11 février 2015

Enseignements : Droit de la régulation bancaire et financière, Semestre de printemps 2015

Problématique de la leçon n°3 : Droit de la répression et Régulation bancaire et financière

par Marie-Anne Frison-Roche

 

 

 

Le droit de la régulation bancaire, financière et assurantielle apparait comme de plus en plus répressive. Cela est présenté comme un « progrès » : à chaque réforme, les sanctions dont les textes permettent le maniement, leur ampleur, leur diversité, les catégories d’opérateurs qui peuvent en faire l’objet, le cumul de sanctions qui peuvent leur être infligé est présenté comme un « progrès de la régulation ».  De la même façon, chaque fois qu’un régulateur sanctionne un opérateur pour un manquement à une norme, et qu’il s’agit d’une sanction lourde, par exemple une amende très élevée, qu’elle soit pénale, administrative ou civile, cela est présenté comme un succès de la régulation.

Pourtant ce n’est pas ainsi que le droit pénal est présenté. En effet, le droit pénal est une sorte de « droit dormant », qui n’a dans une société parfaite pas vocation à s’appliquer. C’est un système exceptionnel et « virtuel ». Comme, dans sa conception classique, le droit pénal n’édicte que des interdictions de comportements (« tu ne tueras, tu ne voleras pas, etc. ») et non pas des prescriptions de comportement, il faut mais il suffit que les personnes agissent dans l’exercice de leur liberté d’action et n’entame pas ces interdictions d’actions prohibées, pour que le droit pénal ne se « réveille » jamais. En effet, contrairement aux autres branches du droit, qui soient actives dans la vie quotidienne (le droit civil, le droit commercial, le droit administratif, etc.), le droit répressif ne devient actif qu’à travers et au terme d’une procédure, généralement contentieuse, le plus souvent devant un juge. Ainsi, dans une société idéale, les personnes exercent librement leurs diverses activités, n’ont pas d’activités prohibées par le droit répressif, lequel s’est contenté d’édicter ces prohibitions, mais ne se réveille pas, car l’absence de violation rend inutile les procès et les condamnations.

Ainsi, classiquement, depuis Beccaria, le principe est celui de la liberté des personnes. Par exception à ce principe, le droit pénal vient par exception interdire certains comportements. Le Législateur le fait pour préserver les valeurs fondamentales de la société et parce que le droit pénal est la branche du droit dans laquelle confluent de la façon la plus nette le droit et la morale : la répression conduit à infliger des « peines » à des « coupables » car ceux-ci ont commis des « fautes » qu’ils doivent expier.

Mais on peut concevoir la répression de façon très différente et depuis toujours d’autres conceptions ont été défendues et parfois appliquées.  Ainsi, en premier lieu, l’on peut soutenir que l’individu n’est qu’un agent faisant partie d’un ensemble, d’un système, et que le droit doit avant tout préserver le système et les autres agents qui y vivent. Dans cette conception plus organistique, le droit pénal doit repérer l’agent présentant un danger pour le système et préserver celui-ci en mettant le premier hors d’état de nuire. L’on conçoit que le droit économique, qui se conçoit lui-même comme « au service du système économique » ait eu tendance à se représenter le droit pénal économique comme étant davantage au service de l’efficacité économique que comme le bras séculier de la morale chrétienne de punition de celui qui fait intentionnellement mal.

Plus encore, dans une conception « pragmatique » - le pragmatisme étant une philosophie comme une -, on se soucie de l’efficacité du système de régulation. Ce système juridique qui tient le système financier et bancaire d’une manière ex ante et permanente par un appareillage à prétention complèt de normes qui se veulent toutes effectives et « en éveil », est avant tout à base de prescription de comportements et non pas à base d’interdiction. En effet, parce qu’il s’agit d’activités monopolistiques régulés, tant que le régulateur n’a pas donné son aval, l’activité n’est pas autorisé. Le principe n’est pas la liberté mais l’autorisation. C’est pourquoi l’enjeu des marché de gré à gré est si grand.

