A première vue, le droit de la concurrence, qui est "maître chez lui" dans les marchés des biens et services trouve "porte fermée" lorsqu'on considère les secteurs bancaires et financiers, et plus particulière le secteur bancaire.
En effet, lorsqu'il s'agit d'un espace sur lequel sont situés des offreurs et des demandeurs de biens et de services (prestations) ordinaires, qui s'ajustent d'une façon bilatérale par le moyen de contrats qui constituent le double juridique de l'échange économique ("contrat-échange") et que le marché a pour effet de mettre en masse ces multitudes d'échanges bilatéraux indépendamment les uns des autres conclus entre des agents eux-mêmes atomisés, l'effet du marché est de produire de l'information sur les prix de ces biens et de ces services, ce qui produit par ajustement un prix adéquat (appelé souvent "juste prix"), grâce au mécanisme de la concurrence, grâce à la liberté contractuelle.
Mais le secteur bancaire ne supporte pas cette violence concurrentielle, qui conduit à la faillite "heureuse" des offreurs qui ne sont pas assez performants, selon le modèle de la "faillite créatrice" de Schumpeter, puisque la faillite d'une banque produit un risque systémique, et le secteur implique pour la sauvegarde du système, l'intérêt de l'investisseur et du déposant, l'intérêt général, que le système soit préservé du risque systémique.
Dès lors, la concurrence, dans son principe même, n'est pas bienvenue, car elle peut en risque le système bancaire. Les deux organisations sont à front renversé : la prise de risque est toujours bienvenue dans le monde concurrentiel, elle est toujours crainte dans le monde bancaire et perçue comme un risque systémique pour le monde financier. Dès lors, et pendant très longtemps, le droit de la concurrence a même été considéré comme inapplicable à la matière bancaire. Celle-ci a plutôt été gouvernée par le principe traditionnel de l'exclusion du droit de la concurrence.
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Mais cette exclusion n'allait pas tenir toujours. Certes, parce que la banque est toujours connectée au système monétaire, parce que les banques manient la monnaie, la conservent dans les comptes de dépôts et les comptes à vue, créent de la monnaie, à travers la monnaie scripturale, le secteur bancaire, le secteur financier et le secteur monétaire, ne peuvent être dissociés.
Or, l'État est l'émetteur de la monnaie. Plus encore, puisque la banque produit de la monnaie scripturale, l'État garantit l'efficacité de la monnaie en se présentant comme le débiteur en dernier ressort. Cela est vrai puisque la faillite des banques n'est vraiment problématique que si l'État lui-même tombe en faillite, inconcevable conceptuellement (l'État est éternel), mais hypothèse aujourd'hui très concrète du fait des "dettes souveraines".
De ce fait du lien entre banque et monnaie, la banque est un objet de "service public". Or, il est traditionnellement usuel de rattacher le service public et l'État. Rattachement très profond en France, celui-ci est un effet de l'Histoire de France, lorsque cela se référait au service du Roi, lequel était lui-même le serviteur du Peuple. Dès lors, la figure du Marché, à laquelle se rattache la concurrence et le droit de la concurrence qui est l'instrument de celle-ci, est étrangère à cette conception très profonde de l'État.
Ainsi, le secteur bancaire est sous la tutelle de l'État et en épouse les principes profonds, le Gouverneur de la Banque de France étant désormais un Inspecteur des Finances (alors que la Banque centrale fût un temps l'émanation du secteur, ce à quoi Napoléon, qui avait le "sens de l'État" trouva à redire...).
Aujourd'hui, de cas en cas, de texte en texte, on bute sur des questions techniques, mais aussi sur ces données historiques très profondes qui font que la banque est rétive au droit de la concurrence et s'ajuste davantage au service public. D'ailleurs, le Conseil d'État, juge administratif en premier ressort,y étend de plus en plus sa compétence rationae materiae,et c'est devant lui que beaucoup de recours contre les décisions non seulement de l'A.C.P.R. sont portées mais encore de l'A.M.F. sont portées, alors que ce sont des opérations privées et des opérateurs privés qu'il s'agit d'apprécier.
