Lire une présentation plus détaillée et technique de l'affaire, comprenant le contexte historique, le texte de la décision et l'audience vidéo.
Actuellement le principe de laïcité confronté à la liberté religieuse et les relations entre l’État et la religion sont délicates, notamment parce que l'opinion publique y est plus sensible qu'auparavant, parce que par endroit beaucoup moins tolérante.
Cela explique sans doute en partie la position prise par le Conseil constitutionnel qui tout à fois maintient un dispositif juridique étonnant, par lequel l’État rémunère les ministres du culte, mais pourtant ne s'avance guère sur le fond de la question.
La question juridique est donc technique celle du "droit local" (I). Mais l'intérêt de la décision est dans sa méthode : plutôt que d'ouvrir frontalement la question de la laïcité, les juges ont reconstitué la raison pour laquelle les auteurs même du texte constitutionnel à l'époque (II). Cela vaut désormais guide d'interprétation et la rend actuellement conforme à la Constitution. La décision se justifie sans doute principalement pour ne pas provoquer un débat religieux déjà à vif en France (III).
La méthode d'interprétation peut être reprise.
Lire ci-dessous les développements.
I.La question juridique : le "droit local"
La France est de droit "indivisible" et c'est le droit qui garantit cette unicité, en soumettant tous aux mêmes règles.
Mais l’Histoire a engendré pour l’Alsace-Lorraine une situation juridique particulière du fait que cette partie de la France a été parfois partie de l’Allemagne et, en conséquence, régie par le droit allemand, puis, revenant dans le territoire français, de nouveau régie par le droit français. Il en a résulte un mixte, appelé "droit local", par lequel certaines règles particulières (le plus souvent issues du droit allemand) sont encore aujourd’hui conservées et appliquées uniquement dans les départements concernées.
Cela peut concerner toutes les branches du droit et notamment la question de l'organisation par l'Etat des cultes.
Alors que le droit français ne supporte pas des règles juridiques qui se dévellopent localement (par exemple les règles spécialement sur les successions en Corse ont été déclarées non-conformes à la Constitution à ce titre), cette situation en Alsace-Lorraine est admise, car le "droit local", construit depuis que l'Alsace-Lorraine est redevenue française après 1918, est un corpus constitutionnellement admis.
Cela concerne notamment les rapports entre l’État et les cultes. Leurs relations continuent de prendre appui sur la loi du 18 germinal an X. Puis, la célèbre loi du 9 décembre 1905 pose le principe de séparation de l’Église et de l’État. Cela se traduit notamment par le fait que l’État ne salarie pas les ministres du culte et ne subventionne pas les activités cultuelles. Mais celle-ci avait posé que les dispositions du droit local restaient applicables concernant ces matières.
En outre, la Constitution élaborée en 1958 pose que la France est une République laïque, ce qui est réaffirmé en 1946.
On comprend donc qu'une association "pour la défense et la promotion de la laïcité" ait soulevé la contradiction entre cette situation très "particulière" en Alsace-Lorraine, région dans laquelle l’État rémunère les ministres du culte, entre la Constitution qui pose que la République est laïque.
Cela prit la forme juridique d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), transmise au Conseil d’État, haute juridiction au sommet de la hiérarchie des juridictions administratives dans l'ordre juridictionnel français. Le Conseil d’État, doté du pouvoir de "filtrer" , estime que cette question, nouvelle, est suffisamment sérieusement, pour qu'elle soit transmise au Conseil constitutionnel.
II. La façon de faire : reconstituer la volonté concrète des Constituants plutôt que d'ouvrir la question de la laïcité
Le Conseil constitutionnel pouvait mettre en balance le principe constitutionnel de laïcité et le particularisme du droit local.
Cela correspond à une méthode très habituelle du Conseil : la balance des intérêts, la balance des principes, la balance des objectifs, etc.
Or, le Conseil va utiliser une toute autre méthode : il va reconstituer la volonté réelle des Constituants, c'est-à-dire la méthode historique.
Le Conseil va reconstituer la volonté explicite et implicite du titulaire du pouvoir normatif, d'abord pouvoir législatif, puis pouvoir législatif, pour déterminer ce que celui qui a le pouvoir de déterminer la norme a décidé.
Il observe tout d'abord que les rapports entre l’État et les cultes ont été organisées par la loi de Germinal an X. Puis, la loi de 1905 est venu poser le principe de séparation l de l’église et de l’Etat. Il en a résulté le principe d'une République laïque, l’Etat en est garant, même s’il est par ailleurs garant de la liberté religieuse. Mais la loi de 1905 a expressément laissé intact dans les trois départements concernés le système de rémunération par l’Etat des ministres du culte, ce qui ôte toute portée à l’article 2 de cette loi de 1905 qui dispose que l’Etat ne reconnaît , ne salarie ni ne subventionne aucun culte, ainsi qu’à l’article 44 qui abrogeait toutes les dispositions qui étaient contraires à la loi de 1905.
Après la défaite allemande de la première guerre mondiale, la loi du 17 octobre 1919 "relative au régime transitoire de l’Alsace et de la Lorraine", organise une sorte de réintégration juridique de ces territoires dans le droit français. Cette loi exclut expressément la suppression du système alors applicable dans ces territoire naguère sous influence allemande, à savoir la rémunération par l’Etat des ministres des cultes reconnus par celui-ci, système aujourd'hui attaqué par la QPC.
