25 mai 2018

droit illustré

L'épouvantable image du "Chief Compliance Officer" renvoyée par la série américaine "Billions". Faisons en sorte qu'elle ne soit pas fidèle

par Marie-Anne Frison-Roche

La série Billions a de nombreux attraits.  Est actuellement disponible sa troisième saison. 

Cette série fait penser sur le fond et sur la façon dont les personnages sont conçus dans "L'avocat du diable",  film qui se situe dans le monde des avocats pénalistes de New-York et dans lequel le diable affirme qu'il ne peut s'incarner mieux sur terre que dans le personnage de l'avocat, ainsi qu'au "Loup de Wall Street", dont Scorsese souligne qu'il a réalisé un documentaire!footnote-1223.  

Dans cette série Billions, il s'agit d'une sorte de duel exquis et à mort entre un créateur de fonds de gestion alternative d'actifs qui a fait fortune grâce à l'attaque du 11 septembre (ce qui correspond à un fait réel) et un procureur fédéral, l'épouse de celui-ci étant la psychologue-confidente-employée du premier. L'ensemble des autorités publiques (SEC, FBI, les différents niveaux des autorités de poursuites pénales) soupçonnent le financier en phase avec le monde, voire le savent, auteur de nombreux délits financiers, comme des délits d'initié et manipulations de marchés. Son double, en phase avec la règle, est prêt à tout pour le soumettre à la Loi.

Laissons de côté la trame intime du trio, et ne développons pas même ce que cette série apprend sur le Droit de la régulation financière, sur le plea bargaining , sur la procédure américaine si particulière!footnote-1222 ou sur les relations entre l'Attorney General et les procureurs. 

 

 

 

Cette saison 3 continue de restituer exactement les règles applicables aux pratiques des hedges funds, de décrire le fonctionnement juridictionnel américain, de souligner la violence et la part de politique, venant notamment du fait que les procureurs peuvent entamer des carrières politiques, notamment pour devenir gouverneurs (et là aussi, l'on songe à des cas).

Prenons ici une perspective plus resserrée : dans la Saison 3, apparaît un personnage nouveau : le Chief Compliance Officer, puisqu'en droit français, de la même que la Compliance est un terme qui n'est pas traduit!footnote-1224, celui qui est au sein de l'entreprise chargée de la faire respecter ne l'est pas davantage.

Le Chief Compliance Officer apparait donc. 

Certes, dans The wolf of Wall Street , ce personnage-là est absent, alors qu'avocat et procureur, règles, sanctions, amendes, juges et prisons sont déjà là. De la même façon que dans les saisons 1 et 2, nous n'avions vent de la Compliance ni de celui qui en porte le souci dans une entreprise de gestion d'actifs. 

Le personnage est là, la Compliance s'est donc installée.

Mais le portrait n'est pas flatteur ,  bien éloigné de celui souvent dessiné avec soin par ailleurs... (I)

A tel point qu'un tel spectateur peut faire naître quelque inquiétude ... (II)

 

Lire ci-dessous les développements de l'analyse. 

3

Sur ce phénomène d'"étrangeté", v. Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016. 

I. UN PERSONNAGE A L'ESPRIT ÉTROIT ET BUTE, A LA MERCI D'UN CHEF D'ENTREPRISE QUI SE JOUE DES RÈGLES

Le personnage qui dans la Saison 3 est Chief Compliance Officer dans la firme de gestion d'actif n'est pourtant pas un inconnu du spectateur. Dans les saisons précédentes, il était un membre du FBI.

A ce titre, il travaillait avec le procureur, premier personnage principal de la série. Il n'était pas très puissant, ni très malin, le procureur arrivant sans difficulté à le manipuler.

Sans que le spectateur ne soit informé du pourquoi du comment, il le retrouve CCO dans l'entreprise de l'autre personnage principal, le gestionnaire d'actifs!footnote-1225

Et là encore, le spectateur le découvre au hasard d'une scène. 

