30 septembre 2025

Publications

document de travail servant de base à un article

🚧Si le stratagème probatoire du Roi-Juge Salomon n'avait pas marché

par Marie-Anne Frison-Roche

to read this Working Paper in Englis⤴️click on the British flag

🌐suivre Marie-Anne Frison-Roche sur LinkedIn

🌐s'abonner à la Newsletter MAFR Regulation, Compliance, Law

🌐s'abonner à la Newsletter en vidéo MAFR Surplomb

🌐s'abonner à la Newsletter MaFR Droit & Art

____

 Référence complète : M.-A. Frison-RocheSi le stratégème probatoire du Roi Salomon n'avait pas fonctionné, document de travail, octobre 2025

____

📝Ce document de travail est la base de l'article à paraître dans les Mélanges dédiés à Pierre Crocq.

____

 Résumé du document de travail :  Le 

_____

🔓lire le document de travail ci-dessous⤵️

1. Pierre Crocq, directeur d'Instituts judiciaires (IEJ), amenait les étudiants, ceux d'Angers puis de Paris, jusqu'aux salles d'audience où, devenus juges et avocats, ils exercent aujourd'hui l'art de la justice. Nous y passons, chacun attendant la Justice, elle doit y être présente et incarnée. Les murs de l'IEJ de la Faculté de Droit d'Angers rendent désormais hommage à leur directeur. Tout autant qu'un livre et mieux que les parois de verre, les murs de pierre  portent les inscriptions, les portraits, les représentations de cette justice humaines et de ceux qui l'enseignent et la rendent. Dans la grande salle d'audience du Tribunal judiciaire de Paris, forteresse de verre, il y a tout de même suffisamment de pierre et de hauteur pour qu'on ait pu y reproduire la lettre du premier alinéa de l'article 16 du Code de procédure civile, que l'on appelle "Code de professeurs" : Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Merci aux professeurs Motulsky, Cornu, Foyer, Terré, qui firent naître ce Code-là, et cet article-là. Merci aux professeurs qui, comme Pierre Crocq, dirigent les IEJ et amènent les étudiants dans la salle des pas perdus, c'est-à-dire celle par laquelle l'on retrouve son chemin pour aller vers le bureau de l'aide juridictionnelle, vers la salle où le juge écoute publiquement et rendra son jugement à voix haute, vers son bureau plus à l'écart où il réconcilie. 

 

2. Le Roi Salomon dans le texte et dans les algorithmes. L'une des représentations que l'on donne souvent de la Justice pour la faire comprendre aux étudiants est celle du Roi Salomon. C'est effectivement une "histoire édifiante"📎!footnote-4591. L'image est alors plus exacte, plus violente que l'image populaire du fruit coupé en deux sans chercher à savoir qui a raison et qui a tort📎!footnote-4590. Il y eut rarement autant de distance entre le récit biblique et ce qui serait sa sagesse constituant à couper les demandes en deux pour que chacun s'en retourne à moitié content sans jamais que l'on sache qui avait raison et qui avait tort. Ainsi, si l'on demande une définition à l'algorithme, la réponse est : "un jugement de Salomon désigne donc un verdict mettant fin à un conflit en renvoyant dos à dos les parties : soit en partageant les torts, soit en contraignant l'une des parties à renoncer à son action". C'est le contraire même de la justice📎!footnote-4601. Mais l'on retrouvera sans doute de plus en plus cette définition inexacte dans les copies puisqu'on lit moins les textes qu'on ne se réfère qu'à ce que répètent inlassablement les  algorithmes. Cette définition est pourtant inexacte.

3. Violence et passion Inexacte car en premier lieu  dans le Livre des Rois📎!footnote-4592 il s'agit au contraire non pas de concilier sans savoir mais à l'inverse de discerner le vrai du faux et de ce seul fait d'en déduire qui a raison et qui a tort pour rendre entièrement justice à qui a raison et rejeter qui a tort : Salomon parce qu'il connait la vérité des faits pourra ainsi dans ce second temps être juste. En second lieu, le récit n'est que de mensonges, menaces et morts. Il n'y a pas de douceur, tout est force. Passion du désir de posséder l'enfant chez celle qui n'en est pas la mère, force de l'amour chez la mère qui se sacrifie pour son enfant, force du Droit qui frappe deux fois, par l'ordre de de trancher l'enfant, par l'attribution du titre juridique de mère, remettant ainsi par la Justice les choses en ordre📎!footnote-4597.

