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âș RĂ©fĂ©rence complĂšte : M.-A. Frison-Roche, "La Vigilance, champ de Contentieux SystĂ©mique Ă la croisĂ©e des branches du Droit : exemple du Contrat et des relations de Travail", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 18 mai 2024
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𧱠Vigilance, contentieux systĂ©mique : lorsque les contrats s'en mĂȘlent
Dans la confĂ©rence-dĂ©bat du 26 avril 2024, les contentieux systĂ©miques qui sont en train de naĂźtre en matiĂšre de vigilance, pointe avancĂ©e du droit de la compliance, et les solutions qui peuvent y ĂȘtre apportĂ©es, ont Ă©tĂ© examinĂ©es par les orateurs, discutĂ©es par l'auditoire.
L'un des points d'entrée de ce Contentieux Systémique Emergent est le contrat, qui est ce par quoi l'entreprise, encouragée par le droit souple des régulateurs et des organisations internationales, met en oeuvre son obligation légale.
Le juge va ĂȘtre confrontĂ© Ă des questions nouvelle dans ce contentieux d'un type nouveau, consĂ©quence de cette branche du Droit nouvelle qu'est le Droit de la Compliance.
En ont parlé François Ancel, Jean-Christophe Roda et Cyril Cosme, ouvrant des pistes de réflexion sur ce qui va se passer.
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đ§lire l'article publiĂ© le 18 mai 2024 dans la Newsletter MAFR - Law, Compliance, Regulation —ïž
Dans une salle pleine et avec l'appui d'un auditoire trÚs actif, sous la présidence de François Ancel, Conseiller à la 1iÚre chambre civile de la Cour de cassation, Jean-Christophe Roda, professeur à la Faculté de droit - Université Jean Moulin Lyon 3 et Cyril Cosme, directeur du bureau de l'Organisation internationale du travail (OIT) pour la France, ont traité plus particuliÚrement de la façon dont les contrats sont en train de structurer la mise en oeuvre de l'obligation de vigilance à laquelle les grandes entreprises sont assujetties. Les contrats sont ainsi utilisés comme des piÚces qui structurent l'obligation légale tout au long des chaßnes de valeur. Cette rencontre entre le Droit de la Compliance, dont la Vigilance est la pointe avancée, et le Droit des contrats, est en train d'engendrer un nouveau contentieux.
Sont ici mentionnés les propos des orateurs ; le débat avec la salle, débat riche et animé, n'est pas rapporté pour permettre dans cette série de conférences-débats en présentiel de conserver la liberté des échanges.
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François Ancel a fait la Présentation générale du sujet.
Il a montrĂ© que la Compliance n'est pas que du droit souple mais aussi du droit dur, le "devoir de vigilance" le dĂ©montrant. La loi du 27 mars 2017, qui impose ce devoir de vigilance constituant la pointe avancĂ©e de la Compliance, a instaurĂ© Ă la charge des entreprises dâune certaine taille l'obligation dâidentifier et de prĂ©venir des risques en matiĂšre de droits humains, d'environnement et de droits sociaux.
Il en a rappelĂ© les moyens, prĂ©vus par la loi : cartographie des risques dâatteintes graves aux droits humains et Ă l'environnement ; procĂ©dures d'Ă©valuation rĂ©guliĂšre des filiales, des sous-traitants, des fournisseurs ; actions adaptĂ©es dâattĂ©nuation des risques ; mĂ©canismes dâalerte et de recueil de signalement ; dispositif de suivi des mesures.
Afin dâassurer le contrĂŽle, lâexĂ©cution et le cas Ă©chĂ©ant la sanction de ce plan, la loi a prĂ©vu un dispositif de contrĂŽle judiciaire, avec une procĂ©dure en 2 temps : tout d'abord une procĂ©dure prĂ©ventive, avec une mise en demeure, puis une procĂ©dure judiciaire, se dĂ©roulant au fond ou en rĂ©fĂ©rĂ©.
L'orateur a estimĂ© que la loi avait dĂ©sormais atteint comme "l'Ăąge de raison" et qu'elle a effectivement donnĂ© lieu Ă un contentieux, dont on peut mĂȘme dire qu'il "a Ă©mergĂ©", puisque des jugements rendus par le Tribunal judiciaire de Paris sont actuellement portĂ©s devant la Cour d'appel de Paris. L'orateur souligne que ce contentieux reste encore assez faible en nombre, mais que cela ne veut pas dire quâil ne va pas ĂȘtre "florissant Ă lâavenir", car "les enjeux en sont Ă©normes pour les entreprises et pour la sociĂ©tĂ© civile".
