21 juin 2018

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Dans sa série d'émissions consacrée à L'Histoire de la Justice, France Culture a consacré le 19 juin 2018 une émission à l'Épuration, à travers celle qui suivit la fin de la Seconde Guerre Mondiale , cette "épuration" débutant dès avant et suivant des procédures juridictionnelles qui se mettent en place en 1944 (après de terribles expériences  "tribunaux populaires") , procédures qui marquent souvent la fin des "Empires". 
 
On y entend les deux auteur François Rouquet et Fabrice Virgili, de l'ouvrage qui vient de paraître sous forme ramassée : Les Françaises, les Français et l'épurations : 1940 à nos jours
 
Pour illustrer leurs propos, l'émission donne à entendre un éditorial de 1944 qui met en garde contre ce qui serait pour lui une sorte de perversion de la justice, si les juges en venaient à prendre en considération ce que diraient les "collaborateurs" qui vont se prévaloir de faits de "résistance" pour contrebalancer des faits de "collaboration", l'orateur  avertissant que les juges ne doivent pas être "dupés" par un tel jeu qui consiste à engranger par avance des faits pour mieux atténuer une peine, alors que la peine doit être implacable.
 
Les intervenants reprennent plus tard dans l'émission le propos sous l'angle de "l'indulgence" : savoir si l'on doit être ou non l'indulgence. 
Mais quand on est juriste et qu'on a au fond de son coeur le principe du contradictoire qui conduit à donner à priori pertinence à tout fait que la personne que l'on juge, qu'elle soit innocente ou coupable, met dans le débat, l'on ne peut être que glacé d'un tel discours.  Car ce discours ne demande pas un procès, il demande des condamnations. Et cela n'est pas la même chose. Ce n'est que pour les procès que le Droit est requis, pas pour le prononcé de condamnations. 
 
Mais l'audition de cet extrait ne sembla pas glacer la discussion. Sans doute parce que dans leur discussion si intéressante (par exemple dans la "qualification" du fait de collaborer), les intervenants ne semblent pas donner une pertinence propre à  la perspective juridique ou plus spécifiquement  juridictionnelle. 
 
Or, un juge qui ôte toute pertinence à un fait parce qu'il est mandaté pour ne demander des comptes que sur un autre "type" de faits - ici les faits de "collaboration" et non pas les faits de "résistance" est un juge structurellement partial.
 
Dans l'émission le parallèle a été fait avec le procès de Nuremberg. Mais dans le Procès de Nuremberg, procès fondateur de la justice internationale, alors même que la "cause était entendue", les faits évoqués par les uns et les autres ont été mis dans le débat. 
 
Comme l'ont souligné les intervenants dans cette émission et comme ils le développent dans leur ouvrage, dans les 350.000 procès de l'épuration, les juges et les jugés se connaissaient. La froideur de la Justice n'a donc pu jouer comme elle a joué à Nuremberg. Ils ont utilisé le bon terme technique : c'était une justice de "proximité"...  Il est d'ailleurs remarquable que la paisible "justice de proximité", renaissance de la "justice de paix", a été contestée devant le Conseil constitutionnel puis l'expérience délaissée, car cette proximité n'est pas forcément un gage de justice. 
 
L'essence du débat se retrouve  dans le dernier extrait sonore de cette émission : dans un débat qui se déroule en 1946 de 4 minutes qui porte sur la possibilité de rendre justice lorsqu'il ne s'agit que de satisfaire la haine. Et l'un dit qu'il "faut bien en passer par là puisqu'il faut parfois faire de la "chirurgie sociale" (ce qui rappelle la théorie de la défense sociale), tandis que l'autre répond que jamais une balle dans la tête ne peut être de la Justice. Et qu'il suffit bien de 4 minutes pour le dire. 
 
Oui, parce que la Justice n'est justement pas une machine chirurgicale, telle que Kafka la décrite dans La colonie pénitentiaire, elle est aveugle. Ce n'est pas un reproche à lui faire, c'est sa définition même.  Et parce qu'elle est aveugle, elle prend en considération les faits avancés par celui qui comparaît devant elle. Même s'il s'agit d'un coupable, d'un stratège, d'un épouvantable personnage ayant commis des faits abominables : la procédure n'est pas un dispositif qui ne protège que les innocents. 
 
Si la justice cesse d'être "aveuglée", elle devient alors au mieux un mode d'exécution.
 
