Updated: March 5, 2014 (Initial publication: Sept. 18, 2013)

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Le troisième cours continue l’exploitation, dans les prolégomènes, en abordant le quatrième couple de contraires, qui articule le législateur et le juge. Leur rôle respectif est de prime abord nettement défini et distinct : le premier, exprimait la volonté générale et issu d’un vote démocratique, édicte des normes générales et abstraites, tandis que le second, sans légitimité politique, résoud des difficultés particuliers (les litiges, les cas) par des solutions particulières (les jugements), d’une façon neutre. Cette neutralité est requise, la loi qu’il applique étant son instrument d’effectivité de la loi et de concrétisation des droits, car le juge n’a pas de légitimité poliltique.

Les Révolutionnaires français et Napoléon l’ont voulu ainsi, le système politique étant traduit en droit positif par l’article 5 du Code civil.

En l’opposé, les systèmes juridiques de Common Law, construits sur des solutions particulières, donnent un pouvoir au juge notamment celui qui est au sommet de la hiérarchie juridictionnelle, la Cour suprême aux Etats-Unis ou la Chambre des Lords au Royaume-Uni, qui peut adopter des décisions dont la solution juridique s’applique d’un façon obligatoire aux cas futurs analogues (arrêts de règlement), cette contrainte ne visant que les juges inférieurs dans la hiérarchie judiciaire.

Mais cette présentation est trop manichéenne et, depuis toujours, les juges, n’en déplaise aux politiques, ont eu du pouvoir. Tout le droit administratif découle du Conseil d’Etat, depuis que le Tribunal des conflits a posé par l’arrêt Blanco du 8 février 1873 le principe de l’autonomie du droit administratif, l’examen de la responsabilité de l’Etat du fait d’un accident de la circulation n’étant pas régi par le Code civil ni soumis au juge judiciaire.

De la même façon, les Chambres réunies de la Cour de cassation, par l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930, on créé de toutes pièces la responsabilité objective du fait des choses, réinventant l’article 1384, al.1 du Code civil.

En effet, là où les codificateurs n’avaient écrit qu’une façon élégante d’introduction à des cas particuliers de responsabilités sans faute pour des dommages causes par des choses précises, les juges y virent un principe général. Cela se justifiait car aucune assurance ne répondait à un phénomène nouveau : les machines et les automobiles, c’est-à-dire les accidents graves sans qu’une faute puisse être démontrée. Par une dialectique entre la loi et la jurisprudence, 50 ans après l’arrêt Jand’heur (le droit est lent...), la loi du 25 juillet 1985 d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation , dite "loi Badinter", vînt mettre en place une indemnisation automatique, dont le poids pèse sur les assureurs, faisant passer la responsabilité d’un mécanisme individuel à une mutualisation sociale.

L’opposition entre les systèmes est aujourd’hui d’autant plus dépassée que la question prioritaire de constitutionnalité donne au Conseil constitutionnel un pouvoir considérable. Ce sont des pans entiers du droit qui sont revus par le juge supérieur, comme le montre la question de la garde à vue, notamment par la décision du 30 juillet 2010 du Conseil constitutionnel.

Le conseil constitutionnel avait pris soin de laisser au législateur un an pour se confirmer à ses exigences, notamment la présence d’un avocat dès la première de garde à vue, ce qui suppose une réorganisation des services. La loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue posa elle-même la date de son entrée en application en juillet 2011.

Mais le corpus constitutionnel étant analogue à celui développé par la Cour européenne des droits de l’homme, en application de la Convention européenne des droits de l’homme, la chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 31 mai 2011 invalida les procédures pénales en cours pour violation de la CEDH, ce qui montra les risques de conflits entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité. La sagesse conduisit la Cour de cassation à repousser elle-même la mise en application de ses exigences. Elle le fit sans texte.

