22 avril 2015

Enseignements : Droit de la régulation bancaire et financière, Semestre de printemps 2015

Explicitation de la leçon n°12 : La primauté des définitions dans le droit de la régulation bancaire et financière

par Marie-Anne Frison-Roche

Revenir à la leçon qui est ici explicitée.

Le droit est un système logique. Il repose notamment sur le mécanisme de la qualification. En effet, le droit est un système normatif qui a le pouvoir de créer sa propre réalité : les lois sont incontestables et en cela, comme les jugements, ou les contrats entre les parties, elles sont "comme" une vérité. Le droit est une réalité, artificiellement construite par ceux qui ont le pouvoir normatif de le faire : législateur, gouvernement, régulateur, juge, administration, contractant.

Pour faire fonctionner le droit, il faut attacher des effets à ces réalités : par exemple les règles attachées à une vente à une réalité concrète d'une "vente". Le "régime juridique" de la vente est prévu dans le Code civil. Dès lors, il faut mais il suffit d'avoir affaire à une "vente" pour savoir que l'opération sera soumise à cet ensemble de règles que constitue le régime juridique. Ainsi, sans que le juge intervienne, chacun sait à quoi il est soumis (sécurité juridique), car dès l'instant qu'il fait une "vente", il sait quelles règles lui sont ou seront appliquées, car il connaît, ou peut, ou doit, connaître le Code civil.

L'enjeu est donc de savoir si l'opération que la personne concrète a faite ou va faire est une "vente" ou bien est autre chose, par exemple un "contrat de service", lequel est soumis à un autre régime juridique. Or, la "vente" est une "qualification juridique". Elle répond à une définition. Si la situation concrète répond à la définition, alors le régime s'appliquera, si elle n'y répond pas, le régime ne s'appliquera pas.

Rien ne paraît plus simple.

En réalité, rien n'est plus complexe.

La difficulté tient dans le fait que pour une même situation, plusieurs qualifications sont concurrentes, et de ce fait deux régimes juridiques sont en concurrence. C'est alors aux avocats d'obtenir du juge la qualification la plus favorable. Par exemple, la Cour de cassation a eu à qualifier "l'assurance-vie". L'assurance-vie doit-elle recevoir la qualification de contrat d'assurance ou bien la qualification de contrat d'épargne ? Suivant la qualification, c'est-à-dire la définition que l'on retient, le régime change.

Ainsi, l'ingénuosité juridique tient dans le maniement des qualifications. Par exemple, les offres publiques d'achat (O.P.A.) sont des opérations boursières soumises à un régime juridique spécial, visé par des dispositions du Code monétaire et financier. Mais un jour, un avocat a eu l'idée de qualifier l'O.P.A. de vente : en effet, car c'est bien l'origine historique de l'O.P.A. inventé par Warburg, il s'agit d'une offre faite par quelqu'un d'acheter des titres, offre à laquelle répondent des acceptations formulées par les propriétaires des actions. Or, cela correspond à la définition générale que le Code civil donne de la vente, qui est définie par l'article 1582 comme "la convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer". Ainsi, le régime juridique du Code civil est applicable à l'O.P.A.

Cela montre que le système juridique fonctionne bien techniquement que si l'on dispose de définitions stables et sur lesquelles on s'accorde.
Or, la notion de "régulation" est très instable et très controversée. Il en résulte de nombreuses difficultés techniques.

C'est pourquoi, en premier lieu, il convient d'avoir en tête la définition générale de la régulation en droit.

Beaucoup de difficultés sont venues du fait que le mot français "régulation" n'a pas le même sens que son homonyme anglophone Regulation. En effet, le terme juridique de "régulation" doit se traduire en Regulatory Law, car celui de Regulation se traduit en "réglementation". Regulation et Régulation sont donc de "faux-amis".

Il demeure que pour beaucoup de personnes, la "régulation" renvoie à la réglementation purement et simplement, ce qui est faux. Raisonnons par l'absurde : le régulateur fait de la régulation, on ne peut en douter. Or, le plus souvent, il ne dispose pas du pouvoir de réglementer. Donc, on ne peut définir la régulation comme la réglementation.

