Contrairement au Royaume-Uni où les Régulateurs semblent aller de soi, la France semble peu familière, voire hostile aux Régulateurs, puisque ceux-ci sont autonomes du pouvoir politique exécutif. La notion de "Superviseur" y est à l'inverse plus familière, la tenue des "entreprises cruciales" par l’État étant plus familière. Or, dans un système où la force de contrainte n'est pas liée par la seule expression du Droit en tant qu'il est le Droit (Hard Law) mais davantage à la capacité de l'émetteur du discours juridique à convaincre ses interlocuteurs, à les convaincre de l'adéquation de la norme qu'il adopte (Soft Law), le fait que le régulateur ne soit pas ressenti comme ayant sa place dans l'organisation juridique d'un secteur constitue un problème de droit.
Il est donc indispensable d'accorder une grande place technique à la question de la légitimité du régulateur. Ce problème politique a en effet des conséquences pratiques quotidiennes. Cette légitimité peut être puisée dans la source juridique qui a établi l'organisme qui exerce les pouvoirs de régulation ou de supervision (par exemple une Loi)), mais cette légitimité peut aussi être conférée par la reconnaissance, notamment par le secteur lui-même, notamment du fait des résultats et bénéfices qu'il peut obtenir,confrontés aux missions que l’État demande à l'organisme de remplir, grâce aux pouvoirs dont il dispose. En effet, si un régulateur n'est pas légitime, il ne peut être puissant.
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La première façon d'établir un régulateur puissant est de lui conférer une source qui le légitime. Cette légitimité par la source est la plus classique en droit. "Qui t'a fait Duc ? Qui t'a fait Roi ?". Cette légitimité par la source est la perspective privilégiée par les systèmes de droit continental, notamment la France.
Dans le système de légalité dans lequel nous vivons, la question pertinence est donc de déterminer d'où le régulateur tient-il ses pouvoirs, qui a institué le régulateur. S'il apparaît que c'est un acteur politiquement légitime, par exemple le Législateur qui a établi le régulateur, et lui a conféré tel et tel pouvoir, alors le Régulateur est légitime et il est légitimement apte à exercer tel et tel pouvoir.
Cette conception si forte et si simple des choses a des implications considérables. Ainsi, un simple opérateur ne peut se comporter comme un régulateur car il n'a pas été "institué". Le système juridique va essayer de préserver le Régulateur ou le Superviseur de toute influence ou toute forme de "capture" que vont tenter les opérateurs, l'indépendance du Régulateur et du Superviseur étant le préalable de leur impartialité, laquelle est la véritable légitimité de l'exercice de leur pouvoir. C'est de cette conception très "française" que s'inspire une proposition de loi qui exclut tout professionnel des Autorités de régulation, afin de préserver celle-ci et d'accroître leur impartialité apparente et leur légitimité, au risque de diminuer leur compétence technique.
De la même conception très juridique de ce que doit être un "bon régulateur", si le Régulateur légalement institué exerce un pouvoir qui ne lui aura pas été conféré par la Loi, il commet un excès de pouvoir, qui sera sanctionné par le juge car la seule source de ses pouvoirs est la loi.C'est en effet par le mécanisme juridique et politique de la "délégation des pouvoirs" et de la "subdélégation" que le Régulateur, et le Superviseur, exercent des pouvoirs de contrainte sur les opérateurs, car l’État leur a délégué son propre monopole politique de la violence.
A contrario, si l'organisme exerce ses pouvoirs d'une façon inefficace, s'il ne fait rien, s'il n'agit pas promptement, si son action est désastreuse pour le marché, pour les consommateurs, pour un concurrent, pour la place de Paris, etc., l'on considèrera que cela ne regarde pas le droit. Ces "questions d'intendance" sont hors du domaine du droit...
Plus encore, notamment en France, on lie le droit et l’État. Ainsi, parce que l'on a tendance a définir le droit comme la norme à laquelle est attaché un pouvoir de contrainte, dans la mesure où ce pouvoir de contrainte est le monopole de l’État, alors on crée un lien consubstantiel entre l’État et le droit. Le Droit de Common Law n'a pas cette définition du Droit par sa source et de ce fait pourra plus facilement appréhender des organismes de régulation ou de supervision qui excèdent les frontières étatiques. Toujours est-il que pour un esprit français et dès lors, l'on en déduira, avec la même forte simplicité que le Régulateur légitime est constitué par l’État, est légitime en tant qu'il est un organe de l’État.
Cette idée très simple est hautement contestable et nous verrons plus loin que l'on peut concevoir les choses tout à fait différemment. Mais cette idée peut se défendre et elle est très forte. Surtout en France.
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Ainsi, dans cette perspective générale d'un Régulateur légitime par sa source, la plus forte conception, très enracinée en France, est celle d'un Régulateur légitimé par le fait qu'il tient sa place et ses pouvoirs par délégation que lui en a fait l’État. Elle sera d'autant plus attaquée en matière de supervision bancaire, lorsque ce pouvoir essentiel sera conféré par la Banque Centrale Européenne, adossé à un pouvoir de sanction, alors même qu'il continue à ne pas exercer un État européen.
En effet, il est traditionnel de présenter l’État comme étant le titulaire du "pouvoir normatif", c'est-à-dire du pouvoir d'édicter des règles générales et abstraites ayant un effet général (effet erga omnes). D'une façon plus sociologique et liant cela au principe abstrait de "légalité", Max Weber a soutenu que seul l’État avait le "monopole de la violence légitime", c'est-à-dire le pouvoir d'interdire, de prescrire, de sanctionner, ce qui renvoie à la "matière pénale", là où une exception légitime peut être apportée au principe constitutionnel de la liberté individuelle qui est le socle des États de Droit libéraux. C'est pourquoi l'on affirmait traditionnellement que le droit pénal est l'expression du régalien
Mais l’État peut "déléguer" ses pouvoirs. Ainsi, il peut déléguer ses pouvoirs de sanction à des organismes qu'il va doter de ces pouvoirs et des moyens de les exercer. Certes, Le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ne permet pas une délégation pleine et entière, mais permet la délégation que d'un pouvoir normatif résiduel. Pourtant, une fois que les textes ont établi les manquements, le Régulateur pourra disposer d'un pouvoir de sanction aussi puissant qu'un juge, voire de fait plus efficace que celui-ci.
