Comme chaque année, de fait la Loi de finance pour 2013 a été soumise au contrôle a priori du Conseil constitutionnel. Cette année, la décision qui en résulte, en date du 29 décembre 2012, fait sensation. D’abord, parce que le Conseil annule de nombreuses dispositions, ensuite parce qu’il n’hésite pas à utiliser le grief du caractère confiscatoire de certaines mesures, à ce titre anticonstitutionnelles, et insiste sur le principe de non-rétroactivité. Certains commencent à voir dans le Conseil un organe politique. Est-ce le cas ? Si cela était, est-ce légitime ?
© mafr
Pour lire la décision, cliquez ici.
Comme bien souvent dans un débat devenu médiatique, dans lequel le temps est raccourci et l’argument est remplacé par l’invective, le débat se cristallise autour des commentaires d’une décision, sans que l’on se reporte à la décision elle-même.
Cela est présenté comme faire preuve d’un "esprit étroit" que de le faire : autant monter tout de suite au niveau de la discussion générale, à savoir si en censurant des dispositions de la Loi de finance pour 2013 par sa décision du 29 décembre 2012, notamment celle qui prévoyait une surtaxe pour les revenus annuels supérieurs un 1 million d’Euros, le Conseil constitutionnel ne s’était pas substitué au Parlement, ce qui serait politiquement inadmissible.
C’est notamment la position prise par le professeur Martin Collet dans son article paru dans un journal grand public Le Monde. L’on peut gager que ses lecteurs n’iront pas lire la décision elle-même, parce que l’habitude est prise de se concentrer sur les commentaires plutôt que sur la source première (si les étudiants ont cette habitude de lire les commentaires plutôt que les décisions, pourquoi le lecteur qui prend son café en lisant son journal ferait-il autrement ?) et parce que cette décision de 24 pages est particulièrement dense et n’est pas construite d’une façon claire, alors que l’article de l’excellent professeur Martin Collet est très pédagogique. Le fait que l'auteur soit spécialiste de droit fiscal accroît son autorité.
On a donc tendance à le croire sur parole dans son affirmation, à savoir que le Conseil constitutionnel s’est substitué au pouvoir politique pour déterminer les contributions que l’on peut ou l’on ne peut pas demander au peuple au titre de l’impôt. Le débat porterait alors sur l’unique question de savoir si cette substitution est légitime ou non.
Mais c’est faire dire à la décision sans doute davantage qu’elle ne dit et il convient de revenir à sa lettre, réflexe étroit du juriste attaché aux sources avant que de débattre de la portée de la décision.
Est ici exposé le plus simplement, le plus platement possible, le contenu de cette décision, avant de s'envoler vers la question de savoir quelle est sa portée et de discuter pour savoir si nous allons vers le "gouvernement des juges" et si cela est "bien" ou "mal".
I. LE SENS DE LA DECISION DU 29 DECEMBRE 2012 DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA LOI DE FINANCES POUR 2013
De nombreux considérants de la décision sont consacrés à la disposition de la loi de finance établissant une tranche supplémentaire du barème progressif de l’impôt.
1. Ce que dit le Conseil constitutionnel à propos de la tranche supplémentaire pour les très hauts revenus
Le Conseil pose que l’instauration de cette tranche "en elle-même... ne fait pas peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leur capacité contributive et ne crée pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques".
Mais dans certaines hypothèses, notamment celle visée par les considérants n°19, 20, 21, en additionnant ce que la personne doit reverser au titre de l’impôt, on arrive à plus de 75% de prélèvement obligatoire. Or, le Conseil estime que ce taux est confiscatoire et à ce titre anticonstitutionnel.
Ici, d’une part, le Conseil pose un principe : 75% est confiscatoire et à ce titre non-conforme à la Constitution. Pour ce faire, il se fonde sur l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 qui dispose que Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. Cela fait très longtemps qu’aussi bien le Conseil constitutionnel que le Conseil d’Etat en tirent comme sous-principe celui de l’égalité de tous devant l’impôt.
D’autre part, plutôt que d’annuler l’établissement par la Loi de finances pour 2013, de la tranche supplémentaire (puisque par le considérant précédemment cité, il pose qu’en elle-même elle ne constitue pas une charge excessive), le Conseil constate que c’est le cumul des prélèvements obligatoires qui engendre l’excès.
