5 février 2015

Enseignements : Droit de la régulation bancaire et financière, Semestre de printemps 2015

Problématique de la deuxième leçon : Régulation bancaire et financière et droit des sociétés

par Marie-Anne Frison-Roche

Le droit des sociétés exprime la représentation que le Législateur se fait de la place de l'individu dans l'activité et l'organisation économique.
Or, cette représentation a beaucoup changé, les lois successives et les jurisprudences laissant par strates les divers conceptions des uns et des autres. Il demeure que dans une première dispute, l'on s'est demandé si une société était l'expression de la volonté de plusieurs personnes qui mettent leur dynamisme en commun pour tenter "l'aventure" entreprenariale ensemble afin de devenir riche, cette conception contractuelle de la société renvoyant à la définition schumpetérienne de l'entreprise, tandis que d'autres considèrent que la société est un outil, la personnalité morale permet à l'entreprise, qui est une organisation, de passer des contrats, d'être propriétaire, d'endosser des responsabilités, bref d'entrer "dans le commerce juridique", ce qui renvoie à la définition institutionnelle de la société.
Cette grande dispute entre la définition contractuelle et la définition institutionnelle de l'entreprise, que l'on retrouve à propos de multiples problèmes techniques, notamment lorsque 'on doit poser quel intérêt les organes sociétaires doivent servir, a été soit écartée, soit revivifiée, lorsque la perspective du marché financier s'est imposée, les sociétés cotées prenant le devant, l'associé minoritaire devant un personnage à protéger, celui de l'investisseur faisant son apparition, le droit des sociétés faisant place au droit des biens.
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Le droit des sociétés très classiquement exprime au XIXième l'expression de la liberté d'entreprendre. En effet, les personnes sont caractérisées depuis la Révolution Française par leur liberté d'agir, notamment de contracter, d'aller et de venir, et d'entreprendre. Pour cela, la personne "civile" devient parfois une personne "commerçante".

Au Code civil de 1804, qui comprend à la fois le droit commun de tout le système juridique mais aussi le droit civil spécial (la personne dans sa vie familiale), va succéder en 1810 le Code de commerce, qui vise les activités de la personne commerçante. Alors que nous sommes tous des personnes "civiles", la personnalité juridique étant conférée ipso facto  à l'être humain, nous ne sommes pas par nature des personnes commerçante : c'est un choix de certains, ceux qui désirent courir le risque d'entreprendre, qui ont un projet, qui courent le risque de la faillite mais peut-être feront fortune. Les commerçants achètent pour revendre (définition de "l'acte de commerce"), mais le code de commerce, qui reprend en réalité les grandes Ordonnances rédigées par Colbert visent aussi l'industrie et la banque.

Dans cette conception très traditionnelle, du "petit entrepreneur", qui est le pendant du "petit propriétaire" conçu par les Révolutionnaire Français et que l'on retrouve dans la conception de la propriété privée de l'article 544 du Code civil, l'entrepreneur exerce seul, dans son échoppe de boulanger, de cordonnier ou de fabriquant d'épingle (pour reprendre les exemples d'Adam Smith).

Mais il peut arriver qu'il songe à solliciter des amis, des membres de sa famille, pour que l'aventure entreprise soit faite "en commun".
Ce petit groupe, de quelques personnes, 2, 7, ou 12, vont alors passer un contrat qui a avoir pour objet, pour objet et pour effet d'entreprendre cette aventure commune de l'entreprise, pour faire fortune. L'entreprise est risquée, c'est une aventure, et l'on pourra aussi faire faillite. C'est la loi du grand fort du commerce. L'on n'est pas obligé d'y aller, mais si l'on y va, l'on en accepte par avance les risques : "le droit commercial est le droit des forts" et le but poursuivi par tous est de devenir riche.
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Ces personnes qui décident donc de tenter ensemble cette aventure commune, cette "entreprise", d'exercer ensemble leur liberté d'entreprendre, vont "s'associer".
Elles vont pour cela recourir à un "contrat spécial".

Le droit des contrats distingue en effet les règles communes à tous les contrats (le droit commun des contrats, la théorie générale des contrats), des dispositions prévoyant pour tous les contrats des règles communes à la formation et à l'exécution des contrats, et la série des contrats spéciaux, des dispositions spécifiques régissant le contrat de bail, le contrat de dépôt, le contrat de pari, etc., ... et le contrat de société.
Le rapport entre les deux corps de règles, entre la théorie générale des contrats et les règles spécifiques à un contrat spécial est que la règle générale s'applique au contrat spécial, tant qu'une disposition spécifique à celui-ci n'en a pas disposé autrement.