Dans cette conception générale de la régulation, que certains présentent comme « totalitaire », parce que la liberté n’y serait pas le principe et l’agent ne pouvait agir que sur autorisation préalable et surveillance permanente, l’idée est que toute règle doit être effective d’une part, efficace d’autre part. Dès lors, l’on va rechercher ce qui rend la « norme » la plus effective et la plus efficace. Ce sont des études économiques, notamment d’économie du droit, qui affirment alors que l’une des façons de rendre un disposition quelconque par laquelle l’on demande à un opérateur de faire en sorte que les choses se présentent de telle ou telle façon, c’est d’associer à cette disposition civile ou administrative l’affirmation selon laquelle s’il ne s’exécutera, il sera sanctionné par exemple par une amende.

Dès lors, la répression n’est plus « autonome », elle devient une simple voie d’exécution de l’ensemble du système de régulation, dans la moindre de ses dispositions, et plus le dispositif de régulation devint sophistiqué et plus il devient répressif. Le souci de punir des personnes qui auraient eu des intentions de commettre des fautes s’éloigne, seule compte l’efficacité de la régulation.

Indépendamment même de ce que l’on pense de ce mouvement, que certains ont qualifié d’une façon plus générale de « remédiévalisation » du droit car c’est sous l’Ancien Régime, avant Beccaria, que la répression fonctionnait de cette manière, la difficulté vient du fait que notre système juridique concerne les principes en y superposant un droit de la régulation dans lequel la sanction a perdu son autonomie par rapport aux autres « outils » de la régulation.

C’est cela que nous allons reprendre d’une façon plus détaillée.

 

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Il convient tout d’abord de présenter ce que sont les principes directeurs des sanctions dans la régulation bancaire et financière.

En effet, à propos les sanctions infligées aux banquiers et aux financiers ne devraient qu’être une déclinaison du droit pénal. Ainsi, elles devraient être gouvernées par les principes généraux du droit pénal généraux et devraient donner simplement rien à un droit pénal spécial, au sein du droit pénal des affaires en premier lieu, au sein de celui-ci dans le droit pénal financier, le droit pénal bancaire, le droit pénal assurantiel.

Mais, comme nous avons pu le voir dans le cours sur le régulateur, la préoccupation d’efficacité a conduit à utiliser le droit administratif plutôt que le droit pénal, transfert d’une branche du droit à une autre qui s’est traduit en matière financière par un doublement des sanctions. Par un raisonnement téléologique et « pragmatique », s’appuyant sur une définition proprement européenne de ce qu’est « la matière pénale », est né un « droit de la répression », englobant et le droit formellement pénal et le droit administratif répressif.

Ce droit général de la répression a conduit à conserver le tryptique de départ de tout le droit pénal, mais à en atténuer certains aspects. Ce tryptique est constitué par les trois éléments requis pour qu’une personne soit sanctionnée, contrairement au principe de liberté des personnes autour duquel est construit les Etats de droit et dont la liberté d’entreprendre est l’une des modalités : l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral.

Mais cette technicité du droit pénal général renvoie avant tout à une conception de l’homme forgée au XVIIIième Siècle, par la philosophie des Lumières. En effet, elle repose sur la conception d’un homme essentiellement libre (c’est pourquoi la technique de la responsabilité pénale des « personnes morales » que sont les entreprises ne viendra en droit qu’en 1993). Ainsi, le droit pénal, parce que sa conséquence est à l’époque la peine de prison, c’est-à-dire la privation de la liberté d’aller et de venir, est le statut d’exception. Cela a une conséquence méthodologique majeure : toute règle de droit pénal doit être interprétée restrictivement, a contrario, puisqu’elle est une exception au principe de liberté de la personne. Ainsi, tout ce qui n’est pas interdit est permis. De la même façon, si un comportement que l’on observe, par exemple sur un marché, n’a pas été exactement visé par la loi comme étant interdit par la loi pénale, il est autorisé.

