Conseil constitutionnel
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Par sa décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel a rejeté le recours formé par des parlementaires et déclaré la loi votée conforme à la Constitution.
Le Président de la République a promulgué la loi le jour-même, le 17 mai 2013, publiée ainsi au Journal Officiel du 18 mai 2013.
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I. RÉPONSE DU CONSEIL À LA CRITIQUE SUR LA PROCÉDURE D’ADOPTION DE LA LOI
Il était affirmé tout d’abord qu’il n’y avait pas eu d’étude d’impact ; alors que la loi organique du 15 avril 2009 l’impose, les requérants estimant que ne peut être qualifiée véritablement ainsi le document joint au projet de loi, en ce qu’il aurait omis d’indiquer les conséquences sociales financières et juridiques du projet, ainsi que sa compatibilité avec les engagements internationaux de la France.
Le Conseil répond tout d’abord sur la forme en relevant que toutes les règles de procédure ont été respectées.
Il poursuivit en considérant le contenu de l’étude et surtout de la méthode suivie par le législateur. Il relève que les assemblées ont procédé à de "nombreuses auditions" et estime que "au regard du contenu de l’étude d’impact l’l’exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires a été respectée.
Les députés estiment en outre que le temps législatif était insuffisant, tel que programmé pour l’examen du texte et lorsqu’une extension fût demandée, ce qui est de droit.
Le Conseil ne répond pas sur le premier argument (ce qui peut paraître étonnant) et à propos du second rappelle que le règlement de l’Assemblée Nationale a effectivement prévu le droit pour un groupe politique minoritaire de demander une extension du temps de discussion prévu de 25 heures, ce qui fût accordé, le règlement de chaque Assemblée déterminant les droits des groupes parlementaires.
Les sénateurs critiquent les articles de la loi qui, insérés par voie d’amendement, consistent dans des dispositions financières, ce qui est constitue un "cavalier législatif", auraient du être situées dans la loi de finances et sont anticonstitutionnels de ce fait.
Le Conseil répond qu’il y a au contraire un lien puisque ces dispositions visent à étendre des mécanismes, certes financiers, de protection sociales, au conjoint homosexuel, effaçant des textes de différents codes la considération du sexe des deux conjoints, ce qui a un rapport avec la loi votée.
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II. DICTA DU CONSEIL AVANT D’EXAMINER LES QUESTIONS PARTICULIÈRES : DISCRÉTION DU PARLEMENT ET PRINCIPE D’ÉGALITE
Avant d’examiner chaque bloc de normes constitutionnelles évoquées par les requérants (mariage, filiation, protection sociale), le Conseil constitutionnel en préalable pose la règle de répartition des pouvoirs et des rôles entre le Parlement et le Conseil d’une part et donne sa définition du principe constitutionnel d’égalité, d’autre part.
Sur le premier point du rapport entre le Parlement et le Conseil constitutionnel, le Conseil rappelle que l’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles de l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités. C’est pourquoi "il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité..., dès lors que dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
C’est dire la même chose que d’affirmer en conséquence, revers de la médaille, que la Constitution "ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même naturel que celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen.".
Les deux affirmations sont en miroir, c’est la même idée, exprimée la première fois du côté du Parlement, la seconde fois du côté du Conseil.
Sur le second point, le Conseil précise le principe constitutionnel d’égalité. L’article 6 de la Constitution pose que la loi doit "être la même pour tous". Il rappelle que le législateur peut traiter de façon différente des personnes dans des situations différentes (définition classique) et que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur "déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que ... la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct aec l’objet de la loi qui l’établit". Le Conseil rappelle que le principe d’égalité n’oblige pas pour autant le législateur "à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes".
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III. RÉPONSE DU CONSEIL A LA CRITIQUE RELATIVE AU MARIAGE
Politiquement, les partis politiques et l’opinion publique attend le Conseil sur cette question. Ils ont été très certainement déçus.
L’article 143 du Code civil pose du fait de la loi votée que le mariage "est contracté entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe".