Ainsi, l'article 1832 du Code civil vise le contrat de société. Comme toute disposition juridique bien faite, il définit celui-ci. Le contrat de société est un contrat par lequel au moins deux personnes s'accordent (le contrat est toujours défini comme un "accord de volontés") pour réaliser un projet. Ce projet est commun. C'est pourquoi l'on dira que le contrat de société est un "contrat d'intérêt commun".

Dans l'esprit des codificateurs de 1804, cet "intérêt commun" est acquis dès le départ et le demeure. En effet, l'intérêt commun des associés est de réussir dans leur entreprise commune. Et comme la réussite, espérée, sera commune, ils se partagera les bénéfices. Ainsi, si l'un gagne, l'autre gagne (win - win, dira-t-on plus tard).

Il est essentiel de comprendre cette logique de départ, car la notion de "conflit d'intérêt est absolument étrangère au schéma classique. En effet, un associé ne va chercher à nuire à l'autre. Non pas par altruisme, dévouement ou grandeur d'âme (le droit, dans sa sagesse, ne présume jamais cela, hors les rapports entre les parents et les enfants), mais parce qu'un associé qui nuirait à un autre se nuirait forcément à lui-même. Ainsi, c'est parce qu'il cherche à s'enrichir lui (l'appât du gain est le moteur de l'associé) que ce qu'il va faire va mécaniquement mais nécessairement enrichir l'autre.

Ainsi, pour alimenter cette aventure, les associés, qui sont dynamiques, font faire des "apports". Ces apports sont mis en commun. Ils peuvent être en numéraire (argent), en nature (par exemple la propriété d'un immeuble), mais aussi en "industrie", c'est-à-dire le travail d'un associé qui va par sa compétence et son talent contribué à la réussite de l'entreprise. Mais si, dans la pratique désormais ces "apports en industrie" n'existent plus beaucoup, ils montrent bien l'esprit du contrat de société : la mise en commun de ce que l'on a : son argent, sa puissance patrimoniale, son énergie, son talent, son travail.

L'associé qui fait ainsi un "apport en industrie" n'a rien à voir avec un salarié, car il entre dans un aventure commune, sur un pied d'égalité avec les autres associés, et il aura les mêmes droits, de nature politique, dans le fonctionnement de la société (v. infra). Il participera aux bénéfices comme il endurera les pertes. Il fait partie de "l'aventure".
A l'inverse, le salarié est un subordonné. C'est la définition même du contrat de travail, que de créer un lien de subordination entre l'employeur et l'employé. Le salarié doit obéïr, mais il est aussi protégé par le Code de travail, qui lui assure un salaire régulier et minimum, qui limite son temps de travail, lui assure des congés, une protection sociale, une retraite. Si la société fait des profits, il n'y a pas droit, mais si elle fait des pertes, il ne les subit pas. Bref, il ne "participe" pas.

Ce contrat de société a donc l'intérêt commun comme définition à la fois "naturelle" et "acquise". Chacun participe. Ainsi, le contrat de société fait naître une organisation sociétaire, le plus souvent dotée de la personnalité morale : la société.

Le Législateur a prévu une palette de formes sociétaires, par exemple la Société Anonyme, ou la Société en Nom Collectif. Cette palette s'est diversifiée, soit en insérant de nouvelles formes sociétaires, par exemple la Société par Actions Simplifiée, soit en insérant de nouvelles formes à l'intérieur d'une même forme sociétaire : la Société Anonyme conçue au XIXième pour n'être qu'à Conseil d'Administration, pût ultérieurement se construire sur un Directoire et un Conseil de surveillance.

La question de "l'intérêt commun" ne se posant pas, puisque celui-ci était tautologiquement satisfait, tous les associés, parties prenantes de "l'aventure", y participe à travers le fonctionnement de la Société commerciale.

En cela, la Société commerciale a été pensée comme une Société politique, comme une République, l'associé y exerçant le droit fondamental d'y exercer des droits de nature politique.
Ainsi, quelle que soit la forme que prend la société commerciale, tout associé a le droit fondamental de participer à l'Assemblée générale, laquelle doit se tenir au moins une fois par an (Assemblée Générale Ordinaire - A.G.O.). Il a le droit fondamental d'y être convié, d'y participer, de poser des questions et de voter.
La jurisprudence a souligné qu'il s'agit d'un "droit propre" de l'associé, de sorte que le contrat de société, même dans sa dimension d'organisation de la société, qui transforme ce contrat spécial en "statuts" de la société, ne peut l'en priver.

