25 novembre 2010

Conférences

QPC, autorités de concurrence et de régulation économique : implications institutionnelles, in "Question prioritaire de constitutionnalité et droit des affaires"

par Marie-Anne Frison-Roche

Université du Maine

Cette présentation orale a servi de base à l'article publié par la suite.

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Les autorités de concurrence et de régulation économiques et financières vont être dans le mécanisme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité confrontées à la Constitution principalement à propos des questions institutionnelles. Elles ont vocation à l’être à propos du droit d’action dans le lien que celui-ci entretient avec les droits de la défense. En effet, qu’il s’agisse du droit d’action d’origine, à travers l’auto-saisine, ou du droit d’action « à double détente » à travers le droit de recours et la présence de l’autorité dans l’instance de recours, cela constitue l’autorité comme juge et partie, situation contraire à la Constitution. En outre, l’impartialité est un principe constitutionnel autonome et les autorités doivent donner à voir leur impartialité objective. Malgré la séparation fonctionnelle de l’organisation interne, ce cumul des pouvoirs d’une partie et des pouvoir d’un juge n’est pas conforme à la Constitution et une QPC pourrait le relever. Une solution consisterait à créer des ministères publics ad hoc qui exerceraient les droits d’une partie objective, tandis que l’autorité exercerait le pouvoir de juger.

Comme le montre le rapport parlementaire du 29 octobre 2010, le climat politique français actuel est hostile aux Autorités administratives indépendantes, notamment économique. Cette agressivité englobe aussi bien l'Autorité de concurrence, organisme qui intervient d'une façon ex post et ponctuellement, que des multiples Autorités de régulation qui interviennent d'une façon ex ante et permanente en construisant les secteurs et en développant pour cela de beaucoup plus amples pouvoirs qu'elles concentrent.

Certes, on continue de soutenir que ces Autorités répressives ne sont que administratives et c'est pourquoi le Parlement se refuse de conférer un pouvoir de sanction à la HALDE, pour, selon lui, ne pas la transformer en juridiction. L'ambiguïté persiste dans l'arrêt du Conseil d’État du 3 décembre 1998, Didier, qui affirme que le Conseil des Bourses de Valeur (CBV) est juridiquement un organe administratif mais au sens européen un tribunal.

Le Conseil constitutionnel a quant à lui évoluer. En effet, s'il posa dans sa décision du 223 janvier 1987 Conseil de la concurrence, que celui-ci est un organisme administratif, sa décision du 28 juillet 1989, Commission des opérations de bourse (COB) par la voix d'une double qualification, à la fois administrative et juridictionnelle, tandis que sa décision du 23 juillet 1996 Autorité de régulation des Télécommunications (ART) puisque qu'elle applique à l'Autorité la règle pénale non bis idem, reconnait tacitement sa qualité juridictionnelle. 

C'est en cela converger vers l'analyse de la Cour européenne des droits de l'homme et de l'usage que font les juridictions internes de l'article 6 alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Conseil constitutionnel est assez timoré en matière économique, pour des raisons aussi bien techniques que sociologiques, et l'on peut penser que c'est par le biais procédural que les QPC vont prospérer en la matière, c'est pourquoi c'est dans l'organisation institutionnelle que le droit économique

va être appréhendé par le Conseil constitutionnel à travers les QPC.

Certes, la jurisprudence du Conseil la plus ancrée se réfère au droit de la défense, principe de base des procédures répressives et au principe du contradictoire, principe d'organisation consubstantielle au procès. Mais ces deux références constitutionnelles peuvent s'exprimer d'une façon plus large, objective et moderne à travers d'une part le droit d'action (I) et d'autre part l'impératif d'impartialité (II).

I. En ce qui concerne le droit d'action, il convient de distingue ce que l'on peut qualifier de droit d'action "d'origine" et vise en cela le pouvoir d'auto-saisine dont dispose ces Autorités (A) avant d'examiner le droit d'action que l'on pourrait qualifier "à double détente", c'est-à-dire les droits dont disposent les autorités à l'occasion des recours contre leurs décisions (B).

