Enseignement : Les Grandes Questions du Droit
Sciences Po, semestre automne 2013
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Le précédent cours a porté sur les "offices" du juge. Lorsque le juge a pour principale fonction de concrétiser la loi générale en l’appliquant à une situation particulière, son jugement, qui prend la forme unilatérale d’un syllogisme, est relativement autonome du procès qui est son précédent nécessaire. Ce n’est que dans une conception plus dialogale du jugement, tel que Perelman a pu la développer que le jugement est la forme achevée du procès (v. cours n°7 et infra).
Dans ce cours consacré plus spécifiquement au procès, il convient tout d’abord d’examiner les différentes conceptions de celui-ci.
Il est traditionnel de distinguer, voire d’opposer, la procédure accusatoire et la procédure inquisitoire. Dans une procédure accusatoire, les parties au procès apportent les éléments, de fait et de droit, au débat. Le juge est relativement passif et écoute le débat. Cette passivité est la forme la moins sophistiquée de l’impartialité de la justice. La justice accusatoire caractérise la justice anglaise et nord-américaine. Il suffit de regarder les films pour le mesurer.
Le principe accusatoire s’accompagne du "principe dispositif", qui vise la libre disposition que les parties en litige ont du procès lui-même : elles en "disposent". Ainsi, elles organisent les délais elles-mêmes, etc. La notion d’accord est essentielle. Aux Etats-Unis, cela explique que, la forme contaminant le fond, la matière litigieuse elle-même devienne susceptible d’accord : ainsi, par le plea bargaining, le procureur accepte de solliciter une peine moins sévère en échange d'une reconnaissance de culpabilité. En France, dans une perspective traditionnelle, on aura tendance à limiter au procès civil, la technique accusatoire et le principe dispositif, car les parties ont la libre disposition de leurs droits subjectifs en cause.
A l’inverse, lorsque l’ordre public est en cause, le système juridique français ne veut plus laisser le procès à la volonté des parties aux procès. Traditionnellement, des personnages impartiaux vont apparaître, le Ministère public pour le procès pénal, le Rapporteur public pour le contentieux administratif, qui font agir pour demander l’application de la loi. A ces magistrats, s’associent des juges, qui vont eux-mêmes conduire le procès, avec toute la puissance de leur fonction (ordonner des expertises, des emprisonnements, etc.). En contrepoint de cette méthode inquisitoriale, dont nous verrons qu’elle est liée à l’ambition non plus de l’accord (contrat), mais de la vérité (science), s’associe dans tout Etat de droit le principe constitutionnel des droits de la défense. Le principe inquisitoire est la marque du procès pénal, mais aussi du contentieux administratif.
Au-delà de cette première présentation, traditionnelle, un principe s’impose : le principe du contradictoire. Il permet à toute partie de soumettre ses arguments et de répondre à ceux qui sont apportés par les autres, y compris par le juge. Le juge a en outre le devoir de veiller au respect du contradictoire, qui le contraint également.
Ainsi, dans une conception classique, avant que les droits subjectifs n’envahissent l’espace du procès, comme ils ont envahi les autres espaces, le procès est le lieu de la mise d’une succession de pouvoirs : le pouvoir d’enclencher le procès, le pouvoir de le mener, le pouvoir de rechercher les faits pertinents et le pouvoir de clore le procès.
Aujourd’hui, d’une façon plus moderne, par l’influence notamment d’Henri Motulsky, le procès est conçu comme un espace autonome et unifié, indépendant de la matière litigieuse diverse (civile, pénale, administrative, commerciale, internationale, etc.). Les tribunaux demeurent spécialisés, mais les techniques procédures convergent désormais vers des droits subjectifs fondamentaux.
Il en est ainsi de l’action en justice. Henri Motulsky soutint que celui-ci n’était pas un pouvoir mais un droit subjectif processuel, double préalable que tout droit subjectif substantiel, lequel a vocation à être concrétisé par le juge (v. cours n°7). Par sa plume, l’article 30 du Code de procédure civile définit l’action en justice comme le droit de soumettre à un juge une "prétention". Au terme du procès, celui-ci dira que celle-ci est "bien ou mal-fondée". S’il ne le faisait pas, il y aurait "déni de justice (article 4 du Code civil, d’une façon plus développée, v. cours n°4).