Dans une telle conception générale, le Régulateur tenant sa légitimité du fait qu'il tient ses pouvoirs de l'Etat qui l'a institué à travers une Loi fondatrice, le Régulateur appartenant à la sphère de l'Etat, exprimant la puissance publique sur le marché, sa forme "naturelle" sera d'être une Autorité Administrative. Pour un esprit britannique, cela paraît étonnant; pour un esprit français, cela va de soi. Ainsi, pendant très longtemps, la régulation s'est exercée à travers des services administratifs des ministères, entre les mains de techniciens, généralement sous une double tutelle d'un ministère technique (par exemple l'Industrie) et du ministère des Finances.
La difficulté est venue du fait qu'en matière bancaire et financière, le socle est la confiance que les déposants et les investisseurs doivent avoir dans le système.
Or, dès l'instant que le Gouvernement est également "partie prenante" dans le système, en tant qu'emprunteur. Mais si l’État à travers son Gouvernement est aussi celui qui fixe les règles, cumulant la qualité d'opérateur et de régulateur, ce conflit d'intérêts va le conduire à utiliser son pouvoir de régulateur pour infléchir les règles en sa faveur en tant qu'il est opérateur.
De la même façon,la question de l'indépendance du régulateur est apparue beaucoup plus précocement en banque et en finance que dans ce que l'on appelle parfois les "industries de réseaux" (télécommunications, énergie, transport ferroviaire, etc.), car il ne s'agit en rien qu'une problématique de libéralisation, mais d'une problématique de confiance.En matière bancaire, les banques elles-mêmes ont inventé la banque centrale le 18 janvier 1800, organisme privé, à l'initiative de Napoléon (qui avait du génie en toutes choses), la banque centrale étant ainsi "indépendante" de l'Etat puisqu'elle était privée. Ce n'est qu'en 1945 que Charles de Gaulle a transformé la Banque de France en organisme public. Parce que le conflit d'intérêt ne devait pourtant pas exister et que l’État possédait de nombreuses banques publiques, la Banque de France prît en 1945 la forme d'une Institution "autonome".
De la même façon, en matière financière, alors que le mouvement de libéralisation n'allait commencer en partant de l'Europe que dans les années 1990, le Gouvernement français exerça très longtemps la tutelle directe sur les marchés financiers sur lesquels les banques publiques intervenaient.
C'est par l'effet du Gouvernement américain qui menaça de retirer les investissements si la France n'adoptait le modèle de la Securities Exchange Commission (S.E.C.), que la France en catastrophe adopta une ordonnance en 1967 mettant en place la Commission des Opérations de Bourse (COB), calquée sur la S.E.C.
Ainsi, parce qu'en premier lieu le marché de l'investissement est basé sur la confiance, qu'en deuxième lieu le conflit d'intérêt exclut la confiance et qu'en troisième lieu le Gouvernement ne peut être à la fois régulateur et opérateur (principe constituant du droit de la régulation), ce régulateur qui est "naturellement" administratif est tout aussi "naturellement" indépendant.
C'est ainsi que le droit français mit en place la catégorie jusqu'ici inconnue des "Autorités administratives indépendantes". Les rapports se sont succédés pour se pencher sur le berceau des A.A.I. Soit pour les justifier tant bien que mal, soit pour les critiquer, soit pour proposer leur suppression ....
En effet, l'idée qu'il existe des régulateurs, certes publics, mais tout de même qui n'obéissent pas au Gouvernement, paraît encore à beaucoup baroque et incohérente, d'autant plus si leur mission consiste à prévenir un risque financier collectif que le groupe social finira par payer à travers les finances publiques de l’État. En outre, de nombreux observateurs ou parties prenantes sont désorientés par une évolution qui conduit vers une structure pleinement européenne alors que le système était au départ constitué par des Autorités par nature nationale, alors que dans les autres secteurs le mouvement fût au départ européen, puisqu'il s'agissait de phénomènes de libéralisation (télécommunications, énergie, etc.).
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Dans ce climat de suspicion, les régulateurs essaient de travailler au mieux. La première Autorité de Régulation que l'on peut évoquer est l'Autorité des Marchés Financiers (l'AMF). Elle succède à deux autorités distinctes, la COB et le CMF, un seul organisme assurant désormais et la régulation des opérateurs sur les marchés financiers (comme le faisait la COB) et le contrôle des prestataires de services financiers (comme le faisait le CMF). Cette seconde tâche prend désormais autant de temps que la première et cet aspect de discipline sur ce qui serait une "profession" rapproche de fait l'A.M.F. de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), qui est une autorité de supervision sur les banques et les sociétés d'assurance et de réassurance.
Sans doute gêné par la catégorie des A.A.I. et pour mieux justifier son autonomie budgétaire, car l'A.M.F. a le privilège de ne pas dépendre de la LOLF, l'A.M.F. étant une "Autorité Publique Indépendante". Jusqu'à présent, à ma connaissance, l'on n'a pas percé les mystères de cette qualification, mais il s'agit d'exprimer ainsi la distance vis-à-vis de l'exécutif. En effet, le terme de "administratif" renvoie tout de même à l'idée que l'organe appartient à un ensemble dont le Gouvernement continue de disposer, la notion de "administration indépendante" étant un oxymore.
L'A.M.F. est dotée de la personnalité morale. Cela n'est pas le cas de l'A.C.P.R., qui n'est qu'un service de la Banque de France, laquelle est dotée de la personnalité morale. Cela a des conséquences importantes en droit. En effet, une "personne" désigne une aptitude à être titulaire de droits et d'obligation et à avoir un patrimoine propre. Ainsi, l'A.M.F. a notamment le droit d'agir en justice.
L'A.M.F. est un organisme bicéphale, car si le Président est un personnage très important, qui peut décider des recours, qui représente le régulateur financier national à l'European Securities and Markets Authority (ESMA), le secrétaire général est très important aussi, notamment parce qu'il dirige les services.
