Mise à jour : 6 juin 2014 (Rédaction initiale : 29 janvier 2014 )

Enseignements : Droit de la régulation bancaire et financière, Semestre de printemps 2014

Leçon 2 : Périmètre du droit et périmètre de la régulation bancaire et financière

Pièces jointes

© mafr
 


Leçon n°2 :

Périmètre du droit et périmètre

de la régulation bancaire et financière


29 janvier 2014
 

 

 

 

 

I. LA DIFFÉRENCE DE CONSTRUCTION ENTRE LE SYSTÈME JURIDIQUE ET LE DÉPLOIEMENT DES SYSTÈMES BANCAIRES, FINANCIERS ET ASSURANTIELS RÉGULÉS
 
 
A. LA CONSTRUCTION CLASSIQUE DU SYSTÈME JURIDIQUE
 
1. La construction du système juridique national
 
a. Les divisions du système juridique
 
- La summa divisio du droit public et du droit privé
- L'ombre portée de l'organisation juridictionnelle et du contentieux
- La dualité des ordres de juridictions
- Arrêt Diamantaires d’Anvers, Trib. Conf., 22 juillet 1992,
- Arrêt Diamantaires d'Anvers, Com., 9 juillet 1996
- Le critère incertain de répartition du contentieux
 
- Les branches du droit "inclassables"
- Le droit pénal
- Le droit de la concurrence
- Le droit financier
 
- La reconstruction du système juridique au-delà des matières et autour des droits fondamentaux
- La subjectivisation du système juridique
- La montée en puissance des "droits à"
- La montée en puissance du juge
- L'importance première de la procédure
- Le système juridique innervé par les droits fondamentaux
 
b. Le fonctionnement du système juridique par la hiérarchie des normes
 
- Le fonctionnement de Common Law, le fonctionnement de Civil Law
- La pyramide "Kelsénienne"
- Le principe de légalité, la souveraineté et la délégation du pouvoir normatif
- La "norme fondamentale" : la Constitution et la remise en cause du légicentrisme
- Le contrôle a priori et a posterio des lois (QPC)
 
2. L'articulation du système juridique national avec les autres systèmes juridiques
 
a. Le droit international public
 
- Les États, sujets souverains de droit international
- Le rôle des traités internationaux dans le droit économique
- Les institutions internationales
 
b. L'intégration européenne
 
- Les institutions et les instruments normatifs européens
- L''incorporation du droit des États membres dans l'ordre communautaire
- L'application directe par le juge national du droit de l'Union européenne (CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal)
- L'exception de non-conformité de la loi nationale au droit communautaire et au droit international
 
 
B. LA CONSTRUCTION DES SYSTÈMES REGULÉS
 
1. La construction d'architectures liées à un droit identifié à ses finalités
 
- La mission d'ordre public et la distinction du droit public et du droit privé
- L'expansion de la place/liberté d'entreprendre/protection du consommateur de produits et droit privé/politique industrielle des Etats
- La problématique de l'industrie bancaire
- L'usage naturel de l'outil-sanction
- La fonction disciplinaire du droit civil ?
- "La contractualisation de la répression"
 
2. L'éclatement des distinctions internes au droit français
 
- Le droit bancaire et le droit financier
- Le droit financier et le droit des assurances
- Le droit bancaire et le droit des assurances
 
3. L'éclatement de la distinction entre le droit national et le droit extranational
 
- La Solft Law et le droit souple
- L'application anticipée des normes par les opérateurs 
- Le processus d'intégration Lamfalussy
- La "ronde des textes" face à la hiérarchie verticale des normes
 
 
 
II. LES RAPPORTS ENTRE LES ORDRES INTERFERANT
 
 
A. LE CHOC DES LOGIQUES DES DEUX ORDRES
 
1. L'hétéronomie des systèmes et la prétention du droit à imposer sa supériorité
 
a. La légitimité du droit à faire plier la réalité des affaires
 
- La légitimité formelle
- La légitimité substantielle du droit
 
2. Le déclin de la puissance de fait des autorégulations non juridiques
 
a. Les agences de notation
 
- Le contrat
- La responsabilité civile
- La supervision
 
b. Les opérateurs de marchés
 
- Les opérateurs d'infrastructure
- Les entreprises de marchés
- Les chambres de compensation
 
- L'autorégulation entre opérateurs ordinaires
- Le choix commun d'indices (le Libor et l'Euribor)
- L'organisation commune des commissions interbancaires
 
 
B. LES ARTICULATIONS POUR INSTALLER UNE COMPATIBILITÉ
 
1. Le régulateur, arlequin de la régulation
 
a. L'Adieu de Montesquieu
 
b. Le régulateur, Tribunal "au sens européen"
 
- Ass. Plén., Oury, 5 fév. 1999
- C.E., Didier, 6 déc. 1999
 
2. La dualité des sanctions
 
a. L'Association des sanctions pénales et administratives
 
b. La non-application du principe Non bis in idem
 
- C.E., 10 décembre 2010, A.M.F.
- Crim., 22 janvier 2014, Antoine X
 
c. La civilisation des sanctions
 
- Com., 21 janvier 2014
 
 
C. L’IDÉAL D’UNE SUPERPOSITION DES DEUX ORDRES
 
1. Les régulateurs jouant sur les "deux tableaux"
 
a. Les "messages" et les sanctions
 
b. La légalité et les arrangements
 
- Les settelments
- La composition administrative
 
2. La sécurité juridique et la technicité des normes
 
a. La technicité des normes applicables aux opérateurs bancaires, financiers et assurantiels
 