La régulation est plutôt un ensemble de mécanismes techniques qui organisent un secteur qui, pour diverses raisons (v. infra), n'est pas laissée à la concurrence. Ainsi, le plus souvent, on définit la régulation comme étant l'organisation ex ante d'un secteur, par rapport à sa surveillance ex post par le droit général, civil, commercial, des sociétés ou de la concurrence, etc.

Ainsi, d'une façon ex ante, on adopte des textes (lois et règlements), on institue un organe spécifique au secteur (le régulation), des actes individuels sont délivrés avant toute activité aux opérateurs (agréments, licences, etc.), sont adoptés à propos des produits qui circulent sur le secteurs (certification, etc.).

Le maître-mot de la régulation devient alors le "secteur" : à chaque secteur, sa régulation. Donc, sa réglementation, son régulateur, sa portée, etc. Mais il est difficile de définir un "secteur". Ainsi, on peut dire à première vue que la banque, la finance et l'assurance sont trois secteurs. Donc, trois branches du droit de la régulation (trois régulateurs, trois corps de textes, etc.). Mais comment fait-on lorsqu'on est confronté à la bancassurance ? Que fait-on lorsque la banque a pour comportement non plus de prêter mais de faire de l'intermédiation sur les marchés financiers à risques ? Quel régime juridique appliquer ? Cela dépend de la définition que l'on retient, laquelle ici dépend de la conception du "secteur".

Mais c'est déjà une vision très économique que de mettre au coeur de la définition le secteur. En effet, si l'on définit la régulation comme l'outillage ex ante d'un secteur, ce qui est déjà une vision très statique de la régulation (pour une conception dynamique, v. infra), on a déjà pris acte de la scission entre régulation et réglementation.

Or, celle-ci n'est toujours pas faite. En effet, en la faisant, il faut prendre acte que la réglementation n'est plus qu'un "outil" de la régulation, et un outil parmi d'autres outils. Par exemple, les contrats pourront aussi "prétendre" être des outils d'élaboration ex ante des secteurs. Si l'on regarde les implications juridiques de cette seule première discussion, elles sont très importantes.

En effet, si l'on définit la régulation comme synonyme de réglementation, alors la régulation relève du droit public. Il est vraiment important de dire que la régulation est une branche du "droit public économique". Dès lors, le régulateur sera nécessairement, soit le gouvernement, soit une "autorité administrative indépendante" (A.A.I), le juge naturel sera le juge administratif (Conseil d'Etat). A contrario, des outils comme le contrat sera perçu comme exceptionnel, voire anormal, voire suspect.

A l'inverse, si l'on définit la régulation comme l'outillage ex ante d'un secteur, alors on regarde le secteur. Cela est tout aussi tautologique. Les trois secteurs qui nous intéressent, banque, finance, assurance, sont des secteurs sur lesquels agissent des opérateurs le plus souvent privés, qui proposent des produits, et qui passent des contrats avec des personnes le plus souvent privées, dans une activité économique, de commerce, de profit et de consommation. Dès lors, c'est le droit privé qui tient "prétendant" à fournir l'ossature des régulations. Tout d'abord, les opérateurs prétendent s'organiser eux-mêmes (auto-régulation) ou à tout le moins participer à la régulation (co-régulation). Les secteurs sont définis comme de multiples marchés, des marchés de produits, des marchés de pouvoir (à travers les actions, on peut acquérir le contrôle des sociétés). Dès lors, le juge naturel devient le juge de droit commun, le juge judiciaire, la liberté d'entreprendre devient la référence, la Commission européenne, notamment la Direction de la concurrence impose une "banalisation".

Ce n'est qu'un premier étage des enjeux techniques de la définition.

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En effet, s'y superposent les discussions sur la définition substantielle de la régulation, sur laquelle personne n'est d'accord ... Les définitions, venant d'horizons divers, ne s'excluent d'ailleurs nécessairement les unes les autres.