Afin dâĂ©viter une expansion de ce contentieux, l'orateur estime qu'il faut que les juridictions parviennent Ă dĂ©finir rapidement une "politique jurisprudentielle", qui permet de dĂ©gager des lignes assez claires, "permettant aux entreprises de savoir ce qui est attendu par la loi et ce qui est permis de demander au juge". C'est le juge qui va devoir l'Ă©crire en lâabsence de dĂ©cret.
François Ancel pose que l'ensemble de ce cycle sur le "Contentieux SystĂ©mique Ămergent" est lĂ pour les aider, eux magistrats, Ă construire cette politique jurisprudentielle. Ă ce titre, il nây a rien de mieux que dâentendre les sachants.
Ainsi, le plan de vigilance va faire naĂźtre des contentieux qui sont systĂ©miques et qui vont toucher toutes les branches du Droit. Le sujet plus particulier de cette confĂ©rence-dĂ©bat est d'essayer de voir les incidences de la loi Vigilance sur deux branches du Droit. Tout d'abord le Droit des contrats, qui peut ĂȘtre un instrument de mise en Ćuvre du devoir de vigilance par les entreprises. Or, une application classique du Droit des contrats peut ĂȘtre quelque peu bousculĂ©e quand ce droit sâinscrit dans un contexte de Compliance, comme va le montrer Jean-Christophe Roda
La seconde branche du droit ici privilĂ©giĂ©e est celle qui porte sur la relation de travail, qui est impactĂ©e par le devoir de vigilance, parce quâil concerne le respect des droits humains, le respect des travailleurs, ce qui va impliquer une collaboration entre entreprises, employeurs et dĂ©cideurs, afin dâaider les entreprises Ă faciliter la mise en place de normes de type rĂ©fĂ©rentiel, comme va le montrer Cyril Cosme.
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Puis, Jean-Christophe Roda a traité le thÚme : Le contentieux émergent de la Vigilance dans les rapports contractuels :
L'orateur expose que le contentieux de la vigilance dans les rapports contractuels est naissant, mais il estime que ce contentieux, de nature systémique, sera sans doute florissant.
Il souligne que les questions qu'il soulĂšve et va soulever sont Ă la croisĂ©e des Droits traditionnels et du Droit Ă©conomique. En effet, par ces obligations de Compliance, l'entreprise contrainte d'ĂȘtre vigilante est poussĂ©e Ă regarder ce qui se passe dans ses locaux, Ă surveiller ses salariĂ©s, Ă rassembler des donnĂ©es de gĂ©olocalisation, etc. Cela soulĂšve des questions de Droit du travail, de vie privĂ©e, de respect du RGPD.
Or, ces "entreprises cruciales" qui sont visĂ©es par le devoir de vigilance sont par dĂ©finition en position dominante ou peuvent lâĂȘtre. Elles vont ĂȘtre poussĂ©es par la loi et les textes europĂ©ens Ă avoir une obsession du contrĂŽle accru. Dans leurs contrats de distribution elles insĂšreront des clauses de vigilance.
Ainsi, dans lâancienne version de la directive, il Ă©tait prĂ©vu que les concurrents pourraient entrer en contact les uns avec les autres, ce qui montre que le Droit de la Compliance n'est pas que ce qui accroĂźt l'efficacitĂ© de la concurrence mais ce qui peut la contrarier. Le contentieux de la vigilance va donc exacerber des questions d'entente, mais aussi d'abus de position dominante, puisque l'entreprise donneuse d'ordre, pour obĂ©ir Ă la loi, doit accroĂźtre son emprise sur ses partenaires.
Les textes eux-mĂȘmes font des rĂ©fĂ©rences, parfois directes, parfois indirectes, au contrat. La loi française de 2017 se rĂ©fĂšre au contrat. La directive sur le devoir de vigilance est plus transparente, puisqu'elle pose par exemple que les entreprises cruciales doivent ĂȘtre vigilantes Ă lâĂ©gard de leurs sous-traitants avec lesquels elles entretiennent une relation commerciale, en faisant preuve d'attention particuliĂšre. On se rĂ©fĂšre donc Ă la notion de relation commerciale Ă©tablie, qui n'est pas Ă proprement parler une notion contractuelle, mais qui transcende le contrat. Et en rĂ©alitĂ©, câest souvent bien d'une chaĂźne de contrats dont il est question.
