22 mai 2015

Base Documentaire : 01. Conseil constitutionnel

Décision du 22 mai 2015, UBER (QPC)

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Lire l'analyse de la décision ci-dessous.

Dans un contentieux du droit de la concurrence, UBER a été poursuivi au titre de l'article L.3120-2, §III du code des transports.  La disposition avait été insérée dans le code par la loi du 1ier  octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, laquelle vise ouvertement à protéger les taxis contre les "voitures de transport avec chauffeur" (VTC), dont UBER est l'archétype.

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La disposition législative nouvelle pose que les véhicule qui exercent l'activité de transport de personnes routiers à titre onéreux avec des véhicules de moins de 10 personnes (telle que décrite par l'article L.3121-1) doivent "justifier d'une autorisation de stationnement" (c'est le monopole des taxis).  Si l'entrepreneur n'a pas une telle autorisation, il ne pourra "charger" un client que "s'il justifie d'une réservation préalable". Cela signifie que le législateur interdit aux entreprise de VTC la technique de la "maraude", qui est réservée aux taxis. En outre, la loi leur interdit de s'arrêter, de stationner ou de circuler sur les voies publiques "en quête de clients", ainsi que de stationner dans l'enceinte ou aux abords des gares et aéroports, sauf s'il y a contrat ou réservation préalable avec le client.

Plus encore, la technologie d'UBER était particulièrement visée puisque la disposition, dans son paragraphe III, interdit aux entreprises de VTC d'informer le client, "avant la réservation mentionnée" e ce "quel que soit le moyen utilisé, à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule ...", dans l'instant que le propriétaire ou l'exploitant du véhicule n'est pas titulaire de l'autorisation précitée.  La loi interdit même toute information sur ce type de "maraudage électronique", et tout démarchage à ce propos.

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A l'occasion d'un litige commerciale, la société UBER a donc formé deux QPC, que la chambre commerciale par deux arrêt du 13 mars 2015 a estimé devoir être transmise au Conseil constitutionnel. De la même façon, et le même jour, à l'occasion d'un litige de droit administratif, la société UBER ayant formé une QPC analogues, le Conseil d'État a transmis par une décision du 13 mars 2014 la question au Conseil constitutionnel.

Les QPC portent tout d'abord le §III du dispositif, c'est-à-dire le "maraudage électronique",qui permet la "réservation électronique" d'une voiture, à propos de laquelle le client potentiel apprend la disponibilité près de lui grâce à la technologie.

UBER y voit une atteinte au droit de propriété, car l'interdiction que le Législateur fait d'y recourir serait une atteinte au droit de propriété de ces technologies elles-mêmes.

UBER a contesté également le dispositif plus général. En effet, le Législateur a imposé une tarification aux entreprises de VTC, ce en quoi celles-ci voient une atteinte à la liberté d'entreprendre, laquelle doit laisser celles-ci libre d'adopter des techniques de calcul de prix sur le même modèle que les taxis (horométriques).

Allant plus loin, UBER considére qu'il s'est agi pour le Législateur de "punir" les VTC pour mieux protéger le monopole des taxis. Or, les VTC ne sont coupables de rien et le principe constitutionnel de présomption d'innocence est donc bafoué.

Le Conseil a réuni les 3 QPC, pour y répondre par la décision unique du 22 mai 2015, UBER.

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Le Conseil construit sa décision par une rédaction classique et syllogistique.

Il débute par des "considérants de principe". Il rappelle que "la liberté d'aller et de venir est une composante de la liberté personnelle" (article  4 de la Déclaration des droits de l'Homme). Que la propriété privée est un droit constitutionnel et un droit de l'homme (article 17 de la Déclaration) mais le Conseil ajoute aussitôt qu'aux termes de l'article 2 de la même Déclaration "les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.". Puis, le Conseil continue sur la définition même que l'article 4 donne de la liberté qui "consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui".

Il en déduit que : "il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de cet article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi".

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Le Conseil constate donc que le Législateur a créé deux catégories d'activités : l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable (activité ouverte à la fois aux taxis et aux VTC) et l'activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de client pour les transporter (réservée par la loi aux seuls taxis).

Il rejette le moyen tiré du droit de propriété, car le droit de propriété des technologies utilisées n'est pas remis en cause par le dispositif législatif.

En revanche, le Conseil suit les requérants, constatant que l'interdiction émise par le Législateur de pratiquer une tarification horokilométrique "ont porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général en lien direct avec l'objectif poursuivi".

Sur le coeur de la question, c'est-à-dire le droit exclusif de pratiquer la technique de la maraude conféré aux taxis et refusé aux VTC, le Conseil reconnait que le Législateur a porté atteinte à la liberté d'entreprendre des VTC. Mais "cette limitation est justifiée par des objectifs d'ordre public". Cet ordre public est ici celui de la "police de la circulation et du stationnement sur la voie publique". Le Conseil tempère en outre l'interdiction en relevant que les VTC peuvent exercer l'activité de transport s'ils justifient d'une réservation préalable, à quelque moment où elle a eu lieu, ou d'un contrat avec le client final. Selon le Conseil, la restriction n'est "pas manifestation disproportionnée".

Quant au principe d'égalité, l'activité exercée par les taxis et par les VTC est la même, alors que le Législateur a traité différemment les uns et les autres. Mais cette différence de traitement se justifie "par des objectifs d'ordre public". Mais le Conseil glisse ici une réserve d'interprétation. En effet, le seul ordre public qu'il admet est l'ordre public "de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique". Dès lors, il conclut qu'implicitement mais nécessairement, le législateur a respecté le principe constitutionnel d'égalité parce que le monopole de la maraude ne bénéficie au taxi que dans le ressort de leur autorisation de stationnement. Sous cette réserve d'interprétation, la différence de traitement apparait "en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" et ne méconnait donc pas le principe d'égalité.

Le Conseil balaie enfin d'un revers de main le grief de présomption d'innocence, car la Loi n'a pas ici mis en place une sanction.

 


 

 

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