Le premier organe est le collège. Il prend les décisions. Il est composé non seulement de représentants des corps de l’État, par exemple du Trésor, mais encore des représentants du secteur, notamment des banques, et de personnalités dites "qualifiées". Par exemple, le professeur Christian de Boissieu en fait partie. Cela rend plus efficace la collégialité et rend plus acceptables les décisions.
La Commission des sanctions a été établie à la suite des réorganisations générales rendues nécessaires suite à l'arrêt Oury
La Commission des sanctions est très importantes et visibles, car quasiment toutes les infractions visées par le droit pénal sont doublonnées en "manquement" et les sanctions pécunières stigmatisent les opérateurs.
L'A.M.F. dispose d'un pouvoir réglementaire résiduel, venant compléter le pouvoir dit parfois "réglementateur" que les Ministres détiennent et expriment par décrets. Mais de fait, le Règlement Général de l'A.M.F. est la "Bible" de tous les opérateurs et règle les opérations et les prescriptions de comportements professionnels. Ainsi, les prises de contrôle sont tout autant régies par ce Règlement général que par le Code monétaire et financier ou par le Code de commerce dans sa partie qui concerne le droit des sociétés cotées.
En outre, le droit de la régulation est un droit "factuel", c'est-à-dire que l'on accorde beaucoup d'importance à ce qui est dit et à qui le dit, sans se soucier vraiment de la force formellement attachée à ce qui est dit. Dans ce royaume de la Soft Law, les instructions et les recommandations, les rapports, voire les prises de paroles dans des colloques ou des tribunes dans les journaux ont de fait la même puissance que des décrets publiés au Journal Officiel. De fait.
Parce que nous sommes en régulation et non pas en droit ordinaire, le Régulateur est toujours "en éveil". Ainsi, il n'attend pas comme le fait un juge qu'on le saisisse pour prendre connaissance d'une situation, il a pour fonction et donc pour pouvoir de toujours regarder. Ainsi, il dispose non seulement du pouvoir d'enquête (ainsi, les services d'enquêtes de l'A.M.F. consiste à internaliser la fonction de police dans le Régulateur et le professeur Pierre Delvolvé définit la régulation comme de la "police administrative"), voire un pouvoir de contrôle permanent.
Ce pouvoir est considérable et permet au Régulateur d'aller voir partout ce qui se passe. Cela suppose certes qu'il se doute de quelque chose, qu'il soit un peu informé, car il ne peut chercher à l'aveugle. Ainsi, les textes permettent à l'A.M.F. de faire des "visites mystères", les enquêtes se présentant aux prestataires de services d'investissements (P.S.I.) comme des clients (ce qui est interdit en droit commun), y compris sur Internet désormais.
Ce pouvoir est considéré comme nécessaire en raison de l'asymétrie d'information dont souffre le régulateur et en raison du principe d'efficacité, lequel est en réalité le principe central qui va se substituer aux autres pour légitimer le régulateur. Mais cette nouvelle logique d'efficacité va se concilier assez difficilement avec les garanties de procédure, par exemple les secrets professionnels et les droits de la défense.
En outre, l'A.M.F. dispose de pouvoirs ex ante qui sont très importantes, puisque les marchés financiers, qui sont pourtant selon Walras les plus purs des marchés, ne sont pas des marchés ordinaires de biens et services. Cette figure à laquelle le droit de la concurrence veut les ramener, notamment par les premières directives sur les instruments financiers a engendré des risques systémiques
D'autres ont une conception plus interventionnistes de la Régulation et insistent sur les pouvoirs ex post du Régulateur. Au fur et à mesure que des nouveaux textes sont adoptés, les pouvoirs Ex Pos se multiplient, notamment l'ampleur du pouvoir de sanction.
Dés lors et nécessairement, le régulateur revêt de fait les habits du juge répressif, les magistrats de l'ordre judiciaire l'obligeant alors de droit à respecter les principes de procédure, notamment l'impartialité.
Pourtant, parmi les pouvoirs ex post, existe certes le pouvoir de sanction mais encore le pouvoir de régler les différents entre les opérateurs. Ce pouvoir de règlement des différents, généralement attribué, ne l'est pas à l'A.M.F. Peut-être que cela ne correspond à aucun besoin, parce que la médiation s'est développée au bénéfice des investisseurs peu puissants et que les litiges passent de fait en arbitrage privé entre opérateurs puissants.
En outre, cette distinction entre pouvoirs ex ante et pouvoirs ex post , usuellement utilisée, est excessive. Assez souvent, le régulateur financier se situe à un moment où il prend des mesures "immédiates" ou "provisoires" pour éviter qu'un comportement n'ait lieu ou se perdure, ce qui fait que l'on ne saurait dire si l'on n'est dans l'avant ou dans l'après. En effet, contrairement à un juge qui d'ordinaire examine le passé, le Régulateur se soucie de l'immédiat et du futur, par exemple du développement de la place ou d'écarter un comportement systémique dangereux pour l'avenir des autres. C'est pourquoi le pouvoir d'injonction est un pouvoir très important, dont l'A.M.F. est titulaire. De la même façon elle peut décider la suspension immédiate d'une cotation, elle peut faire une injonction à un opérateur de cesser immédiatement un comportement, dès l'instant que ce comportement porte atteinte aux droit des épargnants. Le Régulateur peut ainsi porter atteinte à la liberté des opérateurs, sans même demander une autorisation judiciaire, alors même qu'en principe constitutionnellement seul un juge judiciaire peut restreindre les libertés. Ce pouvoir d'injonction ne redevient dépendant d'une autorisation préalable du juge judiciaire, plus précisément du Président du Tribunal de Grande instance de Paris, que si l'atteinte commise par le comportement ne vise qu'un texte et non plus les "droits des épargnants". On retrouve ici le caractère téléologique du droit de la régulation : la régulation financière a pour fin "la protection de l'épargne". Dès lors, si les "droits des épargnants" sont en péril, il a tout pouvoir. Dans d'autres cas, on en revient à la figure classique du juge. Mais cela attest la réalité d'un droit construit sur un autre principe : celui du but, de la finalité servie avec efficacité, cette efficacité rendant légitime le régulateur.
