Jan. 6, 2010

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Publication : Article dans une publication collective juridique

Droit et Bonheur, in Droit, Bonheur ?

by Marie-Anne Frison-Roche

Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Introduction, in Droit, Bonheur ?, Collège des Bernardins, éd. Parole et Silence, 2010, p.19-41.
 
Il n'y a pas a priori de rapport immédiat entre le droit et le bonheur, car le droit organise les sociétés et fait en sorte que les libertés individuelles coexistent alors que le bonheur relève du for interne. Mais le troisième terme qui est la morale peut faire en sorte que le droit intervienne et crée un lien avec le bonheur, défini alors comme une situation de "non-malheur". Ce sera le cas lorsque le droit, suivant la doctrine épicurienne fournit à chacun les biens nécessaires, tel un toit, de l'eau potable, des médicaments vitaux, voire l'éducation. Le rapport devient plus pernicieux lorsque d'une façon positive, le droit devient une garantie du bonheur de chacun. Si le droit conserve sa mesure, il s'en tient à une casuistique confiée au juge, qui, notamment en matière familiale, essaie que le malheur ne s'accumule pas au détriment du faible. Le risque vient que l'effort dispose d'autrui pour satisfaire leur droit au bonheur, par exemple se procure des enfants au nom du "droit à l'enfant", enfants blonds aux yeux bleus, le marché construit alors des standards de "bonheur officiel". La perspective est totalitaire et contraire à la liberté alors que c'est au nom de celle-ci que la déclaration du 4 juillet 1776 du Congrès des Etats-Unis avait établi un droit à rechercher le bonheur. Que le droit nous préserve de cette montée en puissance dans l'Occident de ces normes officielles du bonheur.
 
Lire le résumé de l'article ci-dessous.
 
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De la même façon que le législateur doit, selon le Doyen Carbonnier, demeurer "étranger" aux intérêts de la société qu'il doit néanmoins comprendre, je voudrais exprimer ma position : il faut se garder de tout droit au bonheur !

Les systèmes juridiques et les grands textes sont pourtant bien tentés de le conférer, le mettant sur un piédestal. On soulignera que la déclaration des Etats Unis du 4 juillet 1776 n'avait pas tant déclaré un droit au bonheur qu'un droit à la recherche du bonheur, ce qui renvoie à leur notion solide de liberté de rechercher son épanouissement propre et non pas un droit acquis de l'attendre d'autrui. De la même façon, Aristote ne donne pas au bonheur une autonomie conceptuelle, puisqu'il vient en surabondance du mérite ou de la gloire politique. Ainsi, que l'on est une définition individuelle ou collective du bonheur, dans ces deux perspectives, celui-ci n'est pas l'objet direct de l'action, mais sa récompense. Un esprit classique, Kant en premier, ramènera donc le bonheur à l’alliance de la liberté et de la volonté, en ce que être heureux.

Il convient donc en premier de démontrer, malgré les idées aujourd’hui répandues, l’absence de lien entre le droit et le bonheur, pour ensuite montrer au contraire que le droit ayant un rapport avec le malheur, il peut établir un lien avec le bonheur si l’on définit celui-ci comme le « non-malheur ». La médiatisation, le troisième terme, sera alors de nature orale, le droit interdisant la constitution de situation de malheur. Mais, si le droit se laissait aller à construire du bonheur, c’est vers une perspective totalitaire qui nous irions.

En ce qui concerne l’absence de lien immédiat entre le droit et le bonheur, cela tient à la différence de base entre le for interne, où se logent les sentiments ou l’amour, et le for externe, siège des comportements que le droit dans sa sagesse appréhende seul. Le droit libéral établit un ordre social dans un groupe de personnes en faisant coexister des libertés. Il protège cette construction ordonnée et préserve ses espaces de liberté, qu’il s’agisse des espaces politique, familial ou économique. Le bonheur ne le concerne pas.

Pour introduire celui-ci, il faut recourir au troisième terme qu’est la morale, laquelle peut être religieuse, et intégrer le bonheur, dans la vie présente ou future, personnelle ou d’autrui.