La prétention est une notion-clé du procès. La prétention est constituée par une allégation, c’est-à-dire l’histoire racontée par la partie qui "demande" quelque chose. Si la partie est défenderesse, elle demande au moins que le demandeur ne gagne pas. Si la partie est un magistrat, impartial, il demandera au moins l’application de la loi. Cette histoire, cet "édifice de fait" est associée à une demande, par une imputation que la partie à l’instance fait donc entre l’histoire qu’elle soutient et sa demande, sa prétention particulière étant donc le reflet de la structure abstraite de la règle de droit.
Une fois que le procès est ouvert, parce qu’un droit d’action a été exercé, par le Ministère public pour l’action publique (une spécificité française, que certains trouvent critiquable permettant à la victime de provoquant l’action publique en se constituant partie civile), par une personne qui remet en cause la conformité d’une norme par rapport à la norme juridique supérieure (contentieux objectif, recours pour excès de pouvoir), ou qui veut engager la responsabilité de l’administration ou l’administration qui veut faire valoir ses droits (contentieux subjectif, recours de plein contentieux), action ordinaire devant les tribunaux civils et commerciaux, le procès va se dérouler. La question se pose alors de savoir qui va mener le procès, indépendamment même de la puissante distinction entre système accusatoire et système inquisitoire.
Ce pouvoir doit être pensé à travers une charge qui se répartit, quelque soit le contentieux, entre les parties et le juge et porte sur deux éléments distincts : d’une part les faits et d’autre part le droit.
En effet, dans une conception traditionnelle dans le procès civil, le pouvoir de mener le procès est dans les mains des parties (principe dispositif), le juge étant observateur du débat, tandis que le pouvoir revient au juge dans un système inquisitoire, devenu structurant dans le procès pénal, puisque celui-ci affecte la charge de rechercher les preuves à un juge spécifique : le juge d’instruction (voir infra).
Si l’on estime que le plus important dans un procès est l’égalité des armes, ce que la lecture de la Convention européenne des droits de l’homme aura tendance à faire penser, l’on ne peut qu’observer le déséquilibre entre les acteurs du procès dans un système inquisitoire, puisqu’une partie privée se retrouve face à un juge actif qui mène la procédure. C’est pourquoi l’on aura tendance alors à soutenir que la procédure nord-américaine est plus "juste", puisque les juges demeurent passifs, et que l’Etat est simplement représenté par un avocat, lequel n’a pas plus de pouvoir que l’avocat de la personne poursuivie.
Dans cette perspective, le juge d’instruction deviendrait dans son existence même insupportable : en effet, la personne poursuivie, son pouvoir ne découlant pas d’une quelconque fonction étatique, doit faire face à la fois à la police, au Ministère public et à un juge d’instruction. En outre, les membres du Ministère public et les juges d’instruction sont des magistrats qui appartiennent au même corps judiciaire dont l’unicité est toujours défendue par les intéressés et de fait, les juges d’instruction instruisent à charge.
C’est pourquoi l’on présente le système nord-américain comme meilleur (voir le rapport Delmas-Marty) et que l’on propose régulièrement la suppression des juges d’instruction pour restaurer l’égalité des armes, laquelle s’associe au procès équitable, cœur de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Mais l’on peut aussi concevoir, comme le fit Motulsky, un procès dirigé par le juge, y compris dans les diligences probatoires qui structurent un procès, que celui-ci soit pénal, administratif ou civil : dans cette perspective, le modèle ordinaire devient quelque soit le contentieux le système inquisitoire. En effet, il serait plus juste que le juge prête sa puissance à l’organisation de l’instance et à la recherche des preuves, plutôt que de laisser la relation des parties à l’instance, éventuellement de puissance inégale, régir celle-ci. En effet, l’observation des procès nord-américain montre que le plaideur riche gagne, et que les plus nombreuses victimes d’erreurs judiciaires, y compris ayant subi une peine de mort exécutée, étaient pauvres. Dès lors, seule la procédure inquisitoire est ’juste". Ainsi, le juge doit gouverner le procès, surtout si l’on conçoit un lien intime entre procès et jugement (voir cours n°7), puisque maître du jugement, il est logique qu’il soit maître de la procédure, dès l’instant que le jugement est avant tout la retranscription des débats contradictoires des arguments échangés, et non pas un syllogisme formel (voir cours n°7).
Par ailleurs, le procès répartit le pouvoir à travers la distinction du fait et du droit. La distinction du fait et du droit est à la fois majeur dans le système juridique et peut paraitre évidente.