Plus encore, pour exĂ©cuter et remplir leurs missions de vigilance, le lien privilĂ©giĂ©, la technique employĂ©e, sera le contrat et l'insertion de clauses. DĂ©jĂ et par exemple le Sarbanes-Oxley Ac , point dĂ©terminant dans la propagation du Droit de la Compliance oblige les entreprises Ă aller fouiller dans les affaires de leurs sous-traitants et partenaires contractuels, c'est-Ă -dire Ă ĂȘtre vigilantes, en s'appuyant Ă©ventuellement sur des techniques contractuelles.
Dans les premiers contentieux, par exemple dans le jugement du Tribunal judiciaire du Paris du 5 décembre 2023, Sud c/ La Poste, des questions contractuelles se posent, et elles vont se multiplier.
La question essentielle Ă se poser est donc celle du rĂŽle du juge.
L'orateur se rĂ©fĂšre aux propos rĂ©cents de Marie-Anne Frison-Roche Ă ce propos : "dĂšs lors quâil y a contrat il y a juge". Celui-ci sera donc amenĂ© Ă regarder ces clauses particuliĂšres. Il sera dâabord concernĂ© par la bonne application du plan, mais Ă©galement par toutes ces relations contractuelles. Nous allons observer ce que va engendrer la transposition de la directive europĂ©enne dĂ©sormais votĂ©e par le Parlement europĂ©en, puisquâelle prĂ©voit aussi la dĂ©signation ou la crĂ©ation dâune AutoritĂ© administrative indĂ©pendante de Supervision.
Il conviendrait de rĂ©partir les rĂŽles entre cette autoritĂ© et le juge. Si on rĂ©flĂ©chit Ă lâAutoritĂ© de la concurrence, elle a un rĂŽle de contrĂŽle et surveillance du marchĂ©, mais les aspects contractuels ne sont pas de sa compĂ©tence, c'est le juge judiciaire qui demeure compĂ©tent : l'on peut donc se dire que la mission du juge ne sera pas forcĂ©ment impactĂ©e.
Puis l'orateur continue son analyse en soulignant que six enjeux majeurs mĂ©ritent dâĂȘtre plus prĂ©cisĂ©ment Ă©voquĂ©s dans cet immense sujet.
Il a tout d'abord Ă©laborĂ© une question prĂ©alable : est-ce que ce contentieux de la vigilance ne va pas Ă©chapper aux juges par l'insertion de clauses d'arbitrage ? En effet, la grande distribution insĂšre des clauses d'arbitrage et le contentieux Ă©chappe au juge Ă©tatique et les grands groupes peuvent les suivre. Certes, se pose alors la question de l'arbitrabilitĂ©. L'arbitre ne peut sans doute pas se prononcer sur le plan lui-mĂȘme, mais la vigilance ne concerne pas que le plan. Cela renvoie aux rapports qui Ă©voluent entre les clauses de compliance et l'arbitrage, entre l'ordre public et arbitrage.
La premiĂšre question posĂ©e par l'orateur porte sur l'Ă©volution de la fonction mĂȘme du contrat. Le contrat va se transformer nĂ©cessairement, en n'Ă©tant plus utilisĂ© comme un instrument pour faire des affaires, mais comme un « contrat rĂ©gulatoire ». On lâobserve dans le contentieux amĂ©ricain, il se transforme en instrument de contrĂŽle avec des clauses dâaudit rĂ©gulier. Les entreprises, face Ă des enjeux qui sont tels, ne voudront pas prendre de risque. Aux Ătats-Unis, est utilisĂ©e la technique du red flag, câest-Ă -dire quâil nây a mĂȘme pas de manquement, et le juge amĂ©ricain estime que câest une raison suffisante pour rompre le contrat. Est-ce que le juge français se prononcera de la mĂȘme maniĂšre ?
Certes, les entreprises ont une relation que l'on pourrait dire crispĂ©e avec ce qui finit par ĂȘtre une fonction de surveillance que ces clauses leur donnent les moyens d'exercer sur d'autres entreprises, souvent plus faibles, sur ordre de la loi. Le contrat devient ainsi un instrument de surveillance de tous les autres.
