Sept. 21, 2016

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L'ouverture du patrimoine immatériel public dans la perspective du bien commun

by Marie-Anne Frison-Roche

Ce working paper sert de base à une conférence qui a lieu à Bordeaux le 23 septembre 2016.

Dans sa recommandation n°11, le rapport Lévy-Jouyet recommande la mise en ligne des données publiques pour améliorer le service public (open data), son financement se faisant au besoin par la publicité. C’est à un autre titre que par sa recommandation n°12, le rapport préconise d’aider la diffuser de la création française à l’étranger.

Dans une économie de l’immatériel devenue une « économie de l’accès », ces deux recommandations pourraient se rapprochent, se fondre peut-être. En effet, si l’on relit par exemple les « lieux de mémoires » de Pierre Nora, on observe que les personnes publiques portent le patrimoine immatériel de la France. Il est d’une grande valeur. Il a été créé notamment par l’Histoire. L’État en organise l’accès, par l’open data. En cela, il organise l’accès à une création collective. En cela, il remplit sa fonction de satisfaire le bien commun d’ouverture.

Mais l'on bute rapidement sur une difficulté, voire une aporie : comme l'exprime le rapport Lévy-Jouyet pour les données publiques l’accès à celles-ci doit être financé. De la même façon, l’accès aux "lieux de mémoires doit être financé". Et l'on voit à travers cette question financière la contradiction de l'open data : L’enrichissement par les opérateurs de l’accès sans aucune contrepartie est incompréhensible. Seule une licence de droit commun peut rétablir le caractère commutatif entre le dépositaire de la création immatérielle collectif qui est la personne publique qui perdure dans le temps (l’État) et celui qui tire profit de l’accès.  Puisque chacun sait que la gratuité n’est pas un système sain, tandis que chacun dit que les licences open data ne sont pas effectives.

C'est pourquoi il convient d'examiner les règles juridiques qui gouvernent aujourd'hui ce que l'on appelle "l'open data" comme l'expression d'un droit d'accès à ce qui est à tout le monde mais qui est pourtant intouchable (I), le régime juridique montrant les contradictions de l'open data, ce à quoi le droit plus classique auquel le rapport renvoie par ailleurs pourrait répondre (II)

Il convient en introduction de poser le cadre dans lequel la question des "licences Open Data" doit être appréhendée. Elle doit être en ce que les "licences Open Data" sont d'une part à rattacher non pas au droit de la propriété intellectuelle mais au Droit de la Régulation, et d'autre part ne sont pas une modalité de l'Open Data mais en sont le "miroir juridique". 

Préalable : par nature, les "licences Open Data" relèvent du Droit de la Régulation et sont le miroir juridique de l'Open Data

En premier lieu, le droit des licences s'insère dans le droit de la régulation.

En second lieu, les "licences open data" sont le double juridique du mécanisme juridique de l' "open data" lui-même.

A partir de là, l'on peut réfléchir pour mesurer si les bases du système ont été établies d'une façon adéquate ou non.  

Conséquences de la nature des "licences Open Data"

Le Droit de la régulation est une branche du droit qui est entièrement gouverné par les finalités, par les buts poursuivis. Les données publiques sont pris isolément des informations qui concernent des personnes, le plus souvent celles sur lesquelles portent ces données, celles-ci ayant la double face d'être à la fois une donnée publique et une donnée à caractère personnelle. Mais mise en articulation les unes aux autres, construite, la donnée publique étant appréhendée comme une "matière première", elle devient le matériau pour construire des objets que la collectivité publique construit elle-même (par exemple Légifrance) ou permet à d'autres de construire. L'enjeu devient la réutilisation par les tiers des données publiques.

Si l'on est en Droit de la régulation, la seule question pertinente est la finalité poursuivie et non pas le moyen, qui ne vaut pas en lui-même mais n'a de pertinence que par rapport à la fin. La "licence Open Data", de telle ou telle sorte, n'a d'adéquation que par rapport à une finalité.

Cette finalité a été exprimée par le Droit de l'Union européenne, lequel a pour ADN le marché et pour référence l'agent économique recherchant la maximisation de son intérêt. Dans une première directive de 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public, l'administration avait un pouvoir discrétionnaire pour choisir les tiers pouvant utiliser les informations dont elle est dépositaire. Ce pouvoir discrétionnaire permettait à la personne publique, par exemple l’État, de choisir des personnes ayant la même finalité que lui, par exemple l'intérêt collectif ou le bien commun.

Mais cette directive a été révisée par une directive du 26 juin 2013 qui a posé comme principe que dans une "économie de la connaissance", il fallait que cesse ce pouvoir d'appréciation et y soit substitué un droit d'accès, puisque celui-ci est gage de transparence démocratique d'une part et d'innovation économique d'autre part.

