La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes est sans doute ce que l'on peut faire de pire en matière de ce que l'on n'ose plus désigner comme "l'art de faire les lois".
C'est une loi dans laquelle le Législateur a glissé au passage des dispositions qu'il ne savait pas où mettre ailleurs, par exemple des dispositions sur l'enseignement supérieur. C'est une "loi-valise". Il l'a fait même par amendements en cours de navette et a été sanctionné pour cela par le Conseil constitutionnel.
C'est également une "loi-fleuve". De très nombreux articles, qui partent dans tous les sens, dans une langue très compliquée et hachée car les textes modifiés par la loi nouvelle ne sont pas reproduits. Ainsi, celui qui voudrait comprendre l'état du droit qui résulte de la loi devrait reconstituer lui-même les textes de plus de 35 textes législatifs modifiés.
C'est en effet une loi qui modifie de multiples codes et de multiples lois, en rajoutant des bribes de phrases à des fins d'alinéas dans des milieux d'articles. On y mêle la numérotation à la française et à l'américaine. On y segmente les codes. Ainsi, des dispositions importantes passent inaperçues, mêlées à d'autres, insignifiantes.
Le Législateur utilise le droit comme un simple outil au service d'une fin. Ainsi, la loi tient tout entier dans son but : la "concrétisation" de l'égalité "en vrai" entre les hommes et les femmes. C'est pourquoi de très nombreuses dispositions sont expérimentales et donnent lieu à des techniques d'évaluation. Reprenant la présentation que Marx fait du droit, le Législateur veut un droit non plus "formel" mais "réel" et prend ce dessein comme objet même de son pouvoir normatif. C'est confondre Loi et politique publique.
Le Législateur laisse de ce fait son exposé des motifs déborder dans le texte même de la loi. Ainsi et par exemple, la lutte contre les "stéréotypes" devient une disposition normative, répétée plusieurs fois. Le Législateur se croit donc tout-puissant, puisqu'il veut vaincre les stéréotypes, atteindre l'égalité "réelle".
le Législateur de 2014 aurait-il tout oublié du discours de Portalis ou de l'Essai sur les lois de Carbonnier ? Le législateur devrait avant tout savoir bien manier la langue française et doit savoir rester modeste. Mais il est vrai que ce Législateur qui écrit cette loi du 4 août 2014 semble peu connaître le Code civil, lui qui y raye le "bon père de famille", parce qu'il croit l'expression "sexiste" et la remplace par un adverbe ("raisonnablement"), ce qui aurait bien chagriné Stendhal qui voyait dans le Code civil l'apogée de l'art de bien manier la langue française.
1° Une loi-valise.
On a placé dans la loi des dispositions qui n'avaient rien à y faire. Par exemple, et ce n'est qu'un exemple, l'article 53 pose les conditions d'impartialité des jurys qui se réunissent dans l'enseignement supérieur et les sanctions qui entourent le non-respect de ces conditions d'impartialité. Cela n'a aucun rapport avec le thème de la loi, même lointain. Cela ne prétend pas même. Certes, cette technique dite du "cavalier législatif" est souvent sanctionnée par le Conseil constitutionnel pour inconstitutionnalité.
Mais le Conseil déclara déjà deux dispositions contraires à la Constitution dans sa décision du 31 juillet 2014 relative à la loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, parce qu'issues d'amendements glissés lors de la navette entre l'Assemblée Nationale et le Sénat, sans aucun rapport avec l'objet de la loi. Sans doute estima-t-il que sa sévérité était suffisante ...
2° Une loi-fleuve.
Le Législateur accumule les dispositions et vise de multiples lois, y compris une précédente qui visait déjà à l'égalité entre les hommes et les femmes.
Aucune hiérarchie n'est mise entre les diverses dispositions, ni aucun ordre.
Pourtant l'on aurait pu mettre en valeur la disposition sur laquelle les sénateurs ont insisté devant le Conseil constitutionnel. En effet, la loi a changé le droit concernant l'interruption volontaire de grossesse. Sous l'empire de la loi du 17 janvier 1975, celle-ci ne pouvait avoir lieu que si la femme était dans un "état de détresse". Le Législateur modifie l'état du droit et y substitue un autre critère : la volonté de la femme qui y a recours si elle en exprime la volonté. Que l'on approuve ou non, cela change considérablement le principe. En effet, ce n'est pas la "situation", mais la "volonté" qui est à l'origine de l'I.V.G. Cela marque la puissance de la volonté, et de la volonté de la femme uniquement (pas de l'homme). Mais la disposition est noyée par de microscopiques autres dispositions. Elle a d'ailleurs été relativement peu commentée. Pourtant, elle est le signe de la continuelle montée en puissance de la volonté individuelle dans le droit de la famille.
L'on aurait pu penser organiser la loi en regroupant les articles suivant les textes qui étaient modifiées par celle-ci. Mais les articles sont présentés pêle-mêle. Ainsi le Code du travail est visé régulièrement et d'une façon hachée par un article puis, après que plusieurs autres ont modifié d'autres textes, on revient au Code du travail. Comme les textes ne sont pas reproduits, que seul l'ajout qui est fait par la loi nouvelle est mentionné, sauf à avoir sur sa table tous les Codes concernés ouverts, ainsi que les lois, on ne peut comprendre l'état du droit qui résulte de la loi nouvelle, faute d'avoir la cartographie juridique à sa disposition.