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En outre, alors que l'État est présent, avec ses règles et ses juridictions propres, loin du droit de la concurrence et de son institution spécifique qu'est l'Autorité de la Concurrence, depuis toujours la banque prétend à l'autorégulation. En effet, en raison du risque systémique d'une part et de la nécessité d'organiser le fonctionnement global des paiements entre les banques pour que les moyens de paiement puissent être offerts par chacune d'elles à ses clients, alors même que chacune est en concurrence entre les autres, elles doivent nécessairement faire un système commun. Ainsi, l'autorégulation gouverne le paiement des chèques entre les banques des tirés et des tireurs des chèques, etc. Au départ, le système était entièrement autorégulé, puisque la Banque Centrale était elle-même une association entre les banques de la place. L'État est venu par la suite la transformer en établissement public, mais celui-ci a toujours été "autonome" de l'exécutif. C'est sous sa tutelle que l'autorégulation du système bancaire fonctionne, tutelle qui se fait à distance de l'exécutif, puisque la Banque centrale est constitutionnellement autonome.
Or, le droit de la concurrence est consubstantiellement hostile à l'autorégulation, puisqu'il s'agit d'une entente. En effet, les banques se rencontrent pour organiser entre elles le système de paiement. Plus encore, comme les banques ont une activité financière intense, cette autorégulation se déplace, jusqu'à la fixation autorégulée des taux, comme le Libor et l'Euribor. Ce mécanisme de fixation des taux par des panels constituées par des banques de référence ont non seulement montré ses limites, mais encore a justifié des sanctions disciplinaires, voire pénales. Pourtant, la BCE reconnait aujourd'hui qu'il est difficile de ne confier aux banques elles-mêmes l'ajustement quotidien des taux sur lesquels s'adossent des instruments financiers.
Ainsi, conceptuellement et dans les moeurs, cette articulation entre le service public (et l'État au centre) et l'autorégulation (et les banques au centre) paraissent d'évidence, l'exclusion du droit de la concurrence en étant corrélative.
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Mais le droit de la concurrence est la "discipline-mère" du droit économique, parce que le modèle du marché est omniprésent dans une société qui perçoit le progrès à travers la compétition et la lutte contre les rentes et les opérateurs faibles.
Dès lors, cette conception ne pouvait tenir en l'état.
En effet, il faut mais il suffit de regarder les choses différemment et d'appliquer d'autres qualifications juridiques, puisque "l'art" du droit est dans le maniement des qualifications. Il suffit de relever que les banques sont des entreprises, ce qui est incontestable. Il suffit de constater que ces entreprises offrent à des clients des prestations, que sont la gestion des comptes, la "vente" de produits financiers, etc., ce qui correspond à la définition que donne le droit de la concurrence d'une entreprise sur un marché économique, puisque les banques offrent ces sortes de biens que sont les "biens financiers" et les prestations à toute personne qui peut verser de l'argent en contrepartie (prix, intérêt, rémunération, honoraire, bref ce que l'on appelle en économie un "prix"), et qu'elles luttent entre elles pour obtenir des clients.
Les banques sont donc sur un marché concurrentiel et le droit de la concurrence doit leur être appliquée.
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C'est ainsi que les Autorités de la concurrence se sont tournées vers ce système pour enquêter sur leurs pratiques, les suspecter d'ententes et d'abus de position dominante, les deux principaux types de pratiques anticoncurrentielles dont elles ont la charge d'opérer la sanction pour que le dommage à l'économie soit réparé et que les auteurs soient punis et dissuadés de recommencer.
Certes, pendant ce temps, le droit de l'Union européenne, qui est le véritable creuset du droit de la concurrence, ayant, avant le secteur bancaire, violemment attaqué d'autres secteurs, naguère tenus par des monopoles d'État, comme le secteur des télécommunications, de l'audiovisuel et surtout le secteur de l'énergie, a développé, une exclusion plus "ciselée" du droit de la concurrence.