C'est ainsi que la finalité poursuivie par l'acteur public, à savoir l'intérêt public, a cessé de pouvoir s'imposer via la cession des données à travers une licence, au bénéfice d'un droit à la réutilisation dont tous sont titulaires, l'administré, le citoyen, l'entreprise française, européenne et étrangère, non seulement vous et moi, mais Google, sans que l'on puisse discuter, sans que l'on puisse confronter les finalités poursuivies par les uns et les autres, les finalités poursuivies par la collectivité publique dépositaire de la matière première si précieuse et gratuite et l'utilisateur final qui devient le premier opérateur financier mondial dans le numérique en y puisant sans contrainte.

L'on est si étonné d'un tel résultat que la lecture du rapport Lévy-Jouyet sur l'économie de la connaissance permet de mieux comprendre comment on en est arrivé là, la directive communautaire ayant été transposée en droit français sans difficulté par une ordonnance de mars 2016. Nous restons sur l'idée que l’État est dépositaire de trésors, dont les données publiques sont une nouvelle forme, mais qui sont à tout le monde. Ce trésor créé, par exemple la jurisprudence et les lois que Légifrance recueille ou la cartographie, ne saurait être approprié puis "tomber" dans le domaine public parce qu'il serait par nature dans le domaine public, étant "à tout le monde" et dont au "monde entier". Ainsi, les entreprises étrangères peuvent se servir comme elles le veulent, immédiatement en demandant que les données soient de bonne qualité pour la construction de leurs banques de données commercialement disponibles. Cela est relayé par l'idée que le partage de tout par tous profite à tous. Le rapport remis en juillet 2013 au Premier Ministre par Mohammed Trojette le postule et affirme en conséquence que les exceptions au principe de gratuité dans l'ouverture aux données publiques doivent être combattues pour que l'on revienne plus largement au principe de gratuité d'accès!footnote-619.

Par ce qui serait le même "effet de nature", parce que ces données publiques sont à tout le monde et non pas à celui qui les réutilise, bien que disponibles elles demeurent intouchables. C'est en cela que les "licences Open Data" sont le double juridique de l"Open Data". Celui qui utilise une donnée publique ne peut pas la changer, car cela reviendrait à se l'approprier, à l'extraire de là où elle demeure, par exemple dans le corpus jurisprudentiel de la Nation, ce qui est inconcevable. Il faut même que le lien de "paternité" demeure. Ce rappel de la "paternité" que l'on retrouve dans toutes les licences d'Open Data" ne rappelle-t-il pas la "patrie" ? Pillez si vous le voulez le patrimoine français, mais rappelez toujours la mère-patrie, et mettez le drapeau français sur le document reproduit .... L'interdiction de dénaturation, commune à toutes les licences Open Data montre que l'affaire n'est pas qu'économique.

C'est sans doute pour cela que les licences Open Data ne marchent pas. En pratique, les contraintes ici mentionnées ne sont pas respectées : la paternité n'est pas mentionnée et les données publiques sont dénaturées car le réutilisateur ploie les données publiques vers sa propre finalité, le plus souvent le profit, alors que la collectivité publique avait collecté ses données pour un autre intérêt, le bien commun. Le régime juridique actuel des licences Open Data fait comme si cela n'existait pas de deux façons. En premier lieu, il impose des obligations au réutilisateur qui ménagent la spécificité des données en tant qu'elles sont publiques, obligations qui ne sont pas respectées, ce dont personne n'a l'air de se soucier. En second lieu, il fait comme si la divergence de finalités poursuivies entre celui qui a créé la richesse, l'acteur public (qui recherche le bien commun) et celui qui réutilise la richesse, l'acteur privé (qui recherche son intérêt privé), n'existe pas).

Cela se conçoit dans le simple droit du marché concurrentiel dont l'Union européenne demeure la simple gardienne. En effet, celui-ci ne conçoit l'intérêt général que comme la somme des intérêt particulier. Il n'est pas étonnant de lire une directive de 2013 qui réduise l'intérêt général au fait de permettre à l'intérêt particulier de l'entrepreneur de se développer à partir de la "matière première" des données publiques, ce qui produirait de la richesse, de l'innovation et des emplois, l'ensemble additionné produisant le gâteau de l'intérêt général selon la définition néo-libérale de celui-ci.

