Sept. 21, 2010

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Observations sur un phénomène juridique et politique

A qui appartient l'institution judiciaire ?

by Marie-Anne Frison-Roche

Le ministre de l'Intérieur a le 18 septembre 2010 affirmé que, la délinquance étant un phénomène global, elle appelait "un traitement global". Il propose donc notamment l'élection des juges de l'application des peines, voire celle des présidents des tribunaux correctionnels, ainsi que l'insertion de jurés civils dans les tribunaux correctionnels. On croyait jusqu'ici que c'était de la compétence du garde des Sceaux, gardien des libertés et de l'organisation judiciaire. C'est évidemment transformer un peu plus la justice en un simple outil de répression.

L'édition du 18 septembre du journal Le Figaro, publie un entretien de Monsieur Brice Hortefeux, Ministre de l'Intérieur, qui critique l'interruption "de la chaine de sécurité" qui s'arrête après l'interpellation alors que "seul un traitement global de la délinquance, qui va de l'interpellation à l'incarcération, nous permettra de mettre hors d'état de nuire les criminels".

Certes, l'idée de "chaine" n'est pas une conception nouvelle et notamment le garde des Sceaux Robert Badinter avait développé l’organisation des chaines pénales, les préfets et les procureurs travaillant ensemble pour prévenir et lutter contre la délinquance.

Mais ici, l'idée est différente puisque la chaine dont l'efficacité est promue se prolonge dans le temps jusqu'à non seulement le prononcé des peines, avec par exemple, les propositions de rétention de sureté ou d'abaissement de la majorité pénale à 16 ans, mais encore de l'application des peines avec le mode de désignation des juges qui en sont chargés, ici l'élection qui en est proposée, et des propositions plus générales quant à l'organisation juridictionnelle.

Plus précisément, un jury populaire dans des tribunaux correctionnels pourrait rendre des jugements plus sévères que ceux rendus par les seuls magistrats professionnels, surtout en cas d'atteinte aux biens et à la sécurité. De la même façon, si le juge d'application des peines est élu par les victimes, il pourrait avoir tendance à donner des gage de sévérité, comme pratique de clientélisme, autant d'efficacité de la répression et de lutte contre le crime enfin bien menée.

Or, au nom de l'idée de globalité, le Ministre de l'Intérieur gomme tout simplement l'autonomie même de la justice, celle qui justifie l'existence d'un garde des Sceaux et l'on comprend mal que la garde des Sceaux se soit contentée d'affirmer qu'elle avait des idées distinctes de celles du Ministre de l'Intérieur car l'affaire ici n'est pas celle d'idées personnelles mais bien une question fondamentale d'institutions et de libertés publiques.

En effet, il faut absolument distinguer la répression et le maintien de l'ordre, dont on peut considérer que le Ministre de l'Intérieur a la charge, et le droit pénal qui ne s'exprime qu'à travers le procès, dont le garde des Sceaux a la charge. En effet, la répression a pour but la sanction, et comme le dit fort bien le Ministre de l'Intérieur dans son interview, "le souci de mettre hors d'état de nuire les criminels".

Mais tout l'honneur et la raison d'être du droit pénal, qui ne s'exprime que par la procédure pénale, que par les tribunaux pénaux, et ce, depuis Beccaria, est de poser que les personnes sont présumées innocentes, que le bénéfice du doute leur est favorable, qu'elles ont le droit de mentir ou de garder le silence, que - le Conseil constitutionnel vient de le rappeler vertement au Gouvernement à l'occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité - toute personne mise en garde  à vue a droit à un avocat dès la première heure de garde à vue  : cela signifie que le droit pénal est une machine à entraver la répression.

Cela explique que lorsqu'on a voulu accroître la répression, notamment en matière économique, par exemple, en droit de la concurrence, le législateur a choisi de dépénaliser le système en confiant le procession de sanction à des autorités administratives dans le but d'intensifier la répression, résultat atteint.

Il est essentiel que le Ministre de l'Intérieur n'impose pas sa logique de répression et de primauté de l'ordre dans l’espace judiciaire, y compris et avant tout dans l'espace judiciaire pénal, car celui-ci est l'espace des libertés publiques et de la présomption d'innocence dont les tribunaux et le gardes des Sceaux sont les gardiens.

Il est certain que les mesures proposées pourraient accroître les répressions, parce que le peuple est instinctivement plus répressif que ne le sont les magistrats professionnels. Ainsi, si je le juge d'application des peines est élu, il aura tendance au clientélisme et offrira une sévérité accrue comme gage à ses électeurs et André Gide, dans une autobiographie, montra la dureté des jurés.

 Pour reprendre la sagesse de l'adage, en parodiant sa forme, Dieu nous préserve de l'efficacité répressive.===

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