b. L'incertaine portée de la Soft Law
 
c. Le principe protecteur de la sécurité juridique
 
 
Autant il est usuel de parler des "périmètres" de la régulation bancaire, financière et assurantielle, autant l'expression ne va pas de soi concernant le droit. En effet, le droit se saisit de ce qu'il veut, car il est un système normatif, entre les mains du politique, qui s'exprime par les lois votées par le Parlement, par des traités conclus par les État, et qui portent sur les sujets que ces auteurs légitimes à créer de la contrainte, lesquels peuvent porter sur ce qu'ils ont décidé de régir.
Cette souveraineté qui caractérise classiquement le droit contraint celui-ci par la source qui doit être légitime (la loi votée par le Parlement, le traité conclu par l'Etat et ratifié par le Parlement) et par la forme (le décret doit être conforme à la loi, la loi doit être conforme à la Constitution, le droit français doit être conforme au droit de l'Union européenne et au droit international reconnu par l'Etat français). Ainsi, l'on pourrait dire que le droit est "aveugle" à son propre contenu, soucieux de sa conformité interne, mesurée entre la norme inférieure et la norme supérieure (décret - loi - Constitution/traité ). Dans un système pyramide, le droit est y contraignant est rigide (hard Law)
Au regard de cela, les systèmes de régulation se développent tout à fait différemment, comme nous avons commencé à le voir dans la leçon n°1. En effet, le droit de la régulation se conçoit d'une manière substantielle à partir de son objet technique, dans le cadre d'un secteur, et s'agence pour atteindre des objectifs, l'objectif étant son véritable objet (v. leçon n°1). Le droit y est instrumental et souple (soft Law).
Dès lors, le droit de la régulation va très mal s'insérer dans le système juridique classique, le percevant à travers les branches classiques du droit que sont le droit bancaire ou le droit des assurances, qui appartiennent au droit privé. Le "droit financier" est une branche du droit qui n'existe pas vraiment avant les années 2000, car il prend appui sur la notion de marché financier, ce qui supposerait que l'on fasse entrer de l'économie, le marché étant le socle de la matière, dans le droit, alors que le droit et l'économie constitue deux ordres normatifs hétéronomes. Plus encore, les autorités de régulation et de supervision étant des autorités administratives, elles appartiennent au "monde" du droit public. Or, le droit français est structuré sur la summa divisio  du droit public et du droit privé, et les privatistes ne connaissent guère le droit public, tandis que les publicistes ne connaissent guère le droit privé. C'est pourquoi le droit de la régulation ne s'acclimate que très difficile, sorte de bâtard laissé dans un placard.
Mais depuis 2000, les mentalités ont évolué, notamment parce que les État et les opérateurs ont exigé une évolution des systèmes juridiques pour que la spécificité des systèmes régulés soit reconnue. Ainsi, on a tout d'abord assisté, et l'on continue, à un choc des logiques des deux ordres : l'ordre juridique d'une part, l'ordre financier d'autre part. En effet, le droit revendique et l'hétéronomie des systèmes et sa supériorité. C'est à ce titre, que le droit étatique va attaquer les mécanismes d'autorégulation, tels que les notations opérées par les agences ou les indices arrêtés par les opérateurs eux-mêmes dans les panels (Libor), soit par des textes, soit par des procès.
Pourtant le droit ne peut pas gagner dans un affrontement avec la finance, la banque et l'assurance, ne serait-ce qu'en raison de la mobilité des agents et de la situation débitrice des États. C'est pourquoi l'on va mettre en place au minimum une compatibilité, au mieux une convergence entre les deux ordres.
Ainsi, le régulateur, sur lequel nous reviendrons dans la leçon n°3, va devenir une sorte d'"arlequin" de la régulation, tantôt soumis au droit privé, tantôt soumis au droit public, tantôt autorité administrative, tantôt tribunal (voir leçon n°5). C'est le juge judiciaire, dans l'arrêt Oury, qui imposera cette qualification au régulateur financier, reprise ensuite par le juge administratif dans l'arrêt Didier. La régulation peut tirer profit d'une telle superposition, notamment en accumulant les sanctions pénales et administratives.
L'articulation peut se faire aussi au profit des opérateurs si le droit admet à la fois la technicité instrumentale des régulations mais leur impose de nouveaux principes directeurs, principalement la sécurité juridique.
Il convient de développer les différents points de cette première présentation générale.
 
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Il convient de partir de la différence de construction du système juridique, face au déploiement des régulations des secteurs bancaires, financiers et assurantiels.
Le système juridique doit être rapidement décrit dans sa logique, avant de mieux mesurer plus tard à quel point le droit de la régulation peut avoir du mal à se plier à cette logique traditionnelle. Le système juridique français a été construit sur la summa divisio du droit public et du droit privé. Cela ne va pas de soi (le droit de Common Law  n'est pas construit ainsi).
La distinction du droit public et du droit privé découle d'une conception politique du droit, qui a été conçue à la Révolution Française, et qui pose que l'administration ne peut pas recevoir d'injonction du juge "ordinaire" qu'est le juge judiciaire. Cela renvoie à une conception philosophique de l'Etat, dont l'administration est l'agent, agent qui sert l'intérêt général, le bien commun et l'expression du contrat social, aune à l'égard de laquelle un juge ordinaire ne peut pas interférer.
C'est pourquoi les lois des 16 et 24 août 1790 ont posé l'existence des juridictions administratives et des juridictions judiciaires, faisant ainsi du juge administratif "le juge naturel" de l'administration. Plus encore, par le Tribunal des Conflits, par l'arrêt Blanco du 8 février 1873, a déduit de cette dualité des deux ordres de juridictions que l'administration n'était plus soumise au Code civil mais était régie par un "droit administratif", corpus de règles devenu autonome.
Dès lors, cette distinction du droit public et du droit privé, qui ne va pas de soi, que conforte l'Université française, notamment en ce qu'elle est constituée d'Agrégés de droit public et d'Agrégés de droit privé, a pour "ombre portée" la dualité des ordres de juridictions. Celle-ci ne va pas non plus de soi. Ainsi, en matière de régulation, l'on va par exemple organiser des recours sur des décisions de régulateurs organisés sous la forme juridique d'Autorités Administratives (Indépendantes) devant la Cour d'appel de Paris, laquelle appartient à l'ordre des juridictions judiciaires, dont les arrêts en la matière peuvent être frappés d'un pourvoi formé devant la Cour de cassation. Dans le même temps, les textes organisent de nombreuses compétences des mêmes régulateurs qui engendrent des actes administratifs, par exemple la délivrance d'agrément, qui sont des actes qui pourront être frappés de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État. Ainsi, le contentieux des recours est éclaté, voire "écartelé" entre les deux ordres de juridictions. Cela engendre une grande complexité et une grande incertitude, ainsi qu'une prévalence de la procédure en matière de régulation.
Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, le Tribunal des Conflits est la juridiction qui a pour fonction de trancher les conflits, positif ou négatif, qui se posent quant à savoir quel ordre de juridiction a vocation à connaître d'un cas. Une société, La Compagnie des Diamantaires d'Anvers propose des placements. La Commission des Opérations de Bourse - COB (ancêtre de l'AMF) le lui interdit. Il s'avère que cette interdiction était illégale et l'opérateur obtient l'annulation de la décision du régulateur de refuser son visa au placement. L'entreprise se prévaut de cette illégalité pour obtenir la responsabilité de l'État du fait de la faute du régulateur. Les textes ne désignent pas la juridiction compétente. Saisi par la victime, le Conseil d'État se déclare incompétent. La Cour d'appel de Paris, saisie alors, décline aussi sa compétence. Devant ce conflit négatif, le Tribunal des Conflits doit trancher. Par son arrêt du 22 juin 1992, le Tribunal, contre toute attente, pose que si le contentieux de la légalité des visas relève bien du juge administratif, en revanche, la responsabilité de l'Etat du fait d'une faute que le régulateur commet en adoptant une décision illégale relève de la compétence judiciaire. Mais la compétence juridictionnelle judiciaire n'implique pas pour autant l'application du droit privé... En effet, parce qu'il s'agit d'apprécier la responsabilité de l'État, l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 9 juillet 1996 dans cette même affaire retiendra le critère de la faute lourde, spécifique de la responsabilité administrative, alors que la responsabilité civile se retient sur faute simple.
Cette affaire est prise pour vous montrer la complexité qu'engendre cette construction interne du système juridique français du fait de la distinction droit public/droit privé, doublée de la distinction ordre des juridictions administratives/ordres des juridictions judiciaires. Cette seconde complexité, institutionnelle, se retrouve dans les pays fédéraux, comme aux État-Unis, dans lesquels la première question qui se pose est celle de la détermination de la compétence, entre celle des États ou des institutions fédérales.
 