Mais dans le Droit de la Régulation, qui est distinct du Droit de la concurrence et met en balance du principe de la concurrence d'autres principes, les personnes publiques ne sont pas réduites à cette finalité de permettre le développement du dynamisme particulier des acteurs économiques, la finalité propre des personnes publiques, par exemple l’État ou les municipalités, existe. A cette lumière-là, les contradictions des licences Open Data, sous une forme ou sous une autre, apparaissent. Et dans la mesure où elles sont le double juridique de l'Open Data, c'est le principe même de l'Open Data qui apparait singulier, le fait de mettre à disposition gratuitement à toute entreprise, laquelle va en tirer grand profit, des matériaux même si cela ne sert plus les finalités poursuivies par l'opérateur public qui les a fait naître, ni apporter profit à ceux dont elle a les intérêts en charge.

C'est à cette lumière là que je propose d'examiner en premier lieu la "licence Open Data, comme expression d'un droit d'accès à ce qui est à tout le monde et doit demeurer pourtant intouchable (I), puis de montrer les fragilités intrinsèques que révèle le régime des licences Open Data (II), avant de proposer ce que pourraient être les données publiques, analysées comme un trésor dont les personnes publiques sont dépositaires et dont les tiers ne peuvent disposer que dans une finalité qui correspondent à celles du dépositaire (III).

 

 

I. LA LICENCE OPEN DATE, EXPRESSION DU DROIT D’ACCÈS A CE QUI EST A TOUT LE MONDE ET QUI EST POURTANT INTOUCHABLE

A. Le principe initial de l'accès aux données publiques : l'amélioration du service rendu à l'usager : recommandation n°11 du Rapport Lévy-Jouyet

1. Le point de départ technique : l'accès par l'administré à des informations qui le concernent

Le rapport Lévy-Jouyet de 2006 voyait la situation assez simplement, visée par sa proposition n°11, les données publiques étant ce que détient l'administration et ce qui concerne avant tout l'usager. L'exemple le plus net en est son état civil. C'est se situer dans la continuité de la loi de 1978 sur l'accès aux documents administratifs, en estimant que celui-ci serait facilité et plus effectif par la technologie, à l'initiative de l'administration elle-même. Cette conception demeure : Il est ainsi remarquable que l'ordonnance du 23 mars 2016 ait continué implicitement cette analyse en plaçant la question de la réutilisation des données dans le Code des relations entre l'administration et l'usager. Il y a pourtant un heurt, puisque le texte communautaire ainsi transposé, à savoir la

Il est étonnant de placer la question avant tout économique ou scientifique de la réutilisation des données publiques dans un Code qui porte sur cette perspective ancienne.

Mais il s'est agi de rendre plus efficace grâce au numérique - objet premier du rapport - l'accès de l'usager aux informations le concernant à titre personnel, puis dans un second cercle du pouvoir d'accéder à l'information d'accéder à des informations pertinentes. La loi en fin d'adoption pour une République numérique conforte cette dimension, car il ne sert à rien d'organiser un "open data" si les informations pertinentes ne sont pas demandées par les parties prenantes.

Les choses vont changer lorsque l'on va passer à un principe de nature politique : la transparence du fonctionnement de l'Etat et l'idée que les informations tenues par l'Etat vont devenir des matériaux pour les tiers : l'Etat va ouvrir son patrimoine immatériel - bien non-rival - pour permettre l'enrichissement des autres, voire l'innovation (là aussi objet général du rapport).

 

2. L'adoption d'un principe politique nouveau d'ouverture des données publiques

Sans doute parce qu'on avait pris comme principe que les données publiques sont partie intégrante du "service public" et que chacun doit y avoir accès, et plutôt tout le monde et non un seul ou quelqu'un, et plutôt gratuitement ou à moindre coût et non très cher, on a adopté le principe même de l' "open data". Il s'agissait à l'origine d'un principe politique.

La question du coût de l'open data, question économique d'intendance, a été dans le rapport Lévy-Jouyet lui-même (recommandation n°11) considérée comme une question devant être traitée par des moyens exogènes, soit exogène à la personne ayant accès (par des subvention, le coût pesant sur le contribuable plutôt que le consommateur, transfert classique en matière de service public), soit exogène au service lui-même (financement trouvé par la publicité, solution proposée par le Rapport Lévy-Jouyet).

L'on s'est donc concentré sur les modalités de l'accès ouvert à tous et gratuit, pas sur ce principe même. Le conception d'open data est donc extraordinairement abstrait, concernant tout type de données et bénéficiant à toute personne qui y accède, richesse gratuite, matière première disponible à tous, à charge pour le dépositaire de la matière première (l’État) de la mettre effectivement à disposition. En cela, l'open data est une notion politique.