C’est pourquoi le raisonnement par analogie est prohibé par le droit pénal. En effet, le raisonnement par analogie consistant à étendre une loi visant un cas à un cas qu’elle n’a pas visé mais qui est analogue a pour effet d’étendre le champ d’application de la loi, ce qui est inconcevable pour le droit pénal, droit restrictif par nature au regard du principe de liberté. Ce principe de l’interprétation restrictive, de l’interprétation a contrario, ne reçoit exception que si le texte de l’appareil répressif qu’il s’agit d’interpréter est en faveur de la personne poursuivie. Dans un tel cas, l’interprétation par analogie ad favorem  s’impose. En effet, la répression, parce qu’elle est juridique et non pas « brut » est organisée en faveur de la personne et notamment la procédure pénale doit jouer en faveur de celle-ci (par exemple la prescription, qui est une règle qui bloque la répression, les droits de la défense qui ouvrent le droit de mentir, etc.).

Nous verrons que cette conception d’une répression comme corpus juridique, pensée en faveur de la personne libre, et conçue restrictivement, va être remise en cause dans un système de régulation qui la percevra comme « inefficace ».

 

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En deuxième lieu, le droit pénal classique est indissociable de l’aptitude à choisir entre le bien et le mal. En effet, si le droit pénal a pour fonction de punir celui qui a choisi de mal faire et de violer les règles fondamentales de vie en société (en tuant, en volant, en faisant des faux témoignage, en frappant de la mauvaise monnaie, etc.), encore faut-il qu’il ait conscience de « faire le mal ».

Cette simple mention ouvre une série d’exigences juridiques fondamentales. Tout d’abord, il faut que la personne condamnée soit effectivement celle qui a commis l’acte constitutif de l’infraction. Le principe de la « personnalité des délits et des peines » reflète cette exigence que celui qui est condamné et qui subit la sanction soit effectivement celui qui a commis l’acte. Cela paraît évident dans la conception classique. Quand on met en examen le président d’une société cotée pour le comportement d’un salarié de l’une de ses 1500 filiales, l’on se demande si l’on n’a pas affaire à une sorte de responsabilité pénale du fait d’autrui.

Ensuite, il faut que la personne ait été consciente du fait qu’elle ait « fait mal », c’est-à-dire qu’elle soit dotée d’une aptitude à discerner le bien et le mal. C’est pourquoi une personne atteinte de troubles mentaux ou dont l’âge est inférieur à 13 ans n’a pas « l’aptitude » à être condamnée pénale, est « irresponsable ». Cela va de soi. Mais lorsque l’on va poser que les entreprises posent être sanctionnées, l’on va mesurer que cette condition n’a pas de sens, car les organisations sont dénuées de cette capacité, laquelle est une capacité éthique, voire métaphysique. Le bouillonnement sur « l’éthique des affaires », voire les « entreprises socialement responsables » sont des corps de règles qui visent à pallier cette difficulté, voire cette aporie.

Enfin, il faut que la personne ait été libre de choisir entre le bien et le mal. C’est parce que, pouvant choisir le bien (ne pas tuer), elle a choisi le mal (tuer) que les organes légitimes de la répression prenant forme juridique (le juge) peuvent la sanctionner. On mesure que c’est le modèle d’un individu libre, rationnel et maîtrisant la distinction du bien et du mal, qui fonde tout le droit pénal moderne.

Or, la rationalité économique repose sur une autre conception de la personne, qui correspond davantage, à travers la notion d’ « agent », à celle d’organisation. En effet, l’agent rationnel va opter pour le comportement qui maximise ses fonctions d’utilité. Ainsi, en économie, il n’y a pas vraiment de choix, au sens kantien du terme, mais plutôt des options dans un monde indéterminé et l’agent informé et calculé tous les possibles futurs des options, prendra celle qui lui est la plus favorable.

Cela explique que les économistes estiment le plus souvent que la théorie des incitations, qui infléchit les calculs de comportement pour que l’agent rationnel adopte le comportement désiré par celui qui prend la réglementation, est plus « efficace », que la sanction, à laquelle l’agent rationnel cherchera à se soustraire, le durcissement des sanctions n’ayant pour effet que de le contraindre à mettre plus de forces et d’habilité dans sa soustraction à la règle, si celle-ci ne lui est pas favorable. Dans cette conception, la sanction ne devint légitime que si elle est elle-même une incitation.