La deuxiĂšme question soulevĂ©e par l'orateur est celle de la preuve. Comme on a pu l'observer dans le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 28 fĂ©vrier 2023 dans l'affaire dite "Total Ouganda", le juge est bridĂ© par la territorialitĂ© de ses pouvoirs dâenquĂȘte ; dans bien des situations les Ă©lĂ©ments pour pouvoir interprĂ©ter la bonne ou mauvaise exĂ©cution du contrat seront Ă lâĂ©tranger. Il y a certes toujours les commissions rogatoires et les dispositifs de la Convention de La Haye de 1970, mais c'est demeure difficile Ă mettre en Ćuvre, notamment dans certains pays. Les entreprises ont donc intĂ©rĂȘt Ă prĂ©constituer les diligences qu'elles font au titre de l'obligation de vigilance, cette prĂ©constitution pouvant alimenter le dĂ©bat devant le juge au profit de l'entreprise.
La troisiĂšme question est celle de lâĂ©quilibre des contrats, ou plutĂŽt de leur possible dĂ©sĂ©quilibre. En effet en matiĂšre de vigilance, le plus souvent et par nature, les relations contractuelles sont dĂ©sĂ©quilibrĂ©es car c'est la loi qui l'exige : c'est la loi qui, en assujettissant des groupes puissants, des "opĂ©rateurs cruciaux", pour reprendre le vocabulaire de Marie-Anne Frison-Roche, dans leurs rapports contractuels avec des sous-traitants qui le plus souvent sont petits mais aussi ĂȘtre des groupes aussi puissants, voire plus et qui se prĂ©valent de systĂšmes juridiques qui les protĂšgent davantage. Les relations contractuelles peuvent donc ĂȘtre dĂ©sĂ©quilibrĂ©es et c'est pour obĂ©ir Ă la loi que le groupe va insĂ©rer des clauses qui accroissent ce dĂ©sĂ©quilibre pour concrĂ©tiser son obligation lĂ©gale : clause d'audit, clause de rupture, etc. Ne pas le faire serait le voir reprocher un manquement Ă la loi. Comment le juge va-t-il apprĂ©hender cela ?
C'est le cĆur de la problĂ©matique. En effet, c'est le Droit de la Compliance, ici Ă travers la vigilance, qui exige des entreprises d'avoir un comportement contractuellement intrusif. Et dâun autre cĂŽtĂ©, des dispositions du Code de commerce posent qu'au sein du contrat un Ă©quilibre doit ĂȘtre assurĂ©. Un contentieux peut donc naĂźtre Ă ce titre, notamment par l'Ă©vocation de l'article L.442-1 du Code de commerce. La charge de preuve en est lourde, puisqu'il faudra prouver la soumission ou la tentative de soumission, tandis que la Cour de cassation rappelle que l'article 1171 du Code civil est supplĂ©tif, et on nâa sans doute pas ici Ă faire Ă des contrats dâadhĂ©sion. Les instruments ne seront pas faciles Ă mettre en oeuvre, mais les avocats sâen saisiront.
Ce contentieux croissant Ă la croisĂ©e du Droit de la Compliance et du Droit des contrats peut d'ailleurs aboutir Ă dĂ©poussiĂ©rer des dispositions du Code civil. Ainsi en est-il de l'article 1170 du Code civil, qui dispose que "Toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du dĂ©biteur est rĂ©putĂ©e non Ă©crite". Les juges auront Ă connaĂźtre de contrats qui stipulent des clauses qui dominent pour mieux protĂ©ger. Il n'est par ailleurs pas inconcevable que le principe de l'estoppel puisse ĂȘtre Ă©voquĂ©, ce principe gĂ©nĂ©ral dĂ©gagĂ© par la Cour de cassation. La question est alors de savoir si ce principe de droit processuel peut avoir un tel aspect de fond.
Sera en outre posĂ© au juge la question des "engagements", dont on mesure mal la portĂ©e, certains y voyant des possibilitĂ©s de qualification d'actes juridiques unilatĂ©raux, voire d'actes juridiques conjonctifs. L'engagement, dont la nature juridique est incertaine, va ĂȘtre au cĆur de contentieux systĂ©miques Ă venir.