A. L'auto-saisine dont ces autorités dispose correspond au droit d'action, tel que défini par l'article 30 al. 1 du code de procédure civile. Ainsi, selon la distinction opérée par Pierre Hébraud, l'Autorité qui n'est pas partie au litige est nécessairement partie à l'instance. A ce titre, elle demande une sanction quant tant que juge elle inflige, elle est juge et partie.

Pour demeurer impartiale et satisfaire la Constitution, il faudrait que l'Autorité se contredise, ce à quoi la collégialité ou plus encore la séparation fonctionnelle interne peut aboutir. Ce fut le cas dans la décision de la Commission des sanctions du 27 novembre 2009 qui déclara qu'il n'avait pas lieu à sanction alors que le collège avait poursuivi sur saisine du Président.

Mais dès le lendemain matin, ce président donna un interview dans la presse pour dire que cette situation était en régulation insupportable, portait atteinte à "l'autorité" de l'Autorité, car les marchés ne supportent pas la contradiction. Il est facile de voir un lien de conséquence avec l'apport fait par la loi du 22 octobre 2010 qui permet à un membre du collège d'être fortement présent lors de la procédure de sanction.

Mais l'on voit bien que ce droit d'auto-saisine constitue une aporie. En effet, il constitue par nature une atteinte à l'impartialité, ce que ne peut pas supporter la Constitution. Néanmoins, la régulation ne peut reposer sur les seules actions des victimes trop faibles ou en risque de représailles. Donc, l'auto-saisine parait absolument nécessaire aux Autorités. On peut résoudre l'aporie en disait que la formulation doit être plus finement que l'Autorité doit être saisie par d'autres que les victimes et par une partie impartiale et forte la solution institutionnelle serait donc la création de sorte de ministère public  ad hoc, auprès de chaque Autorité.

B. Le droit d'action s'exerce à double détente à travers le recours. Tout d'abord, il peut être le droit pour les autorités de saisir le juge d'une prétention, comme c'est le cas pour l'Autorité de la concurrence qui peut former un pourvoi ou depuis la loi du 22 octobre 2010 pour un membre du collège de l'AMF de demander une sanction au collège de l'AMF.

Mais, l'article 30 al. 2 du Code de procédure civile dispose que le fait de demander au juge de rejeter la prétention du demandeur est lui aussi l'exercice d'un droit d'action. Or, toutes les autorités ont le droit de formuler des observations devant la Cour d'appel. D'ailleurs, si l'on prend le texte le plus récent de la loi du 22 octobre 2010, le membre du collège de l'AMF formulera ses observations pour défendre sa décision. C'est d'ailleurs de pure logique car l'autorité ne peut que soutenir la thèse de la pertinence de sa décision devant la juridiction de recours. Donc, par ses observations, l'Autorité demande bien le rejet du recours formé contre sa décision et exerce un droit d'action. Elle est donc une nouvelle fois juge et partie.

II. Les Autorités de concurrence et de régulation économique et financière doivent également respecter l'impartialité. Le principe d'impartialité a eu tout d'abord une valeur constitutionnelle par sa jonction très étroite avec les droits de la défense, qui sont eux-mêmes de valeur constitutionnelle. De façon plus générale encore, le Conseil constitutionnel a utilisé l'article 16 de la Déclaration de 1789, qui exige la garantie des droits, sans laquelle "il n'y a pas de Constitution" pour en tirer l'exigence d'impartialité des organismes qui jugent. On retrouve cela notamment dans ses décisions du 20 février 2003, Loi relatives aux juges de proximité, et du 28 décembre 2008 Loi pour le développement de la participation de l'actionnariat salarié.

