4 avril 2016

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La sophistique de la GPA : ne jamais utiliser mot "mère" et présenter le Droit français comme incompréhensible, simple accumulation de cas particuliers

par Marie-Anne Frison-Roche

A la télévision, sur LCI, s'est déroulé un débat sur la GPA le 1ier avril 2016..

La pratique de la maternité de substitution (GPA) est interdite en France. Les entreprises qui veulent construire le marché des mères et des enfants et mettre en place l'industrie de la fabrication des bébés ont élaboré des discours que l'on retrouve systématiquement placés, notamment dans  les médias.

Un homme ayant obtenu deux enfants par GPA aux États-Unis était présent.  Une avocat conseillant des personnes allant comme lui à l'étranger pour faire de semblables arrangements et revenir avec les enfants ainsi obtenus était également présente. 

Voilà comment les rôles ont été répartis entre les deux, dans des discours parfaitement écrits par avance. On y retrouve toute la sophistique construite par les entreprises et leurs conseils.

En ce qui concerne l'homme qui a bénéficié de la pratique de la GPA, il est en charge de "présenter la réalité" de sorte que la mère de l'enfant n'apparaisse jamais, afin qu'il puisse présenter comme une "réalité" que l'enfant n'est pas celui de la femme qui le porte. Par la même technique de masquage, de silence par un discours très bruyant, l'agence qui tient le marché des femmes et des enfants n'est jamais évoquée alors qu'elle est au centre de la GPA, tandis que ses clients apparaissent eux-même comme des "victimes innocentes" . Le spectateur sera alors conduit à penser que le Droit n'a "pas de raison" d'interdire la GPA (et le relais pourra être repris par le second personnage, l'avocate qui se présente comme une "experte de la matière juridique", ce qui permet d'exclure tous ceux qui ne sont pas juristes, de dominer la discussion ramenée au seul Droit, d'en exclure notamment la Morale. Puis l'avocat exigera au nom de sa "pratique professionnelle" ' le "retour au pragmatisme", afin d'exclure toute considération de principe, par exemple le principe selon lequel les femmes ne peuvent être ainsi utilisées comme de simples moyens de fabriquer des enfants, pas plus que des enfants ne peuvent être ainsi cédés par avance, même à titre gratuit, car des êtres humains, femmes et enfants, ne peuvent être ainsi ravalés à être des choses. Mais la sophistique du "pragmatisme" est utilisée pour interdire la référence à tout principe.

Ces sophistiques sont utilisés car si l'on avait regardé la réalité, chacun aurait vu l'esclavage, la violence faite aux corps et la souffrance, tandis que chacun aurait compris et retrouvé le principe de base selon lequel les êtres humains ne peuvent être traités comme des choses.

C'est pour éviter cela que les deux compères de la GPA avaient ajusté une sophistique, analysée ci-dessous.

Commençons le décryptage ci-dessous avant de regarder la séquence. Vous pourrez ainsi apprécier à quel point la sophistique est au point.

I. LE DISCOURS DE CONSTRUCTION DE LA RÉALITÉ PAR L'HOMME QUI A DEMANDE A UNE AGENCE AMÉRICAINE DE LUI FAIRE FABRIQUER DEUX ENFANTS PAR GPA

Il s'agit d'agir de convaincre le spectateur que le Droit français qui lui interdit de le faire a tort et qu'il a été "contraint" d'aller obtenir ce résultat en Californie (pour un montant très élevé pour chaque enfant obtenu), mais qu'il est donc une victime (du Droit français) et non un coupable.

Le spectateur doit être persuadé qu'il faut changer le Droit français.

Il laissera la "partie technique" à son compère, l'avocate.

Comme il a "vécu" l'expérience, il est "légitime" à la raconter et va donc "raconter son histoire", ce qui va leur permettre de reconstruire complètement la réalité.

Il va ainsi tenter d'atteindre trois objectifs : s'approprier la parole de la restitution de la réalité, masquer dans la reconstitution de la réalité celle dont il ne veut qu'on la considère (la mère) et insister sur la seule chose qu'il veut qu'on considère (l'affection entre lui et l'enfant obtenu).