En effet, la Commission européenne, qui est le coeur, si ce n'est institutionnel du moins idéologique de l'Union européenne depuis les années 1970, a admis la notion de "l'entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général". Cette notion proprement communautaire se situe entre le "service public" (notion de droit français, qu'Alain Juppé en 1995 désigna comme "le service public à la française") et le "service universel" (notion économique, qui désigne technique ce à quoi tout opérateur ou consommateur doit pouvoir accéder, parce qu'il ne peut se le procurer autrement ; par exemple les réseaux de transport non duplicables sont des facilités essentielles donnant lieu à un "service universel").
Le "service d'intérêt économique général" est une notion floue, résultant de compromis politique, définie par une communication de la Commission européenne sur les S.I.E.G. et par des arrêts de la Cour de Justice qui décide au cas par cas si telle ou telle industrie en relève. Par exemple, l'industrie du gaz en relève. Dans un tel cas, le droit de la concurrence cesse d'être applicable, l'Etat-membre peut organiser un monopole, attribuer des droits exclusif, imposer des tarifications, attribuer des licences, etc.
Mais la Commission exige que l'Etat-membre prouve l'existence d'une "mission" d'intérêt économique général pour reconnaître que l'entreprise en cause gère effectivement un service d'intérêt économique général. Cette définition par la mission, est une définition par les buts (la mission), ce qui correspond à la définition téléologique du droit de la régulation (c'est-à-dire une définition de la notion simplement par les finalités poursuivies).
Mais la Cour de Justice de l'Union Européenne (C.J.U.E.), dans son arrêt du
14 juillet 1981, Züchner et Bayerische Vereins-Bank a posé qu'une banque n'avait pas une telle mission. Elle aurait pu dire l'inverse. Mais cela est conforme à sa jurisprudence antérieure, qui affirme par exemple que les Etats peuvent imposer des
golden shares dans une entreprises du secteur de l'énergie, mais pas dans le secteur bancaire. Cela peut être critiqué, en raison du risque système, de la financiariation de l'économie et du rôle social que l'Etat pourrait imposer aux banques, mais c'est ainsi que les juges ont vu les choses.
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Ainsi, par un mouvement juridique, que la crise financière peut éventuellement ne pas rendre inexorable, le droit de la concurrence a commencé à recouvrir sa mise à l'écart et a demander des comptes au secteur bancaire, dont le principe de fonctionnement est pourtant inverse à celui des marchés des biens et services.
Il y a eu un phénomène d' "appropriation" du secteur bancaire par le droit de la concurrence. Cette appropriation est surtout le fait des juridictions, de la Commission européenne et des Autorités de concurrence, davantage que le fait du législateur, qui s'est contenté de suivre, peut-être à regret.
C'est ainsi qu'à départ le contrôle des concentration échappait au droit de la concurrence. Lorsqu'il y avait un changement de contrôle au sein d'une banque, seule la dimension prudentielle du changement était prise en considération, mais le changement structurel sur le marché bancaire. C'est ainsi qu'à l'occasion de la prise de contrôle du
Crédit Lyonnais par le
Crédit Agricole, le
Conseil d'État par son arrêt du 16 mai 2003 sanctionna l'autorité bancaire prudentielle (le C.E.C.E.I., ancêtre de l'A.C.P.R.) d'avoir pris en considération cette dimension prudentielle, car cela ne rendrait pas dans son office.
En réaction, le Gouvernement obtint un changement dans la loi : désormais,
l'article L.511-4 du Code monétaire et financier dispose qu'une concentration bancaire est contrôlée par l'Autorité de la concurrence. Certes, comme la dimension prudentielle demeure, et puisque nous sommes donc dans une hypothèse d'"interrégulation", le Code monétaire et financier précise l'Autorité de la concurrence doit obligatoirement demander son avis à l'A.C.P.R. avant de prendre sa décision sur le projet de concentration. Plus encore, si l'Autorité de la concurrence ne suit pas l'avis, elle doit s'en justifier.