Elle est en réalité plus hasardeuse, le doyen Marty ayant montré que, sous le syllogisme où la majeure est constituée de droit et la mineure est constituée de fait, en réalité est de droit ce que les hautes juridictions décident de contrôler et de fait ce qu’elles laissent à l’appréciation des juges inférieurs. Il en est ainsi de la faute, notion de fait que l’on qualifie comme étant une question de droit car est en jeu l’unicité de son appréciation dans le système juridique. Pour Motulsky, les parties ont en charge le fait et le construisent (notion de "édifice de faits"), tandis que le juge a "l’apanage du droit" selon l’adage romain Jura novit Curia (la Cour connait le droit). Ainsi, la partie peut saisir le juge sans se prévaloir du droit, tandis que le juge a le pouvoir, voire le devoir, d’appliquer une règle de droit que ne lui aura pas suggéré la partie. Ainsi, se répartit la charge du fait et du droit entre les parties et le juge (Da mihi factum, dabo tibi jus / "Donne-moi le fait, je te donnerai le droit").
Mais dans une vision moins légaliste, plus rhétorique et réaliste, la partie au procès, aidée de son avocat, mêle arguments de fait et arguments de droit, tandis que le juge a le devoir d’appliquer le droit (concrétisation du droit objectif, voir cours n°7) et le pouvoir de choisir parmi les règles applicables pour déterminer la solution particulière adéquate (article 12 du code de procédure civile ; voir d’une façon plus générale cours n°7). Ainsi, la distinction entre le fait et le droit est peu nette dans les procès.
Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne le pouvoir de rechercher les preuves, car la preuve d’un fait permet au juge d’exercer l’activité intellectuelle de qualification. La qualification d’un fait, par exemple le constat avéré d’un échange économique qualifié juridiquement de vente fait entrer ce fait dans la catégorie juridique « vente » à laquelle est attaché un régime juridique, celui que le Code civil a organisé pour la vente. En cela, l’on peut dire que la preuve est exactement le pont entre le fait et le droit et qu’à ce titre, la clef de tout procès réside dans la preuve, quelque soit le type de contentieux.
Indépendamment même du système probatoire (voir infra), le pouvoir de rechercher la preuve appartient non seulement aux parties, lorsque le procès est gouverné par le principe du dispositif (voir supra), mais encore appartient au juge lorsqu’il est gouverné par le principe inquisitoire. Ainsi, cela concerne non seulement le procès pénal ou administratif mais encore toute la matière économique, par exemple le contentieux du droit de la concurrence et l’article 10 du code de procédure civile rappelle que le juge civil peut ordonner d’office toute mesure d’instruction.
La clôture du procès s’opère ordinairement par l’acte du juge, qu’est le jugement. Le jugement est composé de deux parties : une partie intellectuelle, à savoir l’appréciation de la réalité telle qu’elle est racontée par les parties et appréciées par le juge directement et à travers ses discours, puis une partie décisoire, par laquelle le juge tranche et le juge impose une solution. Le jugement étant un acte juridique authentique, et le juge statuant au nom du peuple français, l’acte forme néanmoins un ensemble, lequel est par sa nature incontestable (théorie de la « vérité légale »). Nous avons vu les difficultés que cela engendre lorsque les faits soumis au juge sont appréhendés par ailleurs par la science historique (voir cours n°2).
Pour des raisons politiques fondamentales, l’acte juridictionnel engendre pour le juge une immunité. Ainsi, au Royaume-Uni, celle-ci est depuis toujours totale, le politique ne pouvant jamais diminuer le pouvoir des juges. Il en est de même aux Etats-Unis.
Le même principe est présent en droit français mais trois difficultés apparaissent, de trois natures différentes. En premier lieu, qu’advient-il des erreurs judiciaires ? En deuxième lieu, il est en réalité difficile de distinguer dans un jugement ce qui est l’activité intellectuelle et l’activité décisionnelle car certains motifs sont créateurs de droit (« motif décisoire » par exemple des motifs généraux inventé par le juge et placés dans les motifs). En troisième lieu, la population, sans doute incitée par les hommes politiques, comprend de moins en moins l’irresponsabilité des juges. C’est pourquoi se développe une tendance vers une responsabilité disciplinaire des juges, engagée par le Conseil supérieur de la Magistrature, organisme dont la composition a été modifiée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour que les magistrats judiciaires cessent d’y être majoritaires.