Dès lors, le principe de gratuité doit être le plus large possible. Ainsi, Mohammed Trojette, dans son rapport sur l'Ouverture des données publiques estime que les exceptions au principe de gratuité sont non seulement inefficaces, coûteuses mais contraire à l'esprit dans lequel l’État doit désormais être, dans ce qui serait la forme moderne de sa bénévolence : "Depuis plus de quinze ans, l’État a pris conscience de l'importance des données produites et collectées par ses services et de la nécessité de les mettre gratuitement à disposition d'utilisateurs et de réutilisateurs, pour renforcer la démocratie et développer l'économie, ainsi que pour moderniser l'action publique."!footnote-620.

L'open data ressemble en cela à l'open Internet, qui repose sur les mêmes présupposées politiques, et n'est pas non plus technique. Cette dimension politique est explicite dans la Charte pour l'ouverture des données publiques adoptée par le G8 en 2013. Il s'agit de promouvoir la transparence démocratique et de favoriser l'innovation en permettant à tous de puiser gratuitement dans cette "matière première"!footnote-617 que constitue les données publiques.

A partir de cette décision politique, que l'on aurait pu ne pas prendre mais qui fût prise et dont les entreprises bénéficiaires, notamment étrangères, masquant le caractère politique, la présentant le plus souvent comme une décision technique ou allant de soi, les discussions ont porté, et plus exclusivement porté sur les modalités de l'accès aux données publiques.

 

B. LA CONCENTRATION DU DROIT SUR LES SEULES MODALITÉS DE L’ACCÈS GRATUIT A L'ENSEMBLE DES DONNÉES PUBLIQUES : LES LICENCES OPEN DATA

1. Les initiatives privées et gouvernementales

Le gouvernement français  a entrepris une politique en faveur de l'ouverture des données publiques, afin de permettre leur utilisation. Quittant la seule relation bilatérale entre l'administration et l'usager, le gouvernement français reprend l'idée britannique selon laquelle le principe est que la circulation d'un bien, surtout d'un bien non-rival comme l'est une information, est dans sa nature. Dès lors, dans une perspective de régulation, la licence qui permet la circulation d'un bien tout en assurant à celui qui l'a fait naître de faire respecter ses droits est le lien juridique adéquat!footnote-611

C'est pourquoi en premier lieu et depuis novembre 2011, une "licence libre" (L.O.) élaborée par le gouvernement permet l'utilisation juridiquement sécurisée des données publiques. La personne qui accède à la donnée peut librement et gratuitement l'utiliser, notamment en la reproduisant, en la distribuant, en l'adaptant ou en l'exploitant, y compris commercialement.

Mais il s'agit bien d'une licence, ce qui permet d'imposer des obligations, comme l'obligation de ne pas dénaturer l'information publique et de citer sa source première ("paternité").

Les utilisateurs de données publiques peuvent préférer le système juridique élaboré par l'Open Knowledge Foundation , qui propose plusieurs typess de licences libres. Il existe ainsi un modèle de licence open date pour les bases de données, comme l'ODBL, qui vise plus particulièrement les bases de données!footnote-612. Les conditions d'utilisation sont plus contraignantes. La reproduction doit être à l'identique et la mention de la paternité implique la mention légale de la source de l'information.

Cette fondation a élaboré des licences Open Data qui sont reprises en ce qu'elles sont adaptées aux différents objets et sont moins abstraites. Il en est ainsi des licences libres pour les bases de données, mais encore de celles spécialement conçues pour l'activité de transport. Ainsi le STIF utilise une licence spéciale dérivée de la licence Creative Commons pour l'utilisation de la cartographie publique!footnote-613 

Cela montre une nouvelle fois qu'une vision trop générale et abstraite n'est sans doute pas adéquate. C'est pourquoi un rapport a été remis au secrétaire d’État chargé des Transport en mars 2015 n'ayant pour seul sujet que l'Ouverture des données de transport. Ce rapport du Comité présidé par Francis Jutand affirme de plano que le cadre juridique est "inadapté à la réutilisé à la réutilisation des données publiques de transport"!footnote-614. L'on peut penser que chaque étude sectorielle aboutirait à la même conclusion .... Sans doute parce que si l'on ne prend pas en considération ce pour quoi est faite la réutilisation des données, le système ne peut pas être satisfaisant. 

 

2. La reprise par les normes juridiques européennes et françaises

Tout d'abord une directive communautaire du 26 juin 2013 concernant la réutilisation des informations du secteur public a profondément transformé le système.  Le Droit de l'Union Européenne participe du Droit économique et dès le premier considérant le ton est donné : "Les documents produits par les organismes du secteur public des États membres constituent une réserve de ressources vaste, diversifiées et précieuse, dont peut bénéficier l'économie de la connaissance".

