24 octobre 2016

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La sophistique des mots : changer la définition du mot "infertilité" pour contraindre les Etats à accepter la GPA

par Marie-Anne Frison-Roche

Les pro-GPA savent qu'ils ne doivent pas affronter les Parlements et l'opinion publique d'une façon frontale.

C'est pourquoi ils obtiennent le changement d'autres mots pour obtenir un "effet de ricochet". Ici changer ce que veut dire "l'infertilité" pour imposer la GPA commerciale : un fois que le sens du mot "infertilité" est changé (ce qui passe inaperçu), alors par un effet de ricochet, l'on ne pourrait refuser la GPA.  Sans que les entreprises aient à obtenir une loi en bonne et due forme. Juste en invoquant devant les tribunaux nationaux le "standard international" glissé précédemment dans le "droit global".

L'admission de la GPA, les entreprises ne la demandent pas aux Parlements qui la refuseraient. Ils l'obtiennent en Soft Law, via l'Organisation Mondiale de la Santé, pour obtenir un seconde "effet ricochet". Car une fois que l'OMS a formulé un "droit individuel à se reproduire", alors l'effet de contrainte vient dans un second temps. Sans que les entreprises aient à intervenir dans ce second temps. Juste en rappelant le "standard international" glissé précédemment dans le "droit global".

Où l'on mesure que dans les techniques de stratégie, l'essentiel est de choisir son moment : le plus en amont possible, le plus doucement possible. Glisser un noeud coulant et attendre que les Etats ne soient plus en position pour défendre les femmes et les enfants, ne se réveillant que lorsqu'un "droit individuel à se reproduire" aura été mis en place. En affirmant que celui-ci aurait une force obligatoire supérieur à de simples systèmes juridiques nationaux.

En effet, dans la stratégie d'encerclement mise en place depuis plusieurs années par les entreprises qui ont pour but d'installer l'industrie de fabrication massive d'enfants pour les délivrer à ceux qui les ont commandés, le Droit est utilisé afin de détruire la prohibition de vente des êtres humains.

Pour cela, dans cette "façon douce" de faire, la sophistique visant avant tout à reconstruire les définitions pour que cette réalité de la GPA consistant à transformer des êtres humains en choses vendues - les mères et leurs enfants, l'enjeu est de détruire toute référence au corps de la femme.

Pour cela, il faut détruire la définition de "l'infertilité". Les lobbies pro-GPA viennent de l'obtenir de la part de l'Organisation Mondiale de la Santé.  La presse britannique le relate.

Il n'est surtout pas fait de bruit autour de ce mouvement de changement de définition, ni dans le fait qu'il prend place dans cette enceinte non juridique qu'est l'Organisation Mondiale de la Santé.

En effet, il s'agit de préparer deux "effets retard", ayant vocation à contraindre dans un second temps les juridictions et les Parlements nationales.

Dans le but d'imposer la GPA, dans un second temps mais en liant dés à présent les systèmes juridiques nationale, la définition médicale de l'infertilité n'est plus ... médicale et tient désormais dans le fait que ... l'on n'a pas d'enfant et que l'on désire en avoir (I).

Dans le but d'imposer la GPA, les inventeurs de cette définition soulève que cette définition nouvelle constitue un "standard international" qui sera - plus tard - envoyé aux États qui devront en tirer toutes conséquences dans leurs systèmes juridiques (II). Or, les mêmes auteurs estime que cette définition est liée à ce qu'ils qualifient expressément comme "le droit pour chacun d'avoir des enfants". C'est-à-dire de bénéficier d'une GPA.

Voilà comment les entreprises qui entendent installer sans contrainte le marché mondial de la GPA procèdent en toute discrétion et, l'année prochaine, se prévaudront de "normes internationales scientifiques" qui leur seraient extérieures, sans avoir jamais affronter elles-mêmes les forces politiques des pays dans lesquelles elles veulent implanter leur industrie si profitable.

Face à ces manœuvres si bien conçues et auxquelles les experts venues du monde médical et juridique se prêtent, il faut dire NON.

En effet, ce ne sont pas les médecins qui font la loi. Et encore moins la soft law qui peut renverser la prohibition de la marchandisation des femmes et des enfants. Même en douceur.

Lire l'analyse détaillée ci-dessous.

