8 novembre 2018

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La conception de la mise en place de la transformation des Commissaires-priseurs en Opérateurs des ventes volontaires à travers les principes du Droit de la Régulation

par Marie-Anne Frison-Roche

ComplianceTech©

Ce document de travail a été établi pour servir de base à une intervention dans le cadre d'une audition du 9 novembre 2018 devant une mission menée au Ministère de la Justice sur l'avenir des opérateurs de ventes volontaires

N'étant pas spécialiste de propriété littéraire et artistique, je vais appréhender la question sous l'angle du Droit des Marchés, dans la mesure où c'est parfois un regard "étranger" qui peut apporter à des experts. Mais quand je lis le rapport de 1999 du Sénat sur le fait que le "marché de l'art" peut représenter une "chance pour la France"",  j'y découvre que la question des "enchères" y occupe une place bien modeste, tandis que lorsque je me promène sur les sites d'enchères en ligne le souci esthétique n'y semble pas premier, ce qui n'est pas la perception première que nous avons tant la profession de Commissaire-priseur a été associée non pas tant à la vente aux enchères qu'à l'idée même de l'Art et du beau, notamment sous l'effet de Maurice Rheims. 

Tandis que pour ma part, je ne suis pas apte à mesure ce qui pourrait constituer par l'effet du Droit un "atout" ou un "frein" au développement d'une profession, car il s'agit là d'une conception de l'analyse économique des textes qui instrumentalise à l'excès le Droit qui ne peut être "réduit" à cela

Après avoir lu quelques documents, notamment le Rapport de Catherine Chadelat et Martine Valdes-Boulouque, et comme j'avais pu essayer de le faire lors du premier rapport annuel du Conseil des ventes volontaires, je vais repartir de mes bases, à savoir le Droit de Régulation et de la Compliance. 

Dans un pays libéral, le principe est que tout ce qui est objet de désir, qui est demandé et offert, se rencontre par le mécanisme du contrat. La mise en masse de cette multitude de contrat dans un vaste espace de liberté permet par la mobilité des personnes qui peuvent observer ce qui est proposé et à quel prix produit un "prix d'équilibre", lequel est donc le "prix adéquat" (qui n'est pas forcément le "prix juste" mais est le prix adéquat). Cet espace est celui du marché, qui se constitue sans autre moyen que la liberté d'action des personnes, la technique contractuelle et le système juridictionnel assurant l'effectivité des deux premiers. Voilà les prérequis juridiques Ex Ante sans lesquels un marché libéral ne peut pas exister, mais ils sont suffisants. 

Le Droit de la concurrence est un Droit qui intervient en Ex Post. En effet, un marché libéral est "autorégulé". Le Droit de la concurrence a donc vocation à n'intervenir qu'en cas de dysfonctionnement, qu'en cas d'abus de marché, des comportements ayant abîmé le libre fonctionnement du marché, qu'il s'agit de rétablir.

Le principe libéral consiste donc à poser que s'il n'y a pas de raison d'organiser différemment les rapports, c'est ainsi qu'ils s'organisent. Non pas parce que c'est le plus 'efficace" (l'efficacité étant un "principe secondaire" de nature procédurale), mais parce que c'est l'expression de la liberté, qui a la même puissance en économique, en droit, en politique et en art.

Dès lors, l'existence d'un personnage supplémentaire, c'est-à-dire autre que les offreurs (vendeurs), les demandeurs (acheteurs), c'est-à-dire les contractants, et le juge, est un phénomène économique "anormal" et coûteux. A ce titre, la perspective la plus simple est de dire : il convient par nature de "déréguler". C'est une sorte de "réflexe naturel". 

Si nous pouvons comme acquis que les objets dit "artistiques" sont bien des objets désirés, demandés et offerts, sont donc bien des "objets de marché", la question est donc bien de poser 

La première question est donc : pourquoi demeurer dans un système régulé ? La seconde question est : si le marché doit être régulé, pourquoi réguler par une intermédiation professionnelle, elle-même articulé avec une "Autorité de Régulation" ? 

 

I. POURQUOI DEMEURER DANS CE QUI PEUT SEMBLER ÊTRE UN ENTRE-DEUX : LA "RÉGULATION" DES VENTES VOLONTAIRES DE MEUBLES AUX ENCHÈRES

1. La réforme qui a été opérée est conforme à ce qu'est le principe du marché, qui est la liberté.

En effet, l'on a distingué dans l'organisation des professions  les ventes contraintes, qui ne peuvent pas correspondre à un "principe de marché" et les ventes non-contraintes qui y correspondent.