On peut tout d'abord estimer que la régulation est une politique publique. L'État utilise la régulation comme une technique moderne et souple pour faire en sorte qu'un secteur fonctionne comme il le veut, comme il conçoit l'intérêt général. Par exemple, l'État, c'est-à-dire en pratique le Gouvernement, veut que les banques prêtent aux entreprises, et plutôt aux petites entreprises, pour que l'économie soit mieux structurée et plus juste, ayant en tête l'ordo-libéralisme et le tissu économique allemand. Pour cela, il va mettre en place des régulations incitatives ou impératives pour obtenir cela. On mesure en premier lieu que cela est "politique" et que cela relève nécessairement du Politique (car il peut seul fixer des buts, ce que ne peut faire un régulateur, technicien) et en second lieu que cela est "fonctionnel", guidé par les buts, par les fins recherchées, que cela est "téléologique". La Commission Européenne st par nature hostile à une telle conception.

Une deuxième conception substantielle de la régulation, non plus politique mais économique, consiste à poser que la régulation intervient en cas de défaillance de marché. La régulation devient une notion libérale (et non plus interventionniste pour faire plier un secteur à la satisfaction de buts qu'il ne poursuit pas naturellement). L'idée est que le principe est le marché concurrentiel est efficace, efficient et bénéfique pour tous. Mais il peut arriver que toutes les conditions ne sont pas réunies, structurellement et définitivement, pour que le marché fonctionne.

Ainsi, alors que le marché financier est le modèle le plus pur du marché (Walras), il est frappé de défaillances structurelles du fait de l'asymétrie d'information entre les agents (Stiglitz). De la même façon, le secteur des banques et des compagnies d'assurance ne peut supporter leur faillite, car cela constitue un risque systémique, et cela justifie une régulation.

Cette définition économique justifie que ce soit des régulateurs techniciens et experts des secteurs, sans visée politique, etc., qui interviennent.

Une troisième définition est de définir la régulation comme une décision politique exprimant un consensus de la population qui rejette le marché et le capitalisme, décision politique qui exprime donc le "contrat social" sur lequel les sociétés sont bâties. Par exemple, on estime qu'il faut "réguler la mondialisation", que celle-ci peut se définir notamment par la "financiarisation", qu'il faut stopper les banques et la recherche du profit, qu'il faut limiter les revenues des dirigeants des banques et des compagnies d'assurance. Pourquoi ? Parce qu'il est juste de faire ainsi.
La question qui se pose ici est de savoir si une telle définition peut protéger une définition législative contre une attaque via la hiérarchie des normes, au nom de la Constitution ou au nom du droit européen de la concurrence, par exemple.

Une quatrième définition de la régulation est de la présenter comme ce qui mène un secteur qui n'est pas organisée sur le modèle concurrentiel vers une organisation concurrentielle. C'est la conception de la Commission Européenne. On lie alors régulation et libéralisation. Cette définition est très fréquente, notamment parce qu'historiquement à partir de 1995, la régulation est intervenue via l'Europe pour briser des monopoles publics nationaux, notamment français (par exemple EDF, France Telecom, S.N.C.F.), en obligeant à l'instauration de régulateurs indépendants chargés d'accompagner la libéralisation des secteurs des télécommunications, énergie, transports, etc. (appelés souvent "industries de réseaux).

Cette régulation est dite "transitoire", puisqu'elle est un appareillage mis en place pour installer la concurrence. Une fois celle-ci devenue mature, le droit de la régulation doit se dissoudre dans le droit de concurrence et l'Autorité de la concurrence prendre la place de l'Autorité de régulation, devenue inutile. En banque, finance, assurance, les régulations sont "définitives", parce que les défaillances sont définitives (définition économique). Mais la Commission Européenne a tendance à concevoir de la même façon les différents secteurs et à concevoir la libéralisation des secteurs comme la clé de leur maturation, par exemple à travers les projets européens de régulation de l'audit, alors même qu'il s'agit de régulations définitives, qui ne sont pas nécessairement gouvernées par un souci de sortie d'économie publique (v. infra).