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A partir de cette conception générale, le système juridique classique pose les trois éléments que toute infraction doit présenter pour que la personne qui a commis l’acte soit sanctionné : l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral.

L’élément légal renvoie au principe constitutionnel de la « légalité des délits et des peines ». Il exige qu’on ne puisse être condamné qu’en application d’un texte légal entré dans l’ordre juridique antérieurement à la commission de l’acte reproché. Ainsi, la personne qui a commis l’acte, connaissait ou aurait dû connaître l’interdiction qu’elle avait de le commettre, puisque cette interdiction avait été édictée par la loi et publiée, via la promulgation de la loi au Journal Officiel (J.O.).

Ainsi, il n’est pas concevable de condamner une personne en application d’un texte répressif adopté après la commission de l’acte : la loi pénale ne peut constitutionnellement être rétroactive (alors que pour les actes ordinaires, la non-rétroactivité de la loi visée par l’article 2 du Code civil n’est qu’un principe général, auquel la loi peut porter des exceptions).

En outre, c’est bien par rapport au moment de la commission de l’acte qu’il faut se situer pour faire jouer le principe constitutionnel de non-rétroactivité, puisque la référence est ce que pouvait savoir la personne au moment où elle a commis l’acte, et l’on ne peut faire d’application immédiate de la loi, par exemple dans des procès en cours. Ainsi, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale a tout à la fois beaucoup de force et a une application plus vaste qu’en matière non-répressive. On mesure à propos de ce premier exemple technique à quel point il est important de savoir, au cas par cas, si nous sommes en « matière pénale » ou en « matière civile »…

L’incrimination de l’acte, c’est-à-dire ce qui va que l’acte commis par la personne doit être visé par la loi. Avec l’évolution des législations, lesquelles, comme nous l’avons vu supra, vont passer d’un système d’interdiction de comportements à un système de prescription de comportements, cet acte sera soit une commission, parce que la loi ayant interdit de faire quelque chose, sa violation se concrétisera dans un acte, soit une omission, parce que la loi ayant prescription un comportement, sa violation se concrétisera dans une abstention. Par exemple, si la loi oblige à une déclaration de franchissement de seuil lorsqu’un actionnaire devient propriétaire de plus de 5% du capital d’une société dont les actions sont sur un marché financier, alors le manquement est constitué par l’absence de déclaration. L’incertitude est beaucoup plus forte lorsque l’édiction est celle d’une prescription de comportement, car il n’est pas toujours évident de savoir soi-même quand il faut agir, alors qu’il est aisé de respecter une interdiction, puisqu’il suffit de ne rien fare.

Cela fait longtemps que le terme de « loi » doit être interprété dans son sens matériel et non pas formel. En effet, des décrets, des actes normatifs du régulateurs peuvent prévoir des « manquements », qui appartiennent à la « matière pénale » (cf. cours sur le régulateur), laquelle est soumise au principe de la légalité des délit et des peines. Ainsi, ce sont souvent même des actes infra-décrétaux qui visent les manquements, comme le Règlement Général de l’A.M.F. Mais cela heurte le principe classique la « légalité » des délits et des peines, qui demande à ce que la loi soit une source à laquelle l’on puisse remonter.

En effet, pour les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme, la Loi est ce qui est le contraire de l’Arbitraire (qu’exprimait le Roi, ses Ordonnances et les lettres de cachets) : la loi exprime la volonté générale, issue du contrat social. La répression ne peut venir que de la loi, c’est ainsi qu’elle est le signe d’une volonté non-arbitraire, donc d’une « violence légitime », expression que Max Weber imputera plus tard à l’Etat. C’est pourquoi le Conseil d’Etat est aujourd’hui vigilant lorsque l’A.M.F. exerçait son pouvoir normatif en matière répressive.