 

A. LA SOPHISTIQUE DU DISCOURS "DE VÉRITÉ"

Alors qu'on aura pu lui reprocher le contournement des lois ou autres fraudes, l'habilité consiste à se prévaloir de "connaître la vraie vie", puisqu'il a connu l'attente de l'enfant, le fait d'être aller le chercher, de connaître amicalement la "gestatrice", etc. Bref, c'est un "gentil monsieur", il veille à toujours sourire.

Ainsi, il pourra toujours dire que lui "connait les choses comme elles se passent", ce qui réduit au silence les contradicteurs qui eux sont peut-être savants - ou dogmatiques - ou idéologues -, tandis qu'il connait la réalité, et intimement, puisque c'est son histoire personnelle.

Donne l'âge des deux enfants. Sont projetées des images de l'heureux couple. Tout n'est que bonheur et simplicité.

Bref, il s'y connait. Il a un "discours véridique", la "connaissance du cœur", ce qui est en sophistique est supérieur au discours d'autorité, lequel est plus faible.

 

B. LA SOPHISTIQUE DES  MOTS POUR FAIRE DISPARAITRE LA MÈRE DE L'ENFANT FABRIQUÉ SUR COMMANDE "

L'homme présent sur le plateau va reconstruire la réalité de deux façons.  En voilant d'une part la réalité afin que la mère n'existe pas et en présentant la réalité sous le seul angle du lien affectif, entre lui et l'enfant.

Il utilise tout au long de l'émission, malgré le caractère apparemment emporté de celle-ci, un vocabulaire parfaitement maîtrisé. C'est exactement celui que l'on retrouve sur les sites des agences.

Ainsi, le bénéficiaire de la pratique de la GPA utilise les "mots pour ne pas le dire".

Il a ainsi toujours pris soin de ne jamais dire "mère", de ne jamais évoqué la "grossesse", ce qui l'aurait obligé à évoquer les risques médicaux pris par les femmes, à admettre les échanges entre la mère et l'enfant, à intégrer les marques laissées pour toujours par ces mois de grossesse entre la mère et l'enfant, et chez la mère et chez l'enfant.

Il a toujours dit "gestatrice", pour n'avoir jamais à avoir dire "mère".

Ainsi, il souligne qu'il s'entend toujours bien avec les "gestatrices". Ce sont des personnes aimables, certes des tiers au lien de parentalité entre lui et les enfants mais ils sont en bon rapport....

Il prend soin de passer sous un total silence l'argent. L'argent, qui est le cœur de toute l'industrie de la production des bébés et qui est le moteur du commerce des mères et des enfants, il n'en parle jamais. Il ne parle jamais de ce qui est au cœur du processus : les agences.  Il affirme que cela est gratuit aux États-Unis et en Angleterre.

Il est vrai qu'à l'écouter nous raconter ainsi la "réalité", qu'il "connait si bien puisque lui il l'a vécue", le spectateur se demande bien pourquoi le Droit français est si obtus, et pourquoi le Droit français persécute un monsieur si gentil et inoffensif, si heureux en famille......

 

C. LA SOPHISTIQUE DU DISCOURS DE L'AFFECTIF, CIMENT EXCLUSIF  DU LIEN  ENTRE LE CLIENT, L'ENFANT ET CELLE QUI NE S'APPELLE PAS

La sophistique en appelle très souvent aux sentiments.

Dans une sophistique mise au point depuis longtemps par les entreprises (agences, cliniques, médecins, conseils), et relayée systématiquement par leurs clients, on insiste sur l'innocence du bébé : quoi de plus "innocent" que l'enfant qui vient de naître ?

Depuis que l'arrêt de la Haute Cour fédérale suisse du 14 septembre 2015 a posé qu'il était contraire aux droits fondamentaux de l'enfant d'être l'objet d'une GPA car il ne peut être "cédé", même gratuitement, il est plus difficile d'affirmer que c'est au nom des droits de l'"enfant innocent" que l'on réclame la destruction du Droit français.

Mais le débat est devenu plus difficile d'une part parce que le Parlement européen en décembre 2015 a posé la lutte contre la GPA comme un objectif prioritaire au titre de la mise en esclavage des femmes.

C'est pourquoi la sophistique a elle-même évolué pour s'adapter à chaque nouvel obstacle.

