7 janvier 2016

Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

État

par Marie-Anne Frison-Roche

L’État peut être appréhendé comme un simple mode d’organisation (appréhension pragmatique) ou comme un être porteur d’un projet collectif supérieur (approche philosophique). Pour les britanniques et les américains, un certain nombre de tâches ne peuvent être assurées par les individus et doivent donc l’être par des administrations, elles-mêmes gouvernées par des pouvoirs établis selon des règles, l’ensemble du système était désigné comme l’État, qui participe à l’organisation sociale. L’État n’est donc que l’externalisation des tâches, l'ensemble des fonctions d’utilité que les individus ne peuvent pas assurer. Mais en Europe, par continuation de la personne royale de l’Ancien Régime, l’État est un être de dimension quasi métaphysique, qui incarne un intérêt supérieur à l’addition des intérêts des individus. Celui qui sert l’État, l’énarque aujourd’hui comme l’aristocrate d’hier, sert cet intérêt supérieur. Il est donc au-dessus des intérêts particuliers. Sous le même mot d’État, ce sont deux visions, voire deux mondes totalement différents qui s’opposent. C’est pourquoi la régulation dans laquelle la personne de l’État, par exemple à travers les monopoles historiques, ou les entreprises publiques, est indifférente, est naturelle en Grande Bretagne et aux États-Unis, car il ne s’agit que de choisir l’organisation la meilleure, alors que dans l’Europe continentale, dans la tradition française ou prussienne, c’est la hiérarchie métaphysique des intérêts qui est atteinte. Cela explique la réticence essentielle de l’Europe continentale face à un système où l’État est ordinaire.

Ainsi, le droit communautaire a posé la règle fondamentale de l’impossibilité pour celui-ci d’être à la fois régulateur et opérateur. Les États ont préféré conserver leurs opérateurs historiques publics et créer des Autorités administratives indépendantes. L’entreprise publique suppose d’abord un État actionnaire. Le droit communautaire, au titre de la prohibition des aides d’État ne l’admet que si celui-ci ne se comporte que comme un investisseur ordinaire, c'est-à-dire que comme une personne privée, ce qui nous ramène au développement précédent. Mais par un mouvement de balancier, la crise financière de 2008 a montré que mettre sur les États un masque d’opérateur privé rendait les secteurs régulés très vulnérables, car les régulateurs n’ont pas la même ampleur de puissance que les États, lesquels ne souffrent que d’être limités dans leurs frontières. Il faut mais il suffit que les États s’accordent entre eux, notamment par des processus comme le G20 ou des coordinations comme le processus Lamfalussy, pour aboutir à des solutions que les opérateurs privés et les régulateurs ne peuvent obtenir, ou alors à moindre dégâts. L'existence au sein du ministère de l’Économie de  l’Agence des participations de l’État (APE) montre que celui-ci a vocation à gérer ses participations  comme un investisseur ordinaire avisé, tandis que le gouvernement peut aussi exprimer une volonté politique dans une politique économique conçue dans  l’intérêt collectif du groupe social, pour l’intérêt général.

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