Les magistrats rendent des comptes sur leurs comportements aussi bien professionnels que personnels devant l'instance disciplinaire du CSM. La préservation de la liberté syndicale qui leur a été reconnue interfère. C'est pourquoi la constitution d'un "mur des cons" dans les locaux du Syndicat de la Magistrature a posé difficulté et le garde des Sceaux a demandé au CSM un avis sur un tel comportement. Par une décision en date du 16 mais 2013, le CSM s'est déclaré un incompétent pour rendre un tel car celui-ci porterait atteinte à son impartialité, l'obligeant à préjuger d'un comportement qu'il pourrait avoir à connaître ultérieurement dans une instance disciplinaire.
L'instance ne s'achève pas toujours pas un jugement. En effet, les parties ont également la possibilité de clore le procès. Cela est logique dès l’instant que le procès participe d’une conception contractuelle et que les parties peuvent défaire ce qu’elles ont fait. Ainsi, par la technique du serment, la matière contentieuse est épuisée. Plus encore, l’article 2044 du Code civil vise le contrat spécial, contrat formel, de la « transaction », qui est un contrat qui termine une contestation née ou à naitre. La chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 mars 1982, a eu l’occasion de rappeler qu’une transaction est valable dès l’instant qu’il y a des concessions réciproques, même si celles-ci seraient déséquilibrées.
Mais le procès lui-même oscille aussi en permanence entre le contrat et la vérité. D'une façon générale, l'article 10 du Code civil oblige les tiers à collaborer à la manifestation de la vérité en justice. La place de la vérité est aujourd'hui très disputée dans les procès civils, notamment en matière de filiation, si l'on commence à "mettre en débat" la question de savoir qui est véritablement la "mère". Plus classiquement, la vérité est au centre du procès pénal. En effet, notamment pour le droit pénal qui ne prend forme qu’à travers le procès, celui est avant la voie d’accès à la vérité des faits. Sa raison d’être est d’affirmer la culpabilité de la personne poursuivie dans la reconstitution la plus exacte possible des faits passés, voir la projection de faits potentiels futurs, dans une dynamique de défense sociale. Dans un tel cas, le modèle contractuel, dans lequel la vérité n’a pas sa place s’éloigne et la science devient le modèle, fournissant ses instruments adéquat. La Petite et la Grande Question n’ayant plus cours, les actes de barbarie et de violence étant par ailleurs sanctionnés, y compris lorsqu’ils se déroulent dans les commissariats et lors des gardes à vue, la science et ses objectifs de vérité prendront plutôt la forme de police scientifique, de recherche d’ADN, etc.
Du point de vue procédural, il en résulte un procès construit sur le modèle inquisitoire, un activisme probatoire, particulièrement net dans le domaine des contentieux concurrentiels et financiers et la prédominance des experts. S’affrontent alors des traditions procédurales puisque la montée générale des experts s’intègre facilement dans la tradition française, tandis que la Cour suprême des Etats-Unis les considère davantage comme des témoins soumis au débat, dans un contexte accusatoire. En outre, les contentieux se technicisent et se spécialisent. Pour ne prendre qu’un exemple, des « pôles » se constituent au sein de certaines juridictions, par exemple à Paris le pôle financier.
Une question nouvelle apparait alors, à savoir l’aptitude technique de celui qui juge.
En effet, cette évolution appelle nécessairement une évolution vers des juges techniquement plus compétents en reflet de la situation qu’ils appréhendent, par exemple compétents en économie sur les contentieux économiques, compétents en psychologie pour les contentieux familiaux ou compétents en médecine pour les contentieux bioéthiques, etc. Cela pose la question non seulement de la formation des magistrats qui, lorsqu’ils sont de l’ordre administratif ont toujours été instruits sur le fonctionnement de l’Etat, mais des magistrats judiciaires, qui apprennent avant tout le droit. Cela pose plus encore la question des jurés populaires.
Les Jurés populaires, omniprésents dans les systèmes anglo-nord-américains, présents en France dans les Cours d’assise et depuis la loi du 10 août 2011, dans les tribunaux correctionnels, reposent sur l’idée politique qu’en matière pénale, le peuple souverain doit juger, et que, idée rousseauiste, le peule a raison et exprime la rationalité. L’idée de rationalité, radicalement différente de l’idée de maitrise technique, est supérieure à celle-ci. Ainsi, la loi du 10 août 2011 parle de "tribunal correctionnel citoyen".
La difficulté est la suivante. Les jurés, par leur méconnaissance technique et leur empathie excessive sont manipulables à la fois par les avocats et par les magistrats. André Gide dans ses Souvenirs de la Cour d’assises, raconte l’injustice qu’il en résulte. Aux Etats-Unis, le pauvre risque fort d’être condamné, tandis que le riche a toute chance d’être libéré, ne serait-ce que sous caution.