 

4. L'exactitude des tableauxC'est d'ailleurs ce que l'Art a retenu. Cette histoire biblique, que l'on dit ancrée dans des temps plus anciens et des terres plus lointaines encore, a été peinte par l'Ecole de Raphael dans un tableau où l'on peut voir un cadavre de nouveau-né gisant à terre tandis que l'autre enfant se débat, sans doute en vain car  l'exécuteur le tient fermement à la verticale et le tranchera tout du long sans que la victime tenue par un pied ne puisse lui échapper. Les deux enfants ne sont guère regardés, ni celui qui vient de mourir, déjà abandonné par sa mère qui le tua dans la nuit en s'endormant sur lui, ni celui qui tente encore d'échapper à son sort, l'un frappé par la négligence de sa propre mère, l'autre bientôt tué sur ordre du Juge. Le Roi regarde l'enfant qui devrait donc mourir, levant déjà le bras, soit pour que sa sentence mortifère s'abatte soit pour le protéger et suspendre son ordre, tandis que les femmes se disputent la qualification juridique enviée et revendiquée de mère puisque Salomon a le pouvoir de donner ce titre juridique soit à l'une soit à l'autre. A l'époque l'unicité de la maternité ne se disputait pas.

Valentin de Bourgogne en 1629 en reprit la composition. Le tableau réalisé par Poussin en 1649 est construit différemment. Il fait apparaitre le juge immobile en position magistral, droit regardant devant lui. Il est le personnage autour duquel tout s'agence, puisqu'il est la justice. Pesant le pour et le contre, dualité et opposition que représentent les deux plaidantes. Chacun de ses bras les désignant, il est par sa position même la balance de la justice. Pourtant il donnera entièrement satisfaction à l'une et rejetera l'ensemble de la prétention de l'autre. 

5. La vérité découverte, préalable obtenu par le Roi Salomon pour un jugement qui ne pouvait alors qu'être juste puisque le Juge Salomon est impartial. Lorsque le juge Salomon se prononcera sur le fond du litige il dira que la femme défenderesse est la mère du nouveau-né disputé et rejetera entièrement la prétention de la femme qui lui réclamait l'attribution de l'enfant. Mais ce que l'on appelle le Jugement de Salomon n'est pas le jugement sur le fond, il est l'ordre par lequel il ordonne de couper l'enfant, c'est-à-dire non pas un acte de juris-dictio mais l'acte d'imperium par lequel la preuve du lien maternel est découvert. Cet acte de puissance est possible, il est ici acte de puissance absolue puisqu'il impose la mise à mort de l'innocence même qu'est le nouveau-né, puisqu'il est Roi. Le Roi Salomon découvre ainsi la vérité par une mesure d'instruction que seul un Roi, parce qu'il est doté d'Autorité, peut ordonner. Cela lui est par la suite aisé d'être juste car tout tiers peut ainsi, s'il connait la vérité, peut dans l'exercice de la juris-dictio être juste dès l'instant qu'il est impartial et désintéressé. C'est donc parce qu'il est un "Roi-Juge" qu'un tel récit peut se dérouler.

6. Plan Le Jugement de Salomon est une mesure d'instruction, un stratagème probatoire (I). Mais même un Roi ne peut être assuré de la réussite d'une mesure d'instruction que son imperium lui permet d'imposer, rien ne lui garantit la réussite du stratagème probatoire qu'il a conçu, c'est-à-dire la découverte de la vérite. La mesure d'instruction qu'il imagina suppose un amour maternel qui entraîne chez celle qui pourrait préférer continuer de disputer  qu'elle choisit plutôt ne pas posséder l'enfant et le laisser à l'état de cadavre, simple proie inerte de la demande d'accaparement formulé par la demanderesse. C'est la vertu de la femme qui permet la sagesse du Juge📎!footnote-4602. Le moyen de preuve aurait pu ne pas fonctionner (II). Cela n'est guère envisagé car l'on présente toujours le Roi Salomon comme étant sage et la mère comme préférant l'enfant à elle-même. Mais si l'on sort du Livre des Rois où la vertu règne, celle de la mère comme celle du Juge pour faire face à la passion de celle qui étouffa dans la nuit son nouveau-né et vient maintenant requérir la force de la justice pour s'emparer du second, l'on peut songer en déambulant dans la salle des pas perdus d'un Palais de Justice qu'il arrive bien souvent que des adultes se préfèrent aux enfants. Et si la seconde mère s'était préférée à l'enfant ? Que serait-il arrivé si l'ordre du juge, déjà en cours d'exécution, n'avait pas été arrêté par la vertu de la défenderesse ?  (III). Qu'aurait alors fait le Roi pour exercer avec justice son office de Juge, puisque la vérité ne lui aurait pas été accessible ? (IV). Si l'on change un élément du récit, parce que la justice est humaine, que les passions animent les parties, que les enfants sont souvent les victimes silencieuses de part et d'autre📎!footnote-4598, alors la Justice est-elle encore possible📎!footnote-4599 ?