Enfin, l'A.M.F. dispose de "prérogatives" procédurales. Les décisions juridictionnelles utilisent à leur propos le terme prudent de "prérogative" car l'on ne sait plus s'il s'agit de "pouvoir" ou de "droit"... En effet, l'A.M.F. dispose ce que l'on appelle d'ordinaire le "droit d'action", c'est-à-dire le droit de saisir un juge, le droit de former un recours, le droit de participer à la procédure formée devant la juridiction du recours par l'opérateur contre la décision que l'Autorité a rendue, le droit de formuler un avis devant une juridiction. Certes, lorsqu'il s'agit d'une décision prise par l'Autorité elle-même, à travers sa Commission des sanctions, le fait de former un recours devient plus difficile encore à qualifier, car cela revient à s'autocritiquer. Mais c'est pourtant la prérogative que, à la suite de l'affaire EADS, la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a pourtant offerte à l'Autorité des Marchés Financiers. Des justifications pragmatiques furent avancées mais les catégories procédurales ont du mal à rendre compte du dispositif.
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L'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (A.C.P.R.) a quant à elle une longue histoire.
En premier lieu, et cela demeure, la Banque de France est la Banque centrale de l’État français. En son sein, un département assure la supervision des banques ainsi que la résolution de leurs difficultés depuis la réforme française de 2013 qui a anticipé sur l'adoption du mécanisme européen de résolution en 2014. Deux services plus particulièrement s'occupaient des activités Ex ante, le C.E.C.E.I., tandis que la Commission Bancaire étaient en charge des activités Ex post. Ainsi, le C.E.C.E.I. délivraient les autorisations d'exercer l'activité bancaire, intervenait en cas de changement de contrôle au sein d'une banque, tandis que la Commission bancaire exerçait une activité de sanction, par exemple lorsque les banques ne respectaient pas leurs obligations administratives.
L'évolution institutionnelle est intervenue pour deux raisons. En premier lieu, la France a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l'Homme par l'arrêt du 11 juin 2009, Dubus, en raison du fait que la Commission Bancaire n'était pas conforme au principe d'impartialité apparente, ce qui justifia en matière bancaire les mêmes changements structurels que ceux provoqués en matière financière par l'arrêt Oury, Régulateur et Superviseur étant emportés par le mouvement de juridictionnalisation des secteurs bancaires et financiers.
En outre, ces deux organes, le C.E.C.E.I. et la Commission Bancaire supposaient une distinction très nette et maniable entre l'Ex ante et l'Ex post, alors qu'il est acquis aujourd'hui qu'il s'agit davantage d'une continuité que d'une opposition et d'un séquençage dans le temps.Le phénomène nouveau de Compliance , internalisant l'Ex Post dans l'Ex ante, mais assurant l'effectivité de cette internalisation par des sanctions Ex Post sévère achève de lisser ce qui fût naguère un critère de distinction. Ainsi, il convenait de les fondre dans un même organe. Plus encore, jusque là les sociétés d'assurance avaient été régulées par le Ministère des Finances, puis par un organisme, l'A.C.A.M., qui leur était spécifique. Or, dans la perspective du marché partant davantage des produits que de la forme des opérateurs, l'on considérait que les banques et les sociétés d'assurance devaient être supervisées par un même organe, et plus encore si l'on prend la crise plus comme un accident mais comme l'hypothèse première et que l'on considère que les établissements financiers et les compagnies d'assurances ("non-banques") appartiennent à la même catégorie au regard du risque systémique. Cette idée est essentielle, en ce qu'elle met de fait banques et société d'assurance et de prévoyance dans la même catégorie conceptuelle. C'est ainsi que par la suite l'on va concevoir les normes de Solvency II sur le modèle de Bâle III.
C'est à partir de ces deux mouvements de fait et de pensée qu'a été construite l'Autorité de Contrôle Prudentiel (A.C.P.) par une Ordonnance du 21 janvier 2010. N'a pas été remise en cause le fait qu'il s'agisse toujours d'un département non autonome au sein de la Banque centrale.
Le second mouvement a été la prise en considération dans le droit français de la crise financière. Tandis que le droit européen avait établi dès 2010 des Autorités (v. infra ), c'est la loi du 26 juillet 2013 de régulation et de séparation bancaire qui, dans son titre II, a modifié l'A.C.P. en la désignant désormais comme l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution : l'A.C.P.R.
On remarquera que les Autorités de régulation ont pour titre leur fonction, leur mission, leur but : ici, le contrôle prudentiel et la résolution des crises. Cela valide encore une fois la définition du droit de la régulation comme étant un droit entièrement tourné vers les finalités et l'efficacité.
Du fait qu'il ne s'agit que d'un service de la Banque de France, l'A.C.P.R. ne dispose pas de la personnalité morale. Son président est le Gouverneur de la Banque de France lui-même, Monsieur Christian Noyer à l'époque, Monsieur François Villeroy de Galhau aujourd'hui. Mais son secrétaire général est très important. Madame Danièle Nouy étant devenue Directrice de l'ESMA, c'est aujourd'hui Monsieur Fernando Bollo qui a pris cette responsabilité. Parce que le secteur des assurances continue à ne pas ressembler à celui des banques, c'est un spécialiste de ce secteur qui préside le sous-collège propre au secteur de l'assurance.
L'A.C.P.R. dispose de deux collèges. En premier lieu, le "Collège de supervision", qui dispose de tous les pouvoirs de supervision des acteurs bancaires et assurantiels, délivre les agréments, contrôle, etc. En second lieu, le "Collège de résolution" correspond à cette nouvelle fonction, née de la crise financière, permet à l'Autorité d'intervenir avec des pouvoirs considérables pour enrayer une défaillance de banque ou de société d'assurance. Enfin, d'une façon analogue à l'Autorité des Marchés Financier, l'A.C.P.R. dispose désormais d'une Commission des sanctions autonome, afin que le droit français soit conforme aux exigences européennes à la suite de l'arrêt Dubus.
