June 9, 2014

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L’application à la lettre de la technique de propagande plutôt que l’ouverture vers un débat véritable : le "Manifeste des 343 fraudeuses"

by Marie-Anne Frison-Roche

Une pétition a été élaborée pour obtenir la levée de toutes conditions actuellement posées par le droit français pour qu'une personne accède à la procréation médicalement assistée, notamment le constat médical d'une stérilité physique.

La pétition a pris comme intitulé "Pétition des 343 frauduleuses" en rappel explicite du "Manifeste des 343 salopes" qui eût son rôle dans le changement de législation, le Législateur abandonnant la prohibition pénale de l'avortement pour organiser l'Interruption Volontaire de Grossesse (I.V.G.).

Beaucoup de signatures ont été recueillies comme pétitionnaires, mais aussi en soutien de cette pétition, l'ensemble étant ensuite publié dans la presse quotidienne.

Le but est donc atteint. L'on peut penser que la prochaine étape consistera à frapper à la porte du Législateur pour se prévaloir de ce qui sera présenté comme un "mouvement spontané de l'opinion française" pour obtenir un "progrès de civilisation".

Mais en réalité, cette pétition est un cas d’école de propagande.

 

Voir ci-dessous


                                                       



Ce billet a pour objet de le montrer, en démontant les procédés utilisés. Il n'a pas la prétention d'examiner le fond, juste de montrer les techniques qui furent utilisées pour obtenir des signatures.
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En effet, la rédaction de cette pétition est très regrettable car à première lecture, on ne peut pas ne pas être d'accord. On se sent coupable de ne pas signer. Toute personne soucieuse des droits fondamentaux veut immédiatement signer pour soutenir la pétition. C'est le but de la propagande que d'imposer avec la simplicité de l'évidence le contenu du discours.

Cela est d'autant plus regrettable que nous avons plus que jamais besoin de débats sur les questions de procréation médicalement assistée (P.M.A.) et la propagande, en feignant l’argumentation rationnelle, sape tout débat. Elle sape toute contestation possible, elle récuse donc toute discussion.

En effet, la propagande est une technique qui vise à toucher au cœur la population en créant une empathie avec le discours tenu, pour l’amener à lui faire endosser une conclusion normative, à laquelle le lecteur n’a pas particulièrement réfléchi mais qu’il va s’approprier.

La propagande est la pointe avancée et dénaturée de la rhétorique, elle est utilisée par des personnes déterminées qui visent un résultat précis.
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Le but est l'obtention d'une loi.

Il s’agit ici d’obtenir qu’en France il soit possible d’avoir des enfants pour des personnes qui ne veulent pas les avoir d’une façon que l’on dirait « ordinaire ». Par exemple, une femme qui ne veut pas de rapports sexuels avec un homme et qui veut une insémination avec donneur.

Son « désir d’enfant », son « projet d’enfant », serait la source suffisante et légitime pour faire venir l’enfant. Si elle est en couple avec une femme, leur projet commun sera ce qui fait naître l’enfant, enfant engendré par leur amour, amour égal à celui de tout autre couple, le donneur appartenant à l’ordre de la mécanique.

Comme les enfants doivent pourtant être conçus par la rencontre d’un ovocyte et d'un spermatozoïde, cette idée d’obtention d’enfant par le seul jeu du désir bute sur la réalité physique.

Dès lors, émerge l’idée de recourir au droit. Dans le mythe d’un droit tout-puissant, il y aurait un droit à l’enfant, un droit à fonder une famille. Le reste ne serait que de l’intendance. C’est alors à la Loi de reconnaître ce qui serait un sorte de « droit naturel à avoir un enfant dont on a le projet », sans qu’on se plie aux exigences physiques, le droit nous offrant ce miracle et nous instituant comme des « êtres de civilisation », enfin délivrés des contingentes physiques.

Enfin les femmes délivrées des hommes (P.M.A.), enfin les hommes délivrées des femmes (G.P.A.), le contrat de mère-porteuse déniant à la femme qui porte l'enfant son statut de mère.
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Mais la population, plus terrienne, qui sent qu’on ne peut dénier à celle qui a porté l’enfant sa qualité de « mère », qui sent qu’on ne fait par les enfants par le seul pouvoir du désir, par la seule volonté et par le seul amour dans un couple, qui sent que le père n’est pas rien, n’est prête à admettre ni la gestation pour autrui ni la procréation médicalement assistée, celles-ci étant utilisées pour concrétiser la volonté pure des personnes d’avoir des enfants, sans autre condition que leur désir de les accueillir.