Aujourd'hui, quelque soit la définition que l'on retient de la régulation, on ne la réduit plus à un de ses instruments, par exemple la réglementation, et l'on s'accorde à penser "pragmatiquement" qu'il s'agit de dispositifs complexes mis en place et qui fonctionnent de façon permanente et mouvante pour satisfaire des buts.

Ce que sont ces but, la façon de les atteindre et qui est en charge de faire en sorte qu'ils soient atteints sont des sujets sur lesquels on se dispute à l'infini, mais cette façon de voir est partagée : la régulation est un ensemble d'outils juridiques utilisés pour obtenir un résultat. Dès lors, il s'agit d'une définition fonctionnelle, c'est-à-dire une définition de la notion par ses buts, une définition par les missions, par les fonctions.

De cette nature de la régulation dont la nature tient dans les buts poursuivis, c'est-à-dire renvoyant à une "nature téléologique", a des implications techniques très importantes.

Parce que la régulation est par nature téléologique, l' "objet" du droit de la régulation n'est pas ce pour quoi il porte, mais ce qu'il vise. Par exemple, le droit de la régulation financier n'a pour objet le secteur financier mais a pour objet ce qu'il faut obtenir du secteur financier (comme configuration, comme comportements) : l'objet, c'est l'objectif. S'il y a plusieurs objectifs, alors le droit qui ne porte pourtant que sur un seul secteur aura plusieurs objet. A l'inverse, si un objectif est commun à plusieurs secteurs, alors le droit de la régulation va pouvoir embrasser ces secteurs qui cessent d'être différents pour devenir semblables au regard du droit de la régulation.

Prenons des exemples dans les secteurs bancaires et financiers. La régulation bancaire peut avoir pour objectif la prévention et la gestion du risque systémique, c'est-à-dire la préservation du système lui-même et en première ligne des banques. Mais l'on peut aussi ajouter comme objectif immédiat, donc comme objet du droit de la régulation bancaire, la protection du consommateur de produits bancaires, pour que ceux-ci soient peu chers et accessibles. Or, le consommateur est servi par la concurrence si l'on se réfère au premier objectif mais l'ouverture très large à de nouveaux entrants met en difficulté le premier objectif. Dès lors, il faut que soit l'on renonce à l'un des objectifs, soit on les hiérarchise, soit on les équilibre l'un par rapport à l'autre. En outre, qui est légitime à le faire : le législateur ? le régulateur ? les contractants ? les banques par des chartes déontologiques ? En outre, s'il y a plusieurs objectifs, ne faut-il pas un régulateur pour chaque objectif, ne serait-ce que pour restreindre la marge de discrétion du régulateur ? En outre, s'il y a un aspect concurrentiel, comment s'opère l'interrégulation entre le régulateur bancaire et l'Autorité de concurrence, laquelle est légitime à intervenir au nom du second objectif mais pas au nom du premier objectif ?
De nombreux cas litigieux ont été engendrés par ces questions.

Prenons un exemple inverse. Si le législateur pose que l'objet du droit de la régulation est de prévenir et de gérer le risque systémique, alors le corps de règles, les mécanismes et les institutions doivent suivre les contours de ce risque. Or, s'il apparaît que ce risque se propage des banques, à la finance, voire en passant par des compagnies d'assurance (ce qui est moins certain), alors ce n'est pas trois régulateurs distincts qu'il faut établir mais un seul, ou bien instaurer des liens de coopération très étroits entre les régulateurs et élaborer des principes communs.

Ainsi, toutes les bases techniques du droit de la régulation dépend du but que l'on donne à celui-ci. Or, le plus souvent, les finalités sont imprécises, non-explicites, contradictoires, changeantes, etc. L'insécurité juridique qui s'en suit est en cela catastrophique puisque la normativité de cette branche du droit est dans les buts.

Par ailleurs, cette définition d'un droit par ses buts rompt avec le droit traditionnel qui se définit pas comme un outil. En effet, le droit classique n'explicite pas les buts des notions juridiques (les buts sont hors du droit). Par exemple, l'article 1110 du Code civil définit le contrat comme un échange de consentements entre deux personnes qui produit des obligations de donner, de faire ou de ne pas faire. Mais le but du contrat, la finalité de ses obligations contractuelles, ne sont pas mentionnés.