Dès lors, c’est le prélèvement social qui est touché par une déclaration d’inconstitutionnalité. On notera qu’est ainsi invalidé un dispositif qui avait été inséré dans l’ordre juridique par le précédent Gouvernement.
Ainsi, le principe de la tranche supplémentaire est déclarée conforme à la Constitution mais c’est le prélèvement social, notamment celui portant sur la "retraite-chapeau" qui est, par un effet réflexe, invalidé, puisqu’il aboutit par addition, à un prélèvement obligatoire confiscatoire. Cela montre au passage que la notion de "prélèvement obligatoire" a remplacé la notion trop étroite d’ "impôt", les personnes contribuant aux dépenses nécessaires au groupe aussi bien souvent sous la forme des impôts que sous la forme des prélèvements sociaux (cf le Conseil des Prélèvements Obligatoires, qui a succédé au Conseil des Impôts).
2. Ce que dit le Conseil constitutionnel à propos des mécanismes de prélèvements applicables en droit fiscal des sociétés
Le Conseil constitutionnel apprécie ici notamment la constitutionnalité d’un impôt portant sur les plus-values de cessions de valeurs mobilières, la taxation n’étant pas la même suivant la durée de détention du titre, critère dans lequel les requérants voient une rupture d’égalité.
Or dans son considérant 50, la décision rappelle que "le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement : qu’il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé".
Plus encore, dans son considérant 60, la décision reprend la formule en la précisant car le Conseil relève les critères appliqués par la loi pour fixer un taux forfaitaire sur les plus-values en cas de cession en observant que ces critères ne "sont pas inintelligibles, sont objectifs et rationnels, qu’ils sont en lien avec l’objectif poursuivi par le législateur".
Ici, le contrôle, de nature méthodologique, apparaît beaucoup plus ferme (v. infra la portée de la décision).
Pour connaître ces "objectifs", le Conseil se réfère aux travaux préparatoires (on ne saurait faire plus classique - Capitant ). Il relève que l’objectif du législateur est d’inciter au développement économique, ce qui justifie la mesure (en effet, taxer les transactions financières très rapides, dont le trading à haute fréquence est la forme ultime, revient à lutter contre la financiarisation de l’économie pour protéger l’économie dite "réelle").
Antérieurement, le Conseil avait examiné selon la même méthode la disposition légale qui aligne les prélèvements fiscaux sur les revenus issus du capital par rapport aux revenus du travail. En cela, la Loi de finances neutralise le mécanisme ayant déjà joué du prélèvement libératoire.
Mais l'instrument est ici récusé par le considérant n°44. En effet, le Conseil relève l’objectif du législatif en adoptant une telle mesure, à savoir l’obtention de "recettes supplémentaires liées à une réforme des modalités d’imposition des revenus de capitaux mobiliers".
Or, "cela ne constitue pas un un motif d’intérêt général suffisant pour mettre en cause rétroactivement une imposition à laquelle le législateur avait attribué un caractère libératoire et qui avait déjà été acquittée".
On sait que le principe de non-rétroactivité, surtout en matière fiscale, depuis 1995, ne cesse de monter en puissance, en lien avec le principe de base de la sécurité juridique. Cela ne revient pas à se substituer au choix politique du législateur. Cela lui interdit de prendre à revers les sujets de droit, c’est différent.
3. Ce que dit le Conseil constitutionnel à propos des plus-values lors des cessions immobilières
Les requérants soutenaient que le changement de régime fiscal voulu par le législateur est confiscatoire et à ce titre contraire à la Constitution.
Là encore, le Conseil constitutionnel se réfère aux travaux préparatoire pour connaître l’intention du législateur. Il note que le dessein de celui-ci est, grâce à la modification de l’imposition des plus-values lors de la cession des terrains à bâtir, d’obtenir "l’augmentation des recettes fiscales et de lutter contre la rétention des ressources foncières par les propriétaires". C’est pourquoi il a supprimé tout forfait et tout abattement.