 

 

I. DANS LE BUT D'IMPOSER DANS UN SECOND TEMPS LA GPA COMMERCIALE, LA STRATÉGIE DU CHANGEMENT DE DÉFINITION  D'UN MOT : "L’INFERTILITÉ

 

L'infertilité est une notion à la fois juridique, biologique et médicale. Beaucoup de notions sont à la croisée du droit, de la biologie et du médical. Ne serait-ce que celle de vie ou de mort.

Comme toute notion, elle se prête à l'exercice de définitions, dans les différents ordres normatifs. L'exercice de définition est particulièrement important dans le système juridique, puisque c'est la définition qui déclenche l'attachement à un régime juridique. Ainsi, si un fait relève d'une définition, on lui applique le régime juridique que le système juridique a imputé à la notion. L'exercice de rattachement d'un fait à une définition est l'exercice juridique par excellence : la "qualification".

L'infertilité est une notion juridique puisqu'il faut par exemple qu'un individu soit en situation d' "infertilité" pour que les techniques de "procréation médicalement assistée" lui soient accessibles. La définition de l'infertilité est donc cruciale et suivant que le législateur définit l'infertilité plus ou moins largement, plus ou moins de personnes y auront accès.

La définition juridique pour l'instant se reporte à la définition "médicale", puisque les textes renvoient à une "infertilité médicalement constatée".

Ce constat de fait présuppose un renvoi à une définition médicale de l'infertilité.

Et jusqu'ici l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait conçu une définition médicale de l'infertilité, posant qu'est infertile un individu qui ayant des rapports sexuels pendant plus de 12 mois avec une autre et même personne ne produit pas de début de grossesse.

Mais voilà que l'OMS a changé sa définition, abandonnant purement et simplement la définition médicale et biologique de l'infertilité. La presse s'en fait l'écho "Single men and women without medical issues will be classed as “infertile” if they do not have children but want to become a parent, the World Health Organisation is to announce. In a move which dramatically changes the definition of infertility, the WHO will declare that it should no longer be regarded as simply a medical condition.".

Dans ces conditions, il faut mais il suffit de ne pas avoir d'enfant pour être considéré comme infertile.

Il n'y a plus aucun constat à faire, puisque nous sommes dans la tautologie absolue et simplement déclarative. Pourquoi un individu est-il "infertile" ? Parce qu'il veut un enfant qu'il ne produit pas lui-même par ses propres forces biologiques alliées avec les forces biologiques d'un individu du sexe opposé au sien.

 

En ces termes, c'est donc le Droit de nouveau que l'on va retrouver dans cette organisation internationale médicale que constitue l'Organisation Mondiale de la Santé.

En effet, ceux qui ont conçu cette définition nouvelle de l'infertilité, qui en sont donc les "inventeurs", expliquent qu'il faut reconnaitre comme étant "infertile" toute personne seule qui veut avoir un enfant car cela correspond à un nouveau droit de l'homme : le "droit de se reproduire". Il est exprimé en ces termes : The authors of the new global standards said the revised definition gave every individual “the right to reproduce”.

C'est donc bien un nouveau droit de l'homme qu'il s'agit d'imposer, le droit de l'individu de se reproduire, par tous moyens, la GPA étant l'un des moyens accessibles à celui qui veut se reproduire. Pour satisfaire ce nouveau "droit à se reproduire", les entreprise font faire plier les États, par ce qui est le plus efficace aujourd'hui : le "droit souple".

 

II. DANS LE BUT DE FAIRE PLIER DANS LE SECOND TEMPS LES ÉTATS, PASSER PAR LA SOFT LAW DE L'ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ

Les entreprises de la GPA encerclent les États avec le "droit souple" qu'elles ont ainsi contribué à cristalliser à travers ici le vocabulaire médical autorisé de l'Organisation Mondiale de la Santé.

Puis elles attendent, comme on le fait d'une bombe à retardement, que cette définition devienne un "standard international" et s'impose comme tel aux États, qui serait liés par celle-ci.

Cette méthode est bien connue des entreprises. Ainsi, comme le soulignent les associations de défense des droits des femmes, l'industrie du sexe était passée par l'Organisation Internationale du Travail (OIT) pour faire admettre une nouvelle notion : le "travail sexuel". En "droit souple". Dans la plus grande discrétion. Avec grandes discussion et expertise. Dans le but dans un second temps de fondre sur les droits nationaux pour faire disparaître toute entrave à l'exploitation massive des êtres humain sur le marché de la prostitution, qui serait donc "de source sûre" un marché du travail comme un autre.