Plus encore, comme dans une société politique, l'associé, qui est un électeur, est aussi potentiellement éligible Ainsi, il peut prétendre gouverner.

Soit, il est associé d'une "société de personnes", catégorie de sociétés dans lesquelles c'est la personnalité des associés qui est la considération la plus importante. Appartiennent à cette catégorie des sociétés de personnes la société en participation, la société en nom collectif, la société en commandite, etc. Dans ce cas, parce que tout associé est important, les résolutions adoptées qui expriment les décisions sociétaires et formeront la volonté de la société en tant que personne morale vis-à-vis de l'extérieur, sont prises à l'unanimité. Ainsi, tout associé est doté du pouvoir considérable de s'opposer à une résolution, par un droit de veto.

Dans l'autre catégorie de sociétés, les "sociétés de capitaux", la première considération est donnée aux apports que l'associé fournit à la société. La société de capitaux est l'outil privilégié du capitalisme. La distinction entre sociétés de personnes et société de capitaux a longtemps été la summa divisio  du droit des sociétés.

Les Sociétés Anonymes (S.A.), les Sociétés Anonymes à Responsabilité Limitée (S.A.R.L.) sont des exemples de sociétés de capitaux. Parce que la personne de l'associé est moins prépondérante, le fonctionnement de la société est basé sur "la loi e la majorité". Plus encore, le système n'est pas d'attribuer une vote à chaque associé mais d'attribuer à chaque associé autant de voix qu''il a de parts dans l'ensemble des titres qui représentent les apports, c'est-à-dire les parts sociales dont l'addition forme le capital social de la Société

C'est ici que la Société commerciale se sépare de la Société politique, dans laquelle chaque citoyen dispose d'une voix et d'une seule. Dans une société de capitaux, par l'effet de la Loi de la majorité, celui qui dispose de la moitié du capital social + une part sociale, est "l'associé majoritaire" : de fait et de droit, il fait prévaloir sa volonté et les résolutions sociétaires sont adoptées ou rejetées selon sa propre volonté, avant que d'être imputées à la personne morale sociétaire.

Mais tout associé peut politiquement prétendre être élu par les autres, soit gérant, soit administrateur, puis président, suivant les formes sociales. Dans les sociétés de personnes, tout associé est présumé gérant.
Comme les statuts ont une nature contractuelle, une clause statutaire peut insérer des mécanisme pour mêler les genres, par exemple insérer une Loi de majorité dans une société de personne ou désigner un gérant à l'exclusion des autres associé dans celle-ci.
Mais le principe est que tout associé a vocation à gouverner.

En symétrie, dans le schéma classique, celui qui est gouverne, parce qu'il a été "mandaté" par les autres associés par ce faire, il est "mandataire social", ne peut être qu'un associé. Certes, par la suite, des lois permettront à titre exceptionnel de désigner des "gérants salariés" et les membres du directoire ne sont pas forcément associés, mais ce sont des infléchissement de la règle de départ.

Ainsi, celui qui va influencer les résolutions sociétaires, organiser leur adopter, convoquer les assemblées, établir l'ordre du jour, distribuer la parole, écrire les compte rendus, etc., les autres associés, même si leur pouvoir politique n'ont pas de portée parce que de droit ils sont minoritaires dans une société de capitaux, ou parce que de fait ils sont indifférents dans une société très importante dont ils détiennent très peu de parts sociales ("actions", si c'est une société anonyme), peuvent leur faire confiance, se reposer sur eux.

En effet, dès l'instant que tous les associés partagent la chance de partager les profits ("vocation aux bénéfices") et risquent tous les effets de la faillite ("exposition aux pertes"), alors comme les mandataires sociaux sont des associés, ils géreront bien la société, car il est de leur intérêt égoïste que de bien la gérer. Par contrecoup et alors même que cela les indifférerait, cette "diligence patrimoniale" va profiter à tous les autres associés, y compris le plus petit associé minoritaire.

Mais ce schéma classique qui peut encore rendre compte de la réalité à la fois d'organisation et psychologique d'un certain nombre d'entreprise ne correspond pas à des entreprises financiarisées, notamment si leur capital a été ouvert et mis sur le marché financier.

En effet, en 1966, la mise sur le marché financier des actions, qui sont les titres représentatifs des apports précités et n'ont pas que peu d'importance propre, leur cession étant anecdotique, voire pathologique ou signe d'une succession, est un mode de financement de l'entreprise, via sa structure sociétaire, laquelle demeure généralement uniquement par rapport à l'unicité de l'entreprises.

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