Ecole Nationale de la Magistrature, Bordeaux
Le droit économique n’est pas cantonné dans le droit des affaires, et l’on retrouve sa dimension aussi bien dans celui-ci que dans le droit des contrats, dans le droit de la responsabilité ou le droit pénal. Ainsi, tout magistrat est concerné.
Dans cette perspective, les entreprises n’attendent pas des magistrats qu’ils soient particulièrement cléments mais qu’ils comprennent les contraintes de la décision économique, notamment par les limites de l’information dont le décideur dispose au moment où il prend sa décision, la reconstitution de celle-ci donnant souvent au magistrat une puissance au chef d’entreprise que celui-ci n’avait pas à l’époque.
Pour que les rapports entre le monde la magistrature et le mode économique s’améliorent et que la jurisprudence offre au monde économique une sécurité juridique, il convient que les jugements soient plus stables dans leur principe et plus explicites dans leur motivation.
Lire ci-dessous un résumé plus développée de l'intervention.
Il faut préalablement poser qu’il est faux que les magistrats judiciaires ne sont pas concernés par le droit économique et par les entreprises, auxquels ils ne seraient que plus tard confrontés dans leur carrière, du fait des compétences rationae materiae des tribunaux de commerce et des tribunaux de prudhomme.
Tout d’abord le droit pénal irrigue fortement toutes les entreprises et les jeunes magistrats le manient souvent. En outre, le droit économique excède le "droit des affaires" et concerne notamment le droit de la responsabilité, le droit des assurances, etc., matières que les magistrats des tribunaux civils appliquent quotidiennement aux entreprise.
Ainsi, et si l’on devait le dire en un mot, les entreprises n’attendent pas des magistrats qu’ils soient particulièrement cléments, indulgents, voire complaisants. Le Premier Président, Guy Canivet, juge sévère, qui impressionnait les entreprises et les marchés, était extrêmement apprécié par le monde économique, car il avait attiré leur confiance en étant constant dans sa sévérité même et parce qu’il s’astreignait à toujours s’expliquer. On pourrait en dire de même des grands juges que furent Pierre Drai, de Jean Vassogne etc.
Si l’on détaille un peu, l’on peut distinguer à l’égard de la magistrature, ce qu’attend une entreprise, ce qu’attend le monde économique, ce qu’attendent les marchés.
En ce qui concerne une entreprise, prise une à une, et quelle que soit sa taille, elle demande au juge, et cela n’a vraiment rien de spécifique, une bonne compréhension des faits. Mais les jeunes magistrats, s’ils ont part nature connus des situations familiales, ont souvent été éloignés des situations entrepreneuriales. Les stages sont donc absolument requis. Ensuite, et cela est le plus important, il faut une aptitude du magistrat, qu’il soit du parquet ou du siège, à se remettre à l’époque des faits pour comprendre l’incertitude dans laquelle se trouve le chef d’entreprise, lorsqu’il prend une décision, ayant peu de données pour la prendre, étant pressé par le temps et étant en charge de tenir en balance des intérêts qu’il évalue mal. Cet enjeu psychologique et probatoire est très difficile et est crucial dans un procès pour que justice soit bien rendue à l’égard de l’entreprise, le magistrat ayant tendance à prêter au chef d’entreprise une rationalité trop éclairée et une puissance d’appréciation, que celui-ci n’a pas sur le moment.
Si l’on prend plus globalement le monde économique, celui-ci a sans cesse à faire avec la justice, ce qui n’est par exemple le cas des familles qui n’ont qu’un rapport, que le Doyen Carbonnnier, qualifiait de pathologique, c’est à dire marginal, avec la justice. A l’inverse le monde économique a sans cesse à faire avec la magistrature. Or, avant tout le monde économique a besoin de sécurité juridique. Il se trouve que le législateur a perdu l’aptitude à la lui offrir en raison de l’inflation de la matière législative, de la mauvaise qualité des textes, des arabesques dans la hiérarchie des normes, etc. Or, le Magistrat peut aujourd’hui lui donner cette sécurité juridique, parce que le jugement est rationnel, au travers d’une motivation qu’il doit fonder sur un raisonnement.
Il est vrai que le législateur, dans l’ordre politique, est source supérieure de pouvoir, puisqu’il est souverain. Mais dans l’ordre économique, cette source est faible face à la rationalité, celle-ci trouvant son expression par la justification, la motivation, le principe de cohérence et de sécurité, auquel le magistrat doit astreindre le justiciable et s’astreindre lui-même, alors que le législateur ne s'y astreint pas.
C’est d’ailleurs la seule façon par laquelle le monde économique admettra la montée en puissance de la magistrature à son égard.
En cela, bien que cela soit en France très contesté par certains, l’opinion dissidente est appréciée par le monde économique, car elle lui permet d’avoir la preuve que l’opinion minoritaire, exprimée dans le débat, a trouvé place dans le jugement et cela lui permet d’anticiper rationnellement l’évolution jurisprudentielle qui viendra. Stephen Breyer, pour l'instant toujours minoritaire à la Cour suprême des Etats-Unis en est un splendide exemple.
Enfin, le système économique attend du système judiciaire, l’insertion d’une analyse véritablement systémique dans certains dossiers, lorsque l’impact du jugement constitue une vague sur l’ensemble d’un secteur ou d’un marché ou d’une activité. Ainsi, lorsque la Cour de Cassation eut à déterminer la qualification du contrat d’assurance-vie, elle fit venir l’association des compagnies françaises d’assurance pour mesurer l’impact sur le marché à travers la technique de l'amicus curiae, pour en opérer le choix juridique pertinent.
Devient alors pertinent de recourir à l’analyse économique du droit, si familière aux pays de Common Law, dans lesquels par ailleurs, il est usuel que juges et économistes travaillent ensemble.
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