To read this article in English, click on the British flag
Le Droit de la Compliance, comme le Droit de la Régulation dont il est un prolongement, est un Droit Ex Ante.
Il se traduit dans un ensemble d'obligations que les entreprises doivent exécuter pour que des comportements dommageables ne se produisent pas, par exemple des corruptions, du blanchiment d'argent, de la pollution, etc.
Il en résulte des obligations "structurelles", comme l'établissement d'une cartographie des risques, un dispositif de vigilance sur des tiers liés, des contrôles internes, l'adoption de codes.
La question pratique qui se pose est de savoir si pour sanctionner une entreprise, il faut mais il suffit que l'entreprise n'ait pas adopté ces mesures structurelles, ou bien s'il faut aussi qu'en son sein ou à travers les personnes dont elle doit répondre (à travers les mandataires sociaux et les salariés, mais aussi les fournisseurs, les sous-contractants, les opérateurs financés, etc.) il y a eu les comportements que le Droit de la compliance a pour fin d'éviter, par exemple une corruption, un blanchiment d'argent, une pollution, un accident lié à la sécurité, etc.
La question est de nature probatoire. Son enjeu pratique est considérable.
Car pour obtenir la condamnation l'autorité de poursuite devra démontrer non seulement une défaillance dans le dispositif structurel mais encore une défaillance comportementale.
Si l'on considère que le Droit de la Compliance est à la fois sur l'Ex Ante et sur l'Ex Post, alors l'autorité de poursuite qui requiert une sanction doit démontrer qu'il y a un comportement reprochable (Ex Post) et qu'à cela correspond une défaillance structurelle (par exemple le compte bancaire anormal n'a pas été signalé) ; si l'on considère que le Droit de la Compliance est purement en Ex Ante, alors même s'il n'y a pas de comportement reprochable en Ex Post, la seule défaillance structurelle suffit pour que l'entreprise qui doit l'organiser en son sein soit sanctionné.
Le second système, beaucoup plus répressif et qui fait porter sur les entreprises une charge considérable même s'il n'y a pas de comportement illicite démontré, est celui du Droit français, sans doute par une tendance vers l'organisation Ex Ante....
Mais il faut garder mesure. Et cette mesure est probatoire.
C'est ce que vient de dire la Commission des sanctions de l'Agence Française Anticorruption, dans sa décision du 4 juillet 2019, SAS S. et Madame C., contredisant la position de son directeur, qui agissait comme autorité de poursuite. Preuve une nouvelle fois de l'autonomie de la Commission des sanctions par rapport à l'Autorité administrative dont elle fait partie, et par rapport à son directeur qui pourtant gouverne celle-ci. Mais, modèle juridictionnel oblige, il a ici le statut d'autorité de poursuite, est soumis au régime de celle-ci et non pas au régime de chef de l'ensemble. Manifestation de "l'autonomie fonctionnelle" des organes de sanction au sein des Autorités administratives de Régulation et de Compliance.
En effet, cette décision importante exprime avec précision et raison la répartition de la "charge de l'allégation" et de la "charge de la preuve" sur l'organe de poursuite et sur l'entreprise poursuivie, ainsi que le rôle de présomption que peuvent y jouer les recommandations émises par l'Autorité française anticorruption.
Lire l'analyse ci-dessous.
Pendant le temps de la recherche des preuves par les services de l'Agence Française Anticorruption (AFA), l'entreprise avait articulé de nombreux griefs pour résister à la notification des griefs que lui avait faite le Directeur de l'AFA, greifs tenant à la légalité des délits et des peines ainsi qu'aux droits de la défense. Mais au nom de la notion de "l'utilité" et de l'efficacité, ceux-ci n'ont pas été retenus par la Commission des sanctions.
