🎬Droit & Cinéma
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche., "Une représentation du Droit des internements abusifs sur le ton de la comédie : 𝑯𝒂𝒓𝒗𝒆𝒚", billet avril 2023.
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En 1950 sort un film présenté comme une comédie : Harvey.
Ce film est proprement prodigieux. Son objet paraît être un lapin blanc, celui-ci est moins préoccupé que l'autre de son retard, sauf qu'il accompagne depuis l'enfance un homme qui paraît lui aussi en décalage avec la bonne société dans laquelle il vit.
Joué admirablement par James Stewart, je personnage principal est un homme de 42 ans (42, chiffre magique en mathématiques...) qui avait tout pour lui : intelligent, il avait fait ses études à Yales et jouit de la considération d'autrui car il est le plus charmant des convives. Il vit dans une des plus belles maisons de sa petite ville car c'est à lui que sa grand-mère a tout légué. Il y accueille sa sœur et la fille de celle-ci.
Sa nature le pousse à aller dans des cafés où il boit des martinis et en offre à toutes les personnes qu'il rencontre et qu'il invite chez lui à un "dîner informel", affirmant que l'hôte sera accueilli avec grand plaisir par la maisonnée, discours tenu par exemple un homme qui vient de sortir de prison ou un manœuvre qui travaille toute la journée sur des chantiers. Il le fait selon le protocole, en donnant sa business card, en précisant à chaque fois à son interlocuteur, quel que soit celui-ci, qu'il ne faut pas utiliser ce numéro de téléphone, trop ancien, mais celui-là.
Il prétend être toujours accompagné d'Harvey, qui serait un lapin blanc d'un mètre 90, à qui il offre le deuxième martini et avec lequel il discute depuis l'enfance. Harvey serait un pooka, créature qui est ce que l'on veut.
Sa sœur décide de le faire interner. S'en suivent des péripéties, des scènes burlesques et touchantes, des drames et des affrontements. Le personnage et son double les traversent avec grâce et une grande amabilité.
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De ce film magnifique, l'on peut avoir une vision sociologique, puisque les autres personnages stigmatisent le comportement du personnage, estimant qu'il doit être mis hors de la société grâce à un internement d'office car il boit trop de martinis et fréquente des personnes qui ne sont pas de la bonne soirée, comme des ouvriers du bâtiment, ce qui est présentée par sa sœur comme une preuve incontestable de folie.
L'on peut en avoir aussi une vision philosophique, puisque le personnage accepte toujours de discuter avec quiconque, notamment avec les médecins, puisqu'il raconte que sa mère lui expliqua quand il était petit que l'on pouvait être à la fois intelligent et aimable mais que s'il fallait choisir alors il convenait être aimable et paraître imbécile. Il avait choisi de suivre ce sage conseil de sa mère, dont il gardait ainsi le souvenir.
L'on peut en avoir encore une vision psychologique, le film projetant sur les murs l'ombre du lapin protecteur et aimable, ne laissant pas boire en solitaire, double de soi-même. Le lapin est d'ailleurs également vu par la sœur du personnage, endeuillée comme lui, tandis que les uns après les autres, le directeur de l'asile psychiatrique recherche la compagnie de la projection qui lui permet d'exprimer son désir de partir ailleurs, le personnage l'aidant à formuler cela, comme celui-ci aide tous ceux qu'il croise à trouver leur chemin, finit par le trouver, tandis que l'infirmier cherchant la définition du pooka dans le dictionnaire trouve une description dans un texte écrit qui se met à s'adresser directement à lui.
Quel beau film. Chacun se dit : il suffit donc de s'arrêter un instant et je rencontrerai ce grand sage qui me donnera le savoir et je trouverai mon chemin vers la vie heureuse.
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Mais privilégions une vision juridique de ce film extraordinaire.
Il s'agit d'une famille qui veut faire internet un de ses membres, contre la volonté de celui-ci.
Pour cela, la sœur trouve des preuves, qui sont simplement ce qu'elle considère son excentricité, qui nuit à l'entrée de sa propre fille dans le monde. Mais avant tout, elle demande à un grand "ami de la famille" : un "Juge", qui va rédiger le document pour ce faire. Celui-ci est tout prêt à le faire.
Les rebondissements font que c'est elle qui est internée, plongée dans un bain glacé, forcée de prendre des médicaments destinés à l'assommer, n'arrivant à s'en sortir que grâce au personnage principal qui prend toujours soin de tous. C'est donc celui qu'elle voulait faire interner abusivement qui la sauve de l'internement abusifs.
Dès son retour à la maison, elle décide de faire un procès au directeur de l'établissement médical et à ses médicaux, et appelle pour cela ce même personnage du "juge". Il faut donc comprendre que dans ce conte juge et avocat sont les deux faces d'une même idée qu'est le Droit. Puisque le juge à la fois conseille, explique la règle, défend, poursuit et condamne. Quand on disserte sur le non-cumul des fonctions, repensons à ce film.
Pour éviter la faillite de l'établissement médical qui peut s'en suivre, les médecins, qui maintenant considèrent que la sœur est la folle et le personnage principal celui qui est la personne saine d'esprit, font mille grâce à celui-ci pour le séduire et le convaincre du bien-fondé de leurs actions, lui proposant des cadeaux, tandis que celui-ci continue de leur donner sa carte de visite et de leur inviter à un "dîner informel".
Tout juriste au fait du Droit des internements abusifs regardera plusieurs fois Harvey, histoire qui, elle finit bien, le ton de la comédie doit être préservé, sans qu'il soit besoin qu'un Législateur n'intervienne pour établir une loi anti-cadeaux ou conférer des droits spécifiques aux personnes victimes de telles situations.
Non dans les films il n'est pas besoin de Droit. Depardon n'a pas encore donné à avoir son terrible documentaire sur la façon dont le Droit sur les internements d'office est appliqué : 12 jours.
On va juste voir en famille un film si amusant : Harvey.
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