A l'inverse, dès l'instant que le droit explicite des buts, alors il se pose lui-même comme fabriquant des instruments efficaces, les institutions étant des agents chargés de réussir la mission confiée d'atteindre l''objectif. Par exemple, la régulation financière a pour but d'éviter les abus de marché. Tant qu'il y en aura, le droit sera défaillant et le régulateur ne sera pas à la hauteur. Cela explique la place centrale de la répression dans les régulations, car répression et efficacité riment bien. Cela explique que, dans le droit de la régulation alors que cela n'existe pas dans les autres branches du droit, le régulateur doit "rendre des comptes" (accountability) sur l'efficacité de son action.

Plus encore, cette obsession de l'efficacité, que l'on ne retrouve pas même en droit pénal, explique que les opérateurs des secteurs régulés, banques, prestataires de services financiers.

Cela va conduire à trouver une solution originale pour accroître l'efficacité des règles dans leur application. En effet, en droit classique, il y a une distance entre celui qui adopte la règle (son créateur légitime, par exemple le législateur) et celui à qui est appliquée la règle, qui la subit (l'assujetti). Par exemple, le législateur prend la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 et les dispositions de celle-ci s'appliquent à de multiples opérateurs qui doivent en suivre les prescriptions.

Mais il y a beaucoup d'inefficacité, de coût, etc., notamment parce que les opérateurs sont très puissants, informés, rapides, etc. Le rapport entre le contrôleur et le contrôlé est en faveur du contrôlé, ce qui met en difficulté le droit, qui postule l'obéissance contrainte du contrôlé au contrôleur (sauf à trouver des modes non-juridiques de régulation).

Dès lors, en premier lieu, on a demandé aux personnes auxquelles s'appliquent les normes de participer à leur élaboration, par exemple par des "consultations de  place". Ainsi, l'information étant chez les personnes auxquelles s'appliquent ces normes, elles seront mieux conçues. En outre, par cette participation, on accroît l'acceptabilité des normes à ceux qui les subissent puisqu'en même temps ils les fabriquent. Mais que reste-t-il de la définition classique de l'autorité de l'État ?

En second lieu, comme il est très difficile, coûté et long d'appliquer la norme, on a trouvé un moyen d' intérioriser la norme. Là encore, le secteur bancaire a été en avance sur les autres. En effet, la compliance, née dans ce secteur et aujourd'hui diffusée dans les autres secteurs, voire dans le droit de la concurrence, consiste à confier à l'assujetti la charge de surveiller lui-même l'application qu'il fait de la règle. Les scandales liés à la crise ont accru l'exigence des contrôles internes, de gestion, comptable, etc.

Ce faisant, on a cassé ce qui allait de soi dans le droit classique : la distance naturelle entre celui qui conçoit la norme (et qui doit être légitime pour le faire) et celui qui obéit à la norme (et à qui l'on ne demandait classiquement que ce comportement d'obéissance).

De ce seul fait, les entreprises vont devenir poreuses, la règle de la transparence devient majeure non seulement sur les marchés mais dans les entreprises et les régulateurs entrent dans les conseils d'administration. Tout le droit en est changé.

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C'est dans le cadre de ces premières considération que l'on peut définir les principes directeurs du droit de la régulation appliquée à la matière bancaire et financière.

En effet, puisque la régulation, quelque soit la conception qu'on en a, est gouvernée par ses objectifs, ses finalités, ses buts (v. supra), on distingue deux types de finalité. La première finalité est la concurrence lorsque le système économique a été organisé sur un modèle a-concurrentiel (par exemple des monopoles légaux) et qu'il s'agit de faire advenir un système économique concurrentiel. En effet, la concurrence ne se décrète pas. Le droit peut l'autoriser mais un seul acte normatif ne peut construire la concurrence : il faut du temps, des nouveaux entrants, des capitaux, etc.