En effet d'une façon générale, les principes de procédure ont été très "assouplis" au nom du principe de l'efficacité. Les avocats trouvent parfois une Cour constitutionnelle pour entendre leurs plaintes, mais les organes de répression, parfois étonnamment appelée (comme dans les présentations faites par l'Autorité des Marchés Financiers) la "filière de la répression", préfèrent arbitrer du côté de l'efficacité que du côté des garanties fondamentales. Toutes les entreprises n'ont donc pas la chance d'EADS.
Mais c'est sur le système probatoire que la Commission des sanctions va refuser de suivre le Directeur de l'AFA, autorité de poursuite. La Commission estime d'ailleurs procéder en cela à une "analyse sur le fond", ce qui montre bien que la preuve relève davantage du fond que de la forme, puisqu'il s'agit de faire entrer des éléments de fait dans les qualifications répressives requises pour que la sanction prévue par les textes se déclenche.
Et même si la preuve est libre quant aux moyen de preuve, le système des charges de preuve est imposé par le Droit. Or, qui supporte la charge de preuve en endure aussi le risque, puisqu'à la fin si l'on ne sait pas, l'on ne doit pas condamner. En outre, la charge de preuve commence toujours par peser sur l'Autorité de poursuite, jamais sur l'assujetti à la règle. On l'oublie si souvent en Droit de la Régulation et en Droit de la Compliance, malgré la dimension répressive de ceux-ci et l'interférence de la présomption d'innocence, règle de fond qui bloque sur les épaules de l'Autorité de poursuite cette charge de preuve, qu'on est comme étonné de retrouver dans cette décision du 4 juillet 2019 ce rappel élémentaire.
En effet, la Commission des sanctions commence par rapport que l'article 17 de la loi dite "Sapin 2" oblige les entreprises assujettis à établir de nombreux dispositifs : cartographie des risques, audit interne, contrôle, etc. La décision rappelle que "il incombe au directeur de l'Agence qui propose l'application de mesures revêtant un caractère de santion de constater le manquement qu'il invoque".
C'est donc bien sur l'Autorité de poursuite que le poids est mis.
Mais, pour reprendre la distinction faite par Motulsky, et couramment appliquée par exemple en Droit de la concurrence, le Directeur n'a pas à prouver la réalité des faits qu'il invoque, mais seulement leur vraisemblance. Il ne supporte donc pas une "charge de preuve", mais seulement une "charge d'allégation". La décision s'exprime en ces termes : "Lorsque l’exercice de ses pouvoirs de contrôle lui ont permis de réunir des éléments rendant vraisemblable un manquement aux obligations, énumérées par les dispositions citées ci-dessus du II de l’article 17, d’une personne à laquelle ces obligations s’imposent, il appartient à celle-ci, spontanément ou en réponse aux sollicitations de l’Agence, d’apporter les éléments dont elle est seule à disposer permettant de déterminer si elle s’acquitte des obligations qui sont les siennes et qui sont de nature à mettre l’Agence à même, à l’issue de ses contrôles, comme il est dit au dernier alinéa du 3° de l’article 3, d’apprécier la qualité..." de tout le dispositif mis en place.
Ainsi, si une vraisemblance de manquement est articulée par l'Agence, le Directeur peut mettre à la charge de l'entreprise ce qui constitue cette fois-ci une véritable "charge de preuve", à savoir un dispositif "effectivement pertinent et de qualité", la Commission des sanctions reprenant les termes de la loi.
Or, lorsque l'entreprise, pendant l'instruction a montré tout ce qu'elle avait fait, cela n'avait pas suffi à convaincre l'Autorité de poursuite, son directeur s'estimant non-convaincu.
Mais la Commission des sanctions relève que " la personne mise en cause a suivi à cet égard, en tout point, la méthode préconisée par l’Agence elle-même dans ses Recommandations". Elle en conclut que l'entreprise "doit être regardée comme apportant des éléments suffisants, sauf à l’Agence à démontrer qu’elle n’a pas, en réalité, suivi les Recommandations.".
