Feb. 20, 2016

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Le discours de "l'altruisme" et le "don magnifique" : dernier stade de l'exploitation des femmes par la GPA

by Marie-Anne Frison-Roche

Au Canada, sort le 19 février 2016 une analyse d'Yves Boisvert d'un récent rapport du Conseil du statut de la femme.

Son analyse est aussi critique que celle menée par le Groupe Pour le droit des femmes du Québec. L'auteur se base quant à lui sur une analyse économique. Sur cette base, il montre que la "GPA éthique" est une "solution imaginaire" (I). 

Il souligne qu'aller vers la "GPA éthique", c'est aller vers la vente des femmes et des enfants (II). A titre personnel, il est d'ailleurs plutôt favorable à cette seconde solution et ne comprend pas pourquoi on ne dit pas les choses franchement : en admettant la "GPA éthique", l'on va faire le marché (II).

En effet, pourquoi ?

On comprend pourquoi les entreprises, qui construisent ce marché de l'humain, où les pauvres sont de la matière première consommée par de plus riches qu'eux, ne veuillent pas le dire, car elles risquent de faire naître une résistance de la part de la population. Elles développent de multiples façons sophistiques pour "ne pas le dire".

L'auteur souligne que cela est particulièrement scandaleux car les femmes devraient "se donner" en échange de rien, parce qu'elles seraient "faites pour se donner".

Mais pourquoi le Conseil pour le statut des femmes au Canada reprend-il le discours sophistique des entreprises ? Pourquoi, si d'autres organismes publics le rejettent, comme vient de le faire le Sénat en France,  d'autres en semblent tentés (III).

Les entreprises, notamment par les avocats et les médecins qui en sont les relais, voire parfois les experts, arrivent-elles à séduire et à tromper certains organismes publics ? Le Conseil de l'Europe est-il en train de se laisser séduire , voire de se laisser corrompre ?

L'argument de la "gratuité" que mania aussi si bien Google ou Facebook est en train de moins bien prendre. Il est possible aussi que les organismes publics réalisent que pour gagner encore plus d'argent en vendant femmes et enfant à des consommateurs riches, la voie la plus efficace ce soit la "GPA éthique" et refusent d'être trompés. Comme l'écrit Yves Boisvert, les organismes publics ne peuvent être à ce point "angéliques" ou "puritains" qu'ils voient dans la gratuité et le don la solution (car nous voulons exclure l'explication par la collusion des intérêts).

Sort le 19 février 2016 une analyse d'Yves Boisvert d'un récent rapport du Conseil du statut de la femme.

Il montre que ce rapport est construit sur une vision inexacte de la pratique de la maternité de substitution (GPA) et que la solution proposée ("GPA éthique") est une "solution imaginaire" (I). Il montre que cela conduit nécessairement à un marché des mères-porteuses, solution qui sur le fond ne le déplait pas et qui est la conséquence directe de la mise en place d'une "GPA éthique" (II). Dès lors, l'on peut se demander pourquoi des organismes publics proposent une telle solution. Certes, le Sénat vient de rendre un rapport rejetant une telle solution, car elle équivaut à la cession des enfants, fabriqués sur commandé pour être "cédés" et constitue une aliénation absolue des femmes. Mais d'autres, comme peut-être le Conseil de l'Europe, peuvent être séduits par cette sophistique de la "GPA éthique". Alors pourquoi ? (III).

 

I. LA GPA ÉTHIQUE EST UNE "SOLUTION IMAGINAIRE"

En effet, ce rapport exprime une idée qui se répand assez facilement car elle paraît "mesurée" : non à la GPA commerciale (car "c'est très mal de vendre les bébés") mais oui à la GPA altruiste et régulée (comme c'est beau la "solidarité entre femmes" et les "dons magnifiques que font les femmes pour donner le bonheur aux couples infertiles"). C'est ce que dit le Conseil du statut de la femme au Canada, repris par les Agences et par tous ceux qui veulent installer le marché des femmes et des enfants, les avocats et les médecins qui les conseillent, en jurant qu'ils seront très éthiques.

Voilà la démonstration d'Yves Boisvert,  auteur qui a mené par ailleurs des études d'analyses économiques du Droit.