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Par ailleurs, le système juridique est "classé" par branches du droit, qui ont comme en décalque, une branche de procédure qui leur correspond, la procédure étant traditionnellement qualifiée de "servante" du droit. Ainsi, au droit civil, correspond la procédure civile, au droit pénal, correspond la procédure pénale, etc. Les règles substantielles sont contenues dans des corpus organisés et cohérents : le Code civil pour le droit civil, le Code de commerce pour le droit commercial, etc.
C'est en tout cas comme cela que le système juridique devrait être, dans un pays de "droit civil" (Civil Law), de droit écrit, pré-établi par les lois, dominé par la codification.
En réalité, ce système préalable et nécessaire de classement dans des branches de règles substantielles de droit, qui se prolongent dans des branches de règles procédurales, ne fonctionne pas toujours.
Par exemple, le droit pénal, dont la place est centrale en droit de la régulation bancaire, financière et assurantielle, comme nous le verrons dans un cours prochain, est mis en œuvre par les juridictions judiciaires. Pourtant, son objet, classiquement présenté, est la préservation des valeurs fondamentales de la société et de l'intérêt général, ce qui converge vers la définition que l'on donne souvent du droit public. Cette identité des fins explique que plus tard va se développer le "droit administratif répressif", par exemple le "manquement d'initié" à côté du "délit d'initié".
En outre, le droit de la concurrence, socle du droit économique, est inclassable. En effet, le "droit commercial" est dans le droit privé, car il est le "droit des personnes commerciales", ce qui exclut qu'il soit le droit de l'État, car les deux catégories sont exclusives l'une de l'autre (l'on ne peut être à la fois dans le droit public et dans le droit privé, on ne peut pas être ni dans l'une ni dans l'autre). Ainsi, traditionnellement, le droit commercial était dans le droit privé. C'est pourquoi le droit bancaire et le droit des assurances sont présentés comme appartenant au droit privé et sont confiés à des privatistes.
Mais à partir des années 1970, on rapproche l'ordre juridique et l'ordre économique. Par exemple, l'on prend directement la notion économique d'entreprise (et non pas de "commerçant" ou de "société") pour l'intégrer dans le droit, l'on mesure le rôle de l'État dans l'économie, l'on intègre le marché dans le système juridique. Dès lors, il faut "situer" le droit de la concurrence. Jusqu'à aujourd'hui cela pose problème.
En effet, il est possible de définir le droit de la concurrence comme les rapports que les concurrents doivent avoir entre eux, dans la compétition qu'ils entretiennent pour capter les demandeurs, rapport d'agressivité, créateur de dommages légitimes, mais qui ne doit pas dégénérer en comportements d'une faute caractérisée. C'est la théorie de la concurrence déloyale. Celle-ci appartient au droit civil et au droit commercial. Elle est maniée par les tribunaux civils et de commerce. La notion de loyauté, qui en est le cœur, puisque c'est la déloyauté qui est sanctionnée, continue de traverser la régulation financière, par exemple à travers le droit de la corporate governance. 
Lorsque le droit de la concurrence devient le droit du marché concurrentiel, dont le but est de préserver le marché, dans son libre fonctionnement concurrentiel, qui préserve la liberté d'entreprendre et l'ajustement de l'offre et de la demande, c'est le marché qui est protégé et non plus les opérateurs. Ainsi, le consommateur est la mesure du droit de la concurrence, ni son objet, car le droit de la consommation appartient au droit civil et est manié par le juge civil, tandis que le droit de la concurrence est appliqué principalement par l'Autorité de la concurrence, qui est une autorité administrative indépendante.
En droit français, par l'arrêt du Tribunal des conflits du 6 juin 1989 Ville de Pamiers, l'entreprise publique devient soumise au droit de la concurrence et répond de ses comportements devant l'Autorité de la concurrence, tandis que par l'arrêt Millon et Marais du Conseil d'État du 3 novembre 1997, le juge administratif devient juge du droit de la concurrence.
Ainsi, le droit de la concurrence, petit à petit, se met à recouvrir l'ensemble du système juridique. Mais sa définition reste incertaine, ce qui étend son pouvoir, comme nous le verrons dans le cours consacré aux rapports entre le droit de la concurrence et la régulation bancaire et financière.
Le droit financier n'a pas de place si précisément déterminée. En effet, l'appellation même est nouvelle. Au départ, était le droit des sociétés, globalement appréhendé. Puis, l'on a admis que certaines sociétés, du fait que leurs actions étaient cotées, en devenaient à ce point spécifiques, que l'on pouvait parler de "sociétés cotées" et même concevoir un "droit des sociétés cotées". Nous reviendrons sur ces questions en étudiant les rapports entre les régulations et le droit des sociétés. Ainsi, la caractéristique première des sociétés cotées tient dans ce qu'elles sont "sur" un marché boursier.
Puis, l'on a observé qu'il y avait une certaine fongibilité entre les actions et les obligations, à travers la notion de "titres" émis par les sociétés. Ces titres ne sont pas nécessairement des titres les concernant directement, les sous-jacents pouvant leur être extérieurs. Dès lors, le marché boursier est apparu comme une catégorie de marché financier. Ainsi, est né le droit des marchés financiers. Comme le marché financier est un mode de financement comme un autre, on a pu élargir et concevoir le droit financier, qui a éloigné le droit de l'économie pour le rapprocher de la gestion. A ce titre, la comptabilité est devenue essentielle.
Or, si l'on considère le droit financier à travers le marché boursier et ses institutions comme l'A.M.F., la prévention du risque systémique, etc., on va le classer dans le droit public. Si on le considère comme une déclinaison du droit des sociétés, on le classera dans le droit privé (et l'on songera par exemple à former des actions en référé devant le tribunal de commerce pendant des O.P.A.). Si l'on considère le droit financier comme un droit des titres qui circulent sur le marché et qui doivent avoir certaines caractéristiques, par exemple de qualité, alors il s'agit du droit des biens. Dans ce cas, tout le droit civil des biens lui est applicable, par exemple les garanties prévues en cas de cessions par le Code civil.
On mesure ainsi l'importance pratique des classements du système juridique en branches du droit et l'insertion des corpus de règles dans les summa divisio. Pour l'instant, l'incertitude règne...
 
