Oct. 11, 2010

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Observations sur un évènement juridique

Conflit entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité : à propos de la garde à vue

by Marie-Anne Frison-Roche

Le système juridique fonctionne aujourd'hui davantage sur un mode dialogique que d'une façon hiérarchique. Cela peut se passer d'une façon aisée, même si cela est toujours long et complexe (affaire Perruche). Mais l'affaire de la garde à vue montre que l'ajustement peut être beaucoup plus difficile voire aboutir à des impasses. En effet, la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 a déclaré la procédure de garde à vue non conforme sur certains points à la Constitution, notamment quant à la présence immédiate de l'avocat. Le Conseil a utilisé son droit de suspendre les effets de l'abrogation des dispositions jusqu'au 1er juillet 2011 pour laisser au législateur un délai pour adopter une nouvelle loi. Mais, les principes (droits de la défense, procès équitable) qui ont justifié la déclaration d'inconstitutionnalité sont également présents dans la convention européenne des droits de l'homme. Or la contradiction des procédures de garde à vue avec la CEDH vient d'être évoquée devant la Cour de cassation et le parquet général a demandé le 7 octobre 2010 à la Chambre criminelle d'annuler les procédures de garde à vue pour violation de ces mêmes principes, visés par la Convention européenne. Or, l'Europe ne prévoit pas de différer l'effet des décisions. Le système des doubles hiérarchies, hiérarchie nationale et hiérarchie européenne, serait-elle grippée ? L'arrêt de la Chambre criminelle sera rendu le 19 octobre. Pour retrouver une harmonie, il faudrait qu'elle même diffère son effet jusqu'au 1ier juillet 2011... Comme quoi les problèmes issus de l'accroissement du pouvoir des juges ne se résoudraient que par un autre accroissement du pouvoir des juges.

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Le droit n'est pas une simple accumulation de règles et de décisions. Qu'il soit de Civil law ou de Common law, il forme un système, afin que ses différents éléments s'agencent les uns par rapport aux autres et que  tous les agents, qu'ils soient producteur de droit ou assujetti, puissent anticiper la façon dont le droit va s'appliquer et évoluer.

Pour construire un tel système, le plus simple est certainement la méthode hiérarchique. En effet, il faut mais il suffit de situer la règle ou la décision (la norme) à un endroit de la ligne hiérarchique pour la contraindre à être conforme ou compatible avec la norme supérieure tout en lui conférant mécaniquement la puissance de s'imposer symétriquement à la norme inférieure. Cette pyramide, inspirée par Kelsen, a placé au sommet la Constitution. Cet auteur allemand des années 30, dont l'influence fut considérable sur la constitutionnalisation des systèmes juridiques, n'avait pu intégrer la place de l'Europe. S'est donc profilé une sorte de seconde pyramide kelsenienne européenne. Son sommet sont les textes européens, notamment les successifs traités de la Communauté puis de la l'Union Européenne. Mais l'Europe elle-même se dédouble entre l'Europe économique et l'Europe des droits de l'homme, des libertés et des droits fondamentaux, logés dans la convention européenne des droits et dont la Cour Européenne des droits de l'homme est la gardienne. Cette multiplicité de pyramides brise le mode hiérarchique précédemment décrit et ouvre la place à une organisation non plus fondée sur le pouvoir des auteurs des textes, essentiellement les législateurs, de placer les normes aux différents niveaux de la pyramide, mais bien plutôt sur un dialogue des juges.

Le plus souvent, parce qu'il existe une culture juridictionnelle commune qui innerve les cultures nationales et la culture européenne, en dehors d'un rapport hiérarchique, les ajustements se font spontanément comme le montre l'affaire Perruche ("Les sources du droit ne sont plus organisées sur un mode hiérarchique mais sur un mode dialogique : l’exemple de l’affaire "Perruche", vendredi 17 septembre 2010.).

Mais pour qu'un tel système fonctionne, parce qu'il n'est pas mécanique, encore faut-il que les Cours soient à priori d'accord pour un tel procédé. Or, l'affaire de la garde à vue peut donner à quelques inquiétudes à ce propos car on peut y voir les Cours se dresser les unes contre les autres.

En effet, le Conseil constitutionnel, saisi par une question prioritaire de constitutionnalité, a rendu une décision du 30 juillet 2010, qui déclare que sur certains points, la procédure de garde à vue, telle que le Code de procédure pénal l'organise, n'est pas conforme à la Constitution.

