20 mars 2015

Enseignements : Questions posées par des étudiant(e)s - leçon 6

Question : Le régulateur bancaire ou financier a-t-il la prérogative de mise en oeuvre de la responsabilité civile ? Peut-il, par là, condamner à la réparation du dommage subi ?

par réponse par Marie-Anne Frison-Roche

Ni le régulateur financier, si les régulateur et superviseur bancaires n'ont le pouvoir de mettre en jeu la responsabilité civile des personnes dont ils apprécient le comportement. En conséquence, ils ne peuvent attribuer de dommages et intérêts à leur victime, même si c'est celle-ci qui les a saisi.

Cela tient au fait que seul le juge a pour l'instant ce pouvoir de trancher un litige entre une victime et un responsable.

Mais l'on peut penser que cela est susceptible d'évoluer.

D'une part, parce que les victimes seraient légitimes à être immédiatement idemnisées en même temps que la personne poursuivie est reconnue comme étant l'auteur de faits dommageables ; d'autre part, parce que cela inciterait les victimes à saisir davantage les Autorités de régulation et de supervision, aidant ainsi à l'effectivité des règles (private enforcement).

 

Lire ci-dessous une explication plus développée.

Ni l'AMF ni l'ACPR (qui est plutôt un Superviseur qu'un Régulateur) n'ont le pouvoir ) de mettre en cause la responsabilité civile de l'opérateur de marché (abus de marché) ou du professionnel (action disciplinaire) ou de l'opérateur crucial (supervision) dont ils apprécient le comportement. Et cela même si c'est la victime de ce comportement qui a saisi l'Autorité.
En effet, la responsabilité civile est un mécanisme qui consiste à réparer le dommage causé à une victime par un responsable. Il s'agit donc de trancher un litige. Cela renvoie en droit de la régulation au "pouvoir de régler les différents", dont certains régulateurs sont dotés (par exemple la Commission de Régulation de l'Énergie - CRE), mais pas les Autorités bancaires et financiers. Et même concernant les Autorités dotées d'un pouvoir de régler les différents, notamment sur les conditions d'accès à l'infrastructure essentielle, ne figure pas le pouvoir d'engager la responsabilité et d'attribuer des dommages et intérêts.
Cela tient au fait qu'en France l'on considère que c'est le juge, civil, administratif ou pénal (par le biais de la constitution de partie civile de la part de la victime) qui exerce la fonction réparatrice.
 
Mais votre question est pertinente pour deux raisons.
En premier lieu, de nombreuses personnes demandent à ce que les victimes puissent obtenir directement réparation du dommage auprès du Régulateur, et qu'un tel pouvoir soit attribué à celui-ci. Après tout, puisque celui-ci est "un tribunal au sens européen", il serait logique qu'il soit doté non seulement d'un pouvoir de sanction mais encore d'un pouvoir de réparation, plutôt que d'obliger la victime, bientôt épuisée, d'attendre la déclaration par le Régulateur, autorité administrative, de faute en raison d'un manquement puis d'aller porter l'affaire devant le tribunal civil pour s'en prévaloir en réclamant des dommages et intérêts.
En second lieu et plus encore, se développe, notamment en droit de la concurrence, le private enforcement, théorie qui repose sur le constat que les manquements sont difficiles à détecter et qu'il faut multiplier les chances de les sanctionner. Or, la sanction, c'est ce qui rend effectif les normes de régulation (enforcement). Pour cela et notamment il faut "encourager les victimes". En les transformant en ce que l'on appelle classiquement des "agents de la légalité". En effet, si une victime qui connait le manquement parce qu'elle en subit les conséquences saisit le régulateur, alors celui-ci sanctionnera et le droit objectif de la régulation sera effectif. C'est donc un private enforcement. Dans un droit construit (à tort ou à raison) sur l'efficacité, le private enforcement va de soi.
Dès lors, il faut "encourager" les victimes à saisir le Régulateur. Et quoi de plus attractif que la perspective de toucher des dommages et intérêts ? Si la victime ne peut pas en obtenir parce que le Régulateur ne peut agir sur le terrain de la responsabilité civile, alors la victime agira par vengeance ou par "amour du droit". Jean-Jacques Rousseau et Rudolf Jhering y croyaient. Aujourd'hui, on y croit moins ...
 
C'est pourquoi on irait dans les années qui viennent vers un système dans lequel les Autorités de régulation auront aussi ce pouvoir.
 

 

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