Plus anciennement, dans l’affaire O J Simpson, poursuivi pour le meurtre de son épouse, très bien défendu fut acquitté au pénal, mais le système juridique nord-américain ne prévoyant pas d’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, il fut condamné pour fait de meurtre au civil à des dommages et intérêts. Il était de toute façon déjà ruiné par le montant des honoraires d’avocat.
En France, la loi du 10 août 2011, organisa « la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale ». Ainsi, les jurés sont désormais présents dans les tribunaux correctionnels et dans le mécanisme de suivi d’application des peines. Cette loi fut controversée car pour certains elle aurait pour effet, voire avait pour objet, d’accroitre la répression.
D’ailleurs, dans son contrôle a priori, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 août 2011 a certes validé la loi précitée mais a déclaré non conforme à la Constitution certaines dispositions qui permettaient à ces jurés de connaitre de certaines questions, parce que ceux-ci n’avaient pas une compétence technique suffisante pour en juger. Ainsi, le Conseil selon sa méthode habituelle de balance tout à la fois admit le raisonnement politique qui justifie le principe de participation des citoyens à la justice pénale, mais néanmoins limite le raisonnement politique lorsqu’il vient par trop heurter une exigence de maitrise technique minimale lorsque la matière litigieuse à juger devient trop complexe.
De la même façon que le procès oscille entre le contrat et la vérité, il oscille entre la morale et l’efficacité. En effet, le procès pénal est par définition une limite, voire une entrave à l’efficacité de la répression, comme le démontra Beccaria à travers notamment le principe révolutionnaire de la légalité des délits et des peines.
Ce mécanisme de "citoyen assesseur" avait été instauré d'une façon expérimentale dans certaines Cours d'appel pour être évalué. Cette évaluation a montré que cette association des citoyens au procès pénal ne donnait pas satisfaction, un arrêté ministériel du 18 mars 2013 mit donc fin à l'expérimentation.
Par nature, le procès est construit autour de l’avocat, "auxiliaire de justice", qui, par nature, s’oppose à l’Etat dans l’exercice que celui-ci fait de son pouvoir de "violence légitime". Ainsi, le procès est l’expression d’une morale collective, d’où il résulte notamment que si l’issue des preuves est indécise, la personne concernée ne doit pas être sanctionnée, que l’innocence est présumée, que la charge de la preuve repose sur le demandeur, etc. C’est à l’existence de ces règles là que l’on reconnaît une Nation démocratique, davantage qu’à l’existence de mécanismes électifs. Les Etats totalitaires ne peuvent que mimer les procès (procès de Moscou).
Mais aujourd’hui le critère d’efficacité, qui prévalait sous l’Ancien Régime, revient en force, notamment dans le contentieux économique, en raison de la prévalence du critère de l’efficacité dans le droit économique, droit substantiel sous-jacent. Cela explique notamment le recul des secrets professionnels, notamment celui des avocats (v. cours n°6 et notamment l’arrêt du Conseil d’Etat, du 10 avril 2008, C.N.B.).
Se développe en outre une conception managériale de l’institution juridictionnelle, la justice étant désormais, comme tout corps de l’Etat, soumis à la LOLF.
La marche du procès, une fois qu’il est activé par l’exercice du droit d’action, constitue la procédure proprement dite. Le procès est une histoire, exemple parfait des théories du droit comme "narrativité", qui conduit les parties jusqu’au jugement et mène le juge à travers l’histoire racontée par le juge, dans un "dialogue" entretenu, le procès formant une diade entre les parties, voire une triade si l’on inclut le juge dans le procès même.
La procédure est gouvernée par les garanties fondamentales de bonne justice, que sont le principe du contradictoire et les droits de la défense. Les deux notions ne sont pas à confondre. Les droits de la défense sont un florilège de prérogatives offertes par la Constitution, les conventions internationales et la loi, pour protéger la partie dont les intérêts peuvent être compromis par la décision à venir. Ils ne se limitent ni au procès pénal ni à la juridiction contentieuse. Ils sont par nature une entrave à l’efficacité de la justice. Le principe du contradictoire vise l’aptitude à mettre dans le débat ses arguments pour que le juge les prenne en considération avant de décider. En cela, le contradictoire a pour principal bénéficiaire le juge dont la décision en est éclairée. Il est la marque de l’efficacité des procès.