Alors que la directive européenne originaire sur le sujet en date de 2003 permettait à l'administration d'une façon discrétionnaire d'apprécier l'opportunité de la mise à disposition des données publiques à des fins de réutilisation, la directive révisée ne le permet pas et fait à l'administration une obligation générale de mettre à disposition ses données, en principe à titre gratuit : il existe donc désormais un véritable "droit à la réutilisation des données publiques". La "licence Open Data" n'est que la modalité par laquelle s'exprime ce droit d'accès.  Les données publiques constituent donc une facilité essentielle dont l'accès est ouvert à tous et en principe gratuit.

Par la suit, la Commission Européenne dans sa Communication du 24 juillet 2014 d'Orientation sur les licences type recommandées, les ensembles de données et la tarification de la réutilisation des documents pose que la "réutilisation" des données publiques est un bénéfice pour tout le monde, non seulement pour celui qui puise dans cette matière première et constitue un nouvel objet,, par exemple une base de données, mais encore pour l'innovation et pour le bien-être collectif.

Il convient donc d'encourager non plus seulement l'accès aux données publiques mais encore la réutilisation des données publiques, qui devient le but, l'accès aux données n'étant plus que le moyen, la réutilisation des données étant devenue la fin du système.

L'esprit de la loi de 1978 sur l'accès aux documents administratifs est ainsi abandonnée, l'idée n'est plus de protéger les libertés privées et publiques!footnote-618 mais de favoriser l'innovation. 

La transposition en droit français a eu lieu par voie d'ordonnance, une Ordonnance du 17 mars 2016 venant modifier les article L.321-1 et suivant du Code précité des relations entre le public et l'administration. Mais il ne s'agit pourtant plus du tout des relations entre le public et l'administration, telles que la loi de 1978 sur l'accès aux documents administratifs l'avait conçues, il s'agit de fournir d'une façon neutre et abstraite à tous la matière première permettre à tous de créer et de s'enrichir, comptant que de cet accroissement du gâteau mondial, quelques miettes retomberont sur les intérêts dont l'administration créatrice des données avait la charge.

Est-ce bien ce qui se passe ?

 

 

II. CE QUE RÉVÈLE LE SYSTÈME JURIDIQUE ACTUEL DES LICENCES OPEN DATA

 

A. LA FRAGILITÉ INTRINSÈQUE DU PRINCIPE D’ACCÈS GRATUIT ET DE L'AUBAINE AVEC CONTRAINTES

1.Succès et échec de l'Open Data

Les données publiques ne sont aujourd'hui convoitées que comme des matériaux pour construire autre chose qu'elles. L'Open Data s'est d'ailleurs étendu des données publiques à ce que le droit communautaire désigne comme les "entités d'intérêt public", c'est-à-dire les grandes entreprises ayant des informations que des parties prenantes ont intérêt à connaître, les banques par exemple, même si celles-ci n'ont pas à intérêt à les communiquer. Les données publiques ont été englouties dans le "big data", enjeu économique majeur dans lequel le caractère public ou privé de la donnée perd toute pertinence puisque la donnée a de la pertinence, est "colorée" par l'usage qui en est fait et non plus par sa source!footnote-621.

Dans la mesure où la "licence Open Data" est une sorte de Janus, qui permet à la fois la libre disponibilité à tous, et en principe gratuit, de cette matière première si convoitée, sur cette façon-là, le succès est immense. Mais sur son autre face, c'est-à-dire non plus sur l'adjectif qualificatif "Open", mais sur le substantif "Licence", qui suppose que celui qui permet la circulation peut poser les conditions d'usage, c'est l'échec.

En effet, le succès de l'Open Data est aussi grand que son échec l'est, et comment pourrait-il en être autrement ? En tant que le succès est grand dans l'ouverture des données, de toutes les données, au bénéfice de tous, et sans contrepartie, autant l'échec est grand pour tout ce qui limitait la liberté de celui qui accède à l'actif immatériel et en dispose, tout ce qui faisait l'équilibre du système : ainsi de la "licence libre", dans la réalité, les opérateurs ont gardé le mécanisme de la cession de l'actif et donné congé à tout ce qui entravé la liberté du cessionnaire, laissant là ce que la licence engendre de contrôle au bénéfice du cédant. Ainsi, la source n'est pas mentionnée, les données sont dénaturées, etc. Les données ne sont pas à tout le monde, elles sont à celui qui en profite, la matière première d'origine est transformée pour construire des empires, économiques mais aussi politiques lorsque les données publiques sont aussi à caractère personnel.

 

2. L'articulation des contraires par les "licences "open data"

L'ouverture des données publiques dans son principe, d'une façon gratuite, et à tous, est présentée comme un progrès en soi. Cela serait acquis. Ce n'est pas ce que disait le Rapport Lévy-Jouyet qui ne visait que le rapport entre l'administration et l'usager. Le saut qui a été fait entre la qualité de ce rapport particulier et la mise à disposition des données publiques à tous, comme par exemple les entreprises étrangères qui n'appartiennent pas à cette catégorie des "usagers" est un saut qui n'est pas évident.