La quatriĂšme question concerne l'office et le pouvoir du juge. Ces techniques contractuelles vont se rĂ©pandre dans tout ce qui entoure la vigilance, mais l'orateur rappelle que le juge ne peut pas obliger l'entreprise Ă orienter ses contrats dans tel ou tel sens, ou Ă orienter son organisation contractuelle avec ses prestataires par telle ou telle clause car le Droit des contrats demeure ancrĂ© dans le principe de la libertĂ© contractuelle. Plus encore, en s'appuyant d'ailleurs sur la pratique de l'AutoritĂ© de la concurrence en matiĂšre d'engagements, il y a des discussions sur la possibilitĂ© pour une AutoritĂ© administrative d'admettre des modifications dans les contrats, l'engagement devenant contraignant par la dĂ©cision unilatĂ©rale de l'AutoritĂ©. En outre la dĂ©cision prĂ©citĂ©e La Poste pose que ce nâest pas au juge de sâoccuper du contrat en ces termes : "ne saurait conduire le juge aÌ se substituer aÌ la socieÌteÌ et aux parties prenantes pour exiger dâelles lâinstauration de mesures preÌcises et deÌtailleÌes".
Cela pose la question plus globale du rĂŽle du juge dans lâefficacitĂ© du plan. Dans cet esprit, le juge doit se poser la question de savoir s'il ne vaut pas mieux obtenir une modification des contrats et/ou des comportements, plutĂŽt que de sanctionner Ă la lettre. Certes, l'obligation de vigilance, c'est-Ă -dire atteindre la dĂ©tection et la prĂ©vention des atteintes Ă l'environnement et aux droits humains est une obligation de moyens. Elle est de rĂ©sultat lorsqu'il s'agit de suivre le process, par exemple les modalitĂ©s de consultation pour Ă©laborer le plan. Le juge va apprĂ©cier les contours de ce mixte d'obligations, de moyens parfois aux Buts Monumentaux et parfois d'obligations de rĂ©sultat par rapport au process, qui assure l'efficacitĂ© de l'ensemble pour respecter l'esprit des textes et qui donne sens Ă la Vigilance. Pour cela, le juge doit ĂȘtre en mesure d'apprĂ©cier ce qui rĂ©sulte de l'action programmĂ©e et rĂ©alisĂ©e selon une trajectoire par l'entreprise c'est-Ă -dire ses "rĂ©sultats" produits et raisonnablement projetĂ©s.
Cette référence aux "résultats" produits par l'action de l'entreprise peut créer une confusion, car c'est en examinant les "résultats" obtenus ou prévisibles que l'on mesure si l'obligation de moyens est satisfaite, tandis que certains process plus mécaniques constituent une obligation de résultat). Ces questions, essentiellement probatoires, sont centrales au regard des Buts Monumentaux (ici la préservation systémique de l'environnement des droits humains), c'est-à -dire les objectifs de la Vigilance vers la concrétisation desquels l'entreprise doit tendre et pour lesquels on doit disposer de la trace tangible attestant qu'elle y tend effectivement.
La cinquiĂšme question est de nature procĂ©durale, Ă savoir ici principalement la compĂ©tence exclusive du Tribunal judiciaire de Paris. Le contentieux de la Vigilance va tout de mĂȘme ĂȘtre en partie portĂ© devant d'autres juridictions, par exemple le Tribunal de commerce lorsqu'il y aura un contentieux sur le fondement de l'article L.442-1 du Code de commerce prĂ©citĂ©. Si le contentieux soulĂšve des questions qui relĂšvent du devoir de vigilance, il devra y avoir un sursis Ă statuer si l'exĂ©cution du devoir de vigilance est contestĂ©e ou s'il s'agit d'interprĂ©ter les clauses activĂ©es Ă l'aune du plan ou de cette obligation de vigilance. Les juges devront veiller Ă ce que le contentieux ne soit pas indĂ»ment ralenti et peut-ĂȘtre le LĂ©gislateur devrait-il retravailler la question pour que se dissipe cette difficultĂ© processuelle qui avait Ă©tĂ© assez peu anticipĂ©e.