En outre, les actes qui sont interdits par la sanction qui est attachée à leur commission doivent être prévus par la loi, ainsi que la peine qui y est prévue, parce que la loi est claire. C’est un grand thème de la Révolution Française : alors que le droit de l’Ancien Régime était très difficile à connaître et le droit de la procédure pénale difficile à prévoir – notamment en matière probatoire – ainsi que les sanctions, la loi fixe clairement les actes défendus et les peines attachées à leur commission.

Cette clarté de la loi pénale fait partie intégrante du principe de la légalité des délits et des peines car s’il est essentiel que la personne sache qu’elle enfreint une interdiction et sache ce qu’elle encourt en le faisant le jour où elle fait, encore faut-il que la loi soit claire.

Certes, ce principe a été repris par le principe aujourd’hui plus généralement exprimé par l’expression d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Mais celui-ci, qui s’applique à toute loi, n’a pas toujours une grande consistance et peu de textes ont été sanctionnés à ce titre par le Conseil constitutionnel.

Enfin, la Révolution française a posé que la loi pénale doit être « nécessaire ». En effet, si le principe est la liberté et la répression l’exception (v. supra), le droit pénal ne doit intervenir que lorsqu’il est nécessaire, tandis que le droit civil, qui fait coexister les personnes entre elles, intervient d’une façon ordinaire.

Ce principe de nécessité de la loi pénale a été déclaré comme étant de niveau constitutionnel par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 janvier 1981 Sécurité et Liberté, posant que la loi pénale ne doit entraver la liberté des personnes qu’autant que cela est nécessaire mais pas plus que cela est nécessaire. Cette lecture de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 rejoint le principe fondamental de droit européen de proportionnalité, selon lequel celui qui édicte des charges et des contraintes qui pèsent sur les entreprises, sujets passifs des obligations, doit le faire d’une façon proportionnée aux buts pour lesquels il a adopté son dispositif.  Le principe de proportionnalité est la façon actuelle de formuler le principe de nécessité, il est repris systématiquement à propos de la répression économique.

 

Le deuxième élément nécessaire pour qu'une infraction soit constitué est l'élément matériel. Il faut qu'un acte ait été commis. Par exemple qu'une personne ait utilisé une information privilégiée pour agir sur le marché à son profit, ce qui renvoie à la qualification de "délit d'initié" (élément légal), et constitue l'élément matériel.

Cet élément matériel est celui qui est souvent le plus facile à prouver puisqu'un acte laisse des traces, par exemple un ordre de bourse et le fait que la personne qui a donné l'ordre soit membre du conseil d'administration de la société dont les titres sont concernés, ce qui fait d'elle un "initié primaire".

La preuve est encore plus aisée, lorsque l'élément légal ne prend plus la forme classique d'une interdiction, ce qui implique que la violation de la prescription prenne la forme d'un acte, mais prend la forme d'une prescription de comportement. En effet, dans ce cas, la commission de l'infraction étant une abstention, cela renverse de fait la charge de la preuve, puisqu'il s'agit de prouver qu'un acte n'a pas été fait, alors que le texte avait pris qu'il le soit. Mais de fait, c'est à l'opérateur de démontrer qu'il a été diligent.

Or, dans le droit de la répression, qui est un droit qui s'éveille par la procédure de sanction, tout est question de preuve et d'organisation procédurale de la preuve.
Par la technique du "faisceau d'indices" et des présomptions, on finit par arriver à des systèmes de preuves qui sont très favorables à l'organe de poursuites. En outre, dans la mesure où la mesure pénale est une prescription de comportement mais que ce comportement est lui-même très général, le fait matériel devient lui-même très vague. Ainsi, un opérateur financier ne sait pas nécessairement quand il a franchi un seuil, parce que par exemple des titres financiers transforment des obligations en actions (OBSA), sans qu'il le sache lui-même.