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Le droit de la concurrence a ainsi avancé via le contrôle des concentrations. Mais il avance aussi à travers le droit des pratiques anticoncurrentielles, et plus particulièrement en ce qui concerne les marchés des moyens de paiement. En effet, les moyens de paiement ne sont pas seulement ce qui permet à la banque et à son client de faire fonctionner le compte à vue (carte de paiement ou carte de crédit) : les moyens de paiement constituent des marchés à part entière.
Plus encore, les moyens de paiement se détachent du phénomène du compte bancaire puisque des entreprises qui ne sont pas des banques, comme Americain Express ou MasterCard proposent ces produits, sans compte sous-jacent, et entraînent en compétition avec les banques, lesquelles sont regroupées en Groupement d'Intérêt Économique (G.I.E).
Ce marché très important donne lieu à des ententes et à des abus de position dominante,les abus étant souvent opérés à partir d'un autre marché, tandis que les ententes ont pour objet les tarifs pratiqués ou bien (grief le plus grave) ont pour objet ou pour effet d'exclure des nouveaux entrants. On trouve ainsi de nombreuses condamnations aussi bien aux États-Unis et en Europe en la matière.
Mais l'entente n'est-elle pas inhérente à l'organisation que suppose entre les banques un moyen de paiement tel que les cartes bancaires ?
Cette réalité technique explique dans le même temps que le droit de la concurrence, dans sa dimension de régulation des concentrations, pénétrait dans le secteur bancaire, la percée qu'il a opérée dans celui-ci par le droit des pratiques anticoncurrentielles a été contrées par les juridictions de concurrence supérieures elles-mêmes, du fait du caractère nécessairement organisé du secteur.
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Il faut donc distinguer dans le droit de la concurrence le contrôle des concentrations et les sanctions pour des comportements qui sont justifiés du point de vue de la régulation et qui ont été dans un premier temps sanctionnés parce qu'analysés comme contraire au droit de la concurrence par les Autorités de première instance.
En effet, autant l'on peut concevoir que la concentration bancaire soit l'objet d'un double contrôle, concurrentiel et prudentiel, lorsque l'Autorité (alors Conseil de la concurrence) va frapper au coeur, c'est-à-dire en reprochant l'entente, le secteur va contester ce qui est son fonctionnement même.
En effet, les autorités de concurrence sont légitimes à punir les opérateurs, notamment les banques, lorsqu'ils commettent des ententes ou des abus de position dominantes. Ainsi, par la
décision du 19 septembre 2000, le Conseil de la concurrence, qui s'était lui-même saisi ("auto-saisine") à propos de la faculté de renégocier de renégocier le taux des crédits immobiliers, droit exceptionnel que le Législateur avait offert aux emprunteurs quelques années plus tôt, a sanctionné une entente entre les banques ayant pour objet et pour effet de bloquer la volonté du Législateur. Le bon fonctionnement du système bancaire ne pouvait le justifier.
Le système a été en revanche frontal lorsque l'Autorité de la concurrence a sanctionné pour entente tout le système des "images-chèques" qui permet à l'ensemble des banques d'opérer le traitement des chèques entre les banques des tireurs et les banques des tirés, alors même que cela était organisé sous l'organisation directe du Gouverneur de la Banque de France, celle-ci étant condamnée avec les autres participants pour entente illicite.