Le droit lui-même traduit cette conception « traditionnelle », de tous temps. Il frappe de nullité absolue les contrats de mère-porteuse car les femmes ne sont pas des choses et ne peuvent être utilisées comme des sortes de couveuses. Les juges en 1991, puis les lois de bioéthique de 1994 ont inscrit cette sanction de nullité absolue dans le droit. Même si les couples ont recours à un contrat de mère-porteuse à l’étranger, la nullité persiste, les juges réaffirmant la solution en 2013.

De la même façon le droit de la santé publique ne prévoit le mécanisme de procréation médicalement assistée qu’en cas de « stérilité physique médicalement constatée ». Dès lors, le droit ne permet que la médecine supplée que lorsqu’une personne ne « peut » pas avoir d’enfant mais exclut que la médecine intervienne du seul fait qu’elle « veuille » un enfant. Car il n’y a pas de droit à l’enfant. L’enfant n’est pas une chose.
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Certaines personnes trouvent que ces idées sur lesquelles le droit est construit sont rétrogrades, ne leur conviennent pas, ne leur correspondent pas et qu’il faut donc briser les jurisprudences et changer les lois.

Mais comment convaincre la population, laquelle demeure attachée à ces idées traditionnelles ?

La propagande est alors utilisée et le « manifeste des 343 fraudeuses » en est un parfait exemple.
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En premier lieu, on recouvre systématiquement ces réalités très crues, parce qu’avant tout biologiques et corporelles, par des sigles : P.M.A. et G.P.A. Ainsi, le lecteur ne voit plus les mères-porteuses, ne mesure plus la seule puissance des volontés, n’appréhende plus les réalités concrète. Les sigles ont ce grand avantage rhétorique.
 
En deuxième lieu, les auteurs de la pétition établissent un lien entre la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, loi dite du mariage pour tous  et leur propre situation d’exclusion d’accès à  l’insémination artificielle.  Cette analogie produit deux effets rhétoriques très efficaces.

 Le premier effet est positif : il consiste à exiger l’accès de « toutes » les femmes à l’insémination artificielle sur simple demande par  ce qui serait une sorte d’ « application » de la loi sur le « mariage pour tous ».  

La pétition prend soin de reprendre un vocabulaire analogue : « mariage pour tous » ; « P.M.A. pour tous », alors même que grammaticalement il faudrait écrire « P.M.A. pour toutes », mais l’effet rhétorique en serait diminué.

L’idée promue est que le mariage ayant pour conséquence la famille et les enfants, puisque les femmes ont désormais le droit de se marier entre elles, alors par conséquence elles peuvent faire des enfants sans rapport sexuel avec un homme.

Le Législateur qui a ouvert le mariage se contredirait à ne pas ouvrir la P.M.A. et les auteurs du manifeste demandent l’application de la loi du 17 mai 2013, comme si l’ouverture de la P.M.A. à toute femme qui le demande, sans aucune condition, était incluse implicitement mais nécessairement dans cette loi.

Le second effet rhétorique est encore plus puissant, il est de nature négative : si le lecteur est contre cette demande d’accès inconditionnel à la P.M.A., alors il est contre le « mariage pour tous », puisqu’il est contre « l’enfant pour tous », la « P.M.A. » pour toutes étant contenue dans le « mariage pour tous ».

Bref, il est homophobe. Quel lecteur va assumer un tel opprobre ?

D’ailleurs, le lecteur, de bonne foi, qui n’est pas homophobe, qui est contre l’homophobie, convaincu par l’apparente analogie, signe et soutient la pétition, car il croit ainsi combattre l’homophobie.

Très bel effet de propagande.
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Bien sûr, l’on a passé sous silence l’essentiel, c’est-à-dire que la pétition conduit à extorquer des soutiens pour ce qui serait désormais un « droit à l’enfant » parce que l’adulte le veut, la seule cause du recours à la PMA étant ce désir d’enfant et rien d’autre, puisque toute condition aurait été effacée du droit.

L’on passe aussi sous silence le fait que le droit d’être parent n’est pas contenu dans le droit d’être marié et qu’au contraire le Conseil constitutionnel en analysant la loi du 17 mai 2013 a pris soin de dissocier les deux
 
Pour renforcer la puissance de conviction du discours de propagande, les auteurs de pétition vont d’ailleurs présenter le droit d’une façon convaincante mais inexacte.

En effet, en troisième lieu, les auteurs de la pétition construisent un paralogisme, consistant à avancer deux éléments juridiques exacts, mais qui, réunis ensemble, donnent du droit une représentation fausse qui permettra de demander la condamnation morale des juges français pour homophobie.

Voilà comment le procès des juges est mené. Il est affirmé tout d’abord qu’en France la P.M.A. est autorisée. Cela est exact. Puis, les auteurs soulignent qu’un couple de lesbiennes qui demandent une P.M.A. se la voit refuser. Cela est exact aussi.