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D'autre part, un système juridique dispose de règles de fonctionnement. Cela lui permet de vivre concrètement, tel que nous en bénéficions ou le subissons (nous sommes ses assujettis) tous jours. Or, les régulateurs et les opérateurs s'insèrent le fonctionnement des systèmes juridiques.
Il faut distinguer, sans exagérer en pratique la différence, le fonctionnement des systèmes de Civil Law  et le fonctionnement des systèmes de Common Law.
Les systèmes de "Civil Law" correspondent à la tradition romano-germanique, sur le modèle français et allemand, sur lequel se sont calés de nombreux systèmes, notamment les pays d'Amérique du Sud. Ils sont centrés sur la loi, qui édicte des normes générales et abstraites, ayant pour objet de disposer pour le futur et que pour le futur (non-rétroactivité des lois - article 2 du Code civil).
Dans un tel système, le juge n'a pas de puissance autonome, il est un agent neutre d'application au cas concret de la règle générale préalablement établie par l'auteur légitime qu'est le législateur. La décision juridictionnelle qu'il adopte n'a de portée que sur le cas concret et ne lie que les parties (article 1351 du Code civil) et n'a pas de portée sur les cas ultérieurs analogues (article 5 du Code civil).
A l'inverse les systèmes de Common Law reposent sur la puissance du juge. Il s'agit du droit anglais, qui s'est propagé dans les colonies britanniques, en premier lieu les Etats-Unis. Même s'il existe des juridictions spécialisées, par exemple en matière administrative, il n'existe pas de dualité d'ordres de juridictions (il n'y eut pas la Révolution française), et le juge est "de droit commun". Comme pour le prêteur romain, le droit anglais restant proche de celui-ci, des personnes qui se disputent soumettent un "cas" à un juge qui trouvent une solution. Cette solution s'applique à tous les cas futurs analogues, selon le système du stare decisis (système du précédent). Ainsi, dans ce système de l'analogie linéaire basée sur l'histoire, c'est l'ensemble de la jurisprudence qui est essentiel, et l'habileté juridique consiste à démontrer que des cas sont suffisamment semblables ou suffisamment dissemblables pour faire jouer la règle du précédent ou pour bloquer celle-ci. Ainsi, les régulateurs, plutôt de culture anglo-nord-américaine, développe une "jurisprudence" pour guider les opérateurs, et leur permettre d'anticiper leur situation future.
Les régulations, alors même qu'elles prétendent être "mondiales" (v. cours à ce propos) sont donc directement affectées par le fait qu'elles s'insèrent dans un système de Common Law ou un système de Civil Law. En outre, alors que les régulations bancaire, financière et assurantielles sont de plus en plus européenne, le droit anglais est au coeur de l'Europe, alors qu'il est de structure différente du droit français et du droit allemand, ce qui entraîne une concurrence, voire une "guerre" des systèmes juridiques, notamment auprès de la Commission européenne ... (par exemple dans le choix sur les normes principle based  et les normes rules based.
 