Mais cette décision de l'Autorité a été réformée par l'arrêt de la
Cour d'appel de Paris du 23 février 2012, les juges estimant que l'entente ne peut être sanctionnée que si elle a pour objet ou si elle a pour effet ou peut avoir pour effet d'affecter sensiblement le marché. C'est la définition même de l'entente. Or, la Cour relève que le système mis en place entre les banques n'avait pas pour objet d'entraver le marché. Elle affirme que l'Autorité n'a pas par ailleurs apporté la preuve que l'accord entre les banques a eu pour effet ou aurait pu avoir pour effet d'affecter sensiblement le marché. Dès lors, la sanction est annulée. Le pourvoi formé devant la chambre commerciale de la Cour de cassation semble être toujours en cours d'examen.
Ainsi, aussi en droit interne qu'en droit communautaire, à la fois le droit de la concurrence est pleinement entré dans le droit financier (directive MIF) et dans le droit bancaire (contrôle des concentrations et sanction des pratiques communautaires) et peu de temps après, un rééquilibrage s'est opérée entre droit de la concurrence et droit de la régulation (directive MIF 2, annulation de sanctions pour entente lorsqu'il s'agit d'organiser le secteur lui-même).
Plus encore, la prohibition des aides d'État, pilier du droit européen mais mécanisme absent du droit américain, qui va de soi en temps normal, va poser problème en cas de crise systémique.
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Il faut donc prendre comme acquis que le droit de la concurrence est présent dans le droit de la concurrence et que ses deux bras les plus puissants, à savoir le contrôle des concentrations d'une part et la prohibition des aides d'État d'autre part, vont y avoir un rôle majeur.
Mais la crise de 2008 et celles qui suivent ont remis les États au centre des systèmes et la concurrence ne peut que difficilement être présentée comme étant l'avenir simple et unique des secteurs bancaires, financiers et assurantiels.
Aujourd'hui, c'est un enjeu majeur et ouvert : quelle part doit avoir la concurrence ? On ne sait pas exactement et on le sait d'autant moins que se construit actuellement sous nos soins l'Europe fédérale à travers l'Union bancaire, dans laquelle la concurrence n'a guère de place et qui va faire le pendant du droit de la concurrence.
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Certes, la Commission européenne, qui a développé une idéologie presque forcenée de la concurrence, y voit une solution à presque toutes les difficultés, et notamment une alternative à la déontologie. En effet, comme pour les professions réglementées, comme les avocats par exemple, la déontologie a traditionnellement une place importante en banque et en finance.
L'éthique des affaires, la "haute banque", etc., sont des notions aujourd'hui relayées, modernisées, par des théories comme les "entreprises socialement responsables".
La Commission européenne n'y croit pas et affirme, influencée en cela par les travaux des économistes, que le discours moral, consistant à dire que par souci éthique, le professionnel préférera l'intérêt de son client au sein, l'intérêt de la planète au sien, l'intérêt de la culture au sein, bref tout intérêt autre que le sien immédiat, est faux. Si un tel discours est tenu, il ne s'agirait que d'un masque, pour s'attirer une popularité, une affection, de la confiance, mais surtout c'est pour rester entre soi, pour fermer les portes, pour éviter qu'un concurrent mal-élevé mais proposant des prix plus bas ne vienne perturber un jeu bien huilé.
Bref, pour la Commission européenne, la "déontologie", c'est de "l'auto-capture", une "économie de la connivence".
C'est pourquoi il faudrait empêcher les pouvoirs des associations, qui ne sont que des "ententes entre les entreprises". Or, elles sont très nombreuses en matières bancaire, financière et assurantielle. Il faut repérer toute les professions fermées et les ouvrir, sans s'arrêter sur la structure déontologique, laquelle, loin de justifier l'existence du système, en constitue une circonstance aggravante.
C'est pourquoi la Commission européenne s'est réjouie de la disparition de fait du monopole bancaire. Pourtant, le monopole bancaire était un principe fondamental du système bancaire. En effet, en raison du risque systémique, seule une entreprise solide, supervisée par l'Autorité de contrôle et soumise au respect des normes prudentielles, peut entrer sur le marché. Mais pour la Commission européenne, au contraire, plus il y a d'acteurs, plus il y a de la concurrence, plus le marché financier et bancaire est liquide, et plus le consommateur de produits bancaires et financiers est satisfaisant.