L'A.C.P.R. cumule un nombre très important de pouvoirs. Comme pour l'A.M.F., la règle traditionnelle issue de la pensée de Montesquieu selon laquelle le pouvoir d'émettre des règles générales et abstraites (dit "pouvoir législatif"), le pouvoir de prendre des décisions particulières ex ante d'application (dit "pouvoir exécutif") et le pouvoir de trancher des litiges et d'appliquer des sanctions (dit "pouvoir judiciaire") ne peuvent se cumuler au bénéfice d'un même titulaire, est bien oubliée au bénéfice de l'efficacité. On est en effet beaucoup plus efficace quand on cumule tous les pouvoirs et quand par exemple on applique au cas particulier soi-même la règle générale que l'on a édictée, on est beaucoup plus efficace qu'on sanctionne soi-même les personnes qui ont méconnu les prescriptions que l'on a adoptées. C'est plus efficace...critère du droit de l'Ancien Régime, contre lequel s'était élevé Beccaria, le Droit assumant son inefficacité. Certes, on se prévaut toujours de la situation de faiblesse des régulateurs face à la puissance de fait des opérateurs, ce qui conduit à "armer" en droit les régulateurs. C'est du "pragmatisme". Il faut tout de même faire attention que les principes fondamentaux ne finissent par être entamés par cette théorie qu'est le "pragmatisme". Le "pragmatisme" n'est pas en effet l'absence de théorie, c'est une autre théorie, qui consiste à mettre en première norme l'efficacité et à instrumentaliser toutes les règles.
Ainsi, l'A.C.P.R. ne possède pas directement de pouvoir réglementaire, mais elle peut adopter des "positions", qui sont des sortes de lignes directrices (guidelines), rédigées et mises à disposition de tous sur son site. Or, de fait, les positions de l'Autorité sont suivies par les opérateurs. En outre, il est fréquent que des "positions" soient communes à plusieurs Autorités ("interrégulation"), surtout au niveau européen.
L'A.C.P.R. dispose d'un pouvoir très étendu de contrôle et d'enquête. Certes, la jurisprudence veille à ce que les garanties de procédure soient préservées dans un tel cadre, que les perquisitions ne s'opèrent que sur autorisation judiciaire, etc. Mais il est possible à l'Autorité de faire des "visites" chez les opérateurs, qui s'opèrent alors sans que de telles protections ne puissent être réclamées. Mais lorsque les textes européens emploient des termes comme la "gouvernance des produits", qui renvoient à des obligations pour les opérateurs eux-mêmes de veiller à l'information du public, on en vient à douter de savoir qui est chargé de quoi, ce qui renvoie à ce qui peut avoir de mystérieux la notion de compliance.
Ainsi, il est difficile de distinguer si nettement la "régulation" qui vise le comportement des opérateurs sur le secteur, ce sur quoi porte la fonction de l'A.M.F. et la "supervision", qui vise au contrôle interne de certains opérateurs qui le méritent , ce qui porte la fonction de l'A.C.P.R. Pour reprendre la question de la construction des produits financiers eux-mêmes peut relever aussi bien de l'un que de l'autre et l'expression de la "gouvernance produit" est ambiguë.
C'est ainsi que surgit la difficulté de définition, car en droit on ne peut en pratique avancer que si l'on dispose de définition claire. Or, il est acquis que l'A.M.F. est une "autorité de régulation" et que l'A.C.P.R. est une "autorité de supervision". Ainsi, les banques et les compagnies d'assurance qui interviennent en proposant sur le marché financier des produits ou qui agissent comme intermédiaires ou comme opérateurs sur les marchés financiers relèvent donc et de l'A.M.F. et de l'A.C.P.R., et du pouvoir de régulation et du pouvoir du supervision.
Mais il est difficile de distinguer si nettement la "régulation" qui vise le comportement des opérateurs sur le secteur, ce sur quoi porte la fonction de l'A.M.F. et la "supervision", qui vise au contrôle interne de certains opérateurs qui le méritent , ce qui porte la fonction de l'A.C.P.R.
En effet, de la même façon qu'il est difficile de distinguer l'avant de l'après (Ex ante / Ex post), car le temps est une ligne, il est difficile de distingue le dedans du dehors (supervision de l'intérieur de l'opérateur / régulation du comportement de l'opérateur). Ainsi, le régulateur regarde la gouvernance des opérateurs, alors que cela concerne le "dedans" et le superviseur examine le comportement systémique des opérateurs cruciaux. En effet, les sociétés n'expriment leur volonté d'agir (comportement) que par des mécanismes internes (droit des sociétés) et, pour ne prendre que cet exemple, le commissaire aux compte est un rouage interne mais qui donne de l'information sur la fiabilité des comptes au marché financier.
Ainsi, la distinction entre "régulation" et "supervision" est tout sauf aisée. Et de fait, les deux Autorités travaillent le plus possible ensemble.
Ce qui est vraiment propre à l'A.C.P.R. est le pouvoir de résolution des crises, mis en place par la loi du 26 juillet 2013 en anticipation du paquet des textes européens de 2014, ayant établi le mécanisme européenne de "résolution bancaire" et constituant le prolongement du pouvoir de supervision qui constitue une mécanisme de prévention à part. La loi du 26 juillet 2013 donne au "Collège de résolution", présidé par le Gouverneur de la Banque de France lui-même, mais dans lequel siège également le président de l'A.M.F., ce qui montre la proximité avec la régulation, et un représentant du Trésor, ce qui montre la proximité avec la politique et l'implication des Finances publiques. Le temps montre comment ces nouveaux pouvoirs bouleverseront le droit des procédures collectives et le droit des biens.
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En tout cas, la France n'a pu en place ces Autorités indépendantes que sous la contrainte, de fait tout d'abord pour ne pas voir partir les investisseurs étrangers et continuer à bénéficier de leur confiance dans la place financière française, puis de droit par un droit européen soucieux de l'impartialité structurelle de leur organisation.
