
A. L'information d'une perspective de beaucoup de morts humaines par contacts entre humains
B. La décision politique d'utiliser le pouvoir normatif du Droit pour ouvrir par décret une crise économique afin de gérer au moins pire la propagation du virus mortel
C. Première fois que le pouvoir normatif déclare ouverte une crise pour en contrôler une autre : la crise économique comme outil de gestion d'une crise sanitaire. Le feu se déclare, c'est un fait juridique. Ici pour la première fois, c'est le Droit qui par un acte juridique a déclaré le feu. Par un décret il a déclaré ouverte la crise économique.
D. Application téléologique du couple "sécurité juridique / insécurité juridique" en application de la crise économique non plus objet de gestion de crise, mais elle-même outil de gestion de crise : obligation du bailleur de payer son loyer même si son local est fermé par décision administrative (cas de force majeure ? Non, car obligation de bailleur réalisée, mais surtout parce que c'est l'Etat qui gère les conséquences de son outil et soutient financièrement, par l'arme budgétaire qui lui est propre, appuyé sur l'arme monétaire européenne, les entreprises en crise de son fait).
LA QUESTION EST LA RESISTANCE ABSOLUE DU DROIT CONSTITUTIONNEL
CAS DE L’EUROPE / TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL ALLEMAND résistant contre la Banque Centrale
Tant que c’est le droit des spéculateurs qui est balayé par la Banque centrale, l’on comprend qu'il soit écarté lorsque la crise est ouvert ; mais si c’est le droit fondamental des propriétaires, c’est plus difficile (position du Tribunal constitutionnel allemande face à la BCE).
Le Droit constitutionnel doit demeurer plus fort, mais uniquement dans son cœur.
Conclusion :
L'insécurité juridique peut être maniée si elle est le produit du Droit, pouvoir normatif, et s'adosse sur deux pouvoirs aussi grands aussi souverains que le Droit : le pouvoir monétaire des banques centrales ou le pouvoir budgétaire de l'Etat. En cas de crise, la concurrence montre qu'elle exprime un Droit "sans pitié", qui "nettoie" (l'énergie peut-elle le supporter ?) ; le contrat, bien qu'instrument juridique Ex Ante, montre sa faiblesse si la valeur dont il est s'agit est essentielle. Or, les données sont aujourd'hui notre bien essentiel.
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