L'homme rappelle ainsi que les liens sont excellents entre lui et la "gestatrice", c'est-à-dire avant tout celle qui ne s'appelle pas "mère".

Plus encore, il souligne qu'il lui a apporté le bonheur ! C'est difficile à croire, mais d'une part il le sait mieux que ces interlocuteurs ... puisque c'est lui qui connait la réalité, et non pas les autres. Au-delà de cette sophistique de cet "discours de vérité", cela lui permet d'expliquer que la femme qui fait cela apporte le bonheur à la femme parce qu'elle reçoit la considération de la communauté dans laquelle elle vit.

Il le sait puisqu'il l'a vécu. Les autres ne le savent pas, puisqu'ils ne l'ont pas vécu. Ce sont donc des menteurs.

C'est ainsi que les "enfants sans mère" sont devenus une réalité incontestable, par la seule puissance de la sophistique.

Le relais peut être passé au compère.

 

II.  LE DISCOURS D'EXPERTISE DE L'AVOCATE QUI ORGANISE LES GPA DE LA RÉALITÉ PAR L'HOMME QUI A DEMANDE À UNE AGENCE AMÉRICAINE DE LUI FAIRE FABRIQUER DEUX ENFANTS PAR GPA

Il s'agit toujours  de convaincre le spectateur que c'est le Droit français - qui a interdit à ces personnes en besoin d'enfants  d'en avoir - qui est le responsable de cette situation dramatique, soit les cas actuellement non résolus, soit les pauvres victimes "obligées" d'aller à l'étranger réduire en esclaves des femmes dans les pays pauvres.

Le spectateur doit conclure qu'il ne faut pas punir les personnes qui pourtant violentent ainsi les femmes et achètent les enfants en payant des honoraires aux agences et aux cliniques ou des "droits d'entrée" dans des associations "sans but lucratif", non le spectacle doit conclure que le Droit doit admettre le principe de la GPA et l'"encadrer". 

Pour cela, le spectateur a vocation à être cloué sur place par un discours de technique juridique auquel il doit faire confiance.

Place à l'expert ; place à l'avocat.

L'avocate va insister sur sa qualité de juriste (A). Afin de réduire au silence tous ceux qui ne sont pas juristes, ses contradicteurs et les spectateurs qui pourront ainsi penser différemment d'elle/ Rares sont les "spécialistes". Puis elle va sans cesse dire qu'elle est favorable à la GPA parce qu'elle est "pragmatique" (B), ce qui permet de balayer d'un revers de main tout principe.  .

 

A. LA SOPHISTIQUE  DU DISCOURS "EXPERTAL"

La répartition des rôles est excellente.

Alors que le client s'est approprié le discours de la "connaissance de la vraie vie", l'avocate se présente comme une "spécialiste du droit des personnes et de la famille"

Branche du droit très complexe et présentée comme telle, ce qui offre deux positions de pouvoir.

En premier lieu, cela diminue la capacité de discussion des autres. Dès qu'un interlocuteur, y  compris la journaliste, n'était pas de son côté, l'avocate rappellera immédiatement qu'elle connait tout le Droit applicable et que tout cela est avait tout une affaire de Droit (et de citer des conventions internationales, et autres affaires auquel le commun des mortels ne connait rien mais dont la mention nous impressionne ...).

En second lieu, elle a affirmé plusieurs fois que "le Droit, c'est le Droit". Et que, comme la GPA, c'est une affaire de Droit, ce n'est donc pas une affaire d'autre chose.

Rien de plus puissant en sophistique que la tautologie : "le Droit, c'est le Droit...".

En effet, dès que quelqu'un rappelait que la GPA "c'est très mal", car cela consiste à prendre un être humain (la femme) non plus comme une fin mais comme un moyen (ce qui revient à lui dénier sa qualité de personne), elle coupait en affirmant : ça, c'est de la morale, alors ici il s'agit d'appliquer le Droit, et le Droit, c'est le Droit. Il faut appliquer le Droit, c'est tout.