Le Conseil ne remet pas en cause l’objectif mais il observe que dans certains cas, cela peut conduire à une imposition à "un taux marginal maximal de 82% qui aurait pour effet de faire peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de cette capacité contributive". Cela entraîne pour le Conseil l’inconstitutionnalité du dispositif légal.
On voit une nouvelle fois que le Conseil ne contrôle pas le fait que le législateur pose des buts, les voies qu'il choisit pour les atteindre, l'efficacité de ces voies, mais il surveille que des limites ne soient pas franchies, notamment pas par effet réflexe (v. supra ), en application de la Déclaration de l'article 13 de la Déclaration de 1789.
4. Ce que dit le Conseil constitutionnel à propos des plus-values lors des cessions des titres de participation
La loi de finance a modifié le système de report à nouveau des déficits antérieurs dans les techniques comptables des sociétés, ce qui modifie les systèmes de déductibilités et en conséquence potentiellement celui des plus-values sur les cessions des titres de participations.
Les requérants soutenaient que cela est contraire au principe de sécurité juridique et de croyance légitime, puisque les titulaires des titres avaient des droits et que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme vise la garantie constitutionnelle des droits.
Le Conseil constitutionnel commence, dans un considérant n°107, par rappeler que le législateur est maître de modifier ou d’abroger des textes antérieurs et d’en instaurer de nouveaux. Mais "ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; "qu’en particulier, il méconnait la garantie des droits proclamés par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant.".
Mais en l’espèce, ce nouveau système concernant le report des déficits sociaux n’affectant pas les plus-values des tites en participations, le dispositif est conforme à la Constitution.
Il demeure que ce considérant 107 a une grande portée dans le principe qu’il énonce (v. infra).
5. Ce que dit le Conseil constitutionnel à propos de la spécificité du régime fiscal successoral corse
Dans son considérant n°133, le Conseil observe qu’il existe pas de "motif légitime" pour qu’il n’existe pas de droits de succession à verser à propos biens immobiliers situés en Corse. Cette disposition légale, qui datait de Napoléon, est donc rayée de notre ordre juridique, du seul fait qu’elle devait ici être prorogée par la présente Loi de finances pour 2013 et se retrouvait aujourd'hui soumise à la critique a priori d'un Conseil constitutionnel que même l'ombre du Petit Corse ne pouvait plus impressionner...
I. LA PORTEE DE LA DECISION DU 29 DECEMBRE 2012 DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA LOI DE FINANCES POUR 2013
1. Le Conseil constitutionnel n'empiète pas sur la souveraineté du Législateur
Le Conseil pose que le législateur est souverain en ce qu'il pose comme il le voit le but qu'il veut atteindre. N'est-ce que la marque de la souveraineté : dire ce que l'on peut obtenir ? Par exemple accroître la masse d'argent public dont on veut disposer pour l'année suivante ? Inciter à un comportement environnemental responsable ? Empécher des propriétaires à user de leurs biens de telle ou telle façon ? Le législateur fait ce qu'il veut, puisqu'il exprime la volonté juridique.
Le Conseil constitutionnel le dit et à plusieurs reprises. On ne fait pas plus rousseaussiste que lui.
Là où se manifeste la normativité, c'est-à-dire l'expression du pouvoir de la volonté, c'est dans l'expression des buts que l'on poursuit. Dire "je veux cela", c'est dire "je veux obtenir ce résultat". La première formule implique la seconde, qui est plus puissante, la première ne veut que servir la seconde, la première est contenue dans la seconde.
Le droit est un art pratique, toute loi est téléologique : toute loi est dans les buts qu'elle se pose.
Or, le Conseil constitutionnel non seulement dit qu'il n'a aucun rôle, aucune légitimité, pour examiner les buts que le Législateur pose comme but à l'instrument législateur qu'il manie en tant que titulaire de la Volonté générale, mais plus encore, il ne contrôle pas l'efficacité des voies que la loi met en place pour atteindre ces buts.
Ainsi, si les dispositions légales sont peu performantes, voire inefficaces, tant pis, le législateur est encore maître des instruments.
Nous sommes très loin de l'étroit contrôle que par exemple la Cour de justice de l'Union européenne exerce sur les Etats-membres. En effet, non seulement, celle-ci est gardienne d'un but supérieur à ceux que peuvent poursuivre les Etats-membres, le but de l'Union européenne étant avant tout la concurrence et la construction du Marché intérieur, but qui fait ployer tous les instruments, mais encore la Cour fait un contrôle d'efficacité.
