J'entends cela chaque jour : "l'important, c'est de débattre".
Comme l'a rappelé les Cours suprêmes et la Cour européennes des droits de l'homme, c'est par le respect du principe du contradictoire, du droit au débat, des droits de la défense qu'une société marque sa constitution en Etat de Droit et révèle sa structure démocratique. Cela est acquis et il faut d'autant plus le répéter que ce qui fait une démocratie, cela n'est pas seulement l'élection, mais encore ce débat, ce qui amène à la distinction entre la "démocratie libérale" et la "démocratie illibérale", qui juridiquement est aussi construit sur le Droit constitutionnel du principe du contradictoire.
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Le cas que l'on observe en ce moment sur la participation de Marion Maréchal Le Pen aux premières Universités du MEDEF, puis les protestations et les décisions d'autres participants pressentis et ayant accepté de se rétracter plutôt que de participer à une manifestation dont les organisateurs avaient invité cette personne. Parmi elles, d'anciens responsabls de cette organisation, certes de droit privé, et non une institution publique, pas même un parti politique, mais le MEDEF est un partenaire social central et ses "universités d'été" est un rendez-vous politique attendu, de nature également politique.
Si l'on se regarde par analogie cet évènement à travers le Droit mais aussi la philosophie politique qui sous-tend les démocratie libérales, qu'en penser ?
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Le fait que devant le tollé et l'information selon laquelle des participants politiques se sont décommandés en raison de cette perspective de participation, aggrave la situation car cela conduit à une organisation réduite à un affrontement violent.
En premier lieu, il n'est pas exact que, contrairement à ce que l'on entend désormais si souvent, "l'important soit de débattre".
Cela n'est vrai ni en Droit ni en Politique.
Comme l'on toujours posé ceux qui ont çoncu le "débat", les vénérables anciens(Aristote) comme les vivants (Habermas), le plus important, c'est de poser "les termes du débat" et cela doit être fait AVANT le débat. Tous les travaux de Perelman sur le débat, faisant la jonction entre le Droit et le Politique, débutés après la seconde guerre mondiale, dont il entendait tirer les leçons, visait à distinguer la rhétorique, bienvenue, de la sophistique, à exclure. Son oeuvre peut se retrouve dans son ouvrage : Logique juridique. nouvelle rhétorique.
Par exemple il faut que ceux qui organise un débat, cela vaut pour un procès, cela vaut pour une manifestation politique, ou quasi-politique, pose préalablement ce qui est objet de débat (ainsi la question "la terre est-elle plate ?" ne peut pas être un objet de débat", seuls les sophistes la posent et tuent la démocratie) et avec qui doit-on débattre (Desproges l'a bien expliqué aussi, notamment lorsqu'il fut procureur dans le Tribunal des Flagrands Délires face à Jean-Marie Le Pen ("l'on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui").
En balayant la question préalable des "termes du débat" pour un nouveau et délètère principe "on débat de tout et avec tout le monde car l'essentiel est de débattre", la démocratie libérale et la science ont perdu deux niveaux (les deux sont d'ailleurs liés.
Si vous protestez, on vous dit que vous n'aimez pas débattre et que vous n'y connaissez rien au contradictoire et à ce qu'est un "débat". Voire que vous êtes anti-démocrate, puisque vous n'acceptez pas la contradiction ("comment ça, la terre pourrait être ronde ? au moins, discutons-en !") Mais peut-être que vos assaillants n'ont-ils pas lu les auteurs pertinents ? Peut-être ont-ils préféré le Sophiste à Socrate ? Car celui qui parle ainsi n'est pas un rhétoricien (l'artiste du débat), c'est un sophiste (le tueur de la démocratie).
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En second lieu, En quelque sorte, ce retrait de la participation parce que l'oratrice invitée est adepte d'un systéme démocratique illibéral (dans lequel le débat ne sert à rien, l'élection justifiant tout) ne régle rien. L'on pourrait même dire qu'il aggrave le message.
En effet, c'est donc sous la pression d'autres que ce recul a été fait par les organisateurs. Cela signifie que ce sont les débattants qui, en quittant la table avant de s'y asseoir ont décidé, prenant ainsi la responsabilité de ceux qui devraient "organiser" le débat, avant que celui-ci n'ait lieu.
Les travaux de Perelman et d'Habermas insistent sur le fait que ce sont les Autorités qui doivent poser les règles de recevabilité et eux seuls, pas ceux qui discutent qui ne peuvent pas en disposer. Tout le procès est construit sur ce postulat : c'est l'Etat de Droit qui fixe les règles du débat, subjectivement (qui y participe) et objectivement (de quoi on débat) et non pas ceux qui discutent.
Ici, ce sont les futurs débattants qui l'ont fait. L'on va ainsi aller vers des comportements de plus en plus violents. Notamment dans les réactions. Puisque tout le monde serait "recevable" à venir, alors il faudrait menacer de ne plus venir (ce qui est une "violence", si légitime soit-elle), pour que tout revienne dans un ordre qui aurait dû être initial...
Car l'on pourra tout aussi bien ne plus venir débattre face à quelqu'un que l'on veut asphyxier, faute de débattants. C'est comme cela que fonctionne une "démocratie illibérale".
Triste nouvelle pour ceux qui avaient pensé la place du dialogue en démocratie, Habermas avant tout.
Mais si l'on récuse l'idée qu'il y a des conditions de recevabilité, qu'il faut (impératif démocratif) débattre avec tout le monde, alors vous débattrez avec tout le monde, et les sophistes gagneront.
De la même façon que les avocats adeptes de la "défense de rupture" mènent à mal le "principe du contradictoire" en ne respectant pas les conditions préalables du débat. Car si l'on ne distingue pas la rhétorique (avec principe de recevabilité au débat, quant aux personnes et au débat lui-même) de la sophistique (cf. Platon, Le sophiste), alors les démocraties libérales sont en grand danger.
D'ailleurs, elles le sont, dès l'instant que l'on peut dire et "l'important, c'est de débattre", et "celui-là,je l'aime pas, je viens pas", la "démocratie des émotions et des émois" ayant elle-aussi à faire avec la démocratie illibérale qui nous menace.
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