Mais la France continue à n'admettre des Régulateurs distincts de l'Exécutif que s'ils demeurent dans la sphère de l’État. Dans l'esprit français, il faut encore être dans l'atmosphère étatique, en respirer l'air, pour participer à la recherche d'un intérêt général, lequel ne peut par ailleurs se définir comme l'addition des intérêts particuliers.
Dans l'esprit français, ce supplément d'âme menant vers l'intérêt général ne semble pas pouvoir venir des "régulateurs professionnels". En effet, ces régulateurs "venus de nul part", qui n'ont pas été institués par la loi, qui sont par exemple des associations professionnelles, des Ordres, sont considérés comme des moyens par des opérateurs de capturer la règle pour la faire jouer à leur profit. C'est la théorie de l'autocapture. En effet, si les opérateurs n'arrivent pas à capturer le régulateur public, alors ils produisent eux-même un régulateur et affirment pouvoir exercer des pouvoirs de régulateurs, parce qu'ils sont d'accord pour le faire, parce qu'ils sont bien placés pour le faire, parce qu'ils ont une "éthique des affaires", parce qu'ils sont "socialement responsables".
Ce sont des théories juridiques qui prennent bien dans le monde anglo-nord-américains, dans lequel les opérateurs sont libres, le contrat est l'instrument juridique premier, mais qui prennent assez mal dans les droits continentaux dans lesquels les pouvoirs continuent d'être rattachés à la source étatique.
Pourtant, de fait l'autorégulation est de fait très installée en droit bancaire, financier et assurantiel. Sans même évoquer la place des associations professionnelle, il suffit de mentionner le "Comité de Bâle", qui est un "forum informel", qui n'a pas d'existence juridique, et qui produit des normes sans force contraignante. Ainsi, les "normes de Bâle" n'ont pas de force contraignante. Certes, parce que ceux qui viennent à Bâle sont des Gouverneurs de Banque Centrales et qu'y viennent aussi tous les Gouvernements et tous les opérateurs, mais ce sont des réunions de fait, des discussions, des échanges, des papiers, des "relevés de conclusions". Pour que cela devienne du droit, il faut que ces normes sont incorporées dans une loi ou un Règlement communautaire. Mais comme pour les guidelines ou les positions, les opérateurs respectent par avance les normes de Bâle. Ainsi, les banques ont d'ores et déjà intégré dans leur organisation les normes de Bâle III, qui n'ont pas d'existence juridique.
Dans un système de "droit souple", il n'est pas besoin d'attendre, ce serait une faute d'attendre. Ainsi, un régulateur de fait peut être le plus puissant. C'est le cas du Comité de Bâle.
Ce Comité fût créé en 1974 sous une nature informelle, qu'il conserve. Il réunit non seulement les banquiers centraux mais encore les autorités prudentielles de pays de plus en plus nombreux, aujourd'hui 27. Lorsque les réunions se tiennent, c'est l'ensemble du monde financier qui se déplace.
Lors de ces réunions, sont établis des "standards prudentiels". Ces standards n'ont pas de puissance contraignante. On mesure ici la distance entre le fait et le droit, puisque tout le monde bancaire tourne autour de norme de Bâle, dont nul ne songe à s'éloigner, même s'il les maudit. En outre, le Comité s'est donné pour mission de "diffuser et promouvoir les meilleures pratiques bancaires, de surveillance et de supervision" : c'est l'apogée de la soft Law... Cette technique des "meilleures pratiques" est relayée à l'intérieur des entreprises par les "Codes de bonnes conduites", ce maillages des best practices se superposant avec les travaux de Better Regulation pour prendre la place des Parlements nationaux élus.
La puissance de ce droit, très souple pour ceux qui le conçoivent et très dur pour ceux qui le subissent, tient enfin au fait que le Comité "promeut la coopération internationale prudentielle", ce qui signifie que les Banquiers centraux appliquent à travers des normes nationaux ce qu'ils ont décidés entre eux d'une façon informelle. Ce caractère informel qui permet un développement de puissance bien supérieur à ce qu'autorise le droit classique qui, du fait même qu'il admet la contrainte qu'il engendre pose en même temps ses limites (définition de l'Etat de droit), se trouve à l'identique en matière de normes comptables.
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En France, l'Autorité des Normes Comptables (A.N.C.). est un Régulateur public dont la mesure est d'adopter des normes à propos de la comptabilité.
On mesure ici non pas une articulation avec une organisation privée, comme on verra le cas de la "co-régulation" à propos du commissariat aux comptes (v. infra), mais au contraire une opposition entre un régulateur national public qui défend un système comptable normatif construit sur le système classique et une structure complètement privée, d'origine anglaise, qui a construit les I.F.R.S., utilisant la comptabilité comme un système d'information financière.
Cette structure privée, l'I.A.F.B., est une association internationale. Sa puissance est immense et les marchés financiers en dépendent. Pour l'instant, les français ne semblent toujours pas avoir compris que la guerre financière a pour cœur la normalisation comptable. Le Règlement européen sur l'audit comptable des "entités d'intérêt public" .
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Mais l'opposition ou l'isolement n'est pas toujours si fort entre régulateur public et régulateur privé.
L'évolution générale se fait plutôt vers une mixité entre les régulateurs privés et les régulateurs publics. Cette mixité peut s'opérer dans le temps, les normes étant informelles et créées par un forum lui-même informel, comme à Bâle, puis reprises dans des contrats ou reprises dans divers actes normatifs juridiquement contraignants, par exemple des règlements européens. Elle peut aussi s'opérer dans l'espace, le droit mettant en place une structure qui est institution à la fois professionnelle et publique.
Mais le droit des sociétés lui-même évolue comme devenir une part du Droit de la régulation, le commissaire aux comptes (l'auditeur pour le qualifier par anglicisme) devenant un personnage central désormais à la fois pour "l'intérieur" de la société et pour l'extérieur (le marché).
Le Commissaire aux comptes est un professionnel libéral qui est soumis à une régulation strictement professionnelle, au cœur de laquelle est la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (C.N.C.C).). Mais la loi du 1ier aout 2003 de sécurité financière a considéré que le commissaire aux comptes est aussi une personne qui garantit au marché et à toutes les "parties prenantes" (stakeholders) l'exactitude, la sincérité et la fidélité des comptes.