La sixiĂšme question renvoie aux questions internationales. Elles sont fondamentales. Si l'entreprise française contracte avec des partenaires Ă©trangers, les questions de Droit international privĂ© apparaissent. Si l'entreprise est raisonnablement vigilante, les clauses vont rarement l'amener vers le juge français. Si cela concerne une entreprise pakistanaise on sera hors du champ du RĂšglement communautaire. Il y a toutefois des options de compĂ©tence. La question du droit applicable aussi se posera et ce nâest pas dit que ce soit toujours le droit français qui s'applique, sauf Ă passer par le truchement des lois de police, mais l'orateur souligne on est loin dâavoir rĂ©solu ces questions qui agitent les internationalistes, d'autant plus que la notion de "chaines de valeur" n'est elle-mĂȘme pas claire.
Raison de plus, conclut-il, pour porter attention à ces conférences successives sur le Contentieux systÚmique émergence, dans lequel les techniques de vigilance sont toujours impliquées.
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Enfin, Cyril Cosme a traité le sujet : Le contentieux émergent de la Vigilance dans les relations de travail :
L'orateur expose la façon dont aujourdâhui les grandes entreprises françaises se tournent vers lâOIT et les diffĂ©rentes ressources quâelle peut proposer pour faire face Ă leurs nouvelles obligations de droit dur en matiĂšre de vigilance, ce qu'elles font depuis de nombreuses annĂ©es, notamment Ă partir de droit souple qu'elles ont elles-mĂȘmes contribuĂ© Ă construire par leurs politiques de droits humains et de RSE.
Il souligne que ces ressources normatives n'ont pourtant pas été conçues au départ dans cette perspective. Il rappelle que l'OIT, qui est la plus vieille organisation des Nations-Unies, élabore des normes qui promeuvent la justice sociale et s'adressent aux Etats. Ici l'enjeu normatif impliqué par le devoir de vigilance a été pris en considération par les grandes entreprises internationales qui sont aujourd'hui les usagers de ces normes, ce qui n'avait pas été initialement prévu mais ce qui fonctionne.
L'entreprise en tant que telle était restée comme une inconnue de ce systÚme, prise plutÎt comme un "employeur" et non pas comme ce qui rend effectives des normes qui ne sont pas des normes de relations de travail.
La situation a Ă©voluĂ© lorsque l'OIT elle-mĂȘme a intĂ©grĂ© la RSE dans son mandat, ce qui a permis concrĂštement Ă l'OIT d'aider des entreprises multinationales de prendre en charge ces nouvelles responsabilitĂ©s, nouvelles exigences Ă l'Ă©gard non seulement des travailleurs mais encore des actionnaires, des consommateurs et des clients, qui consistent non plus seulement Ă compenser par le Droit une relation juridique asymĂ©trique de travail mais Ă modifier la conception Ă©conomique et sociale de leurs opĂ©rations.
Cette conception a fait de l'entreprise un acteur incontournable de la volontĂ© d'encadrer la mondialisation en mĂȘme temps que cette perspective est elle-mĂȘme entrĂ©e dans le mandat de l'OIT.
Il en rĂ©sulte qu'aujourd'hui le modĂšle traditionnel des conventions internationales de droit public Ă©tablies par les Etats montre ses limites, notamment parce que ceux-ci ne maĂźtrisent pas les chaines de valeur et de production, les entreprises Ă©tant les acteurs de la reconfiguration, notamment lĂ oĂč se dĂ©veloppent les innovations techniques, par exemple le fret et le numĂ©rique.
Il en rĂ©sulte un autre phĂ©nomĂšne nouveau : depuis une quinzaine d'annĂ©es, les entreprises utilisent les ressources de lâOIT pour Ă©laborer et mettre en oeuvre leurs obligations, notamment de vigilance, ce nâĂ©tait pas prĂ©vu au dĂ©part dans ce schĂ©ma classique de Droit international public. Cela s'est opĂ©rĂ© sous la forme de soft law.
Il y a ainsi une forte parenté entre les principes directeurs de l'OCDE et la déclaration de l'IOT sur la "déclaration volontaire" des entreprises dans leur action internationale.
L'entrelac entre des normes de droit dur et de droit souple multiplie les canaux d'influence normative, dont l'un des résultats est le global compact , et les entreprises françaises sont particuliÚrement dynamiques pour défendre les droits humains, par exemple dans la filiÚre de l'habillement.
Le Droit de la Compliance donne évidemment à l'ensemble une meilleure effectivité, notamment par la loi française de 1987, réaction au drame du Rana Plaza. Mais il est difficile de construire des lois et des conventions internationales. Les contrats sont un relais efficace, il faut prendre soin de prévoir des certificateurs pour qu'ils jouent ce rÎle-là .
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