Ici, la décision du Conseil constitutionnel insiste pour montrer qu'elle ne contrôle pas l'efficacité du législateur. Le Conseil constitutionnel n'est pas une sorte de Cour des comptes de l'action législative. A chacun son office. A chacun sa place.
Le Conseil constitutionnel n'exprime pas la Volonté générale. Par sa décision du 29 décembre 2012, le Conseil le dit par prétérition, mais avec une grande fermeté.
2. Le Conseil constitutionnel est le gardien de l'art législatif
Pourtant, ce n'est pas parce que le Législateur est souverain et qu'il exprime la Volonté générale qu'il ne doit pas être contrôlé d'une façon minimale dans l'art législatif ni qu'il est soustrait à toute hiérarchie des normes.
Ainsi, en ce qu'il concerne la hiérarchie des normes, nul ne contestera que la loi doit se plier à la Constitution et que la Déclaration de 1789 fait partie du bloc de constitutionnalité. L'article 16 de la Déclaration, visé par la décision du 29 décembre 2012, qui pose le principe constitutionnel de la "garantie des droits" est un article essentiel pour l'Etat de droit et c'est une nouvelle fois qu'il est ici visé (v. par exemple et pour ne prendre qu'un exemple très récent et très important la décision du Conseil constitutionnel du 7 décembre 2012, Société Pyrénées ).
L'article 13 de la Déclaration, sert de base au principe d'égalité devant l'impôt et la décision du Conseil constitutionnel du 16 août 2007, Loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat avait déjà posé que sur une telle base à partir d'un certain montant de taxation, ce texte était méconnu en tant qu'il ne supportait pas d'impôt "confiscatoire".
Plus encore, si le législateur peut poser souverainement les buts qu'il décide d'atteindre, peut choisir des moyens plus ou moins efficaces, il doit tout de même respecter un minimum : en effet, le légisteur doit être "objectif et rationnel". C'est le contrôle minimum que le Conseil opère.
Ainsi, le Conseil ne lui demande en rien d'être neutre, puisqu'il choisit ce pour quoi il utilise ses instruments normatifs, il lui demande d'être "objectif et rationel".
On peut considérer que ce contrôle méthodologique est parfaitement distinct d'un contrôle politique. En effet, la souveraineté qui est le pouvoir d'exprimer sa volonté ne peut se confondre avec le pouvoir d'être irrationnel. La théologie a développé l'idée que Dieu lui-même ne pouvait qu'être rationnel alors qu'il exprime ontologiquement la Souveraineté.
Ainsi, l'art législatif doit être préservé, sans pour autant que la souveraineté du législateur soit entamée.
Cet art législatif est dans la méthode, il est contrôlé par le Conseil constitutionnel. La souveraineté du législateur est dans les buts de la loi, elle n'est pas contrôlée par le Conseil constitutionnel.
Sans doute est-il temps de s'inspirer de ce qu'écrivait le doyen Carbonnier dans son ouvrage Essais sur les lois, lorsque, dans sa préface, il soutenait qu'il ne convenait pas de prétendre "conformer la législation à un droit naturel " mais "construire un droit naturel de la législation" (p.11). L'on rappelera que le doyen Carbonnier était farouchement légaliste et que dans son ouvrage Droit et passion du droit sous la Vième République, il exprimait son hostilité face au Conseil constitutionnel (p.33 et s.).
En distinguant ainsi soigneusement entre les buts poursuivis par la loi (buts dans l'énoncé desquels la normativité politique est logée) et l'énoncé des moyens (méthodologie dans laquelle le législateur peut aller jusqu'à être inefficace mais tout de même pas jusqu'à aller être irrationnel), le Conseil constitutionnel est donc à la fois légaliste, le gardien de la hiérarchie des normes et le protecteur d'un art législatif minimal.
Pour conclure, nous n'avons pas un Gouvernement des juges, mais grâce au Conseil constitutionnel, nous pouvons avoir un espoir que l'art de faire des lois soit un peu restauré en France, y compris dans les lois de finances.
your comment