Il le découvre avec les mêmes caractéristique : il n'est ni très malin, ni très puissant vis-à-vis de son employeur.

Lorsqu'il s'avise de vouloir faire respecter les règles, non seulement en relevant un comportement illicite d'un trader mais encore en évoquant la possibilité de le dénoncer aux autorités publiques, il se fait immédiatement inviter dans un restaurant très cher - afin qu'il mesure la puissance financière du chef - et une question lui est posée : "pourquoi pensez-vous que vous avez été recruté ?" :

Et notre CCO de répondre que c'est ses connaissances juridiques, ses diplômes, son parcours remarqué à la SEC, son sens de l'éthique, son aptitude à faire respecter les règles dans l'entreprise, qui en ont fait le profil idéal pour le poste.

Les deux autres, à savoir le chef d'entreprise et son second (ami de toujours) posent alors une nouvelle question : "et pas l'argent que nous vous donnons?".

L'autre, qui commence à perdre de sa superbe, reconnait que cela a joué, mais enfin, enfin, c'est bien son attrait pour la règle de droit et son respect effectif qui l'ont mené là.

Alors les deux compères lui expliquent avant de le congédier de la table et de le retrouver docile le lendemain au bureau : qu'il est à leur service ; qu'il n'est pas là pour ordonner quoi que ce soit à qui que ce soit, qu'il est simplement payé pour leur éviter qu'ils subissent des désagréments dans l'usage qu'ils font des règles dans le seul but qui est celui de l'entreprise, à savoir gagner de l'argent. 

Le spectateur ne voit pas la suite, et il faut donc comprendre qu'il ne répondra pas, qu'il se soumet, l'entreprise reprenant son chemin ordinaire, à savoir la recherche maximale de l'argent. 

Par ailleurs, ce personnage utilise l'argent qu'il reçoit - c'est-à-dire beaucoup par rapport aux fonctionnaires de son monde d'avant, mais bien peu par rapport au monde dans lequel il croit avoir pénétré - à acheter une ferrari et porte une veste rouge et blanche en cuir, qui le fait ressembler à un épouvantail. 

Il aime beaucoup sa voiture. Tandis que les autres n'ont pas de tels signes et portent des tee-shirts (sauf s'il s'agit d'aller dans l'autre monde, c'est-à-dire d'aller voir un procureur, auquel cas ils se mettent en costume sur mesure, chemise blanche et cravate). 

Lors de l'incident par lequel il a relevé le comportement illicite du trader, ce qu'admet tout à fait le chef d'entreprise tant que l'extérieur ne sache rien, le chef d'entreprise exige du trader qu'il présente des excuses publiques au Chief Compliance Officer. Ce qui est fait. Car un chef d'entreprise est avant tout un "chef". Puis, le trader prend sa voiture et démolit totalement la voiture rouge du CCO. Et semble-t-il sans qu'aucune sanction ne soit prise, puisque cela ne peut donner prise à une action des régulateurs contre l'entreprise.

Enfin, ce feuilleton faisait passer les personnages de crise en crise, une réunion a lieu dans le bureau tout en verre du chef d'entreprise. Ainsi, tout est "transparence" .... Mais personne ne peut savoir ce qui se dit car aucun son ne sort jamais. 

Il y a trois personnes sur un sujet qui concerne directement le respect des règles, puisqu'il s'agit d'un délit d'initié et de la perspective pour les uns et pour les autres d'aller en prison, un plea bargaining permettant de sauver l'un mais d'y expédier définitivement l'autre.

Le CCO  n'est pas présent : il y a le CEO (interdit de gérer par une mesure judiciaire obtenue en sous-main par le procureur fédéral), son second et son avocat. Le CCO veut entrer. Il est tout d'abord sommé de sortir. Car selon les autres il n'a rien à faire dans une réunion de ce type. Comme il insiste, l'avocat lui présente un document pour qu'il le signe car tout le temps de parole qu'il prend doit être comptabilisé sur le Time sheet de l'avocat. On lui fait remarquer à la fois son inutilité mais le poids financier qu'il représente ainsi, avant de le mettre à la porte.

