2 décembre 2017

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Cas pratique sur le consentement : un tatouage peut-il être l'expression juridiquement opposable d'un consentement ?

par Marie-Anne Frison-Roche

Le journal Le Monde dans son édition du 2 décembre 2017 raconte un cas, sans doute inédit, que le journaliste a lui-même lu dans une revue de médecine. Aussi repris par d'autres journaux, comme L'express.

Mais prenons le cas d'une façon plus juridique.

Et que l'on soit en système juridique de Common Law ou en système de Civil Law, un cas inédit est toujours une occasion de réfléchir.

LE CAS

En l'espèce, arrive à l’hôpital de Miami un homme de 70 ans. Il n'a plus conscience, non pas du fait de son âge mais en raison de l'alcool et n'a pas de papier d'identité. L'équipe médicale s'apprête à le réanimer, ce qui est techniquement est l'acte qui s'impose. Mais sur sa peau est tatouée la mention : "ne pas réanimer", le mot "pas" étant souligné et la mention étant signée.

LA QUESTION

Que doit faire le médecin ?

L'ANALYSE JURIDIQUE DU CAS POUR RÉPONDRE A LA QUESTION

La difficulté tient dans l'analogie à faire ou non entre un tatouage et d'autres modes d'expression de la volonté d'une personne.

En effet, lorsqu'une personne "parle", ou "écrit", elle exprime un "consentement", qui lui-même traduit en principe une volonté libre et éclairée. C'est le socle de la relation entre le médecin et le patient.En conséquence de quoi, si le patient exprime sa volonté de n'être pas réanimé, le médecin suivra cette expression de la volonté faite par le consentement.

Pourquoi l'analogie entre un tatouage et ce schéma pose problème ? 

- à première vue, l'on peut dire que l'être humain s'exprime par d'autres mots que la parole et l'écrit. Ainsi, il y a de la jurisprudence pour dire que mettre une croix est une "signature" valable dès l'instant que le lien peut être fait entre "consentement" et la "volonté" est fait.

De la même façon, dans nos temps moderne, où l'écrit recule, pourquoi ne pas s'exprimer par le chant ? par une vidéo ? par un jeu où un avatar serait en train de mourir ? Pourquoi non ?

Car il n'y a pas de liste close sur la façon d'exprimer sa libre façon d'exprimer sa volonté, sur le mode d'expression de consentir.

Mais

Le problème vient justement du fait que ce lien entre cette expression ici exposée et ce qui est absolument être la source, à savoir une libre volonté maintenue de mourir, n'est pas acquis.

En effet, c'est la qualité de la volonté , exprimée d'une façon ou d'une autre, qu'il s'agit d'apprécier :

  • Il doit s'agir d'une volonté maintenue de mourir. Pour s'en assurer, il faut que la personne puisse à tout moment renoncer à l'expression faite de mourir, par exemple en déchirant le papier, en faisant une déclaration contraire (en modifiant la déclaration faite au registre tenu par les services médicaux ad hoc). Or, le tatouage est définitif. Il ne permet pas techniquement cela; En cela, il ne peut pas techniquement exprimer une volonté maintenue. Et cela pour une raison paradoxale : c'est en tant qu'il est "définitif" qu'il n'existe pas une volonté chaque jour maintenue parce que chaque jour rétractable.

 

  • Il doit s'agit d'une volonté librement et clairement exprimée. Dans les procédures d'écrits ou de prise de parole (car toutes ces "façons de faire" sont des "procédures"), l'on s'assure que la personne par son comportement (signer, relire, répéter, avoir des témoins, etc.) exprime sa volonté, emploie des mots pour le faire (par exemple : "je veux"). Certes, il y avait le soulignement du "pas" et une signature. Mais les tatouages sont parfois, voire souvent fait dans des circonstances où la personne ne se maîtrise plus tout à fait (sur quelle partie du corps ce tatouage était-il fait ?...). Or, lorsque la personne est arrivée à l'hopital, l'état d'ivresse était arrivée. Nous manquent deux éléments de fait : l'ancienneté ou non du tatouage ; la localisation du tatouage.

 

LA SOLUTION JURIDIQUE

Il n'y a pas de solution déjà arrêtée que l'on pourrait recopier,, tel l'élève sage. Il faut donc remonter plus haut, dans les normes fondamentales.

Il y en a deux : l'obligation du médecin de sauver les êtres humains (c'est son premier principe) ; la liberté de l'être humain de mourir (c'est sa première liberté).

Le cas met donc face à face deux principes fondamentales : la liberté de l'être humain d'une part (mourir), ce pour quoi les médecins sont faits (sauver).

Mais ici, il est acquis qu'il n'y a pas de doute sur le fait que les médecins étaient devant une personne qui allait mourir s'ils ne réanimaient pas. Alors qu'il y a un doute sur le fait que la personne dans l'expression qui est recueillie exprime véritablement sa volonté.

Il est incontestable que la question est donc une question probatoire.

C'est donc le principe qui est factuellement certain, face au principe qui est factuellement incertain, qui doit l'emporter.

La personne devait être réanimée.

 

QUE S'EST-IL PASSE EN L’ESPÈCE ?

Les médecins, dépassés et sans doute craignant une action en responsabilité, ont saisi le service de "l'éthique". Qui a dit que c'est "comme" un véritable message exprimant la volonté du patient. Celui-ci, non réanimé, est donc mort.

 

CONCLUSION : il faudrait apprendre aux médecins à faire des cas pratiques au regard des principes de droit.

 

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