"Le fœtus, le bébé, l’adolescent, le vieillard" : une liste.
A partir de cette observation, commençons à nous poser quelques questions.
Est-ce une liste close ou une liste ouverte ? Si elle n'est pas close, quelle serait l'avant et l'après ?
Est-ce qu'il s'agit d'éléments juridiques ou d'éléments se référant à un autre ordre que le Droit ?
Est-ce des personnages différents ou un seul ?
Est-ce des personnages universels ou "situés" ?
Si l'on admet que ces personnages ne sont que peu juridiques, quelles branches du droit les reconnait ? Le droit du travail, le droit médical, le droit de la famille, le droit de la filiation. En revanche, le droit des affaires ignore ce qui apparaît comme un séquençage.
Ignorance que le droit civil classique partage. Mais pour deux raisons opposées. Le droit civil ignore les trois états de la vie car il connait la "personne" avec la distinction simple entre le "mineur" et le "majeur", l'âge n'existant que peu en tant que tel. Le droit des affaires, voire le droit des marchés, ne connait que l'"agent économique", qui participe d'une même transparence des corps : l'actionnaire, l'investisseur, le dirigeant, n'ont pas plus d'âge.
Or, ces trois personnages se distinguent les uns des autres par le moment de la vie auxquels on les saisit, le Droit comme d'autres ordres normatifs. Le critère distinctif mais aussi ce qui les unit, c'est l'état de développement dans la durée : d'abord fœtus, puis adolescent, puis vieillard. Or, nous vieillissons chaque jour. Il s'agit d'une gradation et non pas de catégories, par lesquelles la personne bascule de l'une à l'autre, comme elle le fait en droit civil en passant de la minorité à la majorité.
Avant le stade de fœtus, notion reconnue par le droit, notamment le droit pénal ou le droit des successions, le Droit appréhende l'embryon, dont le statut juridique est incertain, "personne potentielle". Mais avant l'embryon, il y a des cellules. Le Droit hésite sur le statut de l'un et de l'autre, car le Droit voyage dans le temps et par la technique de la "virtualité", peut voir dans l'embryon l'enfant né. C'est ce que vient de décider la CEDH dans son arrêt du 25 août 2015 sur le statut des embryons surnuméraires, qui ne peuvent être "cédés", car ils ne peuvent être réduits au statut des choses.
Mais s'il ne s'agit pas de trois catégories distinctes, s'il agit d'une même personne aux différents stades de sa vie, puisque la civilisation consiste à naître esquisse pour mourir statue, en sociologie il s'agit bien plutôt de catégories non seulement distinctes mais opposées : les "jeunes" contre les autres ; les "vieillards" qu'il conviendrait de mettre dans les centres d'accueils pour le 4ième âge. A chacun son Boulevard du crépuscule.
S'il en est ainsi, alors le Droit doit abandonner son abstraction pour adopter un "Droit de la vieillesse" pour reprendre l'expression de Gérard Lyon-Caen, comme Carbonnier dessina un Droit de la pré-majorité. Le critère devient alors l'âge, avec l'autonomie de fait que cela procure : par exemple non plus tant l'émancipation juridique (16 ans), mais l'émancipation de fait que donne "l'argent de poche". Les entreprises ont désigné les enfants comme véritables "clients" puisqu'ils ont le pouvoir de décider des achats.
Mais si le critère est l'âge, la question se déplace alors : qui détermine l'âge ? La question paraît élémentaire et la réponse tautologique. L'âge est déterminé par la nature des choses : l'instant où la personne naît et la comptabilisation du temps qui s'écoule dans la durée de sa "vie". Plus le Droit prendra comme objet direct la vie et plus l'âge deviendra le critère premier.
Mais l'âge n'est pas un simple fait, recueilli administrativement par la technique administrative de l'état civil, produisant ainsi une "donnée publique". L'âge devient tout d'abord un élément de la vie privée. Plus encore, l'âge désigne la personne comme un vieillard, un adolescent, un personne "dans la force de l'âge",etc. Peut-il être un élément de discrimination illégitime à l'ébauche ? Peut-on effacer cette donnée d'un C.V. , au titre du principe d'égalité ?
Plus encore, les trois catégories ne sont pas également attractives. Aujourd'hui, il semble que nul ne désire entrer dans la catégorie "vieillard" et aspire à demeurer à jamais dans la catégorie "adolescent" : éternelle jeunesse, candide et insouciante, voilà la catégorie valorisée. La sociologie américaine l'a repérée chez les personnes de 50 ans suffisamment fortunées pour vivre comme si elles avaient 17 ans. Être la sœur de leurs enfants, le nouvel objectif de consommation.
Cette appartenance à la seule catégorie convoitée par l'individu, c'est ce qu'offre le marché : marché de la beauté, de la jeunesse, du pouvoir de ne pas être dans la suivante, de la mort de la mort.
Si l'on s'écarte de cette nouvelle conception prométhéenne, un individu qui passe d'une catégorie à une autre, change-t-il radicalement ? Que reste-t-il de l'adolescent dans le vieillard qu'il est devenu ? Dans une conception anglo-saxonne, l'on a plusieurs vies en une vie, modèle valorisé par le marché pour lequel la mobilité est la première agilité requise, y compris par rapport à soi-même. Si cela est le cas, les implications juridiques sont importantes.
En effet, à chaque stade de la vie d'une personne, vie nouvelle, personne nouvelle, personne recomposée dans une famille recomposée. Dans une conception de la personne disposant d'elle-même, se composant elle-même, auteur d'elle-même, cette recomposition de la personne dans le temps va de soi.
Si cela est vrai, alors peut-on encore imputer à la personne dans la catégorie ultérieure ce qu'elle a fait dans la catégorie antérieure ? Dans une conception continentale et métaphysique d'unicité de la personne, y compris dans le temps, cela va de soi. Dans une conception plus anglais et pulvérisée de la personne, y compris dans le temps, la réponse négative se dessine.
Et pourquoi, plus que jamais, par le numérique, rien ne s'oublie. Est-ce pour cela que se forge un "droit à l'oubli", nouveau droit fondamental de la personne ?
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