Cette décision insiste sur la banalisation du recours à la garde à vue, et ce même pour des infractions mineures. Bien que n'estimant que la procédure telle qu'elle est actuellement organisée mette en cause la dignité de la personne elle déclare que la restriction des droits de la défense, née pour l'impossibilité pour la personne interrogée et retenue contre sa volonté de bénéficier immédiatement de l'assistance effective d'un avocat, imposée d'une façon générale et sans que lui soit indiqué son droit de garder le silence, est contraire à la Constitution.  En revanche, les procédures dérogatoires, notamment celles qui étendent la durée de la garde à vue, en matière de terrorisme ou de stupéfiants ne contredisent pas les libertés et droits fondamentaux. Enfin, le Conseil constitutionnel reporte l'abrogation des dispositions au 1er juillet 2011 pour permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité.

Les personnes expertes s'étaient déjà inquiétées de cette situation car, comme le mécanisme d'annulation, l'inconstitutionnalité est un état qui affecte une norme et en cela, elle est rétroactive, puisqu’en la déclarant non conforme, le juge ne fait que révéler un vice qui l'a depuis toujours affecté.

Certes, en ce qui concerne la déclaration d'inconstitutionnalité, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a résolu la difficulté en conférant au Conseil le pouvoir de différer l'abrogation. De la même façon, sans texte, le Conseil d'Etat diffère dans le futur l'effet de l'annulation d'un acte administratif.

Mais cela n'existe pas pour les droits visés par la Convention européenne des droits de l'homme. Or, les droits de la défense tels que développés par la jurisprudence constitutionnelle et par la jurisprudence européenne sont quasiment identiques.

Ce que l'on peut désigner comme "un incident de système" vient du fait que le parquet général près la Cour de cassation a demandé le jeudi 7 octobre 2010 à la Chambre criminelle de celle-ci devant laquelle sont déposés trois pourvois l'annulation de procédure de garde à vue pour contrariété à la Convention européenne des droits de l'homme, notamment parce que l'avocat doit pouvoir être présent à la garde à vue.

La Chambre criminelle rendra son arrêt le 19 octobre 2010. La situation est aporétique.

En effet, soit pour ne pas heurter le mécanisme constitutionnel et laisser au parlement le temps de modifier la loi, elle déclare la procédure valide pour éviter la destruction immédiate des procédures et anticipées sur le calendrier concédé par le Conseil constitutionnel. Mais ce faisant, la chambre criminelle brise l'unité de concept juridique de droit de la défense entre la Cour européenne des droits de l'homme et la notion de procès équitable d'une part, et la notion constitutionnelle de droit de la défense d'autre part. Soit la Chambre criminelle fait prévaloir la hiérarchie européenne sur la hiérarchie constitutionnelle et annule les procédures soumises à sa censure mais ce faisant elle de fait sans objet rend le délai que le Conseil constitutionnel avait le pouvoir, donnée par une loi constitutionnelle, de donner au législateur pour remettre le système juridique en état.

Pour sortir de cette aporie, née de ces nouvelles puissances juridictionnelles la seule solution semble être un accroissement de la puissance juridictionnelle par une autre de solution tautologique : les problèmes posés par la puissance du juge sont résolus par la puissance du juge.

En effet, il faudrait que la Chambre criminelle, comme semble le suggérer les conclusions de l'avocat général, décide sans qu'aucun texte lui en ait conféré le pouvoir, d'une part déclarer non conforme certains éléments de la procédure de garde à vue par rapport à la Convention européenne des droits de l'homme, le contrôle de conventionalité retrouvant ainsi son parallélisme par rapport au contrôle de constitutionnalité, mais que d'autre par elle décide que sa décision ne prendra effet qu'au 1er juillet 2011, s'attribuant un pouvoir de différent dans le temps l'effet de son arrêt, associant ici l'unité de la portée des deux contrôles à l'unité de leur substance.

Cela permettrait enfin de régler clairement l'application dans le temps de la jurisprudence, comme l'est depuis des siècles l'application dans le temps de la loi, puisqu'il faudra bien que nous cessions de feindre que les décisions de justice n'ont pas de portée au-delà du cas qu'elles tranchent et qu'il faut donc bien organiser leur application dans le temps.

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