Or, cette mise à disposition est présenté comme une évident. Par exemple, le rapport Trojette ne vise plus les "usagers" mais les "utilisateurs" et y associe immédiatement les "réutilisateurs", présentant l'ouverture gratuite de ces données à leur bénéfice comme une "nécessité"!footnote-622. De la même façon, dans un "livre blanc" de 2015!footnote-615, Benjamin Jean  affirme que l'open data est "évident" puisqu'il permet l'information des citoyens et constitue donc le cœur de la démocratie, autour de "données libérées", la "licence Open Data" étant le "pendant juridique du concept d'Open Data".

Mais la "licence Open Data" n'est-elle pas plutôt l'articulation des contraires ?

En effet, voilà des collectivités publiques qui consacrent leur force à créer et à mettre en forme des données - par exemple du droit ou autres actifs immatériels - dans le but du bien public, par exemple l'accès au droit. Le droit à réutiliser cette matière première est attribué à quiconque, en échange de rien, puisque c'est la loi qui confère ce droit et non plus le contrat - la licence Open Data n'étant qu'une modalité d'exercice de cette prérogative légale et non pas la source de celle-ci!footnote-623, cette personne utilisant cette matière première pour innover, au besoin en dénaturant la donnée (ce qu'il n'a pas le droit de faire en droit, mais ce qu'il fait en fait) pour servir un intérêt tout autre.

Cette première contradiction pourrait se comprendre dans un rapport plus ordinaire, de nature contractuelle. En effet, si le but d'intérêt commun devait être oublié, le hiatus avec le but d'intérêt particulier poursuivi par l'entreprise réutilisatrice ne pose alors plus problème. Cela rejoint l'esprit du Droit de l'Union Européenne, droit du marché qui pose que les personnes publiques peuvent agir si elles se comportent comme des "agents économiques rationnels", si elles se comportent "comme les autres".

Mais qui offre à tous et à quiconque sa matière première (dont tous les textes sur les données publiques rappellent qu'elle est "précieuse") d'une façon "gratuite" ?  Personne sauf si elle est animée par le souci du bien commun et qu'elle peut veiller que ce que ce souci perdure effectivement. Mais précisément les modalités des licences Open Data l'en empêchent.

Voilà la fragilité intrinsèque des licences Open Data qui apparait.

Soit les personnes publiques se comportent comme des agents "ordinaires", selon les raisonnements des Autorités de concurrence, et l'on ne conçoit pas l'accès gratuit à une matière première précise par des personnes qui ne sont pas des "usagers" (ce que visait le Rapport Lévy-Jouyet dans sa recommandation n°11), pas même des "consommateurs", mais bien des "entrepreneurs utilisateurs qui vont s'enrichir sans contrepartie.

Soit les personnes publiques agissent comme elles le doivent, s'adressent à des usagers ou à des citoyens, travaillent à la transparence de la vie démocratique et l'obligation de gratuité est une obligation administrative dans le premier cas, une obligation politique dans le second cas.

Les entreprises étrangères ne sont ni des usagers ni des citoyens. Cela ne signifie pas qu'elles doivent être exclues de l'accès à cette matière première précieuse que sont les données publiques. En effet, et les différents textes insistent sur ce point, celle-ci permettent l'innovation et la construction d'objets économiques nouveaux dont les données publiques sont un des matériaux, mais ce n'est pas en ce qu'elles sont "publiques" que ces données sont précieuses. Le caractère "public" de ces donnes n'est plus pertinent, leur utilisateur les mêlant à des données "privées" pour obtenir le résultat voulu, par exemple une banque de données juridiques, articulant des lois (données "publiques") et des contrats (données "privées).

Mais il est contradictoire que cette matière première dont il est indifférent qu'elle soit "publique" ou "privée" pour celui qui la manie pour construire de l'innovation, un objet économique nouveau dont il tirera grand profit, lui soit gratuite, alors que toutes les autres matières première qu'il utilise - lui qui n'est pas un usager du service public, sont payantes et qu'il n'y a accès que par l'instrument du contrat et éventuellement d'une licence de droit commun, et non pas par un droit d'accès conféré par la loi (que le contrat de licence ne fait qu'activer).

