Cour de cassation, chambre des requêtes
Cet arrêt de principe conçut et fonda d’une façon définitive la notion d’abus de droit. Les juges le firent pour des raisons morales et la doctrine y vit un exemple caractéristique des liens étroits entre la morale et le droit (voir par exemple l'ouvrage de Georges Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 1931).
Dans cette affaire, Clément Bayard et Cocquerel sont voisins à la campagne aux alentours de Paris. Clément-Bayard s’adonne aux joies des promenades en ballon dirigeable, qu’il rentre dans un garage construit sur son terrain. Son voisin lui proposa en vain de racheter celui-ci, les prix du foncier commençant dès cette époque à monter. Cocquerel fit construire sur son propre terrain, à la lisière de celui de Clément Bayard, une série de piquets en bois, espacés tous d’un mètre et surplombés d’un pic de fer. Lords d’une sortie, le dirigeable heurtant cette construction se déchira. Clément-Bayard saisit le juge pour obtenir que celui-ci condamne cocquerel à réparer ce dommage.
La question de droit était difficile, dans la mesure où Cocquerel se prévaut purement et simplement de son droit : le droit de propriété que l’article 544 du Code civil énonce comme « le plus absolu ». Il est chez, il y construit ce qu’il veut.
Comme le dit à l’époque un grand professeur de droit civil, Plagniol, soit l’on n’est pas dans son droit et l’on peut être responsable, soit l’on est dans son droit et l’on ne peut pas être responsable.
Ainsi, il n’y aurait que deux possibilité :
Les juges vont inventer un troisième terme, selon lequel l’on peut être dans son droit et néanmoins être responsable. Il faut mais il suffit que l’usage que l’on fait de son droit soit fautif. La faute doit néanmoins être qualifiée puisque la personne exerce un droit dont il est titulaire et prenne la forme d’un abus. Ici, l’abus est constitué par une faute hautement répréhensible moralement. En effet, il y a abus lorsque le comportement ne peut se comprendre que si sa seule cause a été d’engendrer le dommage. Ici, les juges relèvent que cette construction bâtie par Cocquerel, n’est pas une clôture, ne sert à rien et ne s’explique que par son désir que se déchire le dirigeable, c'est-à-dire par une intention de nuire. Ainsi, le critère classique de l’abus de droit est l’intention de nuire, critère moral retenu par l’arrêt Clément-Bayard.
Celui-ci fut considérer comme l’une des marques les plus nettes de l’usage des juges de la règle morale en droit.
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