Mais la justice n'est pas divine, elle n'est qu'humaine. Les juges ont donc des corps, des histoires personnelles, des âmes et des sentiments, des voisins et des comptes personnels à régler. La statue qui représente la Justice a donc des yeux, elle n'est en rien naturellement aveugle. Pour que la justice soit "aveugle" au sens de l'impartialité, ce qui est la base de la Démocratie et de l'Etat de Droit gardée par la Constitution, elle doit bien être "aveuglée" : par le bandeau dont la procédure lui recouvre les yeux. Ce n'est pas un effet de nature, mais un effet de procédure qui concrétise la définition même de la procédure et le droit de chacun à un "tribunal impartial", dont la Constitution est garante. 
 
Comment faire alors pour qu'étant ainsi "aveuglée", la Justice n'en devienne pas mécanique par la distance que lui imposent les règles de tous sentiments ? 
C'est précisément que tout sentiment n'en est pas exclu : le "sentiment de justice" demeure au coeur du procès. C'est lui qui fonde tout procès et exclut que celui soit rendu par des machines. Car le sentiment de justice, contrairement à la haine ou à l'amour, n'est pas une passion : c'est lui-même une méthode dont le cas du "bon juge magnaud" fût exemplaire, puisqu'il ne peut s'exprimer que par des procédures et des motivations expresses (ce qui fût le cas à Nuremberg).
 
 
 
L'Histoire nous le rappelle, deux extraits sonores nous le disent en quelques minutes. 
 
Merci.
 
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1 novembre 2014

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Le nazisme reste un mystère. Les ouvrages se déversent pour essayer de comprendre.

Notamment de comprendre la part que tant de phénomènes y prirent, par exemple le capitalisme, la culture occidentale elle-même, le nationalisme, la misère, l'humiliation, le Traité de Versailles, le charisme d'Hitler, etc.

Le droit y a aussi sa part.

Carl Schmidt n'a pas compté pour peu dans l'élaboration de la doctrine nazie, pensant le droit comme expression de la pensée, ce contre quoi Kelsen bâtit la théorie du "droit pur", qui met le droit en autonomie du politique et n'en est pas la forme.

Cette dimension juridique du nazisme, dans sa conception tout d'abord, dans sa mise en oeuvre ensuite, est essentielle. En effet, le système nazi était un système légaliste, l'efficacité passe par une multitude de textes et par des méthodes dont la juridicité ne fait pas de doute.

Cela peut paraître paradoxal, voire contrariant, puisque le nazisme est souvent présenté comme l'horreur et la brutalité absolues, c'est-à-dire ce à quoi le droit s'oppose "par nature". En effet, il est courant de définir le droit comme ce qui est doté d'une "force" qui s'oppose à la "force" : la force qui arrête la force. Ils sont en opposition absolue.

Pourtant, non seulement ils ont historiquement fait fort "bon ménage", législateur, juges et professeurs de droit offrant massivement leur service technique. Mais le lien entre nazisme et droit est plus intime encore et instruit sur les risque que le goût pour le droit comprend.

C'est notamment en cela le livre qui vient de sortir, La loi du sang. Penser et agir en nazi, mérite d'être lu.

Ecouter la présentation qui en a été faite sur France Culture le 20 octobre 2014.

30 avril 1996

Base Documentaire : Doctrine

L'essentiel de l'ouvrage est dans l'introduction : "Il n'est pas insolite que la Vième République ait fait du droit : l'insolite est qu'elle se soit faite elle-même droit, qu'elle ait poussé la passion du droit jusqu'à s'identifier à lui."

Dans cet ouvrage, sans note de bas de page, celui qui fut le plus grand juriste du XXième siècle, celui qui conçut et rédigea les grandes réformes du droit civil du XXième siècle, le Doyen Carbonnier, développe d'une façon critique ce qu'il estime être cette fusion critiquable entre la société française et le droit. En effet, pour lui, la société et le système politique doivent prendre en considération le droit, doivent l'intégrer, doivent se traduire en droit mais doivent toujours demeurer en distance par rapport à celui-ci.

Cet ouvrage, écrit en langue courante, est indispensable à lire, pour le juriste qui peut ainsi réfléchir sur lui-même, pour le non-juriste pour une première approche du droit. En effet, l'ouvrage sur le droit est toujours en distance par rapport à celui-ci et les descriptions et appréciations portées sont encore d'actualité.