L'élément moral quant à lui était présenté comme l'élément majeur de l'infraction, puisqu'il désigne l'intention de mal faire ("dol général") et l'intention de commettre cet acte-là ("dol spécial"). Cette importance de l'intention, qui justifie la définition du droit pénal comme ce qui punit les fautes les plus graves, explique l'irresponsabilité des enfants et des personnes atteintes d'un trouble mental.

Cela suppose que l'on démontre la "culpabilité" de la personne. Cela pose également que par principe une personne est innocente. En effet, par principe une personne est innocente jusqu'à l'instant où un juge l'a déclarée coupable de l'acte. C'est pourquoi l'on aura tendance à dire que l'on condamne plutôt la personne que l'acte.

Dans cette conception, la présomption d'innocence est une évidence et elle a un statut constitutionnel. De la même façon, l'élément moral est un élément distinct des deux autres. Ainsi, l'élément moral ne peut pas y porter atteinte, par exemple en posant des présomptions de culpabilité. De la même façon, l'on ne conçoit pas de "répression objective", qui déduirait de la commission de l'acte l'intention de mal faire, encore moins de l'intérêt à mal faire la preuve de l'intention dolosive.

Mais si le droit pénal classique tient assez solidement ces principes, le droit pénal économique les tient beaucoup moins bien. En effet, dès l'instant que l'on admet depuis 1993 la responsabilité pénale des personnes morales, l'intention dolosive d'une société ou d'une unité économique est plus difficile à comprendre et l'on conçoit la punition comme une incitation qui agira sur la rationalité. C'est pourquoi l'on prendra des peines qui sont des multiples des profits. L'on songera à prendre des multiples du chiffres d'affaires (mais cette primauté de la répression sur le droit pénal classique sera arrêtée par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 4 décembre 2013).

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Par ailleurs, dans le système juridique classique, on affirme que le droit pénal est une branche du droit "autonome", c'est-à-dire qu'elle ne dépend pas des autres branches du droit. C'est ainsi qu'elle développe des qualifications qui lui sont propres, qu'elles a des buts spécifiques, des tribunaux particuliers et qu'elle "tient" les autres . Cela se traduit notamment par la règle de procédure selon laquelle la décision pénale a une autorité absolue sur les autres situations, son contenu étant opposable à tous, et que "le criminel tient le civil en l'état", le seul déclenchement d'une instance pénale obligeant les autres juges à surseoir l'instance en cours devant eux.

Mais là aussi, le droit économique, en tant qu'il utilise désormais le droit pénal plutôt comme une voie d'exécution des dispositions fiscales, commerciales ou civiles,  a de plus en plus tendance à permettre aux autres juges de continuer les instances, dès l'instant que l'instance pénale ne leur paraît pas très sérieuse qu'il n'est pas pertinent de surseoir. Cela n'est d'autant plus opportun qu'un simple particulier peut, par la constitution de partie civile, contraindre le Ministère public à déclencher l'action publique et à ouvrir une instance pénale.


Ainsi, il ressort que les trois éléments consubstantiels de l'infraction, légal, matériel et moral, sont affaiblis par la volonté d'efficacité du droit de la régulation bancaire et financière qui se tourne vers la répression, notamment administrative et utilise les sanctions en tant qu'elles seraient un outil comme un autre.

 

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Vont donc tout d'abord s'appliquer aux banques et aux financiers le droit pénal spécial qui est constitué des "trois vieilles", c'est-à-dire des infractions financières extrêmement générales qui vont, par leur plasticité, s'appliquer à eux.
En effet, lorsque le droit et les situations deviennent très sophistiquées, on revient à l'escroquerie, à l'abus de confiance et à l'abus de faiblesse.
Il suffit de les combiner avec des outils d'accroissement de la répression, par exemple la dimension de "bande organisée" pour démultiplier les moyens procéduraux, la durée de garde à vue, etc., et à partir du délit d'escroquerie notamment les juges d'instruction peuvent se saisir des affaires les plus complexes...