D'ailleurs, dès que l'on passe à la production de "création privée", le Rapport Lévy-Jouyet change de ton : la recommandation n°12 va au contraire recommander à l’État français de promouvoir la circulation internationale des créations françaises dotées de toutes les protections de la propriété intellectuelle. On le conçoit tout à fait en 2006. L'évolution technologique, parce que les objets numériques nouveaux mêlent de plus en plus le savoir public et le savoir privé, invite à ne plus distinguer les deux recommandations. L'on a vu que l'évolution de l'ouverture des données publiques depuis 2006 a été radicale : le droit a quitté le principe d'une ouverture sensée des données publiques sur une ratio legis administrative et politique (service public) pour aller via l'Union Européenne attribué un droit d'accès aux tiers vers une ouverture insensée à ceux qui ne poursuivent pas la même fin sans aucune contrepartie sur une ratio legis économique.

La recommandation n°11 du Rapport Lévy-Jouyet a donc été méconnue par le droit positif postérieur à 2006.

Mais pourtant ne pas admettre que la ratio legis économique se justifie et qu'une personne publique est un homo œconomicus comme un autre ? Pas lorsqu'il s'adresse à l'usager et au citoyen. Mais lorsqu'il s'adresse à l'entreprise qui n'est pas dans le groupe social dont elle a la charge politique, dans un rapport égalitaire, la finalité devenue alors commune, dans un rapport juridique devant être synallagmatique. 

Le Roi est mort, Vive le Roi. Si la recommandation n°11 n'a plus lieu d'être, c'est à la recommandation n°12 qu'il faut accorder la plus grande attention. En effet, Messieurs Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet conseillent d'aider à la diffusion, notamment internationales, des créations françaises. Or, les "données publiques" dont les personnes publiques sont les titulaires ou les dépositaires doivent être considérées comme des créations françaises et il convient d'aider à leur diffusion. Cette perspective sera développée dans la troisième partie de cette étude.

 

B. L'EXCESSIVE ABSTRACTION DU SYSTÈME DES LICENCES OPEN DATA

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1. Un système légal de licences Open Data indifférent aux usages auxquels le réutilisateur de la donnée publique la destine

Les licences Open Data actuellement disponibles ne visent que l'écume des usages que le réutilisateur fait des données publiques. Il lui est demandé d'une façon plus ou moins impérieuse suivant qu'il

 

2. L'indifférence aux profits réparties entre les acteurs de la chaîne de valeur, de la matière première à l'objet fini

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3. L'interférence implicite et inadéquate de la distinction entre le droit privé et le droit public

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III. LES DONNEES PUBLIQUES, MATÉRIAUX DE LA CRÉATION COLLECTIVE DONT LA COLLECTIVITÉ PUBLIQUE EST DÉPOSITAIRE 

Il est remarquable que le droit n'ait jamais pu avec netteté qualifier les "données publiques". a question lancinante de la nature des "données publiques" et la détermination de celui qui est légitime à en faire usage

 

A. LA NÉCESSITÉ ACTUELLE  DE RÉUNIFIER LA PROPOSITION N°11 ET LA PROPOSITION N°12 DU RAPPORT LÉVY - JOUYET POUR INTÉGRER LES DONNÉES PUBLIQUES DANS LES CRÉATIONS

A. La notion trop marchande de la conception actuelle de la propriété intellectuelle
 
1. Le reproche formulé par le Rapport Lévy-Jouyet quant à l'absence de conscience de l’État français des trésors immatériels collectifs
 
Le rapport décrivait en 2006 longuement la situation!footnote-610, reprochant déjà à l’État de ne pas avoir conscience du trésor dont il est le dépositaire : "Les actifs immatériels inscrits dans le bilan de l’État ne représentent en 2005 que 400 M €, sur un total d’actifs corporels et incorporels de 176 Md€. Faibles en montant, les actifs recensés sont par ailleurs limités dans leur nature : ils se réduisent pour l’essentiel aux logiciels. Et le même constat vaut pour les établissements publics. La faiblesse des actifs immatériels publics semble heurter le bon sens. Après tout, l’État et les autres acteurs publics devraient, compte tenu de leurs missions, avoir un portefeuille d’actifs immatériels particulièrement étoffé. Les organismes de recherche et les universités, par exemple, déposent des brevets et en retirent dans certains cas des ressources financières. Les marques culturelles françaises sont exceptionnellement reconnues, ce qui devrait permettre aux musées de comptabiliser dans leur bilan une valeur de marque très élevée. Riche d’un vaste domaine public, l’État devrait pouvoir enregistrer à son actif tous les droits d’occupation à titre privatif qu’il accorde, parfois pour de longue durée. Or, tous ces éléments ne figurent pas aujourd’hui dans le bilan des administrations publiques. Dans le secteur privé, les actifs incorporels représentent 16 % des actifs corporels. Dans les administrations publiques, moins de 0,3 %. Ce décalage ne résulte pas seulement des règles comptables d’enregistrement des actifs. Celles-ci s’imposent en effet autant au secteur public qu’au secteur privé, et sont même plus souples dans le cas des acteurs publics. L’explication est en réalité plus profonde : les acteurs publics n’ont pas effectué la même prise conscience que les entreprises de l’importance de leurs actifs immatériels et de l’enjeu de leur gestion...".
 