Traditionnellement, la procédure fut l’organisation au sein de l’institution juridictionnelle du cas, permettant d’aller jusqu’au jugement d’une situation particulière mettant en cause le droit objectif.
En cela, classiquement, le jugement se distingue de la procédure qui le précède puisque le juge décide, la partie essentielle du jugement étant alors le "dispositif", lequel est la conclusion du syllogisme juridictionnel. Mais aujourd’hui le centre de gravité s’est déplacé, notamment du fait de l’importance accrue des garanties de procédures : ainsi, la conception traditionnelle de la procédure comme simple préalable de la décision du juge et dans le système juridique la procédure comme "servante" du droit objectif laisse place une nouvelle conception de la procédure au centre du système démocratique car c’est par la procédure que la personne accède au juge qui la protège.
Dès lors, il n’y a plus rupture entre l’échange d’arguments entre les parties, les débats et l’acte de juger : au contraire le jugement cesse d’apparaître comme un syllogisme formel et unilatéral pour refléter la rhétorique argumentative de chacun, y compris celle du juge. La motivation devient le centre du jugement.
Traditionnellement, dans la conception d’un jugement dont le centre est constitué par le dispositif qui tranche, "l’onde de choc du jugement" ne peut dépasser les parties. Cela est posé par l’article 1351 du Code civil qui affirme le principe de l’effet relatif des jugements. Celui-ci s’appuie d’ailleurs sur le principe du contradictoire puisque les tiers à l’instance n’ont pas été mis en mesure de faire connaître leurs arguments avant le jugement, ce qui rend inconcevable que celui-ci puisse engendrer des charges à leur encontre.
Pourtant, comme l’affirma le Doyen Carbonnier, l’on peut considérer la jurisprudence comme une "autorité". Dès lors, d’autres juges prendront des dispositifs analogues, au détriment de personnes excluent de la discussion lors de la première instance. Plus encore, la jurisprudence se voit reconnaître par beaucoup une portée normative.
Dans le même temps, l’on en reste à affirmer que l’interprétation des textes est déclarative de leur sens (principe de l’herméneutique). Ainsi, le sens que le juge donne à la loi est censé toujours avoir été celui du texte : de fait, la jurisprudence est rétroactive. La jurisprudence s’est émue de ce caractère rétroactif, notamment Christian Mouly, surtout en cas de revirement de la jurisprudence, puisque le second sens détruira le premier rétroactivement. On en arrive alors au paradoxe suivant : l’article 2 du Code civil interdit en principe à la loi d’être rétroactive. Mais cette limitation de pouvoir ne s’applique pas au juge qui, lorsqu’il adopte une "norme" nouvelle, lui confèrera de fait une portée rétroactive.
Cela contrarie l’objectif de sécurité juridique qui tend à s’affermir dans notre droit. C’est pourquoi le conseil d’Etat a pris l’initiative de différer dans le temps certains effets de dispositifs rétroactifs, comme les annulations d’actes illégaux, mais nous n’en sommes toujours pas à protéger le sujet de droit contre l’effet rétroactif des revirements de jurisprudence.
Aujourd’hui, comme nous l’avons vu à travers l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la procédure est devenue une sphère autonome où se concentrent des droits processuels fondamentaux, socle de la démocratie. Nous avons observé que l’article 6 adopte de la notion de tribunal une conception non pas formelle mais concrète et fonctionnelle, ce qui amena un changement radical en France sur les autorités administratives indépendantes (voir cours n°3).
Nous avons vu qu’en outre les juges ont qualifié le tribunal de « civil » ou de « pénal », non plus à travers les notions traditionnelles de branche du droit civil et du droit pénal mais à travers les notions européennes et autonomes de « matière civile » et de « matière pénale ».
Ainsi, il faut qu’il y ait un droit au juge, sans lequel il n’y a pas d’Etat de droit, mais ce juge doit être impartial, sans quoi l’ensemble n’est que mascarade. C’est pourquoi l’impartialité est à la fois un principe constitutionnel, visé par l’article 6 CEDH. Mais l’on a établi un triptyque. Ainsi, le droit exige une imparialité personnelle subjective : le juge ne doit pas avoir d’intérêt personne à la cause qui lui est soumise (l’exemple de la corruption étant le plus net de l’intérêt personnel).
Le droit exige une impartialité personnelle subjective : le juge ne doit pas avoir d’intérêt personnel à la cause qui lui est soumise (l’exemple de la corruption étant le plus net de l’intérêt personnel). Le droit exige également une impartialité personnelle objective : un magistrat même intérêt particulier dans la cause ne doit pas avoir connu de l’affaire dans une fonction précédente comme le rappela l’arrêt d’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 6 novembre 1998.