Ainsi, l'escroquerie, visée à les article 313-1 et suivant du Code pénal, consiste à faire des manoeuvres frauduleuses pour tromper une personne et la déterminer à son préjudice ou celui d'un tiers à remettre des fonds, des valeurs, un biens, fournir un service, etc.
Le fait déclenchant doit consister dans une "attitude active", mais elle peut comporter une part de silence, abstention dans l'action. Selon le texte, il peut s'agir d'usage de faux nom ou de fausse qualité, ou de manoeuvres "frauduleuses", ce qui conduit les juges à exiger davantage qu'un simple mensonge. Pour que la personne soit sanctionnée, il faut que ce fait ait porté ses fruits, par exemple la remise de la chose ou la réalisation d'une prestation. La jurisprudence, respectueuse du principe de légalité des délits, refuse de sanctionner si l'auteur n'a commis aucun préjudice.

L'abus de confiance est quant à lui visé par les articles 314-1 et suivant du Code pénal. Il vise le comportement d'une personne qui détourne au détriment d'autrui des fonds, des valeurs ou un bien qui lui ont été remis et qu'elle avait acceptés à charge de les rendre, de représenter autrui et de faire un usage déterminé de ces fonds, valeurs ou bien.
Ainsi, il faut mais il suffit qu'il existe un contrat entre l'auteur et sa victime, sans l'instant que l'objet a été remis "à titre précaire" puisqu'il devait être rendu à la victime, voire que ce qui a été remis l'ait été en application d'un texte. Contrairement au vol qui ne s'applique qu'aux choses corporelle, l'abus de confiance peut porter sur un élément immatériel, y compris une information, par exemple un numéro de carte de crédit.

Enfin, l'article 223-15-2 du Code pénal sanctionne le fait d'abuser frauduleusement de la faiblesse ou de l'ignorance d'autrui. Cet article relativement peu connu a été utilisé dans une affaire récente, célèbre et en cours, montrant que le droit pénal, spécial mais non spécialement consacré aux questions financières, peut être très efficace, en ce qu'il est encore très large.
Il faut qu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne d'une particulière vulnérabilité, laquelle est connue de l'auteur, lequel amène la victime à un acte ou à une abstention qui lui est gravement préjudiciable.
Initialement variante de l'escroquerie, les lois récentes ont rédigé le texte pour lutter contre les agissements des sectes. On voit que les juges financiers ont su aussi en faire usage. En effet, l'incrimination est assez souple : il faut qu'existe préalablement une situation de faiblesse caractérisant une personne vulnérable mais le comportement d'exploitation abusif de cet état n'est pas défini par la loi et peut prendre de multiples formes. Il n'est pas même, selon la jurisprudence, que le préjudice soit acquis, il suffit qu'il soit potentiel.
 

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Ainsi les magistrats vont assez souvent recourir aux qualifications du droit pénal qui n'est pas spécifiquement bancaire et financier pour arriver à utiliser des outils procéduraux performants, par exemple des perquisitions domiciliaires, des gardes à vue prolongées, en croisant des qualifications ordinaires comme l'escroquerie, mais en y ajoutant des qualifications comme "la bande organisée" et atteindre ainsi largement des personnes.

De la même façon, la jurisprudence va prendre la qualification pénale relativement utile d'abus de biens sociaux. Le délit d'abus de biens sociaux est à rattacher au droit des sociétés.

En effet, il s'agit déjà en soi d'une anomalie au regard du droit pénal général car il s'agit d'un "délit d'intérêt privé". Il s'agit de protéger la personne morale, la société, et les actionnaires, contre le comportement des dirigeants qui disposent du "pouvoir" d'exprimer la volonté de la société. C'est pourquoi c'est le Code de commerce et non le Code pénal qui prévoit le délit d'abus de biens sociaux.

Pour les SARL, l'article L241-3 (4e point) et pour les SA l'article L242-6 (3e point) du Code de commerce qualifie de délit d'abus de biens sociaux le fait pour un mandataire social de  « faire, de  mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».

Ce texte a évolué au fil des temps pour devenir de plus en plus large, en fonction d'une jurisprudence qui elle-même l'interprétait de plus en plus largement.

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