En cela, le droit va être chargé de protéger du malheur notamment en fournissant ce que les épicuriens désignent comme les « biens nécessaires ». Le bonheur apparait alors comme une définition négative, forme la plus forte des définitions, c'est-à-dire une situation de non-malheur. La difficulté tient dans la détermination des biens nécessaires. Les épicuriens avaient ainsi désigné l’abri, la société devant en fournir un à chacun. On ne peut qu’y songer à nouveau à travers le « droit au logement ».

Mais l'on peut avoir une conception plus extensive des biens nécessaires. Ainsi, d'une façon très concrète, il faut considérer que, ce qui est "vital" à l'homme, est un bien nécessaire. Il en est ainsi des médicaments vitaux, qui justifièrent un accord de l'OMC en 2000, ou un accès à l'eau potable. La notion de nécessité montre que le bien trouve son statut en fonction de l'usage qui en est fait : le bonheur rend le droit téléologique.

L’on peut encore l’exemple du droit à l’éducation en ce que l’individu éduqué accroit sa rationalité et devient plus apte à exercer sa liberté. On retrouve le lien précité entre bonheur et liberté indépendamment de la notion française du « bonheur d’apprendre ».

A l’inverse, les biens non-nécessaires, ce que Platon appelait le luxe, sont rejetés comme « somptuaires ». Les biens somptuaires sont des biens inutiles, mais aujourd’hui la puissance du marketing nous fait croire que les biens somptuaires sont des biens nécessaires, par exemple les boissons sucrées à la place de l’eau, les résidences secondaires s’ajoutant à la résidence principale.

Dans un système juridique, où le Code civil fut souvent qualifié de « code de propriétaires », la pauvreté, c'est-à-dire la réduction du patrimoine à des biens simplement nécessaires est un exemple de sagesse et le Doyen Carbonnier étudia le statut dans la révolution française de la « petite propriété » valorisée. Cela correspond à la philosophie religieuse, qui pose « heureux les pauvres ».

Mais,  et c’est là mon troisième point, le droit commence à se concevoir comme une garantie du bonheur de chacun, perspective contre laquelle il faut se liguer.

Tout d’abord, cela est contestable parce que dans un monde de liberté, chacun doit rechercher pour lui son bonheur, comme chaque famille construit son droit, sous la protection casuistique du juge, dans l’intérêt de l’enfant.

Il faut éviter que le législateur pose des normes générales d’un bonheur officiel. C’est au juge qui au cas par cas doit essayer que les malheurs ne s’accumulent pas au détriment des faibles.

Cette fonction du droit par rapport au faible, tandis que la liberté sert le fort, montre les dangers du pouvoir de disposer de soi au nom de son droit au bonheur, ce qui justifia notamment que la Cour européenne des droits de l’homme estima que le sadomasochisme est un droit de l’homme, si la personne persécutée s’y épanouie. C’est également ce qu’affirment les enfants dans bien des cas de pédophilie… Or protéger le faible est un devoir premier du droit et de ses personnages, éventuellement contre la volonté de la personne protégée. Comme l’exprime Nietzscht le bonheur réside dans le fait de s’abstraire de sa situation de faiblesse, de s’assoir à côté de l’instant.

Le danger est encore plus grand lorsqu’au nom de ce qui serait son propre droit au bonheur, on en voudrait à disposer d’autrui. Il en serait ainsi de ce que l’on a osé appelé le « droit à l’enfant ». Ainsi, sont arrivées des commandes de nouveaux nés, blonds, aux yeux bleus, les enfants sont réifiés, le marché s’installe.

Nous allons ainsi vers le plus grand des dangers, celui d’un « bonheur officiel » défini par le droit. Si l’on songe aux Etats-Unis, la société a émis des standards de bonheurs comme le fait d’être beau, jeune mince et bronzé. Cela ouvre le marché de la beauté et nous entrons dans le totalitarisme du bonheur, c'est-à-dire la destruction de la liberté, ce avec laquelle le droit avait établi un lien primaire.

Que le droit nous préserve d’une telle évolution.

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