Ici, c'est la même technique qui est utilisée : le fait de ne pas avoir d'enfant est une infertilité comme une autre. Cela serait posé "de source sûre". Les droits nationaux qui récusent le "droit de donner la vie pour autrui" auraient donc une attitude qui ne justifieraient plus d'un point de vue "scientifique".

La sophistique est aussi affaire d'encerclement et de patience!footnote-657.

D'ailleurs, comme tout encerclement, le même jour, un parlementaire dépose une PPL au Sénat pour faire admettre une "définition juridique" de l'infertilité sociale. Non pas pour faire bouger le droit, mais pour créer une sorte de point de contact, lorsque la "norme internationale" sera officiellement communiquée dans un an au Ministre français de la santé, qui trouvera ainsi trace dans son propre système, sous force de linéament qui suffirait d'activer.

Voilà comment comme s'exprime un des rédacteurs de cette définition de l'infertilité comme le fait pour tout individu du désir d'avoir un enfant, désir opposable à un enfant, "droit à la parentalité" : “The definition of infertility is now written in such a way that it includes the rights of all individuals to have a family, and that includes single men, single women, gay men, gay women. It puts a stake in the ground and says an individual's got a right to  reproduce whether or not they have a partner. It's a big change. It fundamentally alters who should be included in this group and who should  have access to healthcare. It sets an international legal standard.  Countries are bound by it." 

Dès lors, sous le vocable médicale d'infertilité, c'est le "droit à l'enfant" que le standard international écrit d'une façon contraignante. L'article précise que dans un an le vocabulaire sera adressé à tous les gouvernement. Il sera rappelé aux juges nationaux dans les cas où la GPA est revendiquée comme mise en œuvre légitime d'un "droit à la parentalité".

La mécanique est lancée.

L'on mesure ici que les entreprises, qui évaluent que les dispositions nationales d'ordre public!footnote-658 prohibant la GPA, dont la CEDH a posé la légitimité, entravent leur développement dans les différents pays européens, procèdent à un encerclement :

  • du droit national par des "standards internationaux de droit souple"
  • du droit par des "standard de définition médicale à contenu non-médical

L'objectif est que, cas après cas, des argumentaires basés sur des raisonnements casuistiques et des références très souples et extra-juridiques, puissent conduire les juridictions à légitimer l'activité des cliniques dite d'"infertilité, où s'entassent les femmes fertiles dont la seule solution est de vendre l'enfant dont elles vont être enceinte à seule dessein de le céder.

Mais ce droit souple, si vanté parfois, est utilisé parfois bienvenu en ce qu'il permet au Législateur de "dialoguer" avec les secteurs techniques, parfois une façon pour les entreprises de se substituer au Législateur et d'imposer de fait leur pouvoir normatif.

Nous en avons ici un exemple.

La définition juridique de l'infertilité, qui exclut que l'infertilité comme notion faisant référence au corps évacue purement et simplement celui-ci pour ne plus faire référence à ce qui serait comme un pur droit individuel de se reproduire, n'a pas à être dictée par un organisation relevant d'un autre ordre normatif que le Droit.

Si le Droit, à travers le Code de la santé publique, fait référence à l'infertilité physique médicalement constatée, ce n'est pas tant par une sorte de déférence à la biologie et au savoir médical mais bien plutôt, par une ratio legis, qui lui est propre pour exclure l'accès aux techniques de procréation médicalement assistée ayant pour seul et uniquement critère le seul désir d'enfant, la seule volonté, ce que l'organisation médicale semble érige elle-même comme un "droit individuel de fonder une famille". La sagesse du Droit l'avait exclu pour ne pas ouvrir le marché de la production d'enfant. L'OMS l'ouvre.

D'une façon plus générale, l'industrie de la GPA, cette activité économique de production des enfants sur-mesure pour des consommateurs prend pour discours juridique le "droit de se reproduire", y compris via une personne - tiers (en l'espèce une femme instrumentalisée). Promouvoir en "droit de l'homme" la puissance de réduire un autre être humain au statut de moyen de satisfaction de son désir (ici celui de "se reproduire"), c'est ce que Carbonnier désigne comme "l'anti-Droit", c'est-à-dire l'utilisation de la puissance des principes juridique pour mieux exploiter les êtres humains.

A cet anti-Droit, il faut mais il suffit de dire Non.

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