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Les systèmes de régulation bancaire et financier se construisent sur d'autres principes, qui dépendent du fait qu'ils sont conçus que l'on se fait de la régulation et non pas de la connaissance que l'on aurait du droit, comme nous l'avons vu dans la leçon n°1.
Ainsi, la régulation bancaire et financière est une matière qui est gouvernée par ses finalités. Mais la finalité de celle-ci étant à la fois floue et démultiplié, l'on ne peut plus guère la classer parmi le droit public ou le droit privé, lui affecter un "juge naturel", la loger aisément dans la summa divisio  du système juridique.
Plus encore, si l'on prend le droit civil, soit l'on considère qu'il n'a pas sa place dans un système de régulation gouverné par le souci du risque systémique qu'il faut prévenir, par des outils de police administrative,  allié à la nécessité de gérer des crises systémiques qui relèvent directement des pouvoirs des État et du maniement des finances publiques, soit l'on va considérablement "publiciser" le droit civil.
Ainsi, l'on va commencer à imaginer que les dommages et intérêts ne devraient pas avoir pour seule fonction de réparer les dommages subis par les victimes, tout le dommage mais rien que le dommage (principe de la réparation intégrale), mais encore de discipliner le marché, par le mécanisme de "dommages et intérêts punitifs" que connaît pour l'instant que les droits de Common Law, notre droit estimant que le droit civil n'a pas à "récompenser" la victime. Mais l'AMF a rendu un rapport par lequel elle souhaite expressément que le droit français emprunte la techniques des punitive damages  au droit nord-américain.
De la même façon, si l'on estime que la banque et la finance ne relèvent pas du commerce, ce à quoi renvoie le "droit commercial", mais relève de l'industrie - l'industrie bancaire et financière -, alors le "droit de l'industrie" devrait lui être appliqué. Ce droit renvoie à la protection des inventions industrielles, aujourd'hui au droit de l'innovation, dont la protection est l'Etat.
Pour l'instant, le droit continue de concevoir comme deux branches du droit distinctes le droit bancaire d'une part, le droit financier d'autre part. Pour un juriste, cela va de soir. Le droit bancaire est très ancien et vise avant tout les relations de crédit et de gestion des dépôts, notamment à travers la technique du compte. Le droit financier est un droit conceptuellement plus récent, puisqu'il a été conçu à travers la pénétration dans le système juridique de la notion de "marché financier", lui-même issu de l'entrée du marché boursier comme objet autonome de règles de droit spécifique.
L'on conçoit que le droit bancaire et le droit financier soient imperméables l'un à l'autre. En effet, le droit bancaire met au cœur de la relation entre le banquier et son client le "secret", ce qui conduit le contrat bancaire à être un "contrat relationnel". La place bancaire tire même sa puissance du fait même qu'elle offre à ses clients le secret de leurs affaires, la trace de celles-ci - car nul ne conteste la légitimité du secret des affaires - demeurant elle-même secret, attrait pour la place bancaire.
A l'opposé, une place financière repose sur l'information, puisque les clients sont des investisseurs auxquels l'on offre, par les règles et l'activité du régulateur, de l'information sur les produits qu'ils ont vocation à acquérir. Dès lors, il y a opposition du cœur des deux places : secret versus information. C'est pourquoi la Suisse est une place bancaire et ne peut être une place financière.
En outre, les deux sont hétéronomes, en ce que les banques souffrent d'un risque, le risque systémique, qui tient aux dépôt, la faillite d'un établissement bancaire, entraînant un effet de panique et de retraits des dépôts dans d'autres banques, ce qui n'a pas de sens pour les produits en circulations sur des marchés, la notion de dépôts étant étrangère à une structure de marché financier.
Enfin, l'Etat n'a en rien la même place, puisqu'il est garant en dernier ressort des banques, à travers la Banque centrale, alors que le marché financier, qui est une structure privée en concurrence prenant la forme d'une société anonyme qui côte ses actions sur son propre marché, ne bénéficie pas de la garantie de l'Etat. Cela n'est pas grave puisque les opérateurs, à savoir les émetteurs de titres, les offreurs de titres et les acquéreurs de titres, c'est-à-dire les investisseurs, ne sont pas les créanciers de l'entreprise de marché. Ainsi, s'il est vrai que le problème technique serait de taille, il ne serait pas "systémique" au sens premier du terme.
Voilà pourquoi à première vue, le système juridique a raison d'en rester à un classement dans deux branches du droit distinct du droit bancaire et du droit financier.
Mais en réalité, il n'en est rien.
La régulation bancaire et la régulation financière s'interpénètrent. Et ce à tel point qu'au Royaume-Uni, le régulateur vise les deux secteurs à la fois, estimant qu'ils sont indissociables. En effet, les banques en premier lieu sont les premiers intermédiateurs du marché financiers. En deuxième lieu, elles construisent les produits financiers. En troisième lieu, elles investissent pour compte propres. C'est la faillite de trois banques qui a causé la série de crises financières que nous subissons depuis 2009.
Ainsi, les banques se définissent comme des opérateurs financiers. C'est pourquoi par exemple la Commission européenne vient d'annoncer qu'elle voulait modifier la structure du secteur bancaire pour sortir l'économie de la crise financière, pour que les banques commerciales ne puissent plus avoir d'activité de banques d'investissement, mettant fin au modèle français et allemand de banque universelle.
Sans même étudier ici la pertinence de cette perspective inspirée par les banques britanniques, il convient de mesurer en droit les effets d'une requalification des banques en "opérateurs financiers". Vous mesurez une nouvelle fois la puissance des qualifications : il suffit d'appeler une banque "opérateur financier" pour qu'elle soit régie par le droit financier, c'est-à-dire par des principes qui lui étaient initialement contraires d'une façon essentielle.
Ainsi, le principe d'information et de transparence va pénétrer les banques. Le secret bancaire va reculer. La banque va être traitée comme une "entreprise comme une autre". Considérée comme un "intermédiaire", elle va être considérée comme l'entreprise qui prélève de l'argent sur une opération qui aurait pu - et dû - se faire sans elle. L'affaire des "commissions bancaires" peut s'ouvrir et les banques seront condamnées. Plus encore, le système des commissions interbancaires sera condamné par l'Autorité de la concurrence, puis par les juridictions du recours, en tant que le traitement des chèques par les banques n'avaient pas à être organisées "entre elles".
De la même façon, la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires prend comme principe que les banques sont avant tout des agents financiers, dont la solidité doit être garantie pour préserver le système financier d'une crise. Cette loi mêle d'ailleurs étroitement les dispositions relatives à l'ACPR et celles relatives à l'AMF, conçues un peu comme des jumelles.
Par ce changement de perspectives, ce changement de mots, ce changement de classement dans les branches du droit, les règles du droit, les banques sont donc traitées comme des opérateurs financiers. L'Europe accroît le phénomène, puisque le projet actuellement déposé par la Commission européenne met en avant la prévention d'une crise systémique et donc avant tout la pertinence de la taille de la banque, alors que la loi française du 26 juillet 2013 met en avant le rôle des banques de financement de l'économie.
Or, les compagnies d'assurances elles-mêmes sont juridiquement traitées comme des banques, du fait qu'elles se comportent comme des opérateurs financiers, alors que le droit classique avait conçu comme une distinction évidente la distinction du droit bancaire et du droit de l'assurance.
En effet, l'activité d'une banque est de se voir confier de l'argent par des déposants et de le conserver à disposer (compte à vue) ou bien de le conserver en épargne (compte de dépôt), la banque pouvant alors en disposer en s'engageant à en restituer le capital dans les termes convenus et à verser des intérêts. Par la disposition de ces fonds confiés par ces tiers que sont les déposants, la banque accordent des crédits à d'autres tiers, que sont les emprunteurs, et gagnent de l'argent, en prenant un intérêt plus élevé. Dans cette vision très simple mais juridiquement exact, les banques financent l'économie et la consommation par deux types de relations contractuelles distinctes, le contrat de compte et le contrat de crédit.
La compagnie d'assurance n'est en rien dans la même situation juridique. Elle est un prestataire de service qui est payée régulièrement par une prime pour couvrir un risque au terme d'un contrat d'assurance. Si le risque ne se réalise pas, elle est gagnante. S'il se réalise, alors elle paye. Le contrat d'assurance est par définition un "contrat aléatoire". Ainsi, un contrat d'assurance-décès assure une personne contre le risque de décès : si elle meurt (réalisation du risque), alors de l'argent sera versé à un bénéficiaire qu'elle désigne par avance. L'avantage de l'assurance-décès (souvent appelée à tort "assurance-vie") est qu'elle n'est pas fiscalisée et qu'elle n'entre pas dans le droit des successions, puisque le capital versé par l'assureur n'entre pas dans le capital du défunt.
Les choses se compliquent juridiquement en cas de véritable "assurance-vie". En effet, l'argent versé n'est plus vraiment une "prime" mais s'accumule. Au bout d'un certain nombre d'années, l'argent est reversé, après avoir produit des intérêts, au bénéficiaire, soit celui qui a souscrit, soit quelqu'un qu'il a désigné. Cela commence à ressembler à un produit d'épargne et non plus à un produit d'assurance. Or, le droit de l'épargne et le droit de l'assurance n'est pas le même, notamment parce que l'argent épargné est dans le patrimoine du souscripteur, alors que les primes ne le sont pas.