Par cette sophistique technicienne, l'avocate a essayé de faire en sorte que la question essentielle, c'est-à-dire celle en considération de laquelle le Conseil de l'Europe a justement refusé le 15 mars 2016 d'adopter le projet de rapport lui proposant d'adopter le principe de licéité de la GPA, à savoir la question de savoir si l'on peut laisser un être humain être traité comme un moyen par un être humain plus puissant que lui, question qui est à la croisée du Droit et de la Morale, question hautement Politique, ne soit pas débattue de front.

En effet, dès que cette question-là, à savoir la mise à disposition du corps des femmes et la cession par avance des bébés fabriqués à cette fin, question sur laquelle la journaliste voulait que le débat porte, cette question-là, l'avocate a tout fait pour qu'elle ne soit surtout pas ouverte trop franchement.

Car, sinon, qu'aurait-elle pu répondre ?

 

B. LA SOPHISTIQUE DU PRAGMATISME 

Lorsque des arguments portant sur le corps des mères,  leur souffrance, les liens définitifs et pourtant méconnus par la GPA  entre la mère et l'enfant, les risques courus par la mère et la mère seul, étaient développés, notamment par Anne-Yvonne Le Dain, l'avocate interrompait en disant "mais cessons de parler de cela, soyons plutôt pragmatique !".

Étonnant de dire "soyons pragmatique", c'est-à-dire revenons à la "réalité", alors que la première réalité est le corps des femmes, si malmené dans cette pratique de la GPA.

Et de citer sa "pratique dans son cabinet d'avocat", le cas "des couples tous différents qu'elle suit".

C'est donc le miroir de la situation récitée par son compère, qui connait sa situation .... puisque c'est la sienne, tandis qu'elle affirme  connaitre ces situations, ... puisque c'est son métier.

Cette sophistique du pragmatisme est aussi massivement utilisée par les entreprises, qui connaissent aussi la réalité puisque ce sont elles qui tiennent le marché, qui proposent le service sur Internet, qui sont les associations à but non lucratif et à droit d'entrée très élevé pour échanger des informations et trouver les femmes "porteuses" ou "donneuses" ce qui suffit déjà enrichir ces associations massivement situées à Londres, qui sont les cliniques, les médecins qui suivent les grossesses, les avocats qui négocient les contrats, bouquet de prestataires dont l'avocate a parlé volontiers, puisque le Droit et la Morale seraient donc deux ordres à ne pas confondre.

La sophistique du pragmatisme a été utilisée à de nombreuses reprises par l'avocate, avec quelques soupirs comme s'il s'agissait de rappeler à "l'évidence" car ... qui peut ne pas être pragmatique ? Comme toute sophistique, dès le départ, elle réduit ainsi l'adversaire au silence.

La sophistique du pragmatisme a plusieurs avantages, que l'avocate a cherché à produire, car la prospérité du marché de l'humain est le but.

En premier lieu, la sophistique du pragmatisme oblige à rester au cas par cas. Le pragmatisme est lié à la casuistique. Cela permet en second lieu  d'interdire la référence aux "principes". Les "principes" seraient du côté de la "théorie", voire du "dogmatisme" et de l"idéologie".

Ainsi, il devenait très difficile de rappeler que les êtres humains ne sont pas des choses et qu'on ne peut les faire fabriquer et en organiser la cession. Même à titre gratuit. Même sur une échelle internationale. Dès que cela fût rappelé, l'avocate coupait avec un soupir en disant "revenons à plus de pragmatisme", c'est-à-dire n'allons pas vers des principes.

En effet, si l'on reste dans ces cas, la balle est redonnée au premier récitant, qui raconte sa jolie histoire, montre sa photo et parle de son bonheur particulier.

Mais si parce la machine sophistique que les entreprises du marché de l'humain tentent de faire prospérer dans les médias, si l'on va vers les principes autour desquels les journalistes s'efforcent avec persévérance d'organiser des débats, c'est vers une situation certes concrète mais générale que l'on se dirige, à savoir la mise à disposition du plus faible au bénéfice du plus fort.

Le principe juridique simple, à laquelle tout citoyen adhère sans avoir fait d'études de droit, à savoir que le Droit est fait pour que les êtres humains demeurent des personnes et ne soient pas ravalés au rang de chose, ce qu'opère la pratique de la GPA, même gratuite.

 

 

 

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