par Marie-Anne Frison-Roche
Colloque organisé par la Revue de droit d'Assas (troisième colloque annuel)
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Puisqu'il s'agit d'une table ronde, il ne s'agit ici que de lancer quelques questions pour mieux les faire tourner.
- L'ambiguïté du vocabulaire. L'amicus Curiae est celui qui vient offrir à la Cour son savoir car d'une part la Cour ne détient pas ce savoir (c'est la raison du côté de la Cour, la raison pour laquelle elle fait venir cette personne) et d'autre part celui-ci le lui apporte car il est littéralement son ami.
- Mais ces deux conditions ont été fondamentalement contestées voire raillées.
- En effet, pour que la Cour en appelle à ce tiers, il faut qu'elle admette sa méconnaissance. Or, l'expertise ne peut porter que sur du fait, en opposition au droit et du fait particulier, en opposition au fait général.
- Si la Cour se met à vouloir connaître du fait général, par exemple le mécanisme de l'assurance, un comportement professionnel global, etc, elle reconnaît qu'elle ne se saisit plus d'un fait particulier mais d'un fait général, bref qu'elle est législateur. Il est encore de bon aloi, même aujourd’hui de le masquer et de dire que le juge n'est saisi que de fait particulier.
- De la même façon, il est de bon aloi quand on apprend le droit de l'opposer au fait et de dire que le juge peut ne pas connaître le fait et nommer un expert. Mais puisque la distinction du fait et du droit est une summa divisio, que le droit est l'apanage du juge (Henri Motulsky), l'adage demeure actif : la Cour connaît le droit. Donc, la Cour ne peut déchoir, se méconnaître et faire s'effondrer le système en posant qu'elle ignore le droit et demander à un ami de l'éclairer. L'expertise de droit qui se glisse dans l'initiative prétorienne de l'amicus curiae se heurte à ces dogmes.
- Mais il y a bien longtemps que l'on sait que la Cour traite le fait en général. Il faudra aussi l'admettre institutionnellement à travers la notion de Cour suprême. Dès lors, la seule procédure particulière ne suffit pas à l'éclairer sur les faits globaux, sociaux ou économiques.
- La deuxième objection ne vaut pas plus. L'adage exacte selon lequel la Cour connaît le droit signifie simplement que la partie n'est pas astreinte à autre chose qu'à proposer à la Cour un édifice de faits prouvés, la Cour devant rechercher le droit. Cela ne suppose pas un juge herculéen qui connaisse le droit. D'ailleurs, le pragmatisme, inversant les qualifications a transformé la loi étrangère en fait, pour alléger le travail du juge. Dès lors, pourquoi la Cour ne serait-elle pas instruite en droit par un ami ? Rien ne lui interdit de partager ce fardeau.
- Encore faut-il, et c'est mon second point qu'en partageant ce fardeau, elle ne partage pas son pouvoir. Or l'on sait que tout transfert de travail est de fait une délégation de pouvoir.
- Deux modèles de l'amicus curiae peuvent alors s'offrir. Le "modèle héroïque" d'un ami de la Cour qui, indifférent aux intérêts privés, va agir pour le bien public et guider la Cour dans les voies du savoir, du droit, de l'éthique, de la science, de la technique (financière, médicale, etc.). Peut-être que de tels héros existent alors même que pour être savant il faut être au plus près des intérêts partisans (par exemple, qui connait mieux la banque que l'Association Française des Banques). On retombe dans le choix entre le désintéressement du véritable ami de la Cour mais qui va peu lui apporter et la compétence de personnalités trop proches des intérêts en cause, le tartuffe de la pièce.
- Ne faut-il pas alors, s'inspirant de l'expérience en droit étranger et en droit international des "experts de parties", prendre acte qu'il est probable que les amici curiae ont un discours assez imprégné du milieu professionnel dont ils sont proches (par exemple, la Fédération Française des sociétés d'assurance en ce qui concerne les intérêts des sociétés d'assurances). Mais c'est une différence de gradation plus qu'une différence tranchée par rapport à des experts ordinaires et les magistrats ont l'habitude de savoir "écouter" les experts en retirant le biais du discours expertale, par ailleurs chargé d'expériences et de savoir. Ainsi, qui mieux que les compagnies d'assurances peuvent fournir des études chiffrant sur le long terme des effets de possibles choix en responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, dans une analyse économique du droit ?
- Plus encore, comme l'a dit la cour suprême des Etats-Unis, l’essentiel est de soumettre au débat contradictoire les expertises, car qu’elles portent sur des faits particuliers ou des fait généraux, qu’elles portent sur du droit ou sur du fait, qu’elles soient l’œuvre d’hypothétiques héros ou de savants influencés par des intérêts privés, c’est la contestation qui est l’amie du juge.
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