Ensuite, on laisse le lecteur juger. Juger tout d’abord les services de la P.MA., lesquels sont immédiatement ressentis par le lecteur comme homophobes et discriminatoires.

Ensuite, la pétition informe que les juges ont été saisis d’un cas où une femme mariée à une autre s’était vu refuser par des juges le droit d’adopter l’enfant de celle-ci, car l’enfant avait été conçu par une P.M.A. réalisée à l’étranger. Là encore, le lecteur y voit homophobie et discrimination. Les juges français seraient bien ignobles et il faut briser la jurisprudence par une loi.

Qui ne signerait pas au terme d’une telle présentation ?
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Mais l’état du droit n’est pas celui-là. Dire que « La P.M.A. est autorisé en France » ne donne pas une image fidèle de l’état du droit. Le droit français n’autorise la P.M.A. qu’en cas de stérilité physique médicalement constatée. Que la personne soit homosexuelle ou hétérosexuelle, cela est totalement indifférent. Il s’agit d’empêcher que la source d’engendrement de l’enfant soit purement et simplement le « désir d’enfant », voire le « droit à l’enfant ».

Les juges ont appliqué la loi, c’est tout. Ils respectent les textes qui empêchent les individus d’obtenir des enfants du seul fait qu’ils les « veulent ».

On peut regretter l’état de la loi, mais on ne peut reprocher aux juges d’appliquer la loi.
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C’est alors qu’intervient en quatrième lieu le ressort bien connu pour obtenir un changement de la loi, consistant à faire un procès à la loi, sur le thème de la « loi injuste » servie par des « juges injustes ».

C’est le combat de la « justice » contre la « norme », Antigone contre Créon. Le lecteur apportera sa signature à Antigone, laquelle pourra dans un second temps demander à Créon de changer sa loi.

Le parallèle est alors systématiquement fait par les auteurs de la pétition entre la situation des lesbiennes ayant pratiqué la P.M.A. à l’étranger parce qu’elles voulaient avoir un enfant sans respecter les conditions posées par la loi française avec les célébrités affirmant leur violation de cette loi jadis « injuste » en ce qu’elle interdisait l’avortement.

Faire d’un titre de gloire le fait de violer la loi, « les 340 salopes » / « les 343 fraudeuses », c’est insister sur le fait que non seulement les juges sont homophobes mais encore que la loi positive est « injuste » est qu’il faut « naturellement » la changer.

Tout est fait pour faire le parallèle avec la victoire historique du mouvement féministe : l’obligation d’aller à l’étranger, les risques médicaux des victimes qui sont obligés de ne pas obéir à la loi, etc. Quelle femme n'y serait pas sensible ?

Dès lors, on ne pourrait que soutenir par sa signature ces héroïnes qui, au prix de leur santé, ont défié la « loi injuste », qui protestent au nom du droit naturel contre des juges homophobes et qui luttent pour que l’égalité de tous soit concrétisée, malgré un droit français réactionnaire et violent.

L’effet rhétorique est assuré pour un usage si perfectionné des techniques de propagande.
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On peut certes vouloir faire changer les lois, le Code civil, le Code de la santé publique, comme l’on peut critiquer les décisions de justice. Pour cela, on peut certes rédiger des pétitions.

Mais alors, il faudrait dire la vérité.

Il faudrait écrire : « Nous voulons être maîtres absolus  de nous-mêmes et de ce que nous entourent et faire ce qui nous plait. Si nous avons envie d’avoir des enfants, à notre guise, alors nous avons le droit, puisque nous en avons la volonté, cette volonté devant se suffire à elle-seule, selon les moyens d’intendance qui nous paraissent le plus appropriés. Si nous n’avons pas envie d’avoir des relations sexuelles pour cela, nous avons le droit d’avoir recours à des inséminations artificielles, parce que cela nous plaît et parce que nous trouvons des donneurs. Le droit est fait pour accompagner nos désirs et pas pour les contrarier. Que le droit abandonne ses références autres, qui ne correspondent pas à notre conception de notre bonheur d’enfants».
 
Mais si les auteurs avaient dit la vérité, les signatures n’auraient plus afflué.

Car le lecteur aurait alors vu que dans cette revendication, qui est certes soutenable, il n’y a aucun lien avec la lutte contre l’homophobie, aucun rapport avec la licéité du mariage homosexuel, aucun rapport avec le droit à l’avortement, aucun rapport avec l’égalité, aucun rapport avec le juste et l’injuste .

Tout cela n’a aucun rapport. 

Et alors, sans établir ses liens qui sont autant de cordes sensibles, comment capturer de l’opinion publique et comment faire pression sur les hommes politiques ?

C’est plus difficile.

Mais c’est aussi plus démocratique car il faut alors véritablement débattre.


 
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