Les requérants estiment que le mariage se définit comme l’union d’un homme et d’une femme et cette définition a valeur constitutionnelle, en ce qu’elle prendrait place parmi les principes généraux reconnus par les lois de la République. Ils se réfèrent en outre à un "enracinement naturel du droit civil" et que le caractère fondamental du mariage, ainsi défini, le hisse au niveau de la Constitution, le législateur étant donc incompétent pour y porter atteinte et opérer un détournement des institutions à des fins étrangères à celles-ci.
Le Conseil (puisant dans son premier obiter dictum de départ) estime que le mariage relève de l’état des personnes et qu’en application de l’article 34 de la Constitution, le Législateur est donc compétent.
Il estime que la qualification de "principe général reconnu par les Lois de la République" ne peut être appliquée à ce qui serait un principe d’hétérosexualité du mariage, qui ne concerne ni les libertés et droits fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics, et l’on ne pourrait dire que le mariage est "naturellement" (c’est le Conseil qui met entre guillemets) l’union d’un homme et d’une femme.
Par cette loi, le Législateur a estimé que la différence entre couples hétérosexuels et couples homosexuels n’implique pas nécessairement qu’ils soient dans une situation différent (le Conseil utilise ici son second obiter dictum de départ) et le Conseil estime qu’il relève du pouvoir du Parlement de faire accéder au même état de mariage des couples qui sont dans une situation différente, les uns hétérosexuels, les autres homosexuels.
Quant à la compatibilité de la loi examinée avec les engagements internationaux de la France, le Conseil estime qu’il n’est pas dans sa compétence de la contrôler.
Ainsi, le Conseil pose la constitutionnalité du nouvel article 143 du Code civil.
C’est certainement cette partie-là de la loi qui sera le plus contestée, politiquement et juridiquement.
Les requérants contestent le nouvel article 202-1 du Code civil qui pose que les qualités requises pour se marier sont régies par la loi personnelle de chacun des époux. Cette règle dérogatoire du droit international privé va permettre en effet selon eux de frauder systématiquement le droit de la nationalité, favorisant les mariages blancs.
Le Conseil répond que l’éventualité de fraudes et de détournement des institutions n’entache pas les lois d’inconstitutionnalité.
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IV. RÉPONSE DU CONSEIL À LA CRITIQUE RELATIVE A L’ADOPTION
Le conseil rappelle que le Code civil pose le principe selon lequel "deux époux" peuvent former une demande d’adoption, qu’elle soit simple ou plénière. Dès lors, il estime que, que les mariés sont homosexuels ou hétérosexuels, l’adoption est permise.
La loi examinée prend des dispositions nouvelles posant que le mariage et la filiation adoptent entraînent les mêmes droits obligations, que les époux soient de même sexe ou non. Les requérants estiment que la loi est inintelligible, car les articles du Code civil auxquels ces dispositions renvoient font eux usage des termes "mère" et "père", ce qui rend l’ensemble législatif incohérent.
Le Conseil constitutionnel reconnait que la Déclaration de 1789 (qui fait partie du bloc de constitutionnalité) "impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et de formules non équivoques".
Mais il estime que le législateur a indiqué clairement que les dispositions relatives à l’adoption ne sont pas affectées par le caractère homosexuel ou hétérosexuel du couple parental, ce qui satisfait donc le principe constitutionnel précité.
Le Conseil prend la peine (cela ressemble à un obiter dictum, signalant ce qui pourrait être la réaction du Conseil si une loi rendant licite la gestation pour autrui venant à être adoptée) de souligner que la loi n’a "ni pour objet ni pour effet de modifier la portée des dispositions de l’article 16-7 du code civil aux termes desquelles : toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle".