Les auteurs du Rapport poursuivent : "En retenant une définition des actifs immatériels publics plus large que celle autorisée par les règles comptables, on peut diviser ces actifs en deux grandes catégories. La première concerne les actifs immatériels que les administrations publiques ont la capacité de gérer comme une entreprise, c’est-à-dire principalement en fonction de leur propre intérêt. Il s’agit essentiellement des logiciels, des marques, des savoir-faire et de l’image publique!footnote-609. La seconde s’applique aux actifs immatériels dont la gestion a un impact sur des acteurs privés, en particulier sur les entreprises. Comme nous le verrons, l’État a par exemple la faculté d’accorder des droits d’accès à des ressources publiques!footnote-608 rares ou à des secteurs d’activité réglementés. La manière dont ce portefeuille de droits immatériels est géré peut s’avérer déterminante pour l’évolution des acteurs concernés....
L’État n'a pas encore pris conscience de l'importance d'une gestion active de ses actifs immatériels pour l'économie française".
 
Le temps a passé, il faut tirer le trait plus loin, en appuyant davantage, en revenant sur deux auteurs, l'un qui a agi, Beaumarchais, l'autre qui a regardé la France, Pierre Nora.
 
2. Les données publiques, actifs immatériels qui doivent être pensées comme des "créations collectives" déposées entre les mains de l’État
 
Beaumarchais est l'individu qui a inventé la notion d' "auteur", affirmant que celui qui a eu l'idée d'une histoire et des personnages et qui a couché l'ensemble sur le papier est propriétaire de l'oeuvre et non pas celui qui a imprimé le livre, idée qui n'a toujours pas traversé l'Atlantique, mais à laquelle nous sommes attachés.
 
Et si nous continuons à la défendre, peut-être d'une façon moins romantiquement attachés à l'auteur solitaire et génial, mais plus collectivement, car les données publiques ne sont pas qu'administratives, elles sont aussi le reflet d'une civilisation et c'est en cela qu'elles ont une si grande valeur économique et que les opérateurs sur les segments aval de la chaîne de valeur, par exemple les moteurs de recherche qui construisent des musées virtuels et offrent des promenades dans Pompéi  avant que l'irruption du Vésuve ne le recouvre convoitent avec un appétit financier démesuré.
 
Si l'on reprend le rapport Lévy-Jouyet, il souligne l'existence d'un "portefeuille de marques culturelles" dont l’État est titulaire et exploite mal!footnote-616. Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit ici.
 
Il s'agit de considérer que la "création" n'est pas seulement du côté des opérateurs privés, dont l’État devrait simplement favoriser la diffusion à l'étranger (proposition n°12), tandis que l’État ne créerait rien lorsqu'il agit comme État, sauf à se transformer comme entrepreneur auquel cas il songe à faire breveter ses inventions, tandis que lorsqu'il produit de l'information, elle est publique, est à tout le monde et tout le monde peut se servir pour fabriquer ce que l'on veut sans rendre de compte ni restituer - activité parasitaire qui en droit économique serait immédiatement sanctionnée -.
 
Mais l''État est dépositaire de ce que la Nation produit et conserve. Prenons l'extraordinaire trilogie dirigée par Pierre Nora, Les lieux de mémoires, et prenons dans ceux-ci l'article que peut-être - entre nous - nous préférons : le Code civil, que Carbonnier décrit comme le lieu de mémoire de la France. Pourquoi les céder gratuitement et à tout le monde ? En quoi le Code civil, qualifié tant de fois de chef d’œuvre et sans modifié, est-il différent d'un autre ouvrage,  est-il disponible à tous sans contrepartie, tandis que la "Loi Disney" a été adoptée sans difficulté pour protéger les petites souris ? L'on sait que ni le critère de la beauté ni celui de l'utilité ne sont pertinents pour organiser une protection mais la notion de "création" est aujourd'hui repensée, comme l'est la notion d'auteur. . C'est une raison de plus pour que la remise en cause de la notion de l'auteur ne soit pas remplacée par une disponibilité gracieuse des matières premières précieuses.
 
 
B. LES DONNÉES PUBLIQUES, TRÉSOR POUR LESQUELLES UN CONTRAT DE LICENCE DE DROIT COMMUN SERAIT PARFOIS ADÉQUAT
 
Il ne s'agit pas d'affirmer que
 
 
 
 

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