La concurrence demeure encore le centre de gravité de la régulation lorsque celle-ci met en équilibre le principe de concurrence, considéré comme appréciable en soi (v. supra) et un autre principe a-concurrentiel, voire anticoncurrentiel, par exemple l'accès de tous à un bien commun. Cela peut concerner l'activité bancaire et assurantielle, si l'on considère que chacun aurait un droit à un crédit ou un droit à être assuré. Par exemple, la loi pose désormais au bénéfice de tous un "droit au compte bancaire", même si cela n'implique pas un droit à la délivrance d'un moyen de paiement autre que monétaire.

Mais la régulation peut être pensée en dehors de la concurrence, ce que la Commission européenne a du mal à admettre. En effet, elle peut avoir en son coeur la prévention et la gestion des risques. Il s'agit alors d'une régulation définitive dont la notion de risque devient l'élément central.

Si on admet ce mouvement de la régulation, de l'instauration de la concurrence vers la prévention des risques, les secteurs devraient se redécouper juridiquement. En effet, en raison de la présence des banques sur les marchés financiers, en tant qu'opérateurs propres et en tant qu'intermédiaires, la régulation financière et la régulation bancaire se mettent à fusionner (alors même qu'à l'origine elles ne sont pas de même essence!footnote-184). En revanche, les compagnies d'assurance ne présentent pas de risques systémiques, puisqu'il n'y a pas de déposants et d'effet de panique en domino. Donc, le secteur de l'assurance devrait être isolé et n'être pas touché. Or, on constate que Solvency II a été conçu sur le modèle de Bâle III, ce qui est juridiquement très étrange.

Par ailleurs, le fait du "risque" est une notion dont le droit n'est pas très familier. Ainsi, la notion de risque existe d'une façon émiettée dans le droit de la responsabilité civile, mais guère plus, et il est remarquable que le "risque juridique" que toutes les entreprises et les États connaissent et subissent, n'est pas pris en considération dans les risques opérationnels visés par les normes prudentielles de Bâle III.  Le droit du risque est donc en train de se construire.

Dans un tel mouvement, le secteur bancaire et financier prétend, du fait de l'exigence de considérer le risque, être non seulement indifférent au droit de la concurrence, mais encore soustrait au droit de la concurrence!footnote-185. Historiquement, le secteur bancaire en était expressément exempté, en ce que les règles communes, le monopole de l'activité bancaire, les mécanismes d'entente étaient des garanties de stabilité, de solidité, de comportements de long termes, indispensables au secteur, bien qu'incompréhensibles et inadmissibles au regard des principes du droit de la concurrence. Ainsi, l'affaire du Libor montre à quel point pendant des décennies, une entente a paru naturelle, alors qu'à la lumière du droit de la concurrence, cette autorégulation a paru immédiatement "monstrueuse".

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Mais dès l'instant que l'on peut en avant la préoccupation du risque avant de se soucier du dynamisme économique qu'a vocation à développer la concurrence au bénéfice de tous, notamment des consommateurs, tout change.

En effet, il devient pertinent de rechercher où sont les risques pour prévenir, les gérer et résoudre les crises que leur explosion a engendrées. Or, les risques résident à la fois dans les produits qui circulent sur les marchés (par exemple produits financiers toxiques), dans les comportements de marchés (par exemple abus de marché), mais encore dans les opérateurs eux-mêmes (par exemple fragilité d'une banque sous-capitalisée ou prestataire incompétent techniquement).

 

Ainsi, en mettant au centre de la régulation le risque, le système se déplace et la supervision se maille avec la régulation pour ne former qu'une continuité : la "régulation prudentielle", alors même qu'il était d'usage d'opposer régulation et supervision, et que les pouvoirs rattachés à l'une et à l'autre ne sont ni de même nature ni de même ampleur. En les rattachant, le système juridique conduit alors à les cumuler, ce qui est aujourd'hui fait à travers l'Union bancaire.

 

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1

V. Leçon n°11 sur Régulations bancaire et financière et autres Régulations

2

V. d'une façon plus générale leçon n°4 sur Régulation bancaire et financière et droit de la concurrence.

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