C'est pourquoi la loi a instauré le Haut Conseil au Commissariat aux Comptes (H3C) . Il s'agit encore d'une institutionnelle professionnelle, placée auprès du garde des Sceaux (et non pas du Ministre des Finances). Mais il s'agit aussi d'une "Autorité publique" et elle est dotée de la personnalité morale.
Étant composé à la fois de représentants de l’État, de personnalités qualifiées et de commissaires aux comptes, le H3C est actuellement présidée par Madame Christine Guégen, avocat général près la Cour de cassation. L'on estime que le H3C "co-régule" la profession des commissaires aux comptes avec la CNCC.
Le H3C émet tout d'abord un avis sur les normes techniques. Le pouvoir d'avis ne doit pas être sous-estimé en matière de régulation, notamment depuis le Règlement de l'Union européenne sur l'audit légal des entité d’intérêt public dont les travaux de transposition sont en cours qui tend à accroître, et le pouvoir des auditeurs sur les entreprises et le contrôle externe sur les auditeurs. En effet, les pouvoirs d'émission des normes aussi bien que les pouvoirs disciplinaires ont vocation à s'accroître. Si le pouvoir d'émettre des normes est un pouvoir assez faible d'ordinaire, en droit de la régulation cela est différent dans la mesure où la régulation vise des secteurs très "auto-observés". Ainsi, même si un avis est simplement émis, s'il est négatif, chacun le note, et si un avis négatif est très bien motivé, il aura du "poids" à l'égard des pouvoirs publics.
En outre, le H3C est l'organe d'appel des décisions de sanction des commissions régionales des Commissaires aux comptes. De cette façon, il assure l'unité de la politique de sanctions disciplinaire de la profession et un contrôle sur celle-ci. Cette puissance sur la profession s'exerce de deux autres façon, en premier lieu par un contrôle sur l'activité des professionnels et d'autre part par un contrôle de déontologie.
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Ainsi, malgré ce point de départ, si ancré en France, d'un régulateur qui ne pourrait qu'être public et administratif parce que seul un rattachement à l’État donne une légitimité au Régulateur, on en arrive rapidement à admettre qu'il faut que les opérateurs du secteur soient présents d'une façon ou d'une autre dans les régulations. On l'admet, mais par "pragmatisme", par résignation, par "nécessité".
Ainsi, l'autorégulation bancaire et financière demeure une théorie qui n'est pas développée ni bien reçue en droit français. En effet, l' "autorégulation" (self Regulation) signifie que les opérateurs du système font spontanément agir de sorte que le système se développe et perdure au mieux des intérêts de chacun, même des autres qu'eux-mêmes.
C'est la base de la théorie du marché concurrentiel des biens et services, le droit de la concurrence ne faisant que "garder" cette autorégulation que la liberté des prix permet, le droit de la concurrence ne contentant de réparer ex post des dommages causé au marché.
Dans la mesure où la matière bancaire et financière ne peut fonctionner sur ses secteurs ne fonctionnent pas sur la concurrence, tend à être régulée. Mais les opérateurs ont revendiquer leur capacité à faire fonctionner eux-même le système bancaire et financier. Cette affirmation a surtout été hautement portée en matière bancaire. Elle a été soutenue soit en raison d'un sens commun de l'éthique (l'éthique protestante en matière bancaire, par exemple), soit en raison du risque réputationnel, etc.
Mais l'autorégulation suppose que soit chacun se comporte bien, cette convergence faisant que le système fonctionne dans l'intérêt de tous, voire du plus faible, soit tous s'accorde pour que le système fonctionne bien. L'on comprend cela dans la sociologie du droit bancaire et financier, dans lequel l'effet de club joue beaucoup. On le comprend très bien e droit de la concurrence, qui y voit une entente (comportement anticoncurrentiel prohibé) et en droit répressif, qui y voit une "bande organisée"...
Est illustratif de cela, l'affaire de "image-chèque". Le traitement des chèques est coûteux pour les banques, qui "s'arrangent" entre elles, dans un système organisé par la Banque de France elle-même. Dans la mesure où des banques ont beaucoup plus de clients qui payent par chèques, tandis que d'autres ont beaucoup de clients qui payent par cartes, les banques mettent en place un système de commissions interbancaires par lequel les premières voient leur coût compensé par les secondes.
L'Autorité de la Concurrence par une décision du 20 septembre 2010, décision dite "image-chèque", sanctionne toutes les banques pour entente illicite, y compris la Banque de France, refusant d'admettre qu'il s'agissait d'un mécanisme de régulation. Mais sur recours, la Cour d'appel de Paris, par un arrêt du 23 février 2012 a réformé la décision en estimant que la restriction de concurrence n'était pas inhérente à l'accord entre les banques, accord qui avait un autre objet, tandis que l'Autorité de la concurrence ne démontrait pas plus qu'il y avait un effet sensible de diminution de la concurrence entre les banques du fait de cet accord. La Cour de cassation n'a cassé l'arrêt que sur un point de procédure.
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Cette meilleure admission des opérateurs dans les mécanismes de régulation est d'autant plus légitime que les marchés financiers fonctionnent sur des opérateurs qui exercent des activités régulatrices et qu'à ce titre une distinction trop sommaire entre des régulateurs qui ne pourraient être que publics et des opérateurs qui ne pourraient qu'être assujettis n'est pas viables. C'est pourquoi l'on considère assez aisément que les entreprises qui tiennent les infrastructures essentielles sont dans les secteurs bancaires et financiers des régulateurs de second niveau.
Ainsi est-il des entreprises de marché. Une entreprise de marché financier se définit comme une société qui "tient" une place financière. Euronext par exemple est une entreprise de marché, place sur laquelle travaillent des Prestataires de Services d'Investissements (PSI), espace dans lequel sont proposés des titres et des instruments financiers. En cela, l'on a pu considérer que les places financières sont des facilités essentielles, même si l'on distingue les marchés réglementés, les marchés organisés et les marchés de gré à gré. La régulation a de plus en plus tendance à réguler l'ensemble, le gré à gré étant assimilé à du shadow banking.