Cela explique les directives sur les produits financiers, qui ont complètement dérégulé le système. La Directive communautaire du 13 octobre 2006 sur les marchés des instruments financiers (MIF) a permis une négociation libre de ces instruments, qui a permis une concurrence de la part de beaucoup d'opérateurs.
Le résultat a été catastrophique.
Une fois la crise advenue et l'information comme quoi la liberté concurrentielle sur les produits et sur ceux qui les inventent et les proposent produisaient des effets systémiques désastreux, le Législateur communautaire a repris sa plume pour réviser la directive, en essayant cette fois-ci d'encadrer les opérateurs, par des modifications substantielles apportés le 6 octobre 2011, dans une directive sur les Marchés des instruments financiers et des services d'investissement (MIFID), puis par les directive et réglement de 2014.
Mais la technologie va plus vite que le droit et les shadow markets se développent, construits sur des maillages contractuelles, grâce à du gré à gré, le droit de la concurrence devenant alors le seul moyen d'appréhender de tels marchés, le régulateur financier n'ayant plus les moyens non plus de réguler, mais seulement d'être informé de ce qui s'y passe, grâce au réglement EMIR, n'intervenant alors que pour sanctionner les abus de marché, tandis que les Autorités de la concurrence peuvent essayer de sanctionner les abus de position dominante (expression reprise dans les "abus de marché" au sens de la régulation financière) et les ententes.
L'on verra à l'avenir si les Autorités de concurrence pénétrent sur les marchés financiers de gré à gré par le droit commun de la concurrence ou laissent aux Régulateurs financiers le soin exclusif de réprimer les abus de marché. À première vue, la compétence spéciale ne prive pas l'Autorité de concurrence de sa compétence générale.
Nous sommes alors ici dans une hypothèse d'interrégulation et de coopération entre autorités.
On ne sait guère si cela va fonctionner efficacement, dès l'instant que les marchés vont s'enfoncer dans l'opacité d'Internet, avec les places alternatives, voire les monnaies alternatives (bitcoins).
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Mais la Commission européenne continue de penser que la concurrence, bien qu'elle ait coûté si cher, est la solution à bien des problèmes. C'est ainsi qu'elle a trouvé à la crise financière une de ces principes causes dans le dysfonctionnement de l'audit et a publié un Livre Vert le 12 octobre 2010, La politique de l'audit.
L'audit constitue dans la vérification de l'exactitude, la sincérité et la fidélité des comptes. En cela, l'audit est une information essentielle pour les marchés financiers, pour les investisseurs, pour les États, pour les entreprises elles-mêmes, et l'on peut considérer que cette information constitue même un bien public.
La Commission a estimé que les défaillances relevées, notamment le fait que les comptes certifiés alors que les banques, voire les États étaient en déconfiture, étaient lourdement responsables de la violence de la crise, qui n'avaient pu être prévenue. Dans ce Livre Vert, elle pose que la structure oligopolistique du marché de l'audit était responsable de cela et proposa de cassa ce marché, pour le "libéraliser", en empruntant à la démarche qui fût la sienne en matière de monopoles publics nationaux.
Le Parlement européen ne suit pas un tel raisonnement et les textes ne sont pas en train de s'établir dans ce sens, les réflexions s'orientant plutôt directement vers l'efficacité des normes comptables, lesquelles conditionnent la qualité de l'information de la société elle-même et des shareholders et skateholders.
On mesure ici que le principe de concurrence promu par la Commission européenne n'est pas suivi par le Parlement et que ce Livre Vert n'aura pas de suites, l'Europe préférant travaillant sur les normes plutôt que de croire dans les vertus de la concurrence dans les professions.