Ainsi, le Conseil constitutionnel tranche un "conflit de lois dans le temps, en constatant que les lois successives ont toujours laissé intact le système particulier du droit local en la matière.
On peut se demander pourquoi la décision du Conseil constitutionnel, par ailleurs très brève (3 pages) occupent la majorité de ses considérants à la loi, alors que la norme de référence est la Constitution. En effet, en quoi la validation par le "simple" législateur d'un système particulier vaut-il face à la norme constitutionnelle, dès l'instant que celle-ci emporterait laïcité ?
N'est-ce pas déjà pour habituer le lecteur au fait que l'on va écarter ce principe constitutionnel en l'espèce ? N'est-ce pas une nouvelle fois pour manifester l'unité d'interprétation entre le Conseil d’État (qui veille à la légalité) et le Conseil constitutionnel (qui veille à la constitutionnalité), les "deux ailes du Palais-Royal" ?
En tout cas, le Conseil constitutionnel persévère dans sa méthode de reconstitution de la volonté réelle des rédacteurs de la Constitution. Il constate qu'à la lecture de l'article 1ier de la Constitution, puisque la République est laïque, "il implique que celle-ci ne salarie aucun culte".
Ainsi, une interprétation littérale aboutit à une déclaration d'inconstitutionnalité.
Dans la hiérarchie des interprétations, l'interprétation littérale, l'interprétation "à la lettre" est la première. Cela tient au fait que la volonté de l'auteur se retrouve dans la lettre.
Mais la volonté du Constituant ne s'est pas figée en 1789. Comme le pose le Conseil dans le considérant n°6, les travaux préparatoires aussi bien de la Constitution de 1946 que de la Constitution de 1958 montrent que dans le même que les rédacteurs voulaient poser le principe d'une République laïque, ils voulaient maintenir l'exception en droit local de la rémunération par l’État des ministres du culte.
En effet, selon le Conseil (mais cela est dit dans une demie-ligne...), le seul fait de n'avoir pas supprimé l'exception au même moment où les Constituants exprimaient expressément le principe de laïcité, montre qu'ils voulaient implicitement maintenir également l'exception, sinon, la connaissant, ils l'auraient supprimée, ou exprimé dans les travaux préparatoires leur volonté de le faire, ce qu'il n'ont pas fait. Il s'agit donc d'une volonté non pas implicite, mais tacite, c'est-à-dire véritable, de maintenir l'exception, volonté émanant des Constituants eux-mêmes.
Dès lors, la Constitution n'est pas violée.
Tout d'abord, lorsqu'on peut retrouver trace de la volonté des rédacteurs au-delà du texte, l'esprit du texte prévaut sur sa lettre.
D'autre part, au-delà de la question méthodologique, c'est un choix politique. En effet, en préférant faire une sorte de reconstitution historique, le Conseil constitutionnel français s'inspire du courant "originaliste" de certains membres de la Cour suprême des Etats-Unis, plutôt que d'interpréter les principes du texte tels que le lecteur leur donnerait leur sens aujourd'hui. Dans cette seconde tendance, sans doute, le principe de laïcité l'aurait emporté. En tout cas, il aurait fallu poser la question en termes substantiels, c'est-à-dire poser frontalement les deux modèles, principe et exception, pour en mesurer la valeur constitutionnelle.
Pourquoi ?
III. La volonté probable et raisonnable : ne pas ouvrir la guerre de religion
On peut penser que l'interprétation historique a été préférée à l'interprétation littérale par le Conseil pour qu'il en résulte la "meilleure solution" possible.
En effet, le juge a toujours le pouvoir de choisir entre plusieurs modes d'interprétation.
Si le Conseil avait remis en cause le droit local, cela aurait été imprudent, alors que ce système sophistiqué, mixte de droit français et allemand, établi depuis 200 ans environ, a montré son efficacité dans de multiples matières. Dans un moment où la sécurité juridique est ce que l'on attend le plus du Conseil constitutionnel, la décision aurait été particulièrement malheureuse.
Plus encore, la reconstitution historique, y compris celle du législateur, qui s'adosse à celle du Constituant, montre que depuis des décennies, un équilibre a été trouvé en Alsace-Lorraine, entre laïcité, liberté religieuse et paiement par l’État des ministres du culte.
Revenir là-dessus, dans une période où l’État est confronté à des mouvements religieux nouveaux, où la question dite du "mariage pour tous" sera bientôt examinée par le même Conseil constitutionnel et à propos duquel les représentants de certaines religions ont pris très fortement position, aurait été très maladroit.
C'est sans doute la réelle ratio decidedi.
S'il en est ainsi, elle serait non seulement parfaitement admissible mais parfaitement fondée.
Mais alors pourquoi ne pas le dire
Pourquoi rendre une décision de trois pages ?
Le principe de motivation est un principe fondamental de notre droit, celui par lequel les parties prenantes, ceux qui sont dans l'instance mais aussi ceux qui sont concernés, deviennent aptes à admettre la solution retenue par les juges.
Il n'est pas sûr que sur ce point la décision soit satisfaite.
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