26 octobre 1974

Base Documentaire : Doctrine

FORIERS, Paul

Présomption et fiction

 

Référence complète : FORIERS, Paul, Présomption et fiction, in Les présomptions et les fictions en droit, Travaux du centre national de recherche logique, Établissements Émile Bruylant, 1974, p. 7-26.

 

L'article reproduit une conférence faite en 1970. Ce texte est d'une très grande clarté et concision.

lire ci-dessous son résumé. 

L'auteur part de la définition des termes : "de la présomption qui peut être exacte mais ne l'est pas forcément, tant s'en faut, à la fiction qui est certainement la légitimation du faux, nous passons de la vérité hypothétique à l'erreur manifeste et qui plus est au traitement de l'erreur volontaire comme source de vérité juridique.".

Les présomptions sont des modes de preuves alors que les fictions sont des extensions de la norme.

Paul Foriers commence par traiter de la question des présomptions. Il prend comme exemple celle du mur mitoyen, dont la jurisprudence a fait une présomption simple. Les présomptions simples sont des moyens de preuves, qui se ramènent à l'intime conviction du juge, surtout depuis que la jurisprudence, contrairement  à la lettre de l'article 1353 du Code civil qui se réfère à des présomptions "concordantes", se contente d'une seule présomption pour prouver un fait.

En cela, la présomption simple s'oppose à la catégorie des présomptions absolues (ou irréfragables) qui n'autorisent pas la preuve contraire. Il ne s'agit plus alors d'une preuve mais d'un artifice.

On en a un exemple à travers l'article 312 du Code civil qui désigne le mari de la mère comme étant le père de l'enfant. Le fait que le législateur ait jugé nécessaire de l'imposer, alors que les épouses devraient être fidèles, montrent que le droit par les présomptions pose des valeurs.

On peut affirmer la même chose concernant l'autorité de chose jugée, présomption affirmée par l'article 1351 du Code civil. La présomption de vérité est attachée au jugement, non pas qu'il serait vrai, mais parce que, pour des raisons de paix sociale, il ne doit pas pouvoir être remis en cause.  

L'auteur prend encore l'exemple de la présomption de l'interposition de personne, telle qu'organisée par l'article 911 du Code civil, puis la règle selon laquelle "nul n'est censé ignorer la loi". Celle-ci s'applique particulièrement en droit pénal. Mais dans ce tel cas, l'on s'éloigne à ce point de la réalité que nous ne sommes plus, comme dans la présomption précitée de paternité du mari de l'hypothèse la plus fréquence que l'on généralise, mais bien de l'affirmation du faux comme étant le vrai, c'est-à-dire de la fiction.

Dès lors, l'on est conduit à requalifier certaines présomptions. Ainsi, selon l'auteur, l'autorité de chose jugée reste bien une présomption et n'est pas une fiction car ce que dit le jugement est le plus souvent vrai alors que la règle selon laquelle nul n'est censé ignorer la loi ne correspond à aucune réalité.

Paul Foriers peut ainsi arriver à la question des fictions. Reprenant la définition de Philonenko, il les définit comme "un moyen opératoire pour faire progresser le droit sans heurter les habitudes reçues" mais préfére la définition plus ample du Vocabulaire Capitant qui définit la fiction comme "un procédé de technique juridique consistant à supposer un fait ou une situation différente de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques".

La fiction est tellement artificielle qu'on affirme souvent que seule la loi pourrait la fabriquer mais, selon l'auteur, la jurisprudence peut tout autant en créer.

La loi en regorge, par exemple les immeubles par destinations  ou les animaux de ferme qui deviennent immeubles par le jeu de l'article 522 du Code civil ("nous sommes en pleine irréalité"), jusqu'au lapins de garennes et aux colombes, qui courent et volent, et sont pourtant immeubles parce que la loi le veut. 

Paul Foriers désigne ce type de fictions légales comme étant des "fictions terminologiques". Il les distingue des "fictions normatives" qui requièrent l'adjonction d'une règle complémentaire. Pour lui, l'usufruit, tel que l'article 578 du Code civil le définit est une fiction normative, puisque n'est usufruitier que celui qui jouit de la chose comme s'il en était propriétaire alors qu'il n'est pas propriétaire (fiction), mais à condition de conserver la substance de la chose (règle complémentaire contraigrante).

L'auteur propose enfin une troisième catégorie de fiction légale, qui serait "la fiction résultant d'une loi interprétative".  Or, c'est le juge qui doit interpréter les lois, non la loi elle-même. Donc, la loi interprétative serait une fiction, en substituant dans le texte ancien une nouveauté qu'elle fait passer comme ayant toujours existé, ce qui est une fiction. L'auteur insiste sur cette hypothèse, car les lois interprétatives sont courantes.

En ce qui concerne la fiction jurisprudentielle, dont Paul Foriers affirme qu'elle existe sans difficulté puisque la jurisprudence existe en tant que source du droit, "le mensonge aide à passer un cap difficile, à habituer l'esprit des juges et des justiciables à une idée nouvelle".

Il prend comme exemple la règle jurisprudentielle de l'immunité des diplomate posée par la Cour internationale, qui reposa dans un premier temps sur la fiction de l'exterritorialité du sol de l'ambassade.

 

Paul Foriers conclut son article en soulignant la continuité entre présomption et fiction et "l'immense contribution qu'elles peuvent apporter dans la conduite d'un raisonnement juridique soucieux certes par nature de respecter les normes, mais aussi d'assurer une justice mieux adaptée et partant plus proche de l'humain".

 

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