L'entreprise de marché est certes au regard du Droit des sociétés une société ordinaire, cotée et qui plus est cotée sur sa propre place, ce qui suppose une solide confiance du système dans les entreprise du marché dans les places réglementées. Elle noue des liens juridiques avec les émetteurs de titres financiers et d'instruments financiers, notamment dans la perspective de la cotation, mais il s'agit de liens contractuels. Pourtant, une partie de la doctrine a considéré qu'il s'agit d'un lien de droit public car il s'agit d'un lien qui s'insère dans l'ordre public de direction auquel renvoie la tenue d'un marché financier. En effet, l'entreprise de marché est dotée non seulement du fait du contrat mais encore du fait des textes d'un pouvoir disciplinaire très fort sur les opérateurs qui sont présents sur la place qu'elle tient.
En cela, l'on peut considérer qu'elle est un régulateur.
Pourtant, l'entreprise de marché est non seulement régulée par l'Autorité des Marchés Financiers, mais il est même essentiel qu'elle le soit car elle ne peut dysfonctionner. L'on doit donc considérer qu'elle est un "opérateur crucial", constituant un "régulateur de second degré", sous la dépendance du régulateur de premier degré qu'est l'A.M.F.
De la même façon, les chambres de compensation ont un rôle de régulation sur les marchés financiers et la loi du 26 juillet 2013 en les constituant "établissement de crédit" a permis qu'elles sont supervisés par l'A.C.P.R.
D'une façon plus générale encore, les contrôles et les régulations se superposent et se croisent sur les mêmes opérateurs. Nous ne sommes pas dans un jardin à la Française.
Si l'on prend l'exemple du Commissaire aux comptes, l'on a déjà souligné qu'il est à la fois contrôlé par la C.N.C.C. et par le H3C (v. supra ).
Mais cela n'est pas tout. En effet, lorsque même que le Commissaire aux comptes revendiquait l'exclusivité de la compétence de la CNCC, la COB n'hésitait pas, sans disposer pourtant d'un texte précis concernant ce type de professionnel, à sanctionner un commissaire aux comptes pour une attestation établie à propos d'un document financier, estimant qu'en faisant cela, alors que les affirmations étaient fausses, il avait, en certifiant une exactitude, diffusé une fausse information au marché. A ce titre, le Commissaire, déjà "apte" à être sanctionné disciplinairement par la CNCC, l'est également au titre d'un manquement administratif, celui de diffusion de fausse information au marché, pour lequel il doit répondre devant le régulateur financier.
En outre et d'une façon plus générale, beaucoup d'opérateurs doivent justifier de leur comportement au regard d'une norme déontologique. Nous l'avons vu à propos du H3C (v. supra ).
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Aujourd'hui le système financier international semble aller plus loin.
En effet, dépassant la distinction qui paraissait naguère d'évidence entre la Régulation et la Supervision, la Compliance est en train de faire pénétrer le Droit de la Régulation dans chacune des entreprise dès l'instant que celle-ci soit en position d'être efficace dans le système de régulation.
Il s'agit tout d'abord de rendre le système de régulation plus efficace dans son application aux opérateurs, dans une perspective d'enforcement et dans la logique d'efficacité au cœur du Droit de la Régulation. En effet, plutôt que d'adjoindre à l'ensemble des prescriptions de faire et de ne pas faire un système de sanction et de règlement des différents, c'est-à-dire un système Ex Post manié par un Régulateur en asymétrie d'information et venant plus tard (donc "trop tard"), l'idée est d'internaliser l'assurance d'effectivité dans les opérateurs eux-mêmes.
Plus les opérateurs seront soupçonnés de ne pas respecter les règles et plus il va leur être demandé de démontrer par avance d'une façon "pro-active" qu'ils les respectent. Ainsi, l'Ex Post est transformé en Ex Ante ; l'opérateur est transformé en "Superviseur de lui-même". C'est parce qu'il a un profil criminel qu'il est transformé en gendarme. S'explique ainsi les nouveaux mécanismes de "lanceurs d'alertes" qui sont des sortes de scorpions juridiques par lesquels les opérateurs doivent se piquer eux-mêmes, ce qui posent des difficultés en matière de droits de la défense.
La Compliance est plus encore. Les Autorités de Régulation ont des missions immenses : non seulement assurer la sécurité des systèmes mais encore lutter contre la criminalité sous-jacente à travers la lutte contre le blanchiment d'argent ou assurer la prospérité économique à travers le financement de l'économie.
Or, les Régulateurs sont trop faibles pour atteindre de tels objectifs et n'ont pas les informations pour ce faire : ce sont les opérateurs globaux qui les ont. C'est pourquoi par la Compliance les opérateurs sont obligées désormais d'utiliser leur puissance pour non seulement se plier aux règles mais concrétiser les buts pour lesquels ces règles ont été adoptées, même si le système d'origine d'adoption de ces règles n'est pas le seul. Le système public de répression n'intervient plus alors que pour sanctionner l'échec de cette prise en charge, par ces settlements retentissants.
Les opérateurs, quand bien même ils ne sont pas gestionnaires d'infrastructures essentielles, passent alors du statut de Superviseurs de second niveau, acquièrent le statut de Régulateurs de second niveau. Ils sont à la fois davantage assujettis, puisque soumis à un Régulateur de premier niveau, mais également dotés d'un pouvoir normatif nouveau, notamment pour prévenir des différents. En effet, les "Codes de bonne conduite" sont adoptés qui internalisent le plus souvent un médiateur et peuvent finir par ressembler à une Constitution si l'on permet à un opérateur de faire comme les Régulateurs, à savoir poursuivre un autre but que ce pour quoi une entreprise est faite : réaliser du profit.
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V. à ce propos Répression et Régulation bancaire et financière.
V. à ce propos La juridictionnalisation de la Régulation bancaire et financière.
V. à ce propos : Concurrence et Régulation bancaire et financière.
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