Enfin, le droit exige une impartialité structurelle objective, c’est-à-dire que l’organisation du tribunal doit "donner à voir" l’impartialité du système. C’est ainsi que par exemple, un rapporteur dans l’instruction ne peut pas participer ultérieurement à la phase du jugement.
Cette exigence de l’« impartialité apparente » (expression qui a engendré des confusions car elle est l’inverse d’une simple apparence d’impartialité) avait conduit à l’arrêt d’Assemblée Plénière du 5 février 1999, Oury, annulant les procédures de sanction devant la COB. L'exigence d'impartialité ayant valeur constitutionnelle, elle fut reprise dans les mêmes termes à propos de l'ARCEP, dans la décision du Conseil constitutionnel du 5 juillet 2013, Numéricable.
L’article 6 CEDH exige en outre que la procédure se déroule dans un « délai raisonnable ». En effet, le dysfonctionnement de la justice, ses lenteurs, ne doivent pas peser sur le justiciable encore moins quand nous sommes en matière pénal, de raison de la présomption d’innocence et de la détention provisoire. La France est le pays le plus condamné en Europe pour méconnaissance de cette exigence. La jurisprudence assimile le non respect du délai raisonnable à un déni de justice car trop tarder à se prononcer équivaut à ne pas se prononcer ce qui est pour la justice le plus grave des manquements ainsi que le pose l’article 4 du Code civil, car un juge doit juger (voir cours n°4).
Enfin, la procédure doit être « équitable ». L’article 6 CEDH utilise ce terme dans un sens anglais, c’est-à-dire qu’est juste une procédure dans laquelle est respectée l’égalité des armes, notion étrangère au système français. Elle est principalement une notion du modèle accusatoire et ne s’accorde pas avec le système inquisitoire notamment pas avec un Ministère public plus puissant et un juge d’instruction. Plus cette conception de l’équité va se répandre, via l’Europe, et plus le modèle inquisitoire, ainsi que l’efficacité qui lui est associée, sera compromise, alors que son injustice n’est pas démontrée. C’est pourquoi ces questions demeurent l’objet de nombreux débat.
L’on mesure ainsi à quel point, à la fois la doctrine, notamment alimentée par la puissante et humaine pensée d’Henri Motulsky et l’article 6 CEDH ont entièrement renouvelé ce qu’est un procès. Le procès est désormais au centre des systèmes juridique. Habermas a montré qu’il était aussi, par la procédure et la notion d’espace public, au centre des démocraties.
On peut certes déplorer le changement politique que cela engendre, comme le fait Pierre Manent, mais il est désormais acquis que les systèmes sociaux font une très larges places, peut-être mettent en leur centre les juges.
Si les procès deviennent un mécanisme à la fois central et ordinaire dans la vie de chacun et dans le fonctionnement de notre société, alors comme dans le droit de Common Law, les techniques probatoires vont s'affiner. En effet, dans toute situation juridique, quelle qu'elle soit, un mariage, un contrat, une relation de voisinage, etc., est virtuellement présent un juge. C'est notamment ce qu'admet la théorie économique des "contrats incomplets". Dès lors, chacun doit anticiper le moment du procès, ne serait-ce que pour l'éviter : c'est sans doute ce que fait toute personne ou toute entreprise aux Etats-Unis. Ce que l'on désigne parfois comme l'"Américanisation du droit français" devrait donc accroître considérablement l'importance du droit de la preuve.
Le jeu probatoire du procès est construit sur 4 piliers : qui doit prouver ? (charge de preuve) ; quoi prouver ? (objet de prouver) ; comment prouver ? (moyen de preuve) ; recevabilité des preuves (légalité des preuves).
En premier lieu, le Code civil aborde la charge de preuve à travers le droit des obligations, puisqu’il traite de la question à travers l’exemple particulier de celui qui réclame l’exécution d’une obligation et qui par là-même doit la prouver. C’est ainsi qu’en dispose l’article 1315 du Code civil. A travers ce simple exemple, la jurisprudence va construire un système probatoire autonome du droit des contrats. Suivant l’esprit de l’article du Code, la jurisprudence va commencer par poser que c’est le demandeur à l’instance qui doit supporter l’obligation de prouver. Sous l’influence de Motulsky, la jurisprudence posera que c’est le demandeur à l’allégation qui doit supporter la charge de prouver les éléments de fait qui figure dans celle-ci, quand bien même la partie est défenderesse à l’instance.