Il souligne le caractère contradictoire de telles conclusions qui admettent le mécanisme des mères-porteuses mais, en plus, l'exige bénévole de la part des femmes, et ce au nom d'une "éthique féminine" proclamée ! il n'y voit que puritanisme ou hypocrisie : en effet (je cite) "tout travail mérite salaire. Et de porter l’enfant d’un autre, c’est un sacré travail, c’est donner de soi sacrément. Ça devrait se payer, non ? Je veux dire : si on accepte que des gens fassent ça, pourquoi les contraindre à une abnégation presque religieuse".

Il continue en soulignant à quel point une telle position lui " semble en fait le comble de l’asservissement corporel.". 

Dans les filigranes de l'article, sans doute faudrait-il pour cet auteur tout libéraliser (il ne fait pas de l'analyse économique du Droit pour rien ...), mais en tout cas, il souligne d'une part que l'altruisme affiché correspondra toujours à l'argent remis d'une façon dissimulée à la mère-porteuse et d'autre part que cela est injuste. Puisque toute peine mérite salaire.

Ainsi, l'auteur conclut que cette proposition d'une "GPA éthique" ne (je cite) "règle rien si on dit aux mères porteuses qu’elles ne peuvent toucher de l’argent. Même celles qui le font par pur « altruisme », si une telle chose existe, devraient avoir droit à autre chose qu’un remboursement de frais sans risquer l’illégalité. On en viendra forcément à une situation semi-légale plutôt que semi-clandestine : hypocritement, on fera croire que les contrats sont à titre gratuit.".

Il souligne que cette conception est totalement irréaliste.

Pour lui, on ne peut pas maintenir la prohibition, puisque les personnes vont à l'étranger recourir à des mères-porteuses et qu'il faut donc changer la loi. Mais c'est pour immédiatement affirmer que l'interdiction  ""ne devrait pas être remplacée par une solution sortie d’un monde imaginaire où les gens agissent sans intérêt. Ou inspirée d’un catholicisme refoulé qui voudrait nous convaincre que l’argent salit nécessairement les rapports humains.".
 
 
II.  ALLER VERS LA "GPA ÉTHIQUE", C'EST ALLER VERS LA VENTE DES FEMMES ET DES BÉBÉS 
 
Comme cet auteur, l'on peut très bien considérer que "tout travail mérite salarie" et que la grossesse est un travail comme un autre. L'auteur se garde d'ailleurs d'examiner la question du sort de l'enfant. Il dit d'ailleurs qu'il ne discute pas de la question de la maternité de substitution au fond, juste la question de l'éthique et de l'argent.
 
Donnant moins la primauté à l'économie, l'on peut aussi considérer aussi que la grossesse engage la femme tout entière, qu'elle n'est pas un travail. Nicole Notat a signé la pétition pour s'opposer à la GPA : en tant qu'elle défend les travailleurs, elle sait que le premier droit fondamental d'un travailleur c'est de n'être pas réduit en esclavage, même en recevant une compensation financière. L'on peut considérer que la fabrication d'un enfant à seule fin de sa "cession" consiste à le poser comme une marchandise, ce qui consiste une atteinte à son droit le plus irréductible : l'enfant n'est pas une chose, il est une personne, il ne peut pas être cédé.
 
Dès lors, qu'il y ait de l'argent ou qu'il n'y en ait pas n'ôte rien à la nécessité d'exclure des échanges licites cette opération-là, malgré la volonté des entreprises de construire le marché de ce désir-là, cherchant par divers procès de transformer ce désir d'enfant en droits subjectifs.
 
Les entreprises cherchent à adoucir l'image que donne leur stratégie en retirant ce qui y est central : l'argent. Pour cela, leurs conseils, avocats et médecins, proposent que l'on abandonne l'interdiction pour adopter le principe de licéité, ... avec l'argent en moins. Cette soustraction rendrait l'opération .... éthique.
 
Ce discours de la GPA éthique est sophistique. Il a été dénoncé par ceux qui désapprouvent l'envahissement de tout rapport humain par l'argent. Ce discours est celui des entreprises, qui se réfèrent et à des principes religieux,  et à la législation britanniques de 1985, et à des exemples admirables de femmes admirables qui ont fait le bonheur autour d'elles. Comme c'est beau.
 
Mais au Royaume-Uni, les parlementaires demandent que l'on passe à la GPA commerciale, puisque c'est le seul moyen de répondre à l'offre, que finalement toute peine mérite salaire, et que d'avoir admis le caractère en principe licite du procédé a créé un tel engouement que, comme le relève le rapport du Sénat du 11 février 2016, les britanniques sont les premiers à aller exploiter les esclaves dans les pays pauvres, alors que le "bon législateur anglais" leur offre une "GPA éthique".
 