C'est pourquoi à juste titre la Loi a regroupé sous la nouvelle appellation de "Commissaire de Justice" les professions jusqu'ici éparse d'huissiers de justice et de Commissaire-priseur, mais uniquement lorsque ceux-ci opèrent dans un cadre judiciaire, car cela n'est que dans ce cas que celui-ci opère dans un cadre contraint puisque le vendeur n'est pas libre. Le fait que cela scinde de droit et de fait la profession des commissaires-priseur n'est pas dirimant, parce que cela correspond parfaitement à ce qui caractérise ce qu'est un libre marché et ce qui n'est pas un libre marché. 

Il est donc parfaitement logique que celui qui assure techniquement la vente aux enchères dans un cadre judiciaire, sans-à-dire où la liberté ne joue pas pour l'une des partie, soit appelé Commissaire et que celui qui assure techniquement la vente aux enchères dans un cadre marchand, c'est-à-dire où la liberté joue pour chacune des parties, soit appelé Opérateur. 

La question qui se pose est : pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? La loi du 20 juillet 2011 a pour titre Loi de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Donc-acte. Une "libéralisation" a pour but d'établir la concurrence. Si elle n'y parvient pas, 

 

En effet, et l'on connaît si bien le mouvement dans tant de secteurs régulés ..., l'ouverture à la liberté, l'extension vers le gré à gré devrait aussi s'accompagner vers la désintermédiation, c'est-à-dire la "dérégulation" et laisser le marché opérer seul. 

La réponse semble ici tautologique. Les enchères sont un mode de fixation de prix qui ne sont pas un mécanisme tel que précédemment décrit.

 

2. La distinction entre vente contrainte et vente libre laisse intacte la technique de l'enchère  

L'idée de la nouvelle législation mise en place par l'ordonnance du 2 juin 2016 est donc de faire une organisation particulière pour les enchères.

Pourquoi ? Parce que par définition, il faut un tiers.

Mais la seule question est : pourquoi pas une machine.

C'est pourquoi la question du numérique n'est pas adjacente, elle est centrale.

Le numérique n'est pas un "secteur", il est le monde lui-même. Il est le monde technologique, qui est caractérisé par l'usage des algorithmes qui peuvent mettre en contact des données plus rapidement et n'importe quel être humain. 

La question n'est donc pas de regarder le monde "classique" et ce qui serait une sorte d'exception ou d'extension, le numérique, mais ce monde nouveau, né depuis une vingtaine d'année : le numérique, où des machines peuvent ajuster les offres et les demandes. Le marché financier fût le précurseur de cela, le parangon, le numérique n'en est que la généralisation. L'on ne voit pas pourquoi une plateforme, qui est une structure algorithmique d'intermédiation ne pourrait pas remplacer les êtres humains, qu'ils soient spéciaux (opérateurs de ventes volontaires) ou ordinaires (êtres humains). 

3. Pourquoi ne pas passer directement à une machine de confiance ? 

Pourquoi ? 

 

II. LA DÉTERMINATION DE CE QUI JUSTIFIE L'EXCEPTION CLASSIQUE AU MARCHE ET L'EXCEPTION FUTURE A LA MACHINE : LA FAÇON DE LE VENDRE OU L'OBJET MÊME ? 

A première vue, l'avenir est vers le "marché pur" de sites.

A. La façon de le vendre : les enchères

- l'insuffisance du "prix adéquat"

La question majeure des contrefaçons.

La question analogue de l'authenticité : soit à titre adjacent, soit à titre principal ("luxe" ; art). 

Aptitude technique et qualité morale : "souci d'autrui" (par exemple de l'intérêt conjoint du vendeur et de l'acheteur, dont on est l'intermédiaire ; en cela l'opérateur des ventes volontaires reste le frère jumeau du Commissaire de justice qui vend aux enchères) : il y a une discipline du "conflit d'intérêt" (nous entrons déjà dans le Droit de la Compliance et dans la nécessité d'être un être humain). 

Le Conseil des Ventes Volontaires est alors une Autorité de Supervision professionnelle. 

La question d'interrégulation des perversions du système de fixation des prix : la lutte contre le blanchiment d'argent. Même si l'Ordonnance du 30 janvier 2009 ne lui avait confié ce pouvoir, il me semble que celui-ci était implicitement mais nécessairement conféré au Conseil des ventes volontés. En effet c'est là aussi une question d'être "en position", et pour cela être une "profession" en "position" est requise, comme le sont par exemple les agents immobiliers ou les casinos.