Par ailleurs, le juge, parce qu’il est le maître de la procédure, va obliger le défendeur à l’instance à sortir de sa passivité et à fournir les preuves contre lui. Cela est particulièrement vrai en contentieux administratif, procès souvent mené par l’administré contre l’administration, la preuve consistant dans des documents détenus par l’administration, puissante partie défenderesse.
En outre, interfère sur la charge de la preuve la distinction contre la règle de principe et l’exception. En effet, l’on estime que la personne qui se prévaut d’un principe n’a pas à rapporter la preuve de sa justification, alors que celui qui se prévaut d’une situation exceptionnelle, doit démontrer l’existence de ces circonstances (pour un exemple, voir l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 17 juillet 1985 .
Il peut arriver que certains objets pertinents soient dispensés de preuve. Seul le législateur peut accorder ce privilège. Comme la preuve se définit comme le moyen d’accéder à la réalité, donc un processus de type scientifique d’accès à la vérité, le mécanisme normatif contraire que met en œuvre le législateur sera celui de la "fiction".
Lorsqu’il est donc impossible de démontrer le contraire, l’histoire est incontestable, il s’agit d’une "présomption irréfragable", équivalente à une "fiction". Ainsi, l’article 1350 du Code civil pose que l’autorité de chose jugée n’est pas contestable et classe cette règle parmi les "présomptions établies par la loi".
Mais même cette règle peut être analysée non pas comme une "dispense" de preuve, mais comme une "raccourci" de preuve, une "économie" de preuve, car dans 90% des cas, cela est biologiquement exact (chiffre constant, malgré l’évolution des moyens de contraception et la facilité juridique des interruptions volontaires de grossesse). Dès lors, il ne s’agit plus d’une fiction, mais d’une présomption et les travaux du centre de logique de Bruxelles ont montré en réalité la proximité des deux notions.
Le juge peut alors avoir recours à un raisonnement probatoire, désigné comme la "présomption du fait de l’homme", décrite par l’article 1352 du Code civil. Il s’agit d’une preuve proprement dite, c’est-à-dire une voie d’accès à la reconstitution de la réalité, mais d’une façon indirecte.
Ainsi, la trace de pneu sur la route présumera non seulement la présence de la voiture portant ses pneus, mais encore la vitesse excessive à laquelle celle-ci roulait pour avoir laissé de la gomme sur le goudron. Puisque le contentieux est de nature logique et plus la technique de la présomption va se développer : ainsi le droit économique fait une large place à la présomption. Mais la présomption doit toujours être "réfragable", comme le rappelle l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 novembre 2005 .
Quelque soit le moyen de preuve, s’impose la règle générale et qui s’impose de plus en plus fortement de la loyauté de la preuve. Ainsi, l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 20 novembre 1991 pose que l’employeur ne peut se prévaloir d’un enregistrement pris à l’insu de l’employée pour prouver la faute de celle-ci. Pourtant, la Première Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 juin 2009 admet la preuve de l’infidélité par production dans l’instance en divorce des SMS reçus par le conjoint.
Dans les autres matières, apparaît l’ambiguïté de la preuve. En effet, la preuve peut avoir pour objectif d’atteindre la meilleure reconstitution possible de la réalité, mais elle peut aussi avoir pour fin de fournir une sécurité juridique aux personnes et aux opérations économiques. Ce second objectif est servi par le système de la "preuve légale".
Mais cette prévisibilité que procure le système de la preuve littérale n’a de sens que concernant les "actes juridiques", c’est-à-dire les actes de volontés qui ont pour objet de faire naître des effets de droit (par exemple, un contrat, un décret, un testament, etc.). Cela n’a pas de sens pour ce qui admet sans avoir été organisé, c’est-à-dire les "faits juridiques", évènemets ou situations auxquels le droit attache des effets de droit (par exemple, l’incendie - qui rend responsable, la parentalité - qui oblige à éduquer, etc.). Pour tous les faits juridiques, la preuve est libre.
En outre, lorsque le demandeur à l’allégation, parvient à apporter au juge un commencement de preuve par écrit (c’est-à-dire une preuve littérale imparfaite, une facture, etc.), il est autorisé à le compléter par un témoignage ou une présomption.
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Doctrine
Textes
Article 10 du Code civil
Article 1315 du Code civil,
Article 1350du Code civil,
Article 1351 du Code civil
Article 1352du Code civil,
Jurisprudence
Figure
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