27 septembre 2020

Interviews

"plus le monde est dérégulé, et plus on a besoin de régulation"

par Marie-Anne Frison-Roche

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., "Plus le monde est dérégulé, et plus on a besoin de régulation", Journal du Dimanche - JDD, 27 septembre 2020. 

 

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Les questions étaient les suivantes :

 

Comment définissez-vous les professions réglementées?
Un "titre" y est apposé sur les personnes, avocat, dentiste, ­notaire, etc. Ça fonctionne comme un certificat. Comme en finance – produits financiers "certifiés" – ou dans l'alimentation – aliments "certifiés" –, ce titre est un gage de traçabilité : il crédite aux yeux de tous la personne d'une compétence qu'il n'est a priori pas nécessaire de vérifier. Ces professions structurées sont des piliers de la vie économique et sociale car les accréditeurs [autorités publiques ou instances professionnelles] garantissent l'indépendance et le dévouement du professionnel. Ainsi l'adjectif "réglementées" parvient sans doute mal à définir à lui seul ces professions. Je parlerais plutôt de "professions publiquement structurées".

Est-ce un système qui a de l'avenir?
Oui, très grand ! Dans un monde ouvert qui cherche ses repères et sa stabilité, les professions réglementées, parce qu'elles sont structurées et structurantes, seront essentielles. Ainsi, plus le monde est dérégulé, plus on a besoin de régulation ! Le paradoxe n'est qu'apparent. Il faut arrêter ­d'opposer marché et État. Moins il y a de réglementations fixes, plus on a besoin de repères. Par exemple, j'arrive dans un pays étranger et j'ai un problème de droit : mon premier réflexe sera de trouver un avocat, en qui j'aurai confiance du fait de son titre, qui valide a priori ses compétences et son intégrité.

Les professions réglementées ont été attaquées, presque cernées, par le droit de la concurrence

 

Nous vivons visiblement le contraire, avec l'explosion de sites d'avis et de conseils…
Justement, voilà la question de la source, de savoir qui certifie : ici ce sont les clients ou des amis des clients, il n'y a plus de distinction entre le certificateur et ­l'utilisateur. Cette absence de distance produit une ­capture et la perte ­catastrophique d'une ­exigence clé de tout ­système évolué : ­l'impartialité et ­l'indépendance de celui qui juge.

Comment les professions réglementées ont-elles évolué ces dernières années?
Elles ont été attaquées, presque cernées, par le droit de la concurrence. La direction de la concurrence de la Commission européenne ou l'Autorité de la concurrence en France tenaient le raisonnement suivant : les ­diplômes spécifiques exigés et les structures ­professionnelles ­verrouillent le secteur, il faut ­l'aérer. Ce droit conçoit la ­régulation comme une transition vers la concurrence et non comme un équilibre entre concurrence et, par exemple, le souci de la personne. Les professions dites "réglementées" sont au contraire structurées pour maintenir cet équilibre entre le dynamisme de la concurrence et l'humanisme du droit. Sur ce point, avocats et notaires doivent unir leurs forces.

Quelle vision avez-vous de la réforme Macron, entamée il y a cinq ans?
Elle est allée dans le sens de la concurrence, mais avec en filigrane une perspective de régulation définitive et non une transition avec un marché du droit pur et simple. Les instances de la concurrence conçoivent sans doute la société à travers le seul prisme du ­marché concurrentiel, mais l'Europe s'en détache de plus en plus. Il y a ­aujourd'hui l'ambition de construire une Europe souveraine qui ne peut pas être simplement concurrentielle. Les professions réglementées ont en ce sens un rôle essentiel à jouer, notamment par l'accélération de leur transition numérique, souhaitée pour les avocats et par le rapport Perben, et mise en oeuvre par les notaires.

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