Les choses se compliquent plus encore, lorsqu'on a affaire à une "assurance mixte", c'est-à-dire à une assurance vie-décès. En effet, dans un tel contrat, si le souscripteur est encore vivant au moment où le contrat vient à son terme, il récupère l'argent accumulé  (assurance-vie), mais s'il est décédé avant ce terme, alors un capital est versé au bénéficiaire qu'il a désigné (assurance - décès). Par un arrêt du 12 décembre 1986, Pelletier, la Cour de cassation, en Assemblée plénière, décide qu'il s'agit d'un produit d'assurance et que le souscripteur pouvait efficacement un mois avant sa mort désigné une autre personne que son épouse comme bénéficiaire, seul le Code des assurances étant applicable. Mais, le 31 mars 1992, la même Cour de cassation, dans sa première chambre civile, estime dans l'arrêt Praslicka qu'en cas de divorce, les sommes accumulées au titre d'une assurance mixte doivent être partagées entre les conjoints, ce qui suppose sa qualification comme produit d'épargne, entrant dans le patrimoine et dans la communauté des époux... Comme il est impossible de savoir si une solution retenue en matière de divorce pour une chambre de la Cour peut constituer un revirement d'une solution retenue par l'Assemblée plénière en matière de succession, on doit aussi se contenter d'une réponse ministère ... Ainsi, le 26 juin 2010, la ministre de l'Économie et des Finances a répondu au député Bacquet ("réponse Baquet) que la qualification n'avait pas d'importance et que le fisc resterait "neutre", estimant que la fiscalité des successions ne s'appliquerait pas.
Enfin, le droit bancaire et le droit des assurances sont aussi censés constituer des branches du droit tout à fait distinctes. Mais nous venons de voir qu'il n'en est rien, puisque les contrats d'assurance-vie, proposé par les compagnies d'assurance, sont des produits financiers proposés également par les banques.
Cette conception des compagnies d'assurance comme industrie financière, proposant des produits financiers, agissant sur les marchés financiers comme opérateurs directs du fait de leur obligation prudentielle de détenir des actifs diversifiés, par exemple en obligations, conduit de plus en plus le législateur, notamment européen, à les considérer comme des banques, et les qualifier d'agents systémiques.
Cette qualification juridique, déterminante si l'on estime qu'elle est le socle de la régulation, a été rejetée en bloc par les compagnies d'assurance. En effet, dans la mesure où elles ne reçoivent pas de dépôts, elles ne représentent pas le même risque systémique, la faillite de l'une n'entraînant pas un effet de panique. C'est à ce titre que le projet européen d'Insolvabilité II n'avance pas du tout au même rythme que les projets relatifs aux résolutions bancaires et à l'Union bancaire. 
Ainsi, la question de savoir si les compagnies d'assurance sont des "non-banques" et s'il faudrait créer en droit un continuum  entre banque, compagnie d'assurance et établissement financier dans une branche globale du droit qui serait le droit du système financier, dont la puissance publique serait au cœur, se pose. La perspective européenne est certainement celle-là. Le droit des États membres ne va pas aussi vite dans ce sens et développe des arguments contraires.
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Par ailleurs, le droit de la régulation bancaire et financière redistribue les cartes du rapport entre le droit français et ce qui est géographiquement extérieur. En effet, parce que le droit de la régulation prend comme contour son objet, si celui-ci est européen, parce qu'il s'agit de prendre acte ou de construire une place financière européenne, ou parce qu'il s'agit d'organiser une convergence mondiale des normes, par exemple comptables, le droit de la régulation ne pas rester français, ne va pas naître en France, la France résistant au mieux à des mouvements externes.
Tout d'abord, le droit est en réalité faible.
Le secteur est puissant et il est soit globalisé soit prend pied à de très multiples endroits, souvent paradisiaques (les paradis fiscaux n'étant qu'un exemple des "paradis réglementaires").
Dès lors, le droit "change de ton" et nous arrivons dans la soft Law.  Il convient ici de se reporter par exemple au dernier rapport du Conseil d'Etat consacré au "droit souple", rapport très en faveur de celui-ci. Il est certain que les régulateurs émettent aujourd'hui davantage des "discours" que des normes. Il n'est pas certain que la sécurité juridique y gagne, pas plus que les droits de la défense. Certains disent que l'on perd à la fois les avantages du rules based , puisque plus rien n'est précis, et du principles based, puisque plus rien n'est normatif.  Tout est emporté dans un flot permanent de discussion.
D'un point de vue sociologique et économique, les opérateurs repèrent la normativité dans les projets, et les appliquent par anticipation. Pour prendre un exemple, les banques françaises appliquent les normes prudentielles de Bâle III, alors que celles-ci ne sont encore qu'un projet européen, pas même voté à ce niveau normatif, pas même transposé en France. Les opérateurs s'exécutent déjà. L'auto-normativité fonctionne.
D'un point de vue technique, le Lamfalusy process a été proposé pour permettre une édiction des textes européens en fluidité par rapport aux droits nationaux. Le mécanisme de "comitologie" qui en a résulté, avec les 4 niveaux d'adoption des textes, donne à la Commission européenne et aux régulateurs nationaux un très grand pouvoir, alors que les Parlements nationaux en perdent corrélativement.
Pour prendre un exemple, l'ACPR, en anticipant ce que seraient les textes européens en matière de supervision et de résolution bancaires, dont les projets ne sont pas encore adoptés par la Commission européenne, a publié des documents le 29 janvier 2014, qui anticipent leur application. Les opérateurs eux-mêmes anticipant, la hiérarchie des normes a fait place à une sorte de "ronde" normative.
 