En effet, le Parlement demeure attaché au double statut de l'auditeur, tel que la France le consacre à travers le statut du Commissaire aux comptes, et tel qu'il transparaît à travers l'Autorité du Haut Conseil du Commissariat aux Comptes (H3C). En effet, le Commissaire aux comptes est à la fois un professionnel libéral, comme un avocat, mais il est en charge d'un service public (l'information des parties prenantes).
Il est donc dans une activité de marché, mais sous la double tutelle d'une profession organisée en compagnie, qui produit des normes professionnelles et exerce sur lui une discipline, il est également sous la tutelle du Ministère de la Justice et sous la surveillance de l'Autorité des Marchés Financiers en tant qu'il apporte des informations au marché Le H3C lui-même est composé à la fois de commissaires-aux-comptes, de magistrats et d'experts, qui montre que cette fonction est à la fois interne à la société et externe, montrant la porosité entre la société et le marché.
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La concurrence est donc en train de reculer dans l'Europe Bancaire qui est donc en train de se construire sous nos yeux.
Peut-être, comme dans tout mouvement de balancier, est-ce avec un peu d'excès. En effet, la concurrence est un mécanisme qui prétend à l'efficacité, à la baisse des prix (ou à tout le moins à leur vérité), à l'incitation à la qualité des produits, à l'innovation. Elle ne produit pas en elle-même le comportement moral individuel ou la confiance.
Dès lors, les Législateurs, qui estiment que la crise financière a eu pour causes notamment des comportements individuels immoraux et qui désignent comme problème principale le manque de confiance, posent qu'il faut faire reculer la concurrence. En effet, la concurrence est basée sur le désir : le désir des demandeurs de consommer, pour eux sans se soucier des autres ; le désir des offreurs de devenir riches, riches eux-mêmes sans se soucier des autres. Richesses et consommateurs sont ce qui animent les agents du marché. Williamson a montré que le marché est la figure qui casse le système de la noblesse : l'argent et la consommation, l'individualisme le font fonctionner.
En outre, c'est la défiance générale entre des agents atomisés qui permet un système qui, à la fin et d'une façon globale, devient vertueux (Adam Smith). Ainsi, le consommateur se défie de l'offreur et les offreurs entre eux ne souhaitent que leur faillites respectives.
Le marché est l'espace de la violence, mais aussi de la liberté, notamment de la liberté contractuelle. Dès lors que les Législateurs veulent faire dès le départ imposer des relations de confiance, exiger des comportements moraux, raisonnables et mesurés, ils vont contrarier les "forces" du marché.
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Par ailleurs, lorsqu'on examine les règles juridiques qui organisent le statut des dirigeants des entreprises, et plus particulièrement les dirigeants des banques et des établissements financiers, l'on peut considérer la question "de l'intérieur", à travers le droit des sociétés et le droit du travail.
Mais l'on peut aussi remarquer qu'il existe un "marché des managers", qu'il est particulièrement étroit et compétitif, qu'il y a plus de demandeurs (c'est-à-dire de banques à gouverner) que d'offreurs (de personnes aptes à le faire).
Les directives adoptées au titres des normes prudentielles (paquet CRD4) pour empêcher les dirigeants de prendre des risques qui compromettent les établissements et les favorisent injustement au détriment des investissements, plafonnent leurs rémunérations.
La question du plafonnement des rémunérations des "dirigeants responsables", notion juridique très floue" est très débattue. Elle peut être cohérente si l'on l'examine du point de vue du marché financier au regard des normes prudentielles, mais elle ne peut pas se justifier au regard du marché concurrentielle et des libertés constitutionnelles que sont la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle.
De cette incohérence de système, peuvent naître des contentieux.
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D'une façon plus générale, plus on observe l'évolution du système, juridiquement très complexe, et plus on en constate l'incohérence. En effet, le droit de la concurrence a réduit le secteur bancaire à être un secteur "ordinaire", les banques, les compagnies d'assurance et les établissements financiers étant des offreurs "ordinaires" et les usagers des consommateurs "ordinaires".