 

I. UNE MESURE D'INSTRUCTION QUE SEUL UN ROI, DOTÉ D'AUTORITÉ PEUT ORDONNER, PERMETTANT AINSI LE JUGEMENT JUSTE QUI SERA ADOPTÉ PAR LE JUGE IMPARTIAL

7. Rétrospection de connaissance et préjugéL'opinion du peintre, qui nous représente la situation, est faite. Pour que le tableau soit édifiant, la défenderesse est nimbée de lumière et sa protestation magnifique la fait se déployer dans l'espace du tableau tandis qu'elle espère que l'issue du litige n'aura pas pour prix la vie de l'enfant, alors que la demanderesse qui exige l'attribution de l'enfant, même la moitié de son cadavre, partage avec le premier nouveau-né qu'elle écrasa de son poids dans la nuit sa couleur cadavérique. Le spectateur est ainsi mis dans la connivence de ce qui apparaîtra plus tard comme la vérité. Avant le jugement sur le fond, nous avons une idée préconçue de ce qui doit être dit sur la prétention de l'une et de l'autre : donner tort à celle qui est comme la mort, donner raison à celle qui est comme la vie.

Voilà l'un des enjeux de l'impartialité quand on décrit un cas : ne pas par préjugé embruer de lumière celle qui nous plaît et rendre repoussante celui qui ne nous plait pas en respectant le principe premier du procès qui veut que c'est le Jugement qui fixe les places, ici celle qui tua son enfant en l'étouffant par négligence et qui veut en dérober un autre la justice n'étant qu'un moyen pour y parvenir et celle qui a pris soin de son nouveau-né, demeuré vivant. Les peintres, qui connaissent la fin du récit de Salomon, préjugent donc pour nous édifier, en insérant le jugement final dans le moment antérieur de l'instruction. C'est pourquoi le tableau est lui-aussi un récit qui comprend l'avant (le mort du premier enfant la nuit précédente), l'instant (l'instruction) et le futur (la reconnaissance par le jeu des lumières de celle qui a tort et de celle qui a raison).

Que font les réseaux sociaux dans les procès en cours avant que les juges ne statuent ? Ne nimbent-ils pas de lumière ceux qu'ils veulent déjà triomphants et ne présentent-ils pas comme cadavériques ceux qu'ils estiment coupables ? Connaissent-ils déjà les jugements au fond ? Ou préjugent-ils pour obtenir gain de cause pour ceux qu'ils apprécient et mettre à mort ceux qui n'apprécient pas ? Les études abondent sur le "tribunal médiatique". Le Louvre n'est pas si loin, où Poussin traçait dans son cadre les traits d'une histoire édifiance. Mais cette oeuvre est rétrospective et le passé de la dispute peut donc se colorer de ce qui fut révélé par la suite, le peintre étant lui-même après le temps du jugement sur le fond. La Cour européenne des droits de l'Homme rappelle que c'est lorsque les lumières qui sont données aux faits et aux personnes sont trop violentes, le débat démocratique et le droit à l'information ne sont plus servis.

 

7. Une prétention étayée bâtie par celle qui réclame l'enfant vivantLe texte est plus neutre que ces représentations picturales. Comme le souligne René Girard dans le commentaire qu'il fît du texte📎!footnote-4600, le récit biblique est très judiciaire. Ce sont les parties qui nous parlent. En procédure et pour cerner ces éléments objectifs non pas du litige mais du débat

8. Une défenderesse qui  nie l'édifice de faits allégués contre elle 

 

II. MEME UN ROI NE PEUT ASSURER LA REUSSITE DU STRATAGEME PROBATOIRE

sss

III. L'ENFANT SACRIFIÉ SI SA MERE N'AVAIT PAS ETE VERTUEUSE

sss

IV. QUE PEUT FAIRE LE ROI SALOMON POUR ETRE JUSTE SI LA VERITE LUI ECHAPPE ? : LE POUVOIR DE REQUALIFICATION  DE LA DEMANDE

sss

 

1

🕴️W.A.M. Beuken, 📝No Wise King without a Wise Woman (I Kings iii 16-28),  cité par André Wénin 📝Le roi, la femme et la sagesse. Une lecture de 1 Rois 3, 16-28, 1998, p.29)

2

🕴️E. Abécassis, 📙Justice à la française, 2024.

4

R. Girard, ....

Voir par la suite,  🕴️André Wénin, 📝Le roi, la femme et la sagesse. Une lecture de 1 Rois 3, 16-28, 1998. L'auteur reprend les analyses de J. Vasse et de R. Girard.

les commentaires sont désactivés pour cette fiche