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On mesure à quel point le droit de la régulation fait quasiment "sécession" par rapport au droit classique. Ainsi, le droit de la régulation est perçu comme un "outil de régulation", est construit par des non-juristes, qui ne se soucient pas de connaître le droit. Doivent donc se mettre en rapport deux ordres, l'ordre juridique classique (nous verrons plus part ce qu'il en est du droit pénal, de la procédure, du droit des sociétés, du droit des contrats, etc.) et la régulation financière qui intègrent les "outils juridiques" en transfigurant leur part de droit.
Il en résulte dans un premier temps un "choc". En effet, il y a une hétéronomie des systèmes, mais le système juridique classique va prétendre imposer sa logique et ses principes. Le droit se considère en effet légitime à faire plier la réalité des affaires, d'une part parce qu'il se définit traditionnellement par sa puissance à contraindre (Max Weber) et que l'ordre que constitue la loi ou le jugement doit être exécuté par tout assujetti, quelle que soit sa puissance économique.
Cette revendication a trouvé un accueil favorable chez les gouvernements et dans l'opinion publique. Il en a résulté un certain déclin de l'autorégulation.
Ainsi, et pour commencer, les agences de notation, sociétés de droit privé, ont fonctionné longtemps sans contrôle. Liées par un contrat de prestation de services, elles évaluent la solvabilité des personnes qui doivent rembourser des titres, donnant à cette façon une information précieuse aux titulaires de ces titres, en ce qu'ils ont vocation à obtenir paiement, mais aussi en ce qu'ils ont vocation à les vendre. De cette façon, l'information étant un bien commun, l'on a pu soutenir qu'elles étaient délégataires d'un service public.
Les agences de notation sont dans un rapport contractuel par rapport à l'émetteur et dans un rapport extracontractuel par rapport à tous ceux qui prennent en considération la notation. En raison de la crise et des scandales, les textes ont organisé leur supervision, n'allant pas jusqu'à casser la structure très concentrée du secteur ni aller jusqu'à nationaliser l'activité. Un règlement communautaire du 21 mai 2013 a formulé quelques règles notamment de transparence et de gestion des conflits d'intérêts. Il demeure que le droit commun de la responsabilité civile est pour l'instant le seul moyen de les réguler, l'ESMA ayant le pouvoir de les superviser.
L'autorégulation a été également remise en cause concernant les opérateurs d'infrastructure. En effet, l'on peut considérer que sont des opérateurs d'infrastructure aussi bien les entreprises de marché que les chambres de compensation. Or, jusqu'à la loi du 26 juillet 2013, les chambres de compensation, qui ont un rôle central dans tout le système financier n'étaient pas régulées. Aujourd'hui, le chapitre III de la loi précitée du 26 juillet 2013 organise la supervision des chambres de compensation, qui doivent être agréées comme établissement de crédit par l'ACPR.
Mais l'autorégulation gouvernait aujourd'hui largement les opérateurs eux-mêmes. Il en était ainsi pour la fixation de certains indices, comme le Libor ou l'Euribor, quotidiennement fixés par un panel de banques, alors même que les mêmes banques procédaient dans le même temps à des opérations sur le marché financier appuyées sur ces indices.
Des actions en responsabilité pénale ouvertes dans tous les pays du monde ont entraîné à la fois des condamnations, des settlements et des réformes législatives sur les contrôles internes des banques. Mais l'une des défenses des banques était, notamment au Royaume-Uni d'affirmer que la manipulation de l'indice avait été faite sur l'ordre du banquier central.
Par ailleurs, les banques agissent comme des infrastructures lorsqu'elles fixent d'un commun accord les commissions interbancaires, en appliquant des pondérations pour tenir compte des émissions différentes suivant la clientèle de chèques. Ce système autorégulé organisé sous l'égide de la Banque de France a été considérée comme une entente illicite et sanctionné en tant que tel par l'Autorité de la concurrence, qualification confirmée par la Cour de cassation.
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Pourtant, les deux ordres essayent de trouver une compatibilité et de s'articuler pour éviter un effet destructeur.
Il en est ainsi de la définition même du régulateur, comme nous le verrons d'une façon développée dans le cours n°3. En effet, l'on pourrait dire que le régulateur est une sorte d'arlequin.  En effet, à l'observer, il a à la fois toutes les qualifications et tous les pouvoirs, ce qui a conduit le Parlement à le qualifier d' "OVNI juridique".
Ainsi, il peut très souvent à la fois édicter des normes (il ne le fait pas de droit, il le fait de fait, en prenant des "positions", ce qui revient au même, puisque les opérateurs le suivent). Il prend des mesures d'application particulière, il sanctionne, il reçoit des engagements en contrepartie desquels il abandonne l'exercice de prérogatives. Ainsi, le principe de la séparation des pouvoirs ne s'est jamais appliqué à lui. Le Conseil constitutionnel n'y a pas vu malice.
En outre, il change de nature, suivant le type d'activités qu'il exerce, ce qui est l'inverse du raisonnement juridique classique, qui voudrait qu'un organisme ait une nature, ce qui lui permet dans une limite donnée de prendre un certain type d'actes. Pour le régulateur, ce fût l'inverse.
Ainsi, comme nous le verrons d'une façon plus développée dans le cours n°3, par l'arrêt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 5 février 1999, Oury, le régulateur, ici la COB, formellement une autorité administrative, a été qualifiée par le juge judiciaire de "tribunal" du seul fait qu'il appliquait des sanctions, par l'application directe de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. D'une façon moins radicale, le Conseil d'Etat, par son arrêt du 6 décembre 1999, Didier, a considéré que le régulateur était un "tribunal au sens européen".
La conséquence en est la même : l'interdiction qu'une même personne fasse instruction et participe à la décision de sanction, car en instruisant elle se constitue une opinion sur le cas, ce qui constitue objectivement un "préjugé", l'organisation de l'autorité de régulation étant donc une atteinte structurelle à l'obligation objective d'une impartialité qui se donne à voir. Nous verrons cela d'une façon plus développée dans le cours relatif à la procédure.
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Mais le droit, qui fait ainsi ployer la régulation en imposant une séparation fonctionnelle des organes au sein des autorités de régulation, par exemple aussi bien aussi de l'AMF (instruite des sanctions infligées à la COB dont les décisions de sanctions furent annulées), que de l'ACPR (instruite des condamnations de la France pour défaut d'impartialité objective de la Commission bancaire, laisse aussi la régulation développer sa logique d'efficacité.
Il en est ainsi en matière de sanctions. S'il est vrai que la jurisprudence contraint l'Etat à isoler l'organe de sanction au sein de l'Autorité de régulation des autres organes, en revanche l'addition des sanctions pour un même comportement ne semble pas la contrarier.
Pourtant, comme nous le verrons à propos de la répression, un principe constitutionnel, Non bis in idem, interdit qu'une personne soit punie deux fois pour un même fait (règle qui n'existe pas aux Etats-Unis).
Mais le Conseil constitutionnel, dès la mise en place du Conseil de la concurrence, a posé que la sanction administrative n'avait pas la "même nature" que la sanction pénale et pouvait donc se cumuler avec celle-ci, dès l'instant que, par application du principe constitutionnel de proportionnalité, le cumul concret des deux sanctions à la personnel n'excédait pas le maximal encouru. 
Appliqué à la matière financière, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 10 décembre 2010 a considéré que la question prioritaire de constitutionnalité que l'on lui demandait de transmettre au Conseil constitutionnel n'était pas sérieuse et a refusé de transmettre.
Plus encore, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 22 janvier 2014, a estimé que le principe Non bis in idem  ne s'appliquait pas et que le cumul ne posait pas difficilement, sous réserve du respect du principe de proportionnalité précité.
On comprend le pragmatisme de la jurisprudence, qui ne veut pas déposséder les régulateurs de leurs pouvoirs de sanctions, ni supprimer les qualifications pénales qui font reculer les opérateurs. L'arme pénale est requise et, les régulateurs étant les plus rapides et les mieux informés, il faut leur laisser l'arme de la répression administrative.
Mais les garanties fondamentales des personnes en sortent égratignées.
Cela est d'ailleurs vérifié dans l'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 janvier 2014. En effet, le Code de commerce prévoit un mécanisme d'amende civile, qui sanctionne des manquements commises par un "commerçant, industriel". Ici, le Ministre de l'Economie poursuit la société qui a absorbé la société à laquelle les actes sont imputés. Celle-ci oppose le principe de personnalité des délits et des peines. La chambre commerciale écarte le principe en se contentant d'affirmer que ce mécanisme, certes répressif, s'applique à "toute entreprise, quel que soit son statut juridique". 
De la même façon que la dépénalisation est un moyen d'accroître la répression, l'amende civile, c'est-à-dire la "civilisation" est un moyen juridique d'accroître la répression, en pulvérisant la notion, certes purement juridique, de personne. (si vous voulez des développements sur la notion "juridique" de personne, vous pouvez aller lire une leçon spécifique à ce propos).
 