Il faut distinguer l'impartialité personnelle, tenant à la personne de celui qui juge, et l'impartialité structurelle tenant à l'organisation de l'institution qui va juger. Cette première distinction en croise une seconde, celle qui distingue l'impartialité subjective sui concerne le fort intérieur de celui qui juge et lui interdit d'avoir un intérêt dans le litige, et l'impartialité objective qui interdit que la position de la personne ou de l'organisation crée une situation de préjugé. Il y a donc quatre hypothèses et exigences distinctes d'impartialité. Celle qui va concerner directement les Autorités est l'impartialité structurelle objective.

En effet, la Cour de cassation par l'arrêt d'assemblée plénière du 5 février 1999, Oury, a posé que si la personne qui a instruit le dossier participe à la phase de jugement, quand bien même il n'aurait pas de voix délibérative, parce qu'il a préjugé de l'affaire en faisant se poursuivre l'instruction et que sa présence va influencer le jugement, l'Autorité, qui doit être traitée comme un tribunal, devient structurellement partiale.

Cette notion d'impartialité apparente, d'origine anglaise, est plus exigeante que la simple impartialité puisque l'impartialité doit structurellement se donner à voir. L'arrêt Oury a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans la haute administration et tous les textes ont du être réformés pour que chaque Autorité, sauf l'Autorité de concurrence, ait désormais en son sein une commission des sanctions distinctes. Aujourd'hui on peut penser qu'en raison du rapport FSR du 20 septembre 2010 une même réforme va la toucher. On peut pareillement penser, malgré l'arrêt Habib Bank, déjà ancien, et en raison de l'arrêt plus récent la CEDH du 11 juin 2009, Duhus concernant la même Commission bancaire, la scission devra également s'opérer concernant non seulement le pouvoir d'instruire par rapport au pouvoir de juger mais encore concernant le droit d'action.

Mais cette dissociation a satisfait l'impartialité mais a rendu les Autorités incohérentes, ce qu'a montré l'affaire EADS. Cette incohérence, elle même structurelle mécontente les marchés, trouble leur anticipation car les marchés eux-mêmes veulent préjuger et attendent de l’État sa constance dans le temps, qui est la clef de la régulation.

C'est pourquoi la loi du 22 octobre 2010 est ouvertement réactionnaire, en permettant explicitement à un membre du collège de l'AMF ayant examiné le rapport d'enquête et pris par à un rapport de procédure de sanction, d'être convoqué à l'audience, d'y assister, d'y présenter des observations, au soutien des griefs notifiés et de "proposer" une sanction.

La main de l'Autorité des marchés financiers est visible dans l'écriture de la loi car l'Autorité veut retrouver son crédit à la fois à l'égard de l'Etat dont, malgré son indépendance, elle demeure l'agent et à l'égard des marchés qui lui confère sa crédibilité. Nous voilà revenu à l'âge d'avant l'arrêt Oury.

Dans ce débat toujours présent entre efficacité et garantie, ici plus centré entre la régulation et l'impartialité, les juges constitutionnels vont devoir faire la balance.

Conclusion

la balance doit être opérée entre l'efficacité de l'action de police des marchés et la sécurité juridique des personnes. En outre, la balance doit être faite entre l'impératif de célérité en opération, surtout s'il y a un risque systémique (effet domino en finance, blackout en matière énergétique) et la lenteur des garanties procédurales. Par ailleurs, la complexité des dossiers traités justifie la concentration des dossiers entre les mains de ceux qui les ont ouverts et instruits puis les jugent, tandis que l'impartialité, en émiettant les fonctions, diminue la pertinence de l’appréciation faite par le régulateur alors que l'asymétrie d'information dont il souffre le rend d'autant plus capturable. Enfin, l'impartialité fait supporter la contradiction de l'action du régulateur alors que la cohérence de l'action du régulateur dans le temps est la première exigence des marchés.

Par la QPC, le Conseil constitutionnel mettra l'équilibre et le juste fléau de la balance entre ses deux plateaux.

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