 

 

Le cinquième couple de contraires concerne le rapport entre la personne et les choses. Tel un Tartuffe qui aurait longtemps triomphé, le droit avait réussi à masquer un corps "qu’il ne saurait voir", grâce à sa puissance à créer une réalité qui lui est propre : la "personne". En effet, la personne, invention du droit romaine, désigne l’aptitude à être titulaire de droits et d’obligations, à être sujet de droits. Il y a ainsi identité entre le sujet de droit et la personne. La personne est une notion abstraite, équivalent à une aptitude à être titulaire de droits et d’obligations. Pas moins (être créancier ; être responsable) ; pas plus (pas de corps ; pas de référence direct à l’être humain).Cette vision romaniste fût accentuée par les conceptions canoniste et cartésienne.

Il y avait pas de difficulté, tant que la personne pouvait dire : "je suis mon corps", comme le droit pénal continue de le supposer à travers les qualifications de meurtre ou de coups et blessures. Le critère majeur est alors la volonté : si la personne n’est pas d’accord, l’atteinte est illicite ; si elle est d’accord, l’atteinte est licite. Cela gouverne le droit en matière de prostitution. Cela explique la solution, contestée en doctrine, retenue par la Cour européenne des droits de l’homme en matière de sado-masochisme, dans [l’arrêt du 17 février 2005, K.A. c/ Belgique->http://www.mafr.fr/spip.php?article2847]. La question de la prohibition de la prostitution par le législateur est de nouveau à l’ordre du jour.

Mais la technicité a rendu depuis une trentaine d’années les corps disponibles d’une façon non radicales, par les recherches sur le corps, les perspectives de clonages, les greffes. Est né le droit de la boïéthique, dont le critère est "la dignité de l’être humain" (et non plus de la personne) que la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique a inséré dans le nouvel article 16 du Code civil.

Le droit se retrouve pour la première fois à devoir affronter le quotidien des êtres humains : la "vie décente" (notion nouvelle en droit), la mort, qui n’est définie que par une circulaire du 24 avril 1968 par un double encéphalogramme plat. C’est l’enjeu des prélèvements pour les greffes.

L’affaire Our Body , qui donne lieu à un arrêt de la [Cour d’appel de Paris du 30 avril 2009->http://www.mafr.fr/spip.php?article2848] et un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 septembre 2010 montre la difficulté du droit à protéger la dignité des être humains décédés. La loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique recherche un nouvel équilibre entre avancée de la science et respect de la personne.

La question fondamentale est de savoir si l’on doit ou non rester la volonté gouverner cette question.

Le sixième et dernier couple de contraires est la distinction naguère usuelle entre le droit public et le droit privé.

La distinction du droit public et du droit privé ne paraît évidente qu’en France ou à tout le moins dans les pays de Civil Law. Dans d’autres pays, on reconnaît plutôt qu’il existe des situations spécifiques, par exemple celles qui mettent en cause au moins une personne publique, par exemple l’Etat ou une collectivité locale, qui justifie l’application d’un droit spécifique, plus adapté, voire la soumission des situations litigieuses à un juge spécifique, un juge administratif, qui soit "naturel".

En France, l’histoire est allée beaucoup plus loin, puisque les lois des 16 et 24 août 1790, auxquelles l’arrêt Blanco précité se réfère, ont posé la dualité des ordres de juridictions.

L’idée des Révolutionnaires est qu’un juge "ordinaire" ne peut pas donner d’ordre à l’administration, qui n’obéït qu’à l’exécutif ou à un juge qui lui est propre (théorie du "juge-administrateur"). Ainsi, va se construire en summa divisio deux ordres de juridictions, les juridictions judiciaires et les juridictions administratives, la Cour de cassation étant en haut des premières, le Conseil d’Etat en haut des secondes, le Tribunal des conflits intervenant en cas de conflits.

Ce système, qui dépasse un simple aménagement de spécialisation des tâches, correspond à une sorte de métaphysique des intérêts. En effet, on affirme facilement que le droit privé est le droit des personnes ordinaires, le juge judiciaire intervenant pour tranchant des litiges ordinaires portant sur des intérêts particuliers. Le droit public renvoie à l’intérêt général, qui ne saurait se réduit à l’addition des intérêts particuliers (comme ceux du marché), intérêt généraux que l’Etat et les services publics expriment, que le droit public régit, sur le respect desquels le juge administratif veille. Dans ces conditions, une telle métaphysique des intérêt rend la dualité des ordres de juridictions et la distinction du droit public et du droit privé inattaquables.

