20 mai 2023

Newsletter MAFR - Law, Compliance, Regulation

📧Le PNF devrait avoir ouvertement compétence en matière de CJIP environnementale : la CJIP "Guy Dauphin Environnement" du 17 mai 2023

par Marie-Anne Frison-Roche

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Le PNF devrait avoir ouvertement compétence en matière de CJIP environnementale : la CJIP "Guy Dauphin Environnement" du 17 mai 2023", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 20 mai 2023.

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🔴 La CJIP GDE du 15 mai 2023 ou comment le PNF se mêle, à juste titre, de la Compliance Environnementale

Le Parquet national financier n'a pas compétence en matière environnementale, et c'est regrettable. Car il est très bien placé pour obtenir, notamment au bénéfice des associations, des mesures adéquates pour le futur, ce qui renvoie à la définition du Droit de la Compliance. C'est bien ce à quoi à travers la CJIP GDE il parvient de fait.

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Parmi les nombreux mécanismes qui caractérisent le Droit de la Compliance, le plus fameux est sans doute la Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) insérée en Droit français par la loi dite Sapin 2 de 2016.

Parmi les nombreux avantages qu'elle présente, figure son efficacité puisqu'elle permet de clore l'examen du passé pour non seulement permettre aux intéressés de consacrer leurs forces pour le futur, notamment l'entreprise signataire de la Convention, laquelle ne comprend pas de reconnaissance de culpabilité au regard des faits dont l'existence y sont pourtant admis, mais plus encore améliorer cet avenir à travers le "programme de conformité", puisque l'entreprise s'engage à agir de telle ou telle façon par la suite, sous une supervision administrative. En cela, la CJIP correspond à la définition générale du Droit de la Compliance comme la branche du Droit qui se saisit de l'Avenir.

 

C'est sans doute pour cela que le champ d'application de la CJIP ne cesse de s'étendre. Prévue en 2016 en matière de "probité" (corruption et trafic d'influence), la CJIP peut être désormais conclue à propos des délits de fraude fiscale et des délits environnementaux.

 

LE PARQUET NATIONAL FINANCIER N'A PAS COMPÉTENCE POUR PROPOSER DE CJIP EN MATIERE ENVIRONNEMENTALE

Mais si le Parquet national financier a compétence pour conclure de telles conventions à propos de faits susceptibles d'être qualifiés de corruption, trafic d'influence et fraude fiscale, ainsi que leur blanchiment, il n'a pas compétence pour conclure de CJIP en matière environnementale. Sans doute les auteurs de la loi de 2020 qui étendit ce mécanisme à cette matière-là ont considéré que la nature était trop éloignée de la finance et de l'argent pour viser la compétence du PNF.

 

LA LOGIQUE DE CETTE ABSENCE DE COMPÉTENCE : LA DIFFÉRENCE ENTRE LA NATURE ET LA FINANCE

Cela paraît logique mais il en résulte une compétence du PNF dans les délits financiers tandis que les délits environnementaux reviennent à la compétence des parquets ordinaires. L'on peut d'ailleurs lire régulièrement des CJIP conclues par des parquets à propos de délits de pollution, comprenant notamment des programmes de conformité prévoyant des remises en état et des engagements.

 

LES INCONVÉNIENTS DE CETTE ABSENCE DE COMPÉTENCE

Mais en pratique, c'est bien le Parquet national financier qui développe la technique de la Convention judiciaire d'intérêt public, complexe et qui suppose un rapport de confiance entre les magistrats et les avocats qui accompagnent l'entreprise, dans ce que l'on appelle parfois une "justice pénale négociée".

 

En outre, le PNF développe une doctrine, en dernier lieu des lignes directrices publiées en janvier 2023, acte de droit souple par lesquelles il expose notamment la façon dont il calcule le montant de l'amende d'intérêt public et il a apprécie le type d'engagements unilatéraux que l'entreprise peut prendre via le "programme de conformité". Mais cela ne peut donc pas valoir en matière environnementale... Sauf à ce que les autres parquets ne mettent à suivre les lignes directrices du PNF....

 

Or, la CJIP, qui pour l'instant est utilisée en pratique surtout à propos de ce qui touche à la fraude fiscale, est un instrument nouveau particulièrement adéquat pour les enjeux environnementaux. En effet, en matière environnementale et climatique c'est avant tout l'avenir qui compte et les engagements, spontanés ou contraints, des opérateurs économiques qui comptent. Ce sont donc les programmes de conformité, devant se dérouler sous la supervision d'une entité ou/et de moniteurs.

 

Dans cette perspective, la CJIP qui vient être conclue le 17 mai 2023 entre le PNF et la société Guy Dauphin Environnement (GDE) montre la façon dont le PNF peut tout de même mettre sa puissance et son expertise dans cette perspective-là.

 

LA CJIP GUY DAUPHIN ENVIRONNEMENT PROPOSÉE PAR LE PARQUET NATIONAL FINANCIER

Dans cette CJIP, le PNF reste indubitablement dans sa compétence puisque les faits relatés dans la convention reçoivent la qualification juridique de trafic d'influence, une entreprise ayant pour activité de trier des déchets métalliques afin de les récupérer avait commis des faits pouvant recevoir une telle qualification à l'égard de personnes publiques dans la perspective d'obtention d'autorisations administratives pour mener cette activité-là.

Mais le cas longuement raconté montre que c'est l'action des parties prenantes, à la fois des riverains d'une rivière, sans doute affectée par la pollution engendrée par l'activité, et une association de défense de l'environnement, ce qui aboutit à un long contentieux devant les juridictions administratives, qui finit par produire la conclusion de CJIP.

Plus encore, alors que le site n'avait été ouvert que durant 3 jours, les sommes infligées au titre de l'amende sont élevées, le programme de conformité est exigeant (le groupe ayant repris depuis l'entreprise ayant pleinement collaboré avec le PNF).

Mais le plus remarquable tient dans "l'indemnisation des victimes". Alors même que l'on regrette souvent le peu de considération des victimes dans le mécanisme de CJIP, le PNF considère que du fait d'un protocole transactionnel signé entre l'entreprise et les associations de défense de l'environnement en 2019 : "Le procureur de la République financier considère donc que les associations à l'origine de la présente procédure ont été désintéressées de leur éventuel préjudice.".

 

VIA LA FINANCE, C'EST LA PROTECTION DE LA NATURE QUI EST VISÉE

Par cette motivation remarquable, cela suppose que, tout manquement environnemental qui peut se concrétiser en amont ou en aval, par un délit qui lui donne compétence au PNF (la catégorie des fraudes fiscales s'y prêtant mieux encore que celle des atteintes à la probité) sera de fait en premier lieu examiné par ce biais-là examiné par le PNF et surtout sera peut-être en second lieu l'objet de mesures adéquates en lien direct avec le sujet environnemental par le biais de l'indemnisation du préjudice subi par les associations et par le biais des programmes de compliance.

 

POUR UNE EXTENSION DE LA COMPETENCE NATIONALE DU PNF EN MATIERE ENVIRONNEMENTALE

Puisque le Droit financier n'hésite pas à s'articuler avec les enjeux environnementaux, notamment avec la finance dite "verte" ou le prochain rapport de durabilité, il serait logique et plus simple de donner au PNF la compétence pour connaître des délits environnementaux et d'utiliser l'instrument de la CJIP pour y apporter une solution, tournée davantage vers le futur que vers le passé, à l'ombre portée de sa propre doctrine telle qu'elle l'édicte à l'égard des grandes entreprises qui sont ses interlocutrices.

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