3° Une loi instrumentale.
C'est une nouvelle façon de faire les lois. Pourquoi pas.
La loi est mal écrite, mal rangée, mais l'essentiel est dans son but. Ici, l'égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, la loi est un instrument et son objet est constitué par son but. Le but de la loi est son objet même. La loi est désormais purement téléologique.
C'est une conception technocratique de la façon de faire les lois.
D'une façon logique, la loi du 4 août 2014 pose que de nombreuses dispositions s'appliqueront d'une façon expérimentale et que leurs effets seront évalués. C'est donc avant tout le Gouvernement qui utilise ce qu'il convient d'appeler "l'instrument législatif". D'ailleurs, il prévoit d'utiliser la technique des ordonnances de l'article 38 de la Constitution, technique d'intrusion de l'Exécutif dans le domaine du Législatif, pour faire progresser la présence des femmes dans les A.A.I. Ainsi, la loi n'est qu'un outil administratif.
Mais si l'on utilise la loi de cette façon, il faudrait être d'autant plus soucieux de ne pas en faire une "loi-valise" (v. supra). Et il faudrait être sûr d'arriver à ses fins ... Or, ne sommes-nous pas en la matière dans une question où, comme le disait Carbonnier, le droit n'est un mince vernis à la surface des choses ? Mais il est possible que le Législateur ne lise guère le Doyen Carbonnier. Qui n'écrivait pas les lois de cette façon.
4° Une loi symbolique
La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes est une "loi symbolique".
Et pourquoi pas.
C'est sans doute la qualité qu'on peut lui trouver.
En effet, la ministre qui est à son origine a insisté pour qu'elle soit promulguée ce jour-là, le 4 août, en souvenir du jour où, en 1789, les privilèges furent abolis. Il s'agit ici de symboliser les privilèges des hommes qu'il s'agit d'abolir symboliquement. On sent que la lecture de Bourdieu a occupé longtemps les concepteurs de la loi, oscillant entre la "domination masculine" et les critical legal studies. Selon la théorie de la "légalité socialiste", c'est par le feu que l'on combat le feu, c'est-à-dire que c'est par la loi que l'on doit combattre le droit qui exprime la domination des hommes (v. infra le sort réservé au "bon père de famille").
Le second symbole est dans le titre, à savoir le fait de mentionner les femmes avant les hommes. C'est de l'égalité entre "les femmes et les hommes" et non l'inverse dont il s'agit. Non affaire de galanterie, non affaire de tenir la porte de la loi aux femmes, mais affaire de pousser les hommes de côté.
Pourquoi pas.
Le symbolique est très important en droit. Gurvich l'a montré. Le droit est affaire de symbolique et les lois symboliques peuvent avoir un effet, par les seuls propos qu'elles tiennent.
Ainsi, la date et le titre peuvent avoir plus d'effet que les dispositions qui visent à lutter contre les "stéréotypes", car la loi, qui est performative, n'a pas d'outil pour cela. C'est l'administration qui le peut. Mais c'est alors confondre la législation et les politiques publiques. Ou bien concevoir la Loi comme un seul outil parmi d'autres de politiques publiques, c'est-à-dire en rabaisser le statut.
5° Une loi qui traite le Code civil comme une loi ordinaire
Parmi le flot de dispositions, l'on trouve mention du Code civil. Il a perdu sa majuscule. Sans doute celle-ci était-il l'expression de la domination masculine, souvenir de Napoléon.
Le Législateur, qui sait utiliser les fonctions du logiciel du pack-office, a repéré toutes les occurrences de l'expression "bon père de famille". Dans les travaux préparatoires, le ministère à l'origine du projet de loi a expliqué que cette expression exprime la "domination masculine" et qu'elle doit donc être rayée de notre droit.
Il est probable que le Législateur de 2014 n'a pas jugé utile d'étudier le droit romain. Pourtant le pater familias, car c'est de lui dont on parle, est une figure symbolique du droit, qui vise celui qui prend en charge les intérêts d'autrui de préférence à ses intérêts propres, comme le fait celui qui exerce l'autorité parentale.
Le Législateur a fait comme tout bon assistant : il a remplacé toute occurrence du "bon père de famille" (fonction "remplacer par") par l'adverbe "raisonnablement".
En premier lieu, le "bon père de famille" est un "standard juridique" qui ne renvoie pas toujours au fait d'être raisonnable, mais bien plutôt de préférer l'intérêt d'autrui au sien propre. Il aurait fallu regarder article par article du Code civil, qui n'est pas un code comme un autre, et trouver une formulation plus adéquate, si l'on persistait dans cette perception paranoïaque du "père de famille", étouffant femme et enfant.
En second lieu, le législateur choisit de substituer à l'expression un adverbe : "raisonnablement".
Or, les adverbes sont prescrits dans l'art de bien manier la langue française. L'art législatif consiste aujourd'hui à bien écrire.
Mais c'est sans doute un souci qui n'anime plus un Législateur plus que moderne.
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