Mais dans le même temps, la crise a conduit la même direction générale de la concurrence (D.G.4) de la Commission européenne à changer complètement sa position.
En effet, lorsqu'en 2008, les banques ont chancelé, les États-membres ont été sollicités pour répondre comme débiteurs en dernier ressort. Mais venir en aide aux banques, quelque forme que cela prenne (prêt, entrée dans le capital, garantie, etc.), constitue une aide d'État. Or, le droit communautaire prohibe les aides d'État, en ce qu'elles affectent le commerce entre États-membre. Aux États-Unis, la prohibition des aides d'État n'existe pas, ce qui a permis à la Fed de refinancer les banques et de sauver l'économie. Mais en Europe, cela n'était pas possible et l'Europe allait faire purement et simplement faillite.
Pour empêcher la ruine de l'Union européenne, c'est la DG Competition elle-même qui a adopté une Communication, de la soft Law donc, pour exposer que les circonstances exceptionnelles justifiaient que les États-membres aident leurs banques mais si par la suite, les plans seraient examinés au cas par cas et suivis par la Commission, ce qui fût fait.
Ce fût donc la DG Concurrence qui sauva l'Europe et donc la DG Marché Intérieur qui le fît. Cela tenait au fait que l'Union Bancaire n'existant pas en 2008-2009, le droit de la concurrence fût tordu pour que le cataclysme n'arrive pas.
Cela montrait aussi qu'il fallait construire l'Union Bancaire. C'est en train d'être fait. L'on peut considérer aujourd'hui qu'une nouvelle Europe est en train de naître, sur un modèle fédéral, qui renouvelle complètement l'Europe posée en 1946, puis en 1951 par le Traité de Rome.
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En effet, et tout d'abord, trois réglements communautaires du 24 novembre 2010 ont posé trois régulateurs européens, l'E.B.A., l'E.S.M.A. et l'E.I.O.P.A., qui constituent désormais le coeur du réseau européen des régulateurs et superviseurs nationaux.
Les dettes souveraines constituant un problème nouveau dans leur banalisation dans les marchés financiers, alors même qu'elles concernent ceux qui sont les garants du système lui-même, le "Pacte de stabilité" fût établi par un nouveau Traité fondateur de 2012, validité in extremis par les Cours constitutionnelles.
Plus encore, la Banque Centrale Européenne a changé de statut. En effet, on permet à la Banque Centrale d'acquérir de la dette d''État, ce qui lui donne un pouvoir politique considérable, la met au coeur du système monétaire et financier, et le Tribunal constitutionnel allemand, après avoir saisi d'une question préjudicielle, la Cour de justice, a admis un tel pouvoir, tout en mettant de nombreuses conditions.
Actuellement, la Cour de justice examine la conformité du pouvoir de la BCE de mener des programmes d'achat de titres émis par les États souverains, l'Avocat général de la Cour ayant le 14 janvier 2015 certes proposé d'admettre sa compabilité avec les traités fondateurs mais développé à ce propos toute une conception de la régulation monétaire en Europe.
En outre, la Banques Centrale Européenne devient le superviseur des banques commerciales européennes systémiques, ce qui la transforme en autorité de supervision, voire en autorité de régulation.
Enfin, de la même façon que les droits nationaux ont construit un nouveaux système de "résolution bancaire" pour déconstruire et reconstruire les banques, le Parlement européen vient de voter des textes qui élèvent au niveau européen un mécanisme qui va permettre aux institutions européennes, sans doute la Commission, d'opérer directement la reconstruction des banques systémiques en difficultés.
L'Europe pour la première fois devient fédérale. 2014 a donc été une année historique.
Dans cette nouvelle Europe, se font face la Banque Centrale européenne d'une part, la Commission européenne d'autre part.
Le droit est plus que jamais, dans un tel système, d'une complexité procédurale extrême, entre les institutions européennes, entre l'Europe et les États, entre les organes publiques et les entreprises, un outil majeur.
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