Le Conseil argumente différemment concernant la procréation médicalement assistée. Il rappelle que le code de la santé publique organise la PMA pour un couple formé d’un homme et d’une femme à propos duquel a été diagnostiqué une infertilité pathologique. Il admet qu’au regard de la procréation, les couples hétérosexuels ne sont pas dans la même situation que les couples homosexuels. Mais (par référence implicite au second obiter dictum émis en point de départ) le Conseil estime que le Législateur est en train d’attacher un régime juridique différent à des personnes qui sont dans des situations différentes, conformément à la définition donnée du principe constitutionnel d’égalité.
Les requérants estiment en outre que l’adoption par un couple homosexuel est contraire à ce qui serait un principe constitutionnel de "filiation bilinéaire", contraire au "droit constitutionnel de l’enfant de voir sa filiation à l’égard de son père et de sa mère" et contraire à la Convention de New-York sur les droits de l’enfant.
Sur le grief comme quoi l’enfant aurait une vie moins épanouie avec un couple homosexuel qu’avec un couple hétérosexuel, le Conseil estime qu’il n’a pas à se substituer au législateur dans l’appréciation que celui-ci a faite de la non-prise en considération de cette différence.
Sur le grief comme quoi l’enfant d’un couple homosexuel apparaît de ce seul fait aux yeux de tous adopté, ce qui constitue une atteinte à la vie privée, le Conseil répond que si la Déclaration de 1789 implique le respect de la vie privée, en revanche aucun principe constitutionnel n’empêche que les adoptions demeurent cachées, ni que la filiation adoptive imite la filiation biologique.
En outre, le Conseil estime que la loi n’a "ni pour objet ni pour effet de reconnaître aux couples de personnes de même sexe un "droit à l’enfant" ; en effet, les mêmes exigences s’appliquent aux couples homosexuels qu’aux couples hétérosexuels, et ils seront pareillement soumis à "une procédure destinée à constater leur capacité à accueillir un enfant en vue de son adoption". Est maintenue le contrôle par l’administration de la "conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant", tandis que le même critère sera utilisé par le tribunal de grande instance qui prononce l’adoption, que le couple soit homosexuel ou hétérosexuel.
Quant au droit de connaître sa filiation, que les requérants présentaient comme un principe général reconnu par les Lois de la République, le Conseil rappelle qu’il est possible d’encadrer et de limiter cette connaissance, que la loi l’a toujours fait, et il écarte en tout état de cause ce qui serait un principe de filiation bilinéaire, rejetant en outre l’idée d’un principe constitutionnel d’un droit à connaître sa filiation concurremment à l’égard de son père et de sa mère.
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V. RÉPONSE DU CONSEIL À LA CRITIQUE RELATIVE A LA VALIDATION DES MARIAGES ANTÉRIEURS À LA LOI
Les sénateurs critiquaient la disposition par laquelle la loi valident rétroactivement des mariages entre personnes de même sexe célébrés avant la loi. Il y voyaient une atteinte au principe de sécurité juridique et que l’intérêt général pouvant justifier la rétroactivité n’était pas ici présent .
Le Conseil répond que les travaux préparatoires de la loi montre qu’il s’agit de valider des mariages passés par des français à l’étranger avec un citoyen d’un Etat admettant le mariage homosexuel. Leur reconnaissance rétroactive permettra la transcription sur l’état civil français (il s’agit clairement de briser la jurisprudence de la Cour de cassation).
Le Conseil relève que la rétroactivité ne porte atteinte à aucun droit acquis et que le Législateur peut déroger à la règle selon laquelle la validité d’un mariage s’apprécie au jour de celui-ci.
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Ainsi, tout à la fois le Conseil constitutionnel déclare, dans la totalité de ses dispositions, la loi conforme à la Constitution.
Pourtant, par des formulations, des définitions, et des obiter dicta , il semble prendre date pour l’hypothèse où des lois ultérieures viendraient insérer dans le système juridique la PMA pour des cas de stérilité non-pathologique et surtout la GPA dont il paraît clairement que l’article 16-7 posant l’illicéité (au nom du principe de la dignité de la personne humaine) exprime une règle de valeur constitutionnelle, apte à lui faire obstacle.
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