La Commission des sanctions va plus loin, pour la sécurité de toutes les entreprises, en prenant un autre cas que celui dont elle était saisie : celui où l'entreprise ne soit pas les recommandations.
Elle commence par rappeler que l'entreprise est "en a le droit dès lors que les Recommandations ne constituent qu’un référentiel dont l’usage n’est en rien obligatoire".
Si l'entreprise choisit de ne pas suivre le référentiel, la conséquence est simple. En cas de contrôle, si l'AFA satisfait sa charge d'allégation, c'est-à-dire apporte une "vraisemblance de manquement", alors si l'entreprise veut échapper à une sanction et ne peut se prévaloir d'un comportement conforme aux recommandations de l'Agence, "il lui incombe de démontrer la pertinence, la qualité et l’effectivité du dispositif de détection et de prévention de la corruption en justifiant de la validité de la méthode qu’elle a librement choisie et suivie.".
On ne saurait mieux dire, plus classiquement et plus finement dire.
Or, en l'espèce sur le grief articulé sur la cartographie des risques de corruption, la Commission des sanctions répertorie les diligences cumulées et successives de l'entreprise et constate qu'elle a, depuis le début de la procédure, pris soin de suivre les recommandations publiées par l'Agence. Cela ne permet donc pas au directeur de prétendre transformer ses allégations en preuves et d'obtenir de la Commission des sanctions le prononcé d'injonctions qu'il sollicite. .
La Commission insiste en soulignant que l'entreprise "n’était pas tenue de suivre la méthodologie préconisée dans les Recommandations éditées par l’Agence, au demeurant postérieurement au contrôle" et qu'elle supporte la charge de détruire la vraisemblance de manquement en "justifiant de la pertinence, de la qualité et de l’effectivité" des dispositifs "qu’il lui incombe de mettre en place".
Mais en suivant la totalité des recommandations,elle parvient à renverser la charge de preuve et la Commission des sanctions en vient à constater que "les faits et critiques sur lesquels le directeur de l’Agence s’appuie pour qualifier le manquement de ne pas avoir établi une cartographie des risques de corruption conforme aux prescriptions légales ne sont pas suffisants pour permettre à la commission des sanctions de constater un tel manquement.".
Sur le Code de conduite, l'analyse menée par la Commission des sanctions est plus directe encore. Elle constate que l'entreprise à déployer celui-ci de façon à obtenir un changement de "comportement" et que cela constitue un "effort réel" pour lutter contre la corruption. A ce titre également, la vraisemblance de manquement est donc brisée par l'entreprise, qui ne peut être sanctionnée.
Les procédures d'évaluation des tiers (clients et fournisseurs) ainsi que les audits comptables apparaissent à la Commission des mesures "raisonnables". C'est pourquoi elle refuse là encore de sanctionner ou de prononcer une injonction.
___
Voilà une décision remarquablement écrite, motivée, et équilibrée.
Qui rappelle les principes juridiques de base, qui montre bien que la Compliance s'intègre pleinement dans les principes de Droit, ici le Droit de la Preuve, et que si les techniques de Compliance relèvent de l'Ex Ante dans l'organisation des entreprises, les sanctions demeurent de l'Ex Post, supposant des preuves.
Cela veut également pour les injonctions, que l'on présente trop souvent comme des mesures de sécurité (cf. le cas Daimler, en juin 2019) alors qu'il s'agit pour l'entreprise d'une sanction pour non-conformité prenant la forme d'une obligation de faire.
Cela n'affaiblit en raison les Autorités puisque, comme cela est rappelé plusieurs fois les poursuites peuvent être déclenchées par la seule démonstration de la "vraisemblance" d'un manquement et c'est à l'entreprise de briser cette vraisemblance. De la même façon, elle peut ne pas suivre les recommandations, mais c'est un risque de preuve qu'elle doit bien mesurer avant de l'endosser.
_____
les commentaires sont désactivés pour cette fiche