Ici, il faut internaliser le surveillance parce qu'il n'existe pas de "prix de marché" fixe (pas de "mercuriale). Il doit assez facile de blanchir de l'argent comme en matière de pari en faisant semblant de "perdre" en achetant du vent, car ce qui souffle sous les juges des Demoiselles d'Avignon la machine à calculer du Marché ne pourra jamais le dire. 

 

B. Ce qui est parfois vendu : le "beau" ? 

Le terme d' "opérateur" est bien dangereux .... En effet, le plus pur des marchés d'enchère est le marché de capitaux ..... et le plus pur des "opérateurs" est l'ordinateur. 

Mais enfin, c'est l'abstraction et le neutralité du Droit qui est ici une difficulté car en Droit tous les meubles se valent .... ; alors qu'en économie l'on sait bien qu'existe un marché de l'Art. En Droit, il existe bien des frontières alors que le marché de l'Art n'en connaît pas.

Dès lors, si l'on reprend la perspective du Droit de la Régulation, l'on sort de la "neutralité" du Droit de la concurrence pour redonner "pertinence" la concrétude de l'objet. Ici l'objet qui serait considéré comme "beau" (cf. arrêt sur L'envol de la Cour suprême des Etats-Unis). 

Comme le Droit est sage, il ne prévoit que des "informations", et le prix n'est pas l'information : il est le produit d'informations. Or, l'objet en lui-même ne produit pas assez d'informations. Dans une relation bilatérale, c'est le regard porté sur l'objet qui lui donne sa valeur (Duchamp) mais sur un marché, il va falloir des "regardeurs spécialisés" que seront les opérateurs de ventes volontaires. 

L'on pourrait considérer que la théorie de la réputation suffit, que la théorie de l'expertise (sur le marché aux enchères des engins agricoles, par exemple) suffit. Mais justement c'est bien sur le marché des voitures d'occasion que la théorie de l'asymétrie d'information a été mise en lumière. Alors même que le consommateur peut encore "ouvrir le capot". Ici, c'est bien dans le secteur de l'Art que le consommateur ne peut pas ouvrir le capot, parce que le beau, personne ne sait ce que c'est. 

C'est pourquoi, que l'on soit en perspective esthétisante ou en perspective de marché, à travers l'objet, l'on vend un auteur, voire une situation, voire un récit. Et ça, c'est plus "tangible" que ce qui est sur l'objet même. Il faut donc qu'un "tiers de confiance" puisse dire ce qu'il en est

 

 

III. QUELQUES OBSERVATIONS QUI EN DÉCOULENT 

 

A. La correspondance entre les appellations et les fonctions

Si le Conseil des ventes volontaires est une Autorité de régulation professionnelle, alors son nom est mal choisi.

 

B. La compréhension du système qui se met en place à travers le Droit de la Compliance en train de se construire

Mais au contraire le secteur peut être régulé via une profession : c'est alors l'internalisation des buts à travers des structures humaines.

C'est l'idée même de Droit de la Compliance.

Convient dans quelle situation : lorsque l'on a perdu les frontières.

Précédemment : un ordre normatif qui était souverain parce que limité dans des frontières. Aujourd'hui parce que dans certains cas il n'y a plus de frontières (ventes aux enchères de bien meubles), il ne devrait plus y avoir de prétention à imposer d'autres "soucis" que l'ajustement d'offres et de demandes ?

C'est faux !

C'est au contraire l'idée du Droit de la Compliance. 

Le Droit de la Compliance, contrairement au Droit de la concurrence qui tient sa puissance de sa neutralité, est un droit de nature politique.  En effet, il consiste de la part des Autorités publiques à formuler des buts politiques, par exemple la préservation de la culture en tant que celle-ci exprime une civilisation (cf. le cas des masques Hopi), et pour obtenir la concrétisation de ceux-ci, dans la mesure où ils n'en ont pas les moyens, elles internalisent la concrétisation de ces buts dans des entités "en position" de les concrétis

C'est à l'Europe de concevoir un tel Droit de la Compliance substantiellement défini.  En cela, il contribue à la construction européenne

 

C. Les conséquences organisationnelles  

Le Conseil des ventes doit devenir un organe de "supervision" de la profession, en réseau (modèle de la BCE dans l"Union bancaire").

Les formations des professions doivent être adéquates aux fonctions des professionnels dans le système

 

 

 

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