Documentation
Doctrine


Rapport du Conseil d'Etat, Le droit souple, 2013
Cohen-Branche, M., Existe-t-il une ou des justice ? La preuve par la médiation financière, 2013
Frison-Roche, M.-A., L'hypothèse de l'interrégulation, 2005
Frison-Roche, M.-A., Régulation bancaire, régulation financière, 2009
Frison-Roche, M.-A., QPC, autorité de concurrence, autorité de régulation économique et financière : perspectives institutionnelles, , 2011
Frison-Roche, M.-A., Corporate Law seen through the prism of Regulatory Law, 2010,
Jeantin, Michel, Le droit financier des biens,
Parléani, G., La responsabilité civile des agences de notation, 2013,
Stoufflet, J., Vers une union bancaire européenne, 2013.
 
 
Textes
 
Loi de séparation et de régulation bancaire du 26 juillet 2013
 
 
Jurisprudence
 
Ass. Plén., 12 déc. 1986, Pelletier
Civ., 1ière, 31 mars 1992, Praskicka
Trib. Confl., 22 juin 1992, Compagnie des Diamantaires d'Anvers
Com. 9 juillet 1996, Compagnie des Diamantaires d'Anvers
Ass. plén., 5 fév. 1999, Oury,
C.E., 3 déc.1999,Didier
Com., 21 janv. 2014, Carrefour
Crim., 22 janv. 2014, Antoine X

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