Sept. 18, 2015

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Le juge est-il un contre-pouvoir du Politique ?, in "Les entretiens de Montesquieu"

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Le juge est-il un pouvoir ou une autorité vis-à-vis du Politique ?, in Juge et Démocratie, Les Entretiens de Montesquieu, La Brède, 18 septembre 2015.

 

Dans une table-ronde modérée par Dominique Richard et qui réunissait également et notamment Maîtres Jean-Marie Burguburu et Patrice Spinosi, le thème du rapport de pouvoir entre la magistrature et le Politique, la discussion entre les intervenants et avec la salle a pris appui sur la distinction faite par la Constitution française entre "autorité" et "pouvoir".

Pour ma part, j'ai soutenu que les magistrats ont toujours été un pouvoir, mais que le Politique a rêvé qu'ils ne le soient pas et ont tant cru à leur capacité à les réduire qu'ils ont effacé le mot, choisissant celui d' "autorité" qu'ils ont pensé que la parole constituante suffira à engendrer ce résultat.

Mais, si l'on met de côté la question différente des magistrats qui composent le Parquet, les juges ne peuvent pas ne pas avoir de pouvoirs, puisqu'ils sont obligés de répondre aux questions que leur posent les justiciables, à travers les demandes qu'ils formulent. C'est l'article 4 du Code civil qui oblige le juge à y répondre, tout juge doit répondre par un jugement. Celui qui ne le ferait pas, sous prétexte d'une insuffisance de la Loi, commettrait un déni de justice. Ainsi, lorsque le juge des référé qu'est le Conseil d’État intervient pour soutenir l'interdiction du spectacle de Dieudonné, il aurait subi les mêmes reproches de "faire de la politique" s'il avait choisi d'annuler l'interdiction préfectorale du spectacle. Le juge doit trancher. Ainsi, étant obligé d'avoir du pouvoir, il ne peut que constituer un Pouvoir, qui s'applique au Politique, comme à toute chose.

Ce qui n'est pourtant jamais admissible, c'est un pouvoir qui affirme n'être pas un pouvoir. C'est alors un pouvoir sans limite.

Cela-même que Montesquieu dénonçait dans L'esprit des Lois : tout pouvoir a tendance à en abuser, c'est pourquoi il faut institutionnellement lui mettre en face des contre-pouvoirs. Lorsque les magistrats affirment qu'ils ne sont rien, qu'ils ne sont en France que des petits fonctionnaires, qu'ils ne font qu'appliquer la loi, c'est faux. Mais en disant cela, alors même qu'ils exercent un grand pouvoir, ils ne rendent pas de compte de celui-ci.

Alors que le Politique rend des comptes, le Judiciaire n'en rend pas. Parce qu'il n'admet pas être un pouvoir. Ce qu'il est pourtant.

Non seulement, il ne peut pas n'être pas un pouvoir, mais il est sans doute bon qu'il en soit un. Il ne convient pas de le critiquer d'être un Pouvoir. Mais il convient de le critiquer s'il feint de n'être pas un. Habilité que le Politique n'a pas.

Dès lors, la balance est inversée, puisque c'est le Politique qui devient de fait le contre-pouvoir du Pouvoir judiciaire.

 

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