Puis, il s'avère que, ayant une initiative qu'il croit heureuse vis-à-vis de ses anciens collègues des autorités publiques, il a au contraire mis en graves difficultés le chef d'entreprise et des personnes proches. 

Les autres concluent qu'ils ne peuvent le licencier car cela accréditerait qu'ils sont tous des escroqueries, mais le spectateur comprend donc tout seul que ce nouveau personnage de Chief Compliance Officer est un crétin, un vaniteux, un vénal, un inutile et un coûteux. 

De ce personnage ridicule, le spectateur en conclut aussi que cette "Compliance" dont il se vante tant ne sert à rien non plus, puisque cela n'a rien d'entraver en rien ce gestionnaire de fonds qui se joue des règles et qu'heureusement le Procureur est là, avec son habileté, son intelligence, sa maîtrise et le Droit pénal.

Voilà ....

 

II. POURQUOI UNE TELLE REPRÉSENTATION ?

Pourquoi  une représentation à ce point négative,voire burlesque (car il s'agit quasiment d'un clown, traité comme tel par tout le monde, manipulé par tous, aussi bien par le chef d'entreprise que par le procureur, un personnage "secondaire" par excellence ....), de la Compliance et de celui qui l'exprime dans l'entreprise ?

Sans doute est-ce ainsi que les entreprises, voire les autorités publiques et les cabinets d'avocat se représentent les Compliance Officers....

Quelque chose qui ne sert à rien, maniés par des personnes qui ne comprennent rien, qui coûtent un peu mais qui sont aisément neutralisés.

Une sorte de mal nécessaire, qui permet à quelques fonctionnaires secondaires de se translater en personnages secondaires dans l'entreprise, sans que rien ne change.

A regarder cette série, cela signifie que personne n'y croie et que pour "jouer" à la Compliance, on habille celle-ci par un personnage burlesque avec un costume sinistre sur lequel se superpose une veste de coureur de formule 1, un comportement ridicule et une incompréhension totale du monde.

C'est dommage, c'est même très dommage, si l'on estime que la Compliance pourrait bien être une solution à des impasses actuelles. 

 

III. QUID FACERE ?

Que faire ?

Faire un film dont le super-héros manierait la Compliance. 

Nous avons tant de films dont les héros sont soit des juges, soit des avocats.

On attend maintenant un film dont le sujet serait la Compliance et l'un des personnages non-secondaire serait celui qui se charge de son effectivité.

Sans doute est-ce parce que pour l'instant la Compliance a surtout coûté aux entreprises, notamment européenne, ce qui glisse dans les scripts, une représentation de ce genre.

Et si l'on changeait de genre ?

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Voilà comment un cabinet de recrutement présente la chose : " Des passerelles pour des candidats en poste au sein du régulateur/superviseur vers les acteurs privés (banques, assurances, private equity…) sont également possibles. Les profils venant de l’AMF sont en effet appréciés des clients pour des postes de Compliance Officer « regulatory », par exemple, ou de RCCI. À noter que ces candidats ne représentent pas la majorité des profils recrutés.Comment identifier le candidat idéal ? Les réponses à cette question cruciale seront différentes selon les environnements et le positionnement. Pour un poste d’encadrement, les soft skills seront autant mises en avant que les compétences techniques : pédagogie, faculté à diffuser la culture de la conformité, aptitude à encadrer des profils issus d’univers variés et/ou internationaux. Un expert sera davantage apprécié sur son expérience et sa connaissance métier, un junior sur son évolutivité, sa capacité à monter en compétences et à prendre du recul sur sa formation académique. Aujourd’hui, les banques sont prêtes à valoriser, en termes d’évolution et de salaires, les fonctions conformité pour des candidats capables d’appréhender l’ADN de la société et de se projeter dans un projet d’entreprise." (Granveau, S, Le délicat recrutement des Compliance Officers, 2018).

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