Mais tout cela est en train de s’effondrer. Tout d’abord, le droit français est enchâssé dans un droit européen, qu’il soit de l’Union européenne ou des droits de l’homme, qui ne repose en rien sur de telles prémisses, et qui n’admet pas ce raisonnement. Ensuite, le droit européen et les économistes, par des raisonnements du "soupçon", ont dit que les fonctionnaires n’avaient pas le monopole de l’intérêt général. D’ailleurs, dans des branches du droit privé, comme le droit de la famille, il y a un ordre public impérieux (de protection des enfants, de protection des corps, etc.). Le droit pénal, qui est appliqué par les juridictions judiciaires depuis toujours, est au coeur de l’ordre public, de la défense des valeurs fondamentales de la société et de l’intérêt général. Les Etats passent des contrats et font des arbitrages, s’endettent sur les marchés, exactement comme des agents économiques privés, tandis que les sociétés commerciales se déclarent "socialement responsables", c’est-à-dire en charge d’autrui et du groupe, ce qui est le rôle de l’Etat.

En droit, la distinction du droit privé et du droit public se délite techniquement, parce qu’elle s’est effondrée conceptuellement. Ainsi, se sont multipliées les autorités administratives indépendantes, en toutes les matières, aussi bien les libertés publiques (par exemple la CNIL) qu’économiques et financières (par exemple l’Autorité des marchés financiers), qui sont administratives mais dont les décisions sont susceptibles de recours devant la Cour d’appel de Paris, puis devant la Cour de cassation. Actuellement, les discussions autour de la fusion entre l’ARCEP et le CSA montrent les conflits restant de culture.

Il en résulte pour l’instant une très grande complexité, car on ne sait jamais devant quel juge aller, et suivant qu’il est judiciaire ou administratif, la solution sera différente, alors que la situation est unique. On passe alors d’un constat de complexité à un constat d’injustice, par exemple en matière de responsabilité médicale. C’est pourquoi les hautes juridictions, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel, cherchent à adopter des solutions identiques pour que le justiciable ne soit pas lésé dans ses droits subjectifs et que le système de droit objectif ne soit pas incohérent.

Enfin, se dégage un nouveau système juridique dont la figure n’est plus binaire, construite sur la frontière entre droit public et droit privé. On trouve désormais au centre du système les libertés et droits fondamentaux, et autour d’eux l’ensemble des règles qui les alimentent et les protègent.

 

Documentation disponible ex ante
•FRISON-ROCHE, Marie-Anne, [Les autorités administratives indépendantes : distorsion ou réforme de l’Etat ?, ->http://www.mafr.fr/spip.php?article2507]in BETBEZE, Jean-Paul et COEURE, Benoît (dir.), Quelles réformes pour sauver l’Etat ? , Les cahiers du Cercle des économistes, PUF/Descartes & Cie, 2011, p.125-130.
• DRAGO, Roland et FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Mystères et mirages des dualités des ordres de juridictions et de la justice administrative, in Le privé et le public, Archives de philosophie du droit, t.41, Sirey, 1997, p.135-148.

Article 5 du Code civil
Article 16 du Code civil
Article 1384, al.1 du Code civil
Loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique
Loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue

• Trib. confl., 8 février 1873, Blanco
•Ch. Réunies, 13 février 1930, [Jand’heur->http://www.mafr.fr/spip.php?article2846]
Crim. 31 mai 2011
•C.E.D.H., 17 février 2005, [K.A. c/ Belgique->http://www.mafr.fr/spip.php?article2847]
•Paris, 30 avril 2009, Our Body
•Civ., 16 septembre 2010, Our Body
Cons. const., 30 juillet 2010, QPC, relative à la garde à vue

 

Défintions disponibles dans le glossaire

Arrêt de règlement

Civil Law

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