Mise à jour : 19 novembre 2012 (Rédaction initiale : 25 octobre 2012 )

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La Cour d'appel de Rennes, dans un arrêt du 16 octobre 2012 ordonne le changement de mention d'un homme marié et père de famille, mais uniquement sur son acte de naissance

par Marie-Anne Frison-Roche

L'arrêt était très attendu. En effet, le transsexuel qui demandait la rectification de son identité sexuelle sur l'état civil était marié et père de trois enfants. Par son arrêt du 16 octobre 2012, la Cour d'appel de Rennes répond en distinguant : la rectification est ordonnée pour l'acte de naissance, mais refusée pour l'acte de mariage et les actes de naissance des enfants.

Les juges de première instance avaient refusé toute rectification d'état civil par un jugement qui justifie cette position du fait que le transsexualisme demandeur était marié et père de trois enfants. 

Or, suivant en cela le ministère public, intervenu dans la cause civile puisque l'ordre public était en cause, la solution inverse aurait conduit à établir un mariage entre deux personnages du même sexe, ce que le droit positif français pour l'instant interdit.

Le demandeur avait fait appel et l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes était très attendu, en ce que les juges semblaient pris entre deux feux : soit admettre la rectification, ne serait-ce que pour suivre le principe admis depuis 1991 par la Cour de cassation d'un droit du transsexuel à cela mais violer la prohibition implicite du mariage homosexuel, mais l'interdire en raison de cette interdiction mais adopter en cela une attitude d'arrière-garde puisque la loi est en cours de vote au Parlement pour reconnaître en droit une telle union.

Les juges d'appel ont été plus fins. 

Plutôt que d'adopter comme d'habitude une conception monolithique de "l'état civil", ils ont distingué selon les différents actes qui en sont la trace, prenant comme critère l'instrumentum que l'intéressé va utiliser.

En effet, même si l'état civil d'une personne constitue une unité (et cela peut d'ailleurs se discuter), il est composé de plusieurs éléments, qui produisent différents actes : acte de naissance, acte de mariage, acte de décès. 

Par un effet de maillage, si un évènement arrivant à l'un affecte la situation d'un autre, par exemple la survenance d'un enfant, alors l'officier d'état civil mention l'événement en marge de l'acte. Par exemple, si une personne se marie ou divorce, cela est mentionné sur son acte de naissance. 

Les juges de la Cour d'appel de Rennes estiment alors que le transsexuel est en droit d'exiger la rectification de son acte de naissance. Comme c'est à partir de celui-ci que sont établis les documents d'identité (carte d'identité, passeport, permis de conduire), alors la mention de son identité sexuelle sera conforme à son apparence et à son sentiment profond d'appartenance.

En revanche, l'acte de mariage doit, selon eux, demeurer inchangé. En effet, le modifier reviendrait à reconnaître la validité du mariage homosexuel (ce que seul le législateur peut faire, comme l'a fait a contrario le Conseil constitutionnel). Cela protège donc l'état du droit positif et cela n'affecte pas la vie sociale du transsexuel, puisqu'il n'est pas en butte à des tracasserie, ses papiers d'identité étant conformes à ce qu'il désire puisqu'établis à partir de son acte de naissance.

Selon ce même raisonnement, les actes de naissance des enfants doivent rester inchangés. En effet, cela ne concerne pas la situation personnelle du transsexuel. En revanche, il faut que les enfants demeurent dans un double lien de filiation avec un homme et une femme, car le lien juridiquement posé retrace ici un lien biologique.

On voit ici que le droit, bien qu'étant un artefact, ne peut tout de même prendre trop de liberté avec la nature.

 

Cette façon très casuistique de résoudre la difficulté, par une solution tierce permettant de déposer l'opposition des deux mauvaises solutions qui s'affrontent, est très remarquable. 

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