Plus encore, les femmes commencent à se révolter. Comme le fait à juste titre Monsieur Yves Boisvert. L'Université des Femmes a posé en janvier dernier dans une manifestation à Bruxelles que cet appel lancé à la "générosité naturelle des femmes", surtout si elles sont noires, jaunes, etc., au bénéfice de leurs "soeurs blanches", comme cela tombe bien ..., les dons magnifiques des pauvres au bénéfice des riches, comme c'est beau, cela devait s'arrêter !
 
 
 
III.  COMMENT EXPLIQUER CETTE TENDANCE DE DIVERS CONSEILS POUR LA PROMOTION DE LA "GPA ÉTHIQUE", POURTANT VECTEUR DE L'ASSERVISSEMENT DES FEMMES ?
 
Le discours de la "GPA éthique", c'est-à-dire la fabrication d'enfant par des femmes qui peinent et mettent leurs corps en danger pour cela à seule fin de fabriquer un enfant dont il est contractuellement posé qu'elles devront l'abandonner à la naissance pour le céder à un ou deux tiers, mais en échange de la seule "reconnaissance" de ceux-ci, ou de la communauté dans laquelle elles vivent, ou de leur famille, ou du Dieu auprès duquel elles mériteront d'être assises après leur mort, on comprend bien pourquoi il est bâti par les entreprises.
 
Il est bâti par les entreprises parce que si les entreprises qui construisent, comme le fait le docteur Patel en Inde des cliniques pour approvisionner en bébés dont la livraison est trois moins onéreuses qu'en Californie, le marché des mères et des enfants, disaient franchement, comme voudrait Yves Boisvert qu'elles le fassent : "toute peine mérite salaire, vous risquez votre vie, vous cédez votre bébé, allez vous allez recevoir votre part du flot d'argent que ce marché de l'humain rapporte", alors le reste de la population se lèverait et dirait Non.
 
C'est pourquoi les entreprises, relayées par leurs conseils, médecins et avocats, transforment les acheteurs en innocents et malheureux couples infertiles dont la situation tragique prend enfin fin. Elles font disparaître l'argent. Elles ajoutent le sucre de l'éthique, car la victime doit sourire et dire qu'elle est heureuse.
 
On le comprend.
 
Mais le Conseil canadien du statut des femmes ? Pourquoi le fait-il ?
 
C'est la question qu'Yves Boisvert se pose.
 
Pourquoi ?
 
L'auteur montre que cela tient tout d'abord à l'ignorance de la réalité. Car les mères font cela pour de l'argent. Tout est argent dans la GPA. Même si la "GPA éthique" rapporte moins d'argent, elle en rapport encore. Il faut mais il suffit de faire plusieurs grossesses, plutôt qu'une seule.
 
Il souligne ensuite que cela relève d'un reste de puritanisme : "cachez cet argent que je ne saurais voir". L'argent est partout. Mais les conseils préfèrent ne pas le voir. Les médecins et les avocats sont payés très chers. Les organismes publics préfèrent ne pas le voir.
 
Il relève enfin que cela exprime, et c'est sans doute qui le choque le plus, d'un mépris absolu pour les femmes : pour les organismes publics qui reprennent sans distance l'argumentaire de la "GPA éthique", élaborée par les entreprises pour faire passer en douceur le principe de licéité de l'opération afin de passer dans un second temps à la GPA commerciale, les femmes sont naturellement faites pour se sacrifier et "se donner".
 
Ainsi, lorsque le Conseil de l'Europe désigne comme rapporteure pour étudier la question une personne qui par ailleurs conseille une clinique qui pratique la GPA commerciale, rapporteure qui élabore un rapport qu'elle présente comme "mesuré" puisqu'elle dit qu'il convient de ne retenir que la "GPA éthique", reprenant ainsi le discours si performant des entreprises avec lesquelles elle a des intérêts convergents, dans le présent et dans le futur, pour quelles raisons le Conseil de l'Europe envisage-t-il de méconnaître les droits fondamentaux des femmes ?
 
Pour lesquelles de ces raisons ?
 
Par ignorance ?
 
Parce que séduit par la sophistique de l'absence d'argent, de la gratuité et de l'altruisme, bouquet qui n'est rassemblé que pour faire passer le marché des femmes ?
 
Parce que méprisant les femmes, dont la principale qualité naturelle serait de "se donner" ?
 
 

 